ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

RECHERCHE Accueil Mises en garde Documentation ATILF ARTFL Courriel

Previous page

"974"> homme d'esprit ne peut être pris en mauvaise part, & bel - esprit est quelquefois prononcé ironiquement. D'où vient cette différence? c'est qu'homme d'esprit ne signifie pas esprit supérieur, talent marqué, & que bel - esprit le signifie. Ce mot homme d'esprit n'annonce point de prétention, & le bel - esprit est une affiche; c'est un art qui demande de la culture, c'est une espece de profession, & qui par - là expose à l'envie & au ridicule.

C'est en ce sens que le P. Bouhours auroit eu raison de faire entendre, d'après le cardinal du Perron, que les Allemands ne prétendoient pas à l'esprit; parce qu'alors leurs savans ne s'occupoient guere que d'ouvrages laborieux & de pénibles recherches, qui ne permettoient pas qu'on y répandît des fleurs, qu'on s'efforçât de briller, & que le bel - esprit se mêlât au savant.

Ceux qui méprisent le génie d'Aristote au lieu de s'en tenir à condamner sa physique qui ne pouvoit être bonne, étant privée d'expériences, seroient bien étonnés de voir qu'Aristote a enseigné parfaitement dans sa rhétorique la maniere de dire les choses avec esprit. Il dit que cet art consiste à ne se pas servir simplement du mot propre, qui ne dit rien de nouveau; mais qu'il faut employer une métaphore, une figure dont le sens soit clair & l'expression énergique. Il en apporte plusieurs exemples, & entre autres ce que dit Periclès d'une bataille où la plus florissante jeunesse d'Athenes avoit péri, l'année a été dépouillée de Jon printems. Aristote a bien raison de dire, qu'il faut du nouveau; le premier qui pour exprimer que les plaisirs sont mêlés d'amertumes, les regarda comme des roses accompagnées d'épines, eut de l'esprit. Ceux qui le répéterent n'en eurent point.

Ce n'est pas toûjours par une métaphore qu'on s'exprime spirituellement; c'est par un tour nouveau; c'est en laissant deviner sans peine une partie de sa pensée, c'est ce qu'on appelle finesse, délicatesse; & cette maniere est d'autant plus agréable, qu'elle exerce & qu'elle fait valoir l'esprit des autres. Les allusions, les allégories, les comparaisons, sont un champ vaste de pensées ingénieuses; les effets de la nature, la fable, l'histoire présentes à la mémoire, fournissent à une imagination heureuse des traits qu'elle employe à - propos.

Il ne sera pas inutile de donner des exemples de ces différens genres. Voici un madrigal de M. de la Sabliere, qui a toûjours été estimé des gens de goût.

Eglé tremble que dans ce jour L'hymen plus puissant que l'amour, N'enleve ses thrésors sans qu'elle ose s'en plaindre. Elle a négligé mes avis. Si la belle les eût suivis, Elle n'auroit plus rien à craindre.

L'auteur ne pouvoit, ce semble, ni mieux cacher ni mieux faire entendre ce qu'il pensoit, & ce qu'il craignoit d'exprimer.

Le madrigal suivant paroît plus brillant & plus agréable: c'est une allusion à la fable.

Vous étes belle & votre soeur est belle, Entre vous deux tout choix seroit bien doux; L'amour étoit blond comme vous, Mais il aimoit une brune comme elle.

En voici encore un autre fort ancien; il est de Bertaud évêque de Sées, & paroît au - dessus des deux autres, parce qu'il réunit l'esprit & le sentiment.

Quand je revis ce que j'ai tant aimé, Peu s'en fallut que mon feu rallumé N'en fît le charme en mon ame renaître, Et que mon coeur autrefois son captif Ne ressemblât l'esclave fugitif, A qui le sort fit rencontrer son maître.

De pareils traits plaisent à tout le monde, & caractérisent l'esprit délicat d'une nation ingénieuse. Le grand point est de savoir jusqu'où cet esprit doit être admis. Il est clair que dans les grands ouvrages on doit l'employer avec sobriété, par cela même qu'il est un ornement. Le grand art est dans l'à - propos. Une pensée sine, ingénieuse, une comparaison juste & fleurie, est un défaut quand la raison seule où la passion doivent parler, ou bien quand on doit traiter de grands intérêts: ce n'est pas alors du faux belesprit, mais c'est de l'esprit déplacé; & toute beauté hors de sa place cesse d'être beauté. C'est un défaut dans lequel Virgile n'est jamais tombé, & qu'on peut quelquefois reprocher au Tasse, tout admirable qu'il est d'ailleurs: ce défaut vient de ce que l'auteur trop plein de ses idées veut se montrer lui - même, lorsqu'il ne doit montrer que ses personnages. La meilleure maniere de connoître l'usage qu'on doit faire de l'esprit, est de lire le petit nombre de bons ouvravrages de génie qu'on a dans les langues savantes & dans la nôtre.

