ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"368"> beauté exprime un caractere tout particulier; & celui qui entre le plus dans le nôtre, nous le préférons. C'est donc le caractere qui nous détermine; c'est donc l'ame que nous cherchons: on ne peut me nier cela. Donc tout ce qui s'offre à nos sens ne nous plaît que comme une image de ce qui se cache à leur vûe: donc nous n'aimons les qualités sensibles, que comme les organes de notre plaisir, & avec subordination aux qualités insensibles dont elles sont l'expression: donc il est au moins vrai que l'ame est ce qui nous touche le plus. Or ce n'est pas aux sens que l'ame est agréable, mais à l'esprit: ainsi l'intérêt de l'esprit devient l'intérêt principal, & si celui des sens lui étoit opposé, nous le lui sacrifierions. On n'a donc qu'à nous persuader qu'il lui est vraiment opposé, qu'il est une tache pour l'ame; voilà l'amour pur.

Cet Amour est cependant véritable, & on ne peut le confondre - avec l'amitié; car dans l'amitié, c'est l'esprit qui est l'organe du sentiment: ici ce sont les sens. Et comme les idées qui viennent par les sens, sontinfiniment plus puissantes que les vûes de la réflexion, ce qu'elles inspirent est passion. L'amitié ne va pas si loin; c'est pourtant ce que je ne voudrois pas décider; cela n'appartient qu'à ceux qui ont blanchi sur ces importantes questions.

Il n'y a pas d'amour sans estime, la raison en est claire. L'amour étant une complaisance dans l'objet aimé, & les hommes ne pouvant se défendre de trouver un prix aux choses qui leur plaisent, leur coeur en grossit le mérite; ce qui fait qu'ils se préferent les uns aux autres, parce que rien ne leur plaît tant qu'eux - mêmes.

Ainsi non - seulement on s'estime avant tout, mais on estime encore toutes les choses qu'on aime, comme la chasse, la musique, les chevaux, &c. Et ceux qui méprisent leurs propres passions, ne le font que par réflexion & par un effort de raison; car l'instinct les porte au contraire.

Par une suite naturelle du même principe, la haine rabaisse ceux qui en sont l'objet, avec le même soin que l'amour les releve. Il est impossible aux hommes de se persuader que ce qui les blesse n'ait pas quelque grand défaut, c'est un jugement confus que l'esprit porte en lui - même.

Et si la réflexion contrarie cet instinct (car il y a des qualités qu'on est convenu d'estimer, & d'autres de mépriser) alors cette contradiction ne fait qu'irriter la passion; & plûôt que de céder aux traits de la vérité, elle en détourne les yeux. Ainsi elle dépouille son objet de ses qualités naturelles, pour lui en donner de conformes à son intérêt dominant; ensuite elle se livre témérairement & sans scrupule à ses préventions insensees.

Amour du Monde (Page 1:368)

Amour du Monde. Que de choses sont comprises dans l'amour du monde! Le libertinage, le desir de plaire, l'envie de dominer, &c. L'amour du sensible & du grand ne sont nulle part si mêlés; je parle d'un grand mesuré à l'esprit & au coeur qu'il touche. Le génie & l'activité portent à la vertu & à la gloire: les petits talens, la paresse, le goût des plaisirs, la gaieté, & la vanité, nous fixent aux petites choses; mais en tous c'est le même instinct, & l'amour du monde renferme de vives semences de presque toutes les passions.

Amour de la gloire (Page 1:368)

Amour de la gloire. La gloire nous donne sur les coeurs une autorité naturelle qui nous touche, sans doute, autant qu'aucune de nos sensations, & nous étourdit plus sur nos miseres qu'une vaine dissipation: elle est donc réelle en tout sens.

