ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"36"> rien devoir qu'à la nature, & cela non - seulement parce que les manieres gênent la nature, mais qu'elles la changent.

Dans les pays où regne peu de luxe, où le peuple est occupé du commerce & de la culture des terres, où les hommes se voyent par intétêt de premiere nécessité, plus que par des raisons d'ambition ou par goût du plaisir, les dehors sont simples & honnêtes, & les manieres sont plus sages qu'affectueuses. Il n'est pas là question de trouver des agremens & d'en montrer; on ne promet & on ne demande que de la justice. En général dans tous les pays où la nature n'est pas agitée par des mouvemens imprimés par le gouvernement, où le naturel est rarement forcé de se montrer, & connoît peu le besoin de se contraindre, les manieres sont comptées pour rien, il y en a peu, à moins qu les lois n'en ayent institué.

Le président de Montesquieu reproche aux législateurs de la Chine d'avoir confondu la religion, les moeurs, les lois & les manieres; mais n'est - ce pas pour éterniser la législation qu'ils vouloient donner, que ces génies sublimes ont lié entre elles des choses, qui dans plusieurs gouvernemens sont indépendantes, & quelquefois même opposées? C'est en appuyant le moral du physique, le politique du religieux, qu'ils ont rendu la constitution de l'état éternelle, & les moeurs immuables. S'il y a des circonstances, si les siecles amenent des momens où il seroit bon qu'une nation changeât son caractere, les législateurs de la Chine ont eu tort.

Je remarque que les nations qui ont conservé le plus long - tems leur esprit national, sont celles où le législateur a établi le plus de rapport entre la constitution de l'état, la religion, les moeurs, & les manieres, & sur - tout celles où les manieres ont été instituées par les lois.

Les Egyptiens sont le peuple de l'antiquité qui a changé le plus lentement, & ce peuple étoit conduit par des rites, par des manieres. Sous l'empire des Perses & des Grecs on reconnut les sujets de Psammétique & d'Apriès, on les reconnoit sous les Romains & sous les Mamelucs: on voit même encore aujourd'hui parmi les Egyptiens modernes des vestiges de leurs anciens usages, tant est puissante la force de l'habitude.

Après les Egyptiens, les Spartiates sont le peuple qui a conserve le plus long - tems son caractere. Ils avoient un gouvernement où les moeurs, les manieres, les lois & la religion s'unissoient, se fortifioient, étoient faites l'une pour l'autre. Leurs manieres étoient instituées, les sujets & la fcrme de la conversation, le maintien des citoyens, la maniere dont ils s'abordoient, leur conduite dans leurs repas, les détails de bienséance, de décence, de l'extérieur enfin, avoient occupé le génie de Lycurgue, comme les devoirs essentiels & la vertu. Aussi sous le regne de Nerva les Lacédémoniens subjugués depuis longtems, les Lacédémoniens qui n'étoient plus un peuple libre, étoient encore un peuple vertueux. Néron allant à Athènes pour se purifier après le meurtre de sa mere, n'osoit passer à Lacédémone; il craignoit les regards de ses citoyens, & il n'y avoit pas là des prêtres qui expiassent des parricides.

Je crois que les François sont le peuple de l'Europe moderne dont le caractere est le plus marqué, & qui a éprouvé le moins d'altération. Ils sont, dit M. Duclos, ce qu'ils étoient du tems des croisades, une nation vive, gaie, généreuse, brave, sincere, présomptueuse, inconstante, avantageuse, inconsidérée. Elle change de modes & non de moeurs. Les manieres ont fait autrefois, pour ainsi dire, partie de ses lois. Le code de la chevalerie, les usages des anciens preux, les regles de l'ancienne courtoisie ont eu pour objet les manieres. Elles sont encore en France, plus que dans le reste de l'Europe, un des objets de cette seconde éducation qu'on reçoit en entrant dans le monde, & qui par malheur s'accorde trop peu avec la premiere.

Les manieres doivent donc être un des objets de l'éducation, & peuvent être établies même par des lois, aussi souvent pour le moins que par des exemples. Les moeurs sont l'intérieur de l'homme, les manieres en sont l'extérieur. Etablir les manieres par des lois, ce n'est que donner un culte à la vertu.

Un des effets principaux des manieres, c'est de gêner en nous les premiers mouvemens: elles ôtent l'essor & l'énergie à la nature; mais aussi en nous donnant le tems de la réflexion, elles nous empéchent de sacrifier la vertu à un plaisir présent, c'est - à - dire le bonheur de la vie à l'intérêt d'un moment.

Il ne faut point trop en tenir compte dans les arts d'imitation. Le poëte & le peintre doivent donner à la nature toute sa liberté, mais le citoyen doit souvent la contraindre. Il est bien rare que celui qui pour des légers intérêts se met au - dessus - des manieres, pour un grand intérêt ne se mette au - dessus des moeurs.