Le faux - esprit est autre chose que de l'esprit déplacé: ce n'est pas seulement une pensée fausse, car elle pourroit être fausse sans être ingénieuse; c'est une pensée fausse & recherchée. Il a été remarqué ailleurs qu'un homme de beaucoup d'esprit qui traduisit, ou plûtôt qui abrégea Homere en vers françois, crut embellir ce poëte dont la simplicité fait le caractere, en lui prétant des ornemens. Il dit au sujet de la réconciliation d'Achille:

Tout le camp s'écria dans une joie extrème, Que ne vaincra - t - il point? Il s'est vaincu lui - même. Premierement, de ce qu'on a dompté sa colere, il ne s'ensuit point du tout qu'on ne sera point battu: secondement, toute une armée peut - elle s'accorder par une inspiration soudaine à dire une pointe?

Si ce défaut choque les juges d'un goût sévere, combien doivent révolter tous ces traits forcés, toutes ces pensées alambiquées que l'on trouve en foule dans des écrits, d'ailleurs estimables? comment supporter que dans un livre de mathématiques on dise, que « si Saturne venoit à manquer, ce seroit le dernier satellite qui prendroit sa place, parce que les grands seigneurs éloignent toûjours d'eux leurs successeurs »? comment souffrir qu'on dise qu'Hercule savoit la physique, & qu'on ne pouvoit résister à un philosophe de cette force? L'envie de briller & de surprendre par des choses neuves, conduit à ces excès.

Cette petite vanité a produit les jeux de mots dans toutes les langues; ce qui est la pire espece du faux bel - esprit.

Le faux goût est différent du faux bel - esprit; parce que celui - ci est toûjours une affectation, un effort de faire mal: au lieu que l'autre est souvent une habitude de faire mal sans effort, & de suivre par instinct un mauvais exemple établi. L'intempérance & l'incohérance des imaginations orientales, est un faux goût; mais c'est plûtôt un manque d'esprit, qu'un abus d'esprit. Des étoiles qui tombent, des montagnes qui se fendent, des fleuves qui reculent, le Soleil & la Lune qui se dissolvent, des comparaisons fausses & gigantesques, la nature toûjours outrée, sont le caractere de ces écrivains, parce que dans ces pays où l'on n'a jamais parlé en public, la vraie éloquence n'a pu être cultivée, & qu'il est bien plus aisé d'être empoulé, que d'être juste, fin, & délicat.

Le faux esprit est précisément le contraire de ces idées triviales & empoulées; c'est une recherche fatigante de traits trop déliés, une affectation de dire en énigme ce que d'autres ont déjà dit naturellement, de rapprocher des idées qui paroissent incompati<pb-> [p. 975] bles, de diviser ce qui doit être réuni, de saisir de faux rapports, de mêler contre les bienséances le badinage avec le sérieux, & le petit avec le grand.

Ce seroit ici une peine superflue d'entasser des citations, dans lesquelles le mot d'esprit se trouve. On se contentera d'en examiner une de Boileau, qui est rapportée dans le grand dïctionnaire de Trévoux: C'est le propre des grands esprits, quand ils commencent à vieillir & à décliner, de se plaire aux contes & aux fables. Cette réflexion n'est pas vraie. Un grand esprit peut tomber dans cette foiblesse, mais ce n'est pas le propre des grands esprits. Rien n'est plus capable d'égarer la jeunesse, que de citer les fautes des bons écrivains comme des exemples.

Il ne faut pas oublier de dire ici en combien de sens différens le mot d'esprit s'employe; ce n'est point un défaut de la langue, c'est au contraire un avantage d'avoir ainsi des racines qui se ramifient en plusieurs branches.

Esprit d'un corps, d'une société, pour exprimer les usages, la maniere de penser, de se conduire, les préjugés d'un corps.

Esprit de parti, qui est à l'esprit d'un corps ce que sont les passions aux sentimens ordinaires.

Esprit d'une loi, pour en distinguer l'intention; c'est en ce sens qu'on a dit, la lettre tue & l'esprit vivifie.

Esprit d'un ouvrage, pour en faire concevoir le caractere & le but.

Esprit de vengeance, pour signifier desir & intention de se vanger.

Esprit de discorde, esprit de révolte, &c.

On a cité dans un dictionnaire, esprit de politesse; mais c'est d'après un auteur nommé Bellegarde, qui n'a nulle autorité. On doit choisir avec un soin scrupuleux ses auteurs & ses exemples. On ne dit point esprit de politesse, comme on dit esprit de vengeance, de dissention, de faction; parce que la politesse n'est point une passion animée par un motif puissant qui la conduise, lequel on appelle esprit métaphoriquement.

Esprit familier se dit dans un autre sens, & signifie ces êtres mitoyens, ces génies, ces demons admis dans l'antiquité, comme l'esprit de Socrate, &c.

Esprit signifie quelquefois la plus subtile partie de la matiere: on dit esprits animaux, esprits vitaux, pour signifier ce qu'on n'a jamais vû, & ce qui donne le mouvement & la vie. Ces esprits qu'on croit couler rapidement dans les nerfs, sont probablement un feu subtil. Le docteur Méad est le premier qui semble en avoir donné des preuves dans la préface du traité sur les poisons.

