ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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beauté exprime un caractere tout particulier; & celui qui entre le plus dans le nôtre, nous le préférons. C'est donc le caractere qui nous détermine; c'est donc l'ame que nous cherchons: on ne peut me nier cela. Donc tout ce qui s'offre à nos sens ne nous plaît que comme une image de ce qui se cache à leur vûe: donc nous n'aimons les qualités sensibles, que comme les organes de notre plaisir, & avec subordination aux qualités insensibles dont elles sont l'expression: donc il est au moins vrai que l'ame est ce qui nous touche le plus. Or ce n'est pas aux sens que l'ame est agréable, mais à l'esprit: ainsi l'intérêt de l'esprit devient l'intérêt principal, & si celui des sens lui étoit opposé, nous le lui sacrifierions. On n'a donc qu'à nous persuader qu'il lui est vraiment opposé, qu'il est une tache pour l'ame; voilà l'amour pur.

Cet Amour est cependant véritable, & on ne peut le confondre - avec l'amitié; car dans l'amitié, c'est l'esprit qui est l'organe du sentiment: ici ce sont les sens. Et comme les idées qui viennent par les sens, sontinfiniment plus puissantes que les vûes de la réflexion, ce qu'elles inspirent est passion. L'amitié ne va pas si loin; c'est pourtant ce que je ne voudrois pas décider; cela n'appartient qu'à ceux qui ont blanchi sur ces importantes questions.

Il n'y a pas d'amour sans estime, la raison en est claire. L'amour étant une complaisance dans l'objet aimé, & les hommes ne pouvant se défendre de trouver un prix aux choses qui leur plaisent, leur coeur en grossit le mérite; ce qui fait qu'ils se préferent les uns aux autres, parce que rien ne leur plaît tant qu'eux - mêmes.

Ainsi non - seulement on s'estime avant tout, mais on estime encore toutes les choses qu'on aime, comme la chasse, la musique, les chevaux, &c. Et ceux qui méprisent leurs propres passions, ne le font que par réflexion & par un effort de raison; car l'instinct les porte au contraire.

Par une suite naturelle du même principe, la haine rabaisse ceux qui en sont l'objet, avec le même soin que l'amour les releve. Il est impossible aux hommes de se persuader que ce qui les blesse n'ait pas quelque grand défaut, c'est un jugement confus que l'esprit porte en lui - même.

Et si la réflexion contrarie cet instinct (car il y a des qualités qu'on est convenu d'estimer, & d'autres de mépriser) alors cette contradiction ne fait qu'irriter la passion; & plûôt que de céder aux traits de la vérité, elle en détourne les yeux. Ainsi elle dépouille son objet de ses qualités naturelles, pour lui en donner de conformes à son intérêt dominant; ensuite elle se livre témérairement & sans scrupule à ses préventions insensees.

Amour du Monde

Amour du Monde. Que de choses sont comprises dans l'amour du monde! Le libertinage, le desir de plaire, l'envie de dominer, &c. L'amour du sensible & du grand ne sont nulle part si mêlés; je parle d'un grand mesuré à l'esprit & au coeur qu'il touche. Le génie & l'activité portent à la vertu & à la gloire: les petits talens, la paresse, le goût des plaisirs, la gaieté, & la vanité, nous fixent aux petites choses; mais en tous c'est le même instinct, & l'amour du monde renferme de vives semences de presque toutes les passions.

Amour de la gloire

Amour de la gloire. La gloire nous donne sur les coeurs une autorité naturelle qui nous touche, sans doute, autant qu'aucune de nos sensations, & nous étourdit plus sur nos miseres qu'une vaine dissipation: elle est donc réelle en tout sens.

