ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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L'origine de ces main - mortes coutumieres vient des Gaulois & des Germains; César en fait mention dans ses Commentaires, lib. VI. Plebs poenè servorum habetur loco, quoe per se - udet & nulli adhibetur consilio, plerique cum aut oere alieno, aut magnitudine tributorum, aut injurid potentiorum premuntur, sese in servitutem dicant nobilibus, ins hos eadem omnia sunt jura quoe dominis in servos.

Le terme de main - morte vient de ce qu'après la mort d'un chef de famille serf, le seigneur a droit dans plusieurs coutumes de prendre le meilleur meuble du défunt, qui est ce que l'on appelle droit de meilleur catel.

Anciennement lorsque le seigneur du main - mortable ne trouvoit point de meuble dans la maison du décédé, on coupoit la main droite du défunt, & on la présentoit au seigneur pour marquer qu'il ne le serviroit plus. On lit dans les chroniques de Flandres qu'un évêque de Liege nommé Albero ou Adalbero, mort en 1142, abolit cette coutume qui étoit ancienne dans le pays de Liege.

La main - morte ou servitude personnelle est appellée dans quelques provinces condition serve, comme en Nivernois & Bourbonnois; en d'autres taillabilité, comme en Dauphiné & en Savoie, dans les deux Bourgognes & en Auvergne, on dit mainmorte.

Il est assez évident que la main - morte tire son origine de l'esclavage qui avoit lieu chez les Romains, & dont ils avoient étendu l'usage dans les Gaules; en effet la main - morte a pris naissance aussi - tôt que l'esclavage a cessé; elle est devenue aussi commune. Les main - mortables sont occupés à la campagne au même travail dont on chargeoit les esclaves, & il n'est pas à croire que l'on ait affranchi purement & simplement tant d'esclaves dont on tiroit de l'utilité, sans se reserver sur eux quelque droit.

Enfin l'on voit que les droits des seigneurs sur les main - mortables, sont à - peu - près les mêmes que les maîtres ou patrons avoient sur leurs esclaves ou sur leurs affranchis. Les esclaves qui servoient à la campagne, étoient gleboe adscriptitii, c'est - à - dire qu'ils furent déclarés faire partie du fond, lequel ne pouvoit être aliéné sans eux, ni eux sans lui.

Il y avoit aussi chez les Romains des personnes libres qui devenoient serves par convention, & s'obligeant à cultiver un fonds.

En France, la main - morte ou condition serve se contracte en trois manieres; savoir, par la naissance, par une convention expresse, ou par une convention tacite, lorsqu'une personne libre vient habiter dans un lieu mortaillable.

Quant à la naissance, l'enfant né depuis que le pere est mortaillable, suit la condition du pere; secus, des enfans nés avant la convention par laquelle le pere se seroit rendu serf.

Ceux qui sont serfs par la naissance sont appellés gens de poursuite, c'est - à - dire, qu'ils peuvent être poursuivis pour le payement de la taille qu'ils lui doivent, en quelque lieu qu'ils aillent demeurer.

Pour devenir mortaillable par convention expresse, il faut qu'il y ait un prix ou une cause légitime, mais la plupart des main - mortes sont si anciennes que rarement on en voit le titre.

Un homme libre devient mortaillable par convention tacite, lorsqu'il vient demeurer dans un lieu de main - morte, & qu'il y prend un meix ou tenement servile; car c'est par - là qu'il se rend homme du seigneur.

L'homme franc qui va demeurer dans le meix main - mortable de sa femme, peut le quitter quand bon lui semble, soit du vivant de sa femme ou après son décès dans l'an & jour, en laissant au seigneur tous les biens étant en la main - morte, moyennant quoi il demeure libre; mais s'il meurt demeurant en la main - morte, il est reputé main - mortable, lui & sa postérité.

Quand au contraire une femme franche se marie à un homme de main - morte, pendant la vie de son mari elle est reputée comme lui de main - morte; après le decès de son mari, elle peut dans l'an & jour quitter le lieu de main - morte, & aller demeurer en un lieu franc, moyennant quoi elle redevient libre, pourvû qu'elle quitte tous les biens mainmortables que tenoit son mari, mais si elle y demeure plus d'an & jour, elle reste de condition mortaillable.

Suivant la coutume du comté de Bourgogne, l'homme franc affranchit sa femme mainmortable, au regard seulement des acquêts & biens - meubles faits en lieu franc, & des biens qui lui adviendront en lieu de franchise; & si elle trépasse sans hoirs de son corps demeurant en communion avec lui, & sans avoir été séparés, le seigneur de la main - morte dont elle est née emporte la dot & mariage qu'elle a apporté, & le trousseau & biens - meubles.