Ceux qui parlent de son néant véritable, soûtiendroient peut - être avec peine le mépris ouvert d'un seul homme. Le vuide des grandes passions est rempli par le grand nombre des petites: les contemp<cb-> teurs de la gloire se piquent de bien danser, ou de quelque misere encore plus basse. Ils sont si aveugles, qu'ils ne sentent pas que c'est la gloire qu'ils cherchent si curieusement, & si vains qu'ils osent la mettre dans les choses les plus frivoles. La gloire, disent - ils, n'est ni vertu ni mérite; ils raisonnent bien en cela: elle n'en est que la récompense. Elle nous excite donc au travail & à la vertu, & nous rend souvent estimables, afin de nous faire estimer.

Tout est très - abject dans les hommes, la vertu, la gloire, la vie: mais les choses les plus petites ont des proportions reconnues. Le chêne est un grand arbre près du cerisier; ainsi les hommes à l'égard les uns des autres. Quelles sont les inclinations & les vertus de ceux qui méprisent la gloire! l'ont - ils méritée?

Amour des Sciences et des Lettres (Page 1:368)

Amour des Sciences et des Lettres. La passion de la gloire, & la passion des sciences, se ressemblent dans leur principe; car elles viennent l'une & l'autre du sentiment de notre vuide & de notre imperfection. Mais l'une voudroit se former comme un nouvel être hors de nous; & l'autre s'attache à étendre & à cultiver notre fonds: ainsi la passion de la gloire veut nous aggrandir au - dehors, & celle des sciences au - dedans.

On ne peut avoir l'ame grande, ou l'esprit un peu pénétrant, sans quelque passion pour les Lettres. Les Arts sont consacrés à peindre les traits de la belle nature; les Arts & les Sciences embrassent tout ce qu'il y a dans la pensée de noble ou d'utile; desorte qu'il ne rste à ceux qui les rejettent, que ce qui est indigne d'être peint ou enseigné. C'est très - faussement qu'ils prétendent s'arrêter à la possession des mêmes choses que les autres s'amusent à considérer. Il n'est pas vrai qu'on possede ce qu'on discerne si mal, ni qu'on estime la réalité des choses, quand on en méprise l'image: l'expérience fait voir qu'ils mentent, & la réflexion le confirme.

La plûpart des hommes honorent les Lettres, comme la religion & la vertu, c'est - à - dire, comme une chose qu'ils ne peuvent, ni connoître, ni pratiquer, ni aimer.

Personne néanmoins n'ignore que les bons Livres sont l'essence des meilleurs esprits, le précis de leurs connoissances & le fruit de leurs longues veilles: l'étude d'une vie entiere s'y peut recueillir dans quelques heures; c'est un grand secours.

Deux inconvéniens sont à craindre dans cette passion: le mauvais choix & l'excès. Quant au mauvais choix, il est probable que ceux qui s'attachent à des connoissances peu utiles ne seroient pas propres aux autres: mais l'excès peut se corriger.

Si nous étions sages, nous nous bornerions à un petit nombre de connoissances, afin de les mieux posséder: nous tâcherions de nous les rendre familieres & de les réduire en pratique; la plus longue & la plus laborieuse théorie n'éclaire qu'imparfaitement; un homme qui n'auroit jamais dansé, possederoit inutilement les regles de la danse: il en est de même des métiers d'esprit.

Je dirai bien plus: rarement l'étude est utile lorsqu'elle n'est pas accompagnée du commerce du monde. Il ne faut pas séparer ces deux choses: l'une nous apprend à penser, l'autre à agir, l'une à parler, l'autre à écrire; l'une à disposer nos actions, & l'autre à les rendre faciles. L'usage du monde nous donne encore l'avantage de penser naturellement, & l'habitude des Sciences, celui de penser profondément.