Ceux qui parlent de son néant véritable, soûtiendroient peut - être avec peine le mépris ouvert d'un seul homme. Le vuide des grandes passions est rempli par le grand nombre des petites: les contemp<cb-> teurs de la gloire se piquent de bien danser, ou de quelque misere encore plus basse. Ils sont si aveugles, qu'ils ne sentent pas que c'est la gloire qu'ils cherchent si curieusement, & si vains qu'ils osent la mettre dans les choses les plus frivoles. La gloire, disent - ils, n'est ni vertu ni mérite; ils raisonnent bien en cela: elle n'en est que la récompense. Elle nous excite donc au travail & à la vertu, & nous rend souvent estimables, afin de nous faire estimer.

Tout est très - abject dans les hommes, la vertu, la gloire, la vie: mais les choses les plus petites ont des proportions reconnues. Le chêne est un grand arbre près du cerisier; ainsi les hommes à l'égard les uns des autres. Quelles sont les inclinations & les vertus de ceux qui méprisent la gloire! l'ont - ils méritée?

Amour des Sciences et des Lettres

Amour des Sciences et des Lettres. La passion de la gloire, & la passion des sciences, se ressemblent dans leur principe; car elles viennent l'une & l'autre du sentiment de notre vuide & de notre imperfection. Mais l'une voudroit se former comme un nouvel être hors de nous; & l'autre s'attache à étendre & à cultiver notre fonds: ainsi la passion de la gloire veut nous aggrandir au - dehors, & celle des sciences au - dedans.

On ne peut avoir l'ame grande, ou l'esprit un peu pénétrant, sans quelque passion pour les Lettres. Les Arts sont consacrés à peindre les traits de la belle nature; les Arts & les Sciences embrassent tout ce qu'il y a dans la pensée de noble ou d'utile; desorte qu'il ne rste à ceux qui les rejettent, que ce qui est indigne d'être peint ou enseigné. C'est très - faussement qu'ils prétendent s'arrêter à la possession des mêmes choses que les autres s'amusent à considérer. Il n'est pas vrai qu'on possede ce qu'on discerne si mal, ni qu'on estime la réalité des choses, quand on en méprise l'image: l'expérience fait voir qu'ils mentent, & la réflexion le confirme.

La plûpart des hommes honorent les Lettres, comme la religion & la vertu, c'est - à - dire, comme une chose qu'ils ne peuvent, ni connoître, ni pratiquer, ni aimer.

Personne néanmoins n'ignore que les bons Livres sont l'essence des meilleurs esprits, le précis de leurs connoissances & le fruit de leurs longues veilles: l'étude d'une vie entiere s'y peut recueillir dans quelques heures; c'est un grand secours.

Deux inconvéniens sont à craindre dans cette passion: le mauvais choix & l'excès. Quant au mauvais choix, il est probable que ceux qui s'attachent à des connoissances peu utiles ne seroient pas propres aux autres: mais l'excès peut se corriger.

Si nous étions sages, nous nous bornerions à un petit nombre de connoissances, afin de les mieux posséder: nous tâcherions de nous les rendre familieres & de les réduire en pratique; la plus longue & la plus laborieuse théorie n'éclaire qu'imparfaitement; un homme qui n'auroit jamais dansé, possederoit inutilement les regles de la danse: il en est de même des métiers d'esprit.

Je dirai bien plus: rarement l'étude est utile lorsqu'elle n'est pas accompagnée du commerce du monde. Il ne faut pas séparer ces deux choses: l'une nous apprend à penser, l'autre à agir, l'une à parler, l'autre à écrire; l'une à disposer nos actions, & l'autre à les rendre faciles. L'usage du monde nous donne encore l'avantage de penser naturellement, & l'habitude des Sciences, celui de penser profondément.

Par une suite nécessaire de ces vérités, ceux qui sont privés de l'un & de l'autre avantage par leur condition, étalent toute la foiblesse de l'esprit humain. La nature ne porte - t - elle qu'au milieu des cours & dans le sein des villes florissantes, des esprits aimables & bienfaits? Que fait - elle pour le la<pb->

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