Les main - mortables vivent ordinairement ensemble en communion, qui est une espece de société non seulement entre les différentes personnes qui composent une même famille, mais aussi quelquefois entre plusieurs familles, pourvû qu'il y ait parenté entre elles. Il y en a ordinairement un entr'eux qui est le chef de la communion ou communauté, & qui administre les affaires communes; les autres sont ses communiers ou co - personniers.

La communion en main - morte n'est pas une société spéciale & particuliere, & n'est pas non plus une société pure & simple de tous biens; car chacun des communiers conserve la propriété de ceux qu'il a ou qui lui sont donnés dans la suite, & auxquels il succede suivant le droit & la coutume, pour la prélever lorsque la communion cessera. Cette société est générale de tous biens, mais les associés n'y conferent que le revenu, leur travail & leur industrie; elle est contractée pour vivre & travailler ensemble, & pour faire un profit commun.

Chaque communier supporte sur ses biens personnels les charges qui leur sont propres, comme de marier ses filles, faire le patrimoine de ses garçons.

Les main - mortables, pour conserver le droit de succéder les uns aux autres, doivent vivre ensemble, c'est - à - dire au même feu & au même pain, en un mot sous même toît & à frais communs.

Ils peuvent disposer à leur gré entrevifs de leurs meubles & biens francs; mais ils ne peuvent disposer de leurs biens par des actes de derniere volonté, même de leurs meubles & biens francs qu'en faveur de leurs parens qui sont en communion avec eux au tems de leur décès. S'ils n'en ont pas disposé par des actes de cette espece, leurs communiers seuls leur succedent; & s'ils n'ont point de communiers, quoiqu'ils ayent d'autres parens avec lesquels ils ne sont pas en communion, le seigneur leur succede par droit de chûte main - mortable.

La communion passe aux héritiers & même aux enfans mineurs d'un communier.

Elle se dissout par le partage de la maison que les communiers habitoient ensemble.

L'émancipation ne rompt pas la communion, car on peut obliger l'émancipé de rapporter à la masse ce qu'il a acquis.

Le fils qui s'est affranchi ne cesse pas non plus d'être communier de son pere, & ne perd pas pour cela le droit de lui succéder; autrement ce seroit lui ôter la faculté de recouvrer sa liberté.

La communion étant une fois rompue, ne peut être retablie que du consentement de tous les communiers que l'on y veut faire rentrer; il faut aussi le consentement du seigneur. [p. 879]

Quoique l'habitation séparée rompe ordinairement la communion à l'égard de celui qui établit son domicile à part; dans le comté de Bourgogne, la fille qui se marie, & qui sort de la maison de ses pere & mere, peut continuer la communion en faisant le reprêt, qui est un acte de sait ou de paroles, par lequel elle témoigne que son intention est de continuer la communion, pourvû qu'elle retourne coucher la premiere nuit de ses noces dans son meix & héritage.

Dans le duché de Bourgogne, le parent proche qui est communier, peut rappeller à la succession ceux qui sont en égal degré, quoiqu'ils aient rompu la communion.

Il peut aussi y avoir communions entre des personnes franches qui possedent des héritages mortaillables; & sans cette communion, ils ne succedent pas les uns aux autres à ces sortes de biens, si ce n'est les enfans à leurs ascendans de franche condition.

Les successions ab intestat des main - mortables, se reglent comme les autres, par la proximité du degré de parenté; mais il faut être communier pour succéder, si ce n'est pour les héritages de main - morte délaissés par un homme franc, auxquels ses descendans succedent quoiqu'ils ne soient pas communiers.

Quelques coutumes n'admettent à la succession des serfs que leurs enfans; d'autres y admettent tous les parens du serf qui sont en communauté avec lui.

Les autres charges de la main - morte consistent pour l'ordinaire,

1°. A payer une taille au seigneur suivant les facultés de chacun, à dire de prud'hommes, ou une certaine somme à laquelle les seigneurs ont composé ce qu'on appelle taille abonnée.

2°. Les mortaillables ne peuvent se marier à des personnes d'une autre condition, c'est - à - dire francs, ou même à des serfs d'un autre seigneur; s'ils le font, cela s'appelle for - mariage; le seigneur en ce cas prend le tiers des meubles & des immeubles situés au - dedans de la seigneurie; & en outre, quand le mainmortable n'a pas demandé congé à son seigneur pour se formarier, il lui doit une amende.

3°. Ils ne peuvent aliéner le tenement servile à d'autres qu'à des serfs du même seigneur, autrement le seigneur peut faire un commandement à l'acquéreur de remettre l'héritage entre les mains d'un homme de la condition requise; & s'il ne le fait dans l'an & jour, l'héritage vendu est acquis au seigneur.

La main - morte finit par l'affranchissement du serf. Cet affranchissement se fait par convention ou par desaveu: par convention, quand le seigneur affranchit volontairement son serf; par desaveu, lorsque le serf quitte tous les biens mortaillables, & déclare qu'il entend être libre, mais quelques coutumes veulent qu'il laisse aussi une partie de ses meubles au seigneur.