Par une suite nécessaire de ces vérités, ceux qui sont privés de l'un & de l'autre avantage par leur condition, étalent toute la foiblesse de l'esprit humain. La nature ne porte - t - elle qu'au milieu des cours & dans le sein des villes florissantes, des esprits aimables & bienfaits? Que fait - elle pour le la<pb-> [p. 369] boureur préoccupé de ses besoins? Sans doute elle a ses droits, il en faut convenir. L'art ne peut égaler les hommes; il les laisse loin les uns des autres dans la même distance où ils sont nés, quand ils ont la même application à cultiver leurs talens: mais quels peuvent être les fruits d'un beau naturel négligé?

Amour du Prochain (Page 1:369)

Amour du Prochain. L'amour du prochain est de tous les sentimens le plus juste & le plus utile: il est aussi nécessaire dans la société civile, pour le bonheur de notre vie, que dans le christianisme pour la félicité éternelle.

Amour des sexes (Page 1:369)

Amour des sexes. L'amour, partout où il est, est toûjours le maître. Il forme l'ame, le coeur & l'esprit selon ce qu'il est. Il n'est ni petit ni grand, selon le coeur & l'esprit qu'il occupe, mais selon ce qu'il est en lui - même; & il semble véritablement que l'amour est à l'ame de celui qui aime, ce que l'ame est au corps de celui qu'elle anime.

Lorsque les amans se demandent une sincérité réciproque pour savoir l'un & l'autre quand ils cesseront de s'aimer, c'est bien moins pour vouloir être avertis quand on ne les aimera plus, que pour être mieux assûrés qu'on les aime lorsqu'on ne dit point le contraire.

Comme on n'est jamais en liberté d'aimer ou de cesser d'aimer, l'amant ne peut se plaindre avec justice de l'inconstance de sa maîtresse, ni elle de la légereté de son amant.

L'amour, aussi - bien que le feu, ne peut subsister sans un mouvement continuel, & il cesse de vivre dès qu'il cesse d'espérer ou de craindre.

Il n'y a qu'une sorte d'amour: mais il y en a mille différentes copies. La plûpart des gens prennent pour de l'amour le desir de la joüissance. Voulez - vous sonder vos sentimens de bonne - foi, & discerner laquelle de ces deux passions est le principe de votre attachement: interrogez les yeux de la personne qui vous tient dans ses chaînes. Si sa présence intimide vos sens & les contient dans une soûmission respectueuse, vous l'aimez. Le véritable amour interdit même à la pensée toute idée sensuelle, tout essor de l'imagination dont la délicatesse de l'objet aime pourroit être offensée, s'il étoit possible qu'il en fut instruit: mais si les attraits qui vous charment font plus d'impression sur vos sens que sur votre arne; ce n'est point de l'amour, c'est un appétit corporel.

Qu'on aime véritablement; & l'amour ne fera jamais commettre des fautes qui blessent la conscience ou l'honneur.

Un amour vrai, sans feinte & sans caprice, Est en effet le plus grand frein du vice; Dans ses liens qui sait se retenir, Est honnéte - homme, ou va le devenir. L'Enfant Prodigue, Comédie.

Quiconque est capable d'aimer est vertueux: j'oserois même dire que quiconque est vertueux est aussi capable d'aimer; comme ce seroit un vice de conformation pour le corps que d'être inepte à la génération, c'en est aussi un pour l'ame que d'être incapable d'amour.

Je ne crains rien pour les moeurs de la part de l'amour, il ne peut que les perfectionner; c'est lui qui rend le coeur moins farouche, le caractere plus liant, l'humeur plus complaisante. On s'est accoûtumé en aimant à plier sa volonté au gré de la personne chérie; on contracte par - là l'heureuse habitude de commander à ses desirs, de les maîtriser & de les réprimer; de conformer son goût & ses inclinations aux lieux, aux tems, aux personnes: mais les moeurs ne sont pas également en sûreté quand on est inquiété par ces saillies charnelles que les hommes grossiers confondent avec l'amour.

De tout ce que nous venons de dire, il s'ensuit que le véritable amour est extrèmement rare. Il en est comme de l'apparition des esprits; tout le monde en parle, peu de gens en ont vû. Maximes de la Rochefoucauld.