Dans un pays où les manieres sont un objet important, elles survivent aux moeurs, & il faut même que les moeurs soient prodigieusement altérées pour qu'on apperçoive du changement dans les manieres. Les hommes se montrent encore ce qu'ils doivent être quand ils ne le sont plus. L'intérêt des femmes a conservé long - tems en Europe les dehors de la galanterie, elles donnent même encore aujour d'hui un prix extrème aux manieres polies, aussi elles n'éprouvent jamais de mauvais procédés, & reçoivent des hommages, & on leur rend encore avec empressement des services inutiles.

Les manieres sont corporelles, parlent aux sens, à l'imagination, enfin sont sensibles, & voilà pourquoi elles survivent aux moeurs, voilà pourquoi elles les conservent plus que les préceptes & les lois; c'est par la même raison que chez tous les peuples il reste d'anciens usages, quoique les motifs qui les ont établis ne se conservent plus.

Dans la partie de la Morée, qui étoit autrefois la Laconie, les peuples s'assemblent encore certains jours de l'année & font des repas publics, quoique l'esprit qui les fit instituer par Lycurgue soit bien parfaitement éteint en Morée. Les chats ont eu des temples en Egypte; on ignoreroit pour quoi ils y ont aujourd'hui des hôpitaux s'ils n'y avoient pas eu des temples.

S'il y a eu des peuples policés avant l'invention de l'écriture, Je suis persuadé qu'ils ont conservé long - tems leurs moeurs telles que le gouvernement les avoit instituées, parce que n'ayant point le secours des lettres, ils étoient obligés de perpétuer les principes des moeurs par les manieres, par la tradition, par les hiéroglyphes, par des tableaux, enfin par des signes sensibles, qui gravent plus fortement dans le coeur que l'écriture, les livres, & les définitions: les prêtres Egyptiens prêchoîent rarement & peignoient beaucoup.

Manieres, Façons (Page 10:36)

Manieres, Façons, (Synon.) les manieres sont l'expression des moeurs de la nation, les façons sont une charge des manieres, ou des manieres plus recherchées dans quelques individus. Les manieres deviennent façons quand elles sont affectées. Les facons sont des manieres qui ne sont point générales, & qui sont propres à un certain caractere particulier, d'ordinaire petit & vain.

Maniere (Page 10:36)

Maniere grandeur de, (Architecture.) la grandeur dans les ouvrages d'architecture peut s'envisager de deux façons; elle se rapporte à la masse & au corps [p. 37] de l'édifice, ou à la maniere dont il est bâti.

A l'égard du premier point, les anciens monumens d'architecture, sur - tout ceux des pays orientaux l'emportoient de beaucoup sur les modernes. Que pouvoit - on voir de plus étonnant que les murailles de Babylone, que ses jardins bâtis sur des voûtes, & que son temple dédié à Jupiter - Bélus, qui s'élevoit à la hauteur d'un mille, ou il y avoit huit différens étages, chacun haut d'un stade (125 pas géométriques), & au sommet l'observatoire babylonien? Que dirons - nous de ce prodigieux bassin, de ce réservoir artiticiel qui contenoit l'Euphrate, jusqu'à ce qu'on lui eût dressé un nouveau canal, & de tous les fossés à travers lesquels on le fit couler? Il ne faut point traiter de fables ces merveiiles de l'art, parce que nous n'avons plus aujourd'hui de pareils ouvrages. Tous les Historiens qui les décrivoient n'étoient ni fourbes ni menteurs. La muraille de la Chine est un de ces édifices orientaux qui figurent dans la mappemonde, & dont la description paroitroit fabuleuse, si la muraille elle - même ne subsistoit aujourd'hui.

Pour ce qui regarde la grandeur de maniere, dans les ouvrages d'architecture, nous sommes bien éloignés d'égaler celle des Grecs & des Romains. La vûe du seul Panthéon de Rome suffiroit pour désabuser ceux qui penteroient le contraire. Je n'ai pas trouvé de juge qui ait vù ce superbe temple, sans reconnoitre qu'ils avoient été frappés de sa noblesse & de sa majeste.

Cette grandeur de maniere, en architecture, a tant de force sur l'imagination, qu'un petit bâtiment où elle regne, donne de plus nobles idées à l'esprit, qu'un autre bâtiment vingt fois plus etendu à l'egard de la masse, ou cette maniere est commune. C'est ainsi peut - être qu'on auroit eté plus surpris de l'air majestueux qui paroissoit dans une statue d'Alex indre faite par la main de Lisippe, quoiqu'elle ne fut pas plus grande que le naturel, qu'on ne l'auroit été à la vùe du mont Athos, si, comme Dinocrate le proposoit, on l'eût taillé pour représemer ce conquérant, avec une riviere sur l'une de ses mams, & une ville sur l'autre.