Esprit, en Chimie, est encore un terme qui reçoit plusieurs acceptions différentes; mais qui signifie toûjours la partie subtile de la matiere. Voyez plus bas Esprit, en Chimie.

Il y a loin de l'esprit, en ce sens, au bon esprit, au bel esprit. Le même mot dans toutes les langues peut donner toûjours des idées différentes, parce que tout est métaphore sans que le vulgaire s'en apperçoive. Voyez Eloquence, Elégance, &c. Cet article est de M. de Voltaire.

Esprit (Page 5:975)

Esprit, (Chimie.) ce nom a été employé dans sa signification propre, par les Chimistes comme par les Philosophes & par les Medecins, pour exprimer un corps subtil, délié, invisible, impalpable, une vapeur, un souffle, un être presque immatériel.

Tous les chimistes antérieurs à Stahl & à la naissance de la Chimie philosophique, ont été grands fauteurs des agens de cette classe, qui ont été mis en jeu dans plusieurs systèmes de physique. Un esprit du monde, un esprit universel, aérien, éthérien, ont été pour eux des principes dont ils se sont fort bien accommodés, & ils ont enrichi eux - mêmes la Phy<cb-> sique de plusieurs substances de cette nature: l'archée, le blas, la magnale de Vanhelmont, les ens de Paracelse, &c. sont des phantômes philosophiques de cette classe, si ce ne sont point cependant des expressions énigmatiques, ou simplement figurées.

Des êtres très - existans qui mériteroient éminemment la qualité d'esprit, ce sont les exhalaisons qui s'élevent des corps fermentans & pourrissans de certaines cavités soûterraines, du charbon embrasé, & de plusieurs autres matieres. Ces corps sont véritablement incoercibles, invisibles, & impalpables; mais on n'a pas coûtume dans le langage chimique, de les désigner par ce nom. Nous les connoissons sous celui de gas. Voyez Gas.

Depuis que notre maniere plus sage de philosopher nous a fait rejetter tous ces esprits imaginaires dont nous avons parlé au commencement de cet article, nous ne donnons plus ce titre qu'à différentes substances beaucoup plus matérielles même que les gas; savoir à certains corps expansibles ou volatils, dont l'état ordinaire sous la température de nos climats est celui de liquidité, & dont les différentes especes qui sont classées par ce petit nombre de qualités communes, sont d'ailleurs essentiellement différentes, ensorte que c'est ici une qualification très - générique, exprimant une qualité tres - extérieure tres - vaguement déterminée.

Les diverses substances qu'on trouve désignées dans les ouvrages des Chimistes, par le nom d'esprit, sont:

Premierement, un être fort indéterminé, connu plus généralement sous le nom de mercure, qui est compté dans l'ancienne Chimie parmi les principes ou produits généraux de l'analyse des corps. Voyez Mercure & Principe.

Secondement, la plûpart des liqueurs acides retirées des minéraux, des végétaux, des animaux, par la distillation. Voyez Vitriol, Nitre, Sel marin, Analyse végétale , au mot Végétal, Vinaigre, Substances animales, & Fourmi

Troisiemement, les sels alkalis volatils sous forme liquide. Voyez. Sel alkali volatil.

Quatriemement, les liqueurs inflammables retirées des vins. Voyez Esprit de Vin à l'article Vin.

Cinquiemement, les eaux essentielles ou esprits recteurs. Voyez Eaux distillées.

Sixiemement, les huiles essenticlles très subtiles, retirées des baumes par la distillation à seu doux. Voyez Huile & Terebenthine.

Septiemement, enfin les esprits ardens chargés par la distillation de la partie aromatique, ou alkali volatil de certains végétaux. Voy. Eaux distillées, Esprit ardent, Citron, Cochléaria, & Esprit volatil aromatique huileux .

Nota. Que dans le langage ordinaire, on ne désigne le plus souvent les esprits particuliers que par le nom de la substance qui les a fournis, sans déterminer par une qualification spécifique la nature de chaque esprit. Ainsi on dit esprit de vitriol, & non pas esprit acide de vitriol; esprit de soie, & non pas esprit alkali de soie; esprit - de - vin, (c'est - à - dire de suc de raisin fermenté, selon la signification vulgaire du mot vin), & non pas esprit ardent de vin de raisin; esprit de terebenthinc, & non pas esprit huileux de terebenthine; esprit de citron, & non pas esprit - de - vin chargé de l'aromate du citron. Ainsi toute cette nomenclature est presque absolument arbitraire; & d'autant plus que diverses substances, comme le sel ammoniac, la terebenthine, le citron, &c. peuvent fournir plusieurs produits qui mériteroient également le nom d'esprit, quoiqu'il ne soit donné qu'à un seul dans le langage reçu: on se familiarise cependant bien - tôt avec ces dénominations vagues; on les apprend comme des mots d'une langue inconnue. (b)

Next page


The Project for American and French Research on the Treasury of the French Language (ARTFL) is a cooperative enterprise of Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF) of the Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), the Division of the Humanities, the Division of the Social Sciences, and Electronic Text Services (ETS) of the University of Chicago.

PhiloLogic Software, Copyright © 2001 The University of Chicago.