Amour conjugal (Page 1:369)

Amour conjugal. Les caracteres de l'amour conjugal ne sont pas équivoques. Un amant, dupe de lui - méme, peut croire aimer sans aimer en esset: un mari sait au juste s'il aime. Il a joüi: or la joüissance est la pierre de touche de l'amour; le véritable y puise de nouveaux feux: mais le frivole s'y éteint.

L'épreuve faite, si l'on connoît qu'on s'est mépris, je ne sai de remede à ce mal que la patience. S'il est possible, substituez l'amitié à l'amour: mais je n'ose même vous flatter que cette ressource vous reste. L'amitié entre deux époux est le fruit d'un long amour, dont la joüissance & le tems ont calmé les bouillans transports. Pour l'ordinaire sous le joug de l'hymen, quand on ne s'aime point on se hait, ou tout au plus les génies de la meilleure trempe se renferment dans l'indifférence.

Des vices dans le caractere, des caprices dans l'humeur, des sentimens opposés dans l'esprit, peuvent troubler l'amour le mieux affermi. Un époux avare prend du dégoût pour une épouse qui, pensant plus noblement, croit pouvoir régler sa dépense sur leurs revenus communs: un prodigue au contraire méprise une femme oeconome.

Pour vivre heureux dans le mariage, ne vous y engagez pas sans aimer & sans être aimé. Donnez du corps à cet amour en le fondant sur la vertu. S'il n'avoit d'autre objet que la beauté, les graces & la jeunesse, aussi fragile que ces avantages passagers, il passeroit bien - tôt comme eux: mais s'il s'est attaché aux qualités du coeur & de l'esprit, il est à l'épreuve du tems.

Pour vous acquérir le droit d'exiger qu'on vous aime, travaillez à le mériter. Soyez après vingt ans aussi attentif à plaire, aussi soigneux à ne point offenser, que s'il s'agissoit aujourd'hui de faire agréer votre amour. On ne conserve un coeur que par les mêmes moyens du'on a employés pour le conquérir. Des gens s'épousent, ils s'adorent en se mariant; ils savent bien ce qu'ils ont fait pour s'inspirer mutuellement de la tendresse; elle est le fruit de leurs égards, de leur complaisance, & du soin qu'ils ont eu de ne s'offrir de part & d'autre qu'avec un certain extérieur propre à couvrir leurs défauts, ou du moins à les empêcher d'être desagréables. Que ne continuent - ils sur ce ton là quand ils sont mariés? & si c'est trop, que n'ont - ils la moitié de leurs attentions passées? Pourquoi ne se piquent - ils plus d'être aimés quand il y a plus que jamais de la gloire & de l'avantage à l'être? Quoi, nous qui nous estimons tant, & presque toûjours mal à propos; nous qui avons tant de vanité, qui aimons tant à voir des preuves de notre mérite, ou de celui que nous nous supposons, faut - il que sans en devenir ni plus loüables ni plus modestes, nous cessions d'être orgueilleux & vains dans la seule occasion peut - être où il va de notre profit & de tout l'agrément de notre vie à l'être?

Amour paternel (Page 1:369)

Amour paternel. Si la raison dans l'homme, ou plûtôt l'abus qu'il en fait, ne servoit pas quelquefois à dépraver son instinct, nous n'aurions lien à dire sur l'amour paternel: les brutes n'ont pas besoin de nos traités de morale, pour apprendre à aimer leurs petits, à les nourrir & à les élever; c'est qu'elles ne sont guidées que par l'instinct: or l'instinct, quand il n'est point distrait par les sophismes d'une raison captieuse, répond toûjours au voeu de la Nature, fait son devoir, & ne bronche jams. Si l'homme étoit donc en ce point conforme aux autres animaux, dès que l'enfant auroit vù la lumiere, sa mere

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