Le sacerdoce, ni les dignités civiles n'affranchissent pas des charges de la main - morte, mais exemptent seulement de subir en personne celles qui aviliroient le caractere dont le mainmortable est revêtu. Le roi peut néanmoins affranchir un serf de mainmorte, soit en l'ennoblissant directement, ou en lui conférant un office qui donne la noblesse; car le titre de noblesse efface la servitude avec laquelle il est incompatible: le seigneur du serf ainsi affranchi peut seulement demander une indemnité.

La liberté contre la main - morte personnelle se prescrit comme les autres droits, par un espace de tems plus au moins long selon les coutumes; quelquesunes veulent qu'il y ait titre.

Les main - mortes réelles ne se prescrivent point, étant des droits seigneuriaux qui sont de leur nature imprescriptibles. Voyez Coquille, des servit. person - nelles; letraité de la main - morte par Dunod. (A)

Main au pect (Page 9:879)

Main au pect, ou sur la poitrine, se disoit aneiennement par abbréviation du latin ad pectus, & par corruption on disoit la main au pis. Les ecclésiastiques qui sont dans les ordres sacrés, font serment en maintenant la main ad pectus, au lieu que les laïcs levent la main. Voyez Affirmation & Serment. (A)

Main - morte (Page 9:879)

Main - morte, Statut de, (Hist. d'Angl.) statut remarquable fait sous Edouard l. en 1278, par lequel statut il étoit défendu à toutes personnes sans exception, de disposer directement ni indirectement de leurs terres, immeubles, ou autres bien - fonds, en faveur des sociétés qui ne meurent point.

Il est vrai que dans la grande charte donnee par le roi Jean, il avoit été déjà défendu aux sujets d'aliéner leurs terres en faveur de l'église. Mais cet article, ainsi que plusieurs autres, ayant été fort mal observé, les plaintes sur ce sujet se renouvellerent avec vivacité au commencement du regne d'Edouard. On fit voir à ce prince qu'avec le tems toutes les terres passeroient entre les mains du clergé, si l'on continuoit à souffrir que les particuliers disposassent de leurs biens en faveur de l'église. En effet, ce corps ne mourant point, acquérant toûjours & n'aliénant jamais, il devoit arriver qu'il posséderoit à la fin toutes les terres du royaume. Edouard & le parlement remédierent à cet abus par le fameux statut connu sous le nom de main - morte. Ce statut d'Angleterre fut ainsi nommé parce qu'il tendoit à empêcher que les terres ne tombassent en main - morte, c'est - à - dire en mains inutiles au service du roi & du public, sans espérance qu'elles dussent jamais changer de maîtres.

Ce n'est pas que les biens qui appartiennent aux gens de main - morte soient absolument perdus pour le public, puisque leurs terres sont cultivées, & qu'ils en dépensent le produit dans le royaume; mais l'état y perd en général prodigieusement, en ce que ces terres ne contribuent pas dans la proportion des autres, & en ce que n'entrant plus dans le partage des familles, ce sont autant de moyens de moins pour accroître ou conserver la population. On ne sçauroit donc veiller trop attentivement à ce que la masse de ces biens ne s'accroisse pas, comme fit l'Angleterre dans le tems qu'elle étoit toute catholique. (D. J.)

Main - souveraine (Page 9:879)

Main - souveraine, (Jurisprud.) en matiere féodale signifie la main du roi, c'est - à - dire son autorité à laquelle un vassal a recours pour se faire recevoir en foi & hommage par les officiers du bailliage ou sénéchaussée, dans le district desquels est le fief; lorsque son seigneur dominant refuse sans cause légitime de le recevoir en foi, ou qu'il y a combat de fief entre plusieurs seigneurs; ou enfin lorsqu'un seigneur prétend que l'héritage est tenu de lui en fief, & qu'un autre soutient qu'il est tenu de lui en roture.

Cette reception en foi par main - souveraine, ne peut être faite que par les baillis & sénéchaux, & non par aucun autre juge royal ou seigneurial.

Pour y parvenir, il faut obtenir en chancellerie des lettres de main - souveraine adressantes aux baillifs & sénéchaux.

Il faut assigner le seigneur qui refuse la foi par - devant les officiers du bailliage, pour voir ordonner l'entérinement des lettres de main - souveraine.

S'il y a combat de fief, il faut assigner les seigneurs contendans à ce qu'ils aient à se concerter entre eux.

Mais il ne suffit pas de se faire recevoir en foi par le juge, il faut faire des offres réelles des droits qui peuvent être dûs, & les consigner.

Quand le combat de fief est entre le roi & un autre seigneur, il faut par provision faire la foi & hommage au roi, ce qui opere l'effet de la reception par

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