M. de Chambray dans son parallele de l'architecture ancienne avec la moderne, recherche le principe de la différence des manieres, & d'où vient qu'en une pareille quantité de superficie, l'une semble grande & magnifique, & l'autre paroit petite & mesquine: la raison qu'il en donne est fort simple; il dit que pour introduire dans l'architecture cette grandeur de maniere, il faut faire que la division des principaux membres des ordres ait peu de parties, & qu'elles soient toutes grandes & de grands reliefs, afin que l'oeil n'y voyant rien de petit, l'imagination en soit fortement touchée. Dans une corniche, par exemple, si la doucine du couronnement, le larmie, les modillons ou les denticules viennent à faire une belle montre avec de grandes saillies, & qu'on n'y remarque point cette confusion ordinaire de petits cavets, de quarts de ronds, d'astragales, & je ne sais quelles autres particularités entremêlées, qui loin de faire bon effet dans les grands ouvrages, occupent une place inutilement & aux dépens des principaux membres, il est tres - certain que la maniere en paroîtra fiere & grande; tout aucontraire, elle deviendra petite & chetive, par la quantité de ces mêmes ornemens qui partagent l'angle de la vûe en tant de rayons si pressés, que tout lui semble confus.

En un mot, sans entrer dans de plus grands détails qui nous meneroient trop loin, il suffit d'observer qu'il n'y a rien dans l'Architecture, la Peinture, la Sculpture, & tous les beaux - arts, qui plaise davantage que la grandeur de maniere: tout ce qui est ma<cb-> jestueux frappe, imprime du respect, & sympatise avec la grandeur naturelle de l'ame. (D. J.)

Maniere (Page 10:37)

Maniere, en Peinture, est une façon particuliere que chaque peintre se fait de demner, de composer, d'exprimer, de colorier, selon que cette mantere approche plus ou moins de la nature, ou de ce qui est décidé beau, on l'appelle bonne ou mauvaise maniere.

Le même peintre a successivemant trois manieres & quelquefois davantage; la premiere vient de l'habitude dans laquelle il est d'imiter celle de son maître: ainsi l'on reconnoît par les ouvrages de tel, qu'il sort de l'école de tel ou tel maître; la seconde se forme par la découverte qu'il fait des beautés de la nature, & alors il change bien avantageusement; mais souvent au - lieu de substituer la nature à la maniere qu'il a prise de son maître, il adopte par préference la maniere de quelque autre qu'il eroit meilleure; enfin de quelques vices qu'ayent été entachées ses différentes manieres, ils sont toujours plus outres dans la troisieme que prend un peintre, & sa derniere maniere est toujours la plus mauvaise. De même qu'on reconnoît le style d'un auteur ou l'ecriture d'une personne qui nous écrit souvent, on reconnoit les ouvrages d'un peintre dont on a vu souvent des tableaux, & l'on appelle cela connoître la maniere. Il y a des personnes qui pour avoir vû beaucoup de tableaux, connoissent les differentes manieres, & savent le nom de leurs auteurs, même beaucoup mieux que les Peintres, sans que pour cela ils soient en état de juger de la beauté de l'ouvrage. Les Peintres sont si maniérés dans leurs ouvrages, que quoique ce soit à la maniere qu'on les reconnoisse, les ouvrages de celui qui n'euroit point de maniere feroient le plus facilement reconnoître leur auteur.

MANIES (Page 10:37)

MANIES, s.f. (Myth.) déesses que Pausanias croit être les mêmes que les Furies; elles avoient un temple sous ce nom dans l'Arcadie, près du fleuve Alphée, au même endroit ou Oreste perdit l'esprit, après avoir tué sa mere. (D. J.)

MANIETTE (Page 10:37)

MANIETTE, s.f. (Imprimeur en toile.) petit morceau de feutre dont on se sert pour frotter les bords du chassis.

MANIEURS (Page 10:37)

MANIEURS, s. m. pl. (Comme.) ce sont des gagnes - deniers établis sur les ports de Paris, & qui y subsistent en remuant avec des pelles les blés qui y restent quelque tems. Ils ne font pas de corps, comme plusieurs autres petits officiers de la ville. Diction. de commerce.

MANIFESTE (Page 10:37)

MANIFESTE, s. m. (Droit polit.) déciaration que font les Princes, & autres puissances, par un écrit public, des raisons & moyens sur lesquels ils fondent leurs droits & leurs prétentions, en commençant quelque guerre, ou autre entreprise; c'est en deux mots l'apologie de leur conduite.

Les anciens avoient une cérémonie auguste & solemnelle, par laquelle ils faisoient intervenir dans la déclaration de guerre, la majesté divine, comme témoin & vengeresse de l'injustice de ceux qui soutiendroient une telie guerre injustement. Peut - être aussi que leurs ambassadeurs étaloient les raisons de la guerre dans des harangues expresses, qui précédoient la dénonciation des hérauts d'armes: du moins nous trouvons de telles harangues dans presque tous les Historiens, en particulier dans Polybe, dans Tite - Live, dans Thucydide, & ces sortes de pieces sont d'un grand ornement à l'histoire. Que ces harangues soient de leur propre génie ou non, il est très - probable que le fond en est vrai, & que les raisons justificatives, ou seulement persuasives, ont été publiées & alléguées des deux côtés. Sans doute que les Romains employoient toute leur force de plume pour colorer leurs guerres, & sur cet arti<pb->

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