Dictionnaires d'autrefois
Dictionnaires des 17ème, 18ème, 19ème et 20ème siècles

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Jean-François Féraud: Dictionaire critique de la langue française (Marseille, Mossy 1787-1788)

RIEN (Page C481a)

RIEN, s. m. [Monos. ien n'y a pas le son d'ian Pron. rien. = Quelques-uns prononcent ren; cela ne vaut ren: c'est une prononciation vicieûse.] S. m. Nulle chôse. "Dieu a créé le monde de rien. "Il ne fait rien: rien ne peut le toucher. = Il ne se dit que des chôses; il est du masculin sans pluriel: il se décline sans article, comme les noms propres: rien, de rien, à rien: on ne peut m'acuser de rien: je ne tiens à rien: je ne veux rien, je ne me soucie de rien. "Qui n'a besoin de rien n'est jamais pauvre. Volt. "Me voilà resté seul dans le bon parti; car... ceux-ci ne sont bons à rien, et ceux-là ne se soucient de rien. Let. de Cic. à Attic. Mongault. = 1°. Rien, employé dans une négative et suivi de que ou de comme, régit de et l'infinitif. "Rien n'est si beau que de pardoner. "Rien ne porte malheur comme de payer ses dettes. Cette dernière phrâse est de Regnard, dans Le Joueur; mais comme il y avait une syllabe de trop, il a retranché de:
   Rien ne porte malheur comme payer ses dettes.
= 2°. Sans négation, il a le sens de aucune chôse, quelque chôse: "Je ne crois pas que rien le touche: "Y-a-t-il rien de plus aimable? etc. REST. — Boileau dit, dans sa 2e Satire:
   Pâsser tranquillement, sans souci, sans affaire,
   La nuit à bien dormir, et le jour à rien faire.
La Fontaine met la négative dans son Épitaphe.
   L'une à dormir, et l'aûtre à ne rien faire.
Boileau demanda à l'Académie laquelle de ces deux manières valait mieux. Il pâssa tout d'une voix que la siène était la meilleûre; parce qu'en ôtant la négative, rien faire était une espèce d' ocupation. Tout le monde ne trouvera pas peut-être cette raison trop bone, et plusieurs préfèreront la manière~ de La Fontaine. Rien faire, c'est ne faire quoi que ce soit; ne faire aucune chôse; le sens et l'analogie semblent~ donc demander la négation. = C'est sur-tout dans les interrogations et avec si, que rien signifie quelque chôse, et qu'il faut retrancher ne: "Y a-t-il rien qui conviène mieux: "S'il n'y eût jamais rien, dit Bourdaloue, qui fût capable de m'attacher fortement à Dieu.... c'étoit cette pensée: Dieu est mort pour moi. Il falait: s'il y eût jamais rien qui, etc. Peut-être cet illustre Orateur a mis la négative à caûse de jamais, mais avec si on ne met point de négation devant jamais. = 3°. Rien, à l'acusatif, se place aprês le verbe dans les tems simples; et dans les tems composés entre l'auxiliaire et le participe; il précède toujours l'infinitif. "Il ne fait rien; il n'a rien fait. Il ne veut ou ne peut rien faire; et non pas, il n'a fait rien, il ne veut faire rien. "J'aime à n'avoir rien à faire, et non pas à ne rien faire. J'aime le loisir et non l'oisiveté. L'Ab. Trub. "Racine et Molière le mettent aprês l'infinitif. "Je ne puis dire rien. Bajazet. "Et sans lui dire rien. École des Maris. Il faut je ne puis rien dire, et sans lui rien dire. Gresset a dit aussi:
   Elle vous croit trop bon pour lui refuser rien.
La contrainte de la rime ocasione ces constructions vicieûses, mais ne les autorise pas. Des Prosateurs, qui n'ont pas cette excûse, ont fait la même faûte, si c'en est une, comme je le crois. "Pour moi, je ne puis vous pardoner rien. Télém. "Je ne veux pas vous dire rien. Fonten. Remarquez outre cela pas, et Voyez n°. 4°. "Comencer tout et n'achever rien. Neuville. Il est mieux placé en cet endroit, à cause de l' oposition de tout et de rien. = Quand il est suivi de son régime, il peut se placer devant ou aprês l'infinitif. "Je voulois n'ignorer rien (ou, ne rien ignorer) de tout ce qui sert au gouvernement d'un grand Royaume. Télémaque. = Dans les câs obliques, aûtres que l'accusatif, rien se met toujours aprês le verbe, en quelque tems qu'il soit: "Il ne pense à rien: il ne s'est mis en peine de rien: il est heureux de ne se soucier de rien: il n'a servi de rien, et non pas, il n'a de rien servi, comme ont dit Molière, Jurieu, Rollin et autres Auteurs. = 4°. Quand rien est employé avec la négative, on ne met ni pas, ni point.
   On ne veut pas rien faire ici qui vous déplaise.
       Rac. Plaid.
"Voilà précisément, dit D'Olivet, le cas pour lequel les deux Savantes de Molière vouloient que leur servante fût chassée.
   De pas mis avec rien tu fais la récidive,
   Et c'est, comme on l'a dit, trop d'une négative.
Racine n'a usé de ce barbarisme, ajoute l'illustre Académicien, que pour faire rire; et peut-être auroit-il mieux fait de s'en pâsser. = 5°. Rien veut de devant l'adjectif qui le suit: il n'a rien de grand que la naissance. Vaugelas dit qu'on peut retrancher de devant l'adjectif qui régit de, apparemment pour éviter la cacophonie de deux de placés si prês l'un de l'aûtre. "Il ne fait rien digne de sa réputation. Il est vrai que rien de digne de est bien dur; mais il ne faut pas éviter les mauvaises consonances aux dépens des règles et de l'usage. Il vaut mieux prendre un aûtre tour, et dire: il ne fait rien qui soit digne de sa réputation. Wailly. Les phrâse suivantes pèchent contre cette Règle. "Rien n'aura de force, qui s'éloignera de ces saintes règles. Bossuet. Pour construire régulièrement cette phrâse, il faut dire: rien de ce qui s'éloignera, etc. "Il n'étoit rien plus comode, etc. Fonten. "Il n'y a rien si contraire que, etc. Mallebr. Dites, rien de plus comode; rien de si contraire. = On doit donc dire, il n'y a rien de tel, et non pas, il n'est rien tel, comme l'ont dit de bons Auteurs. "Il n'est rien tel que de prendre ses sûretés. Fonten. "Il n'est rien tel que les méthodes régulières. Id. "Il n'est rien tel qu'une main philosophique pour presser ces éponges (les Libraires). Linguet. = Rien tel n'est suportable que dans le style demi marotique.
   Il n'est, ma foi, rien tel que la richesse,
   Pour avoir grand nombre d'Amis.
       L'Ab. Reyre.
— Le génitif, régime de rien, peut être placé à la tête de la phrâse: "De tout ce qu'on fait sur la terre, rien n'est utile que ce qu' on fait pour le Ciel. = Cette préposition de précède aussi rien, dans le cours de la phrâse, au lieu de le suivre, mais c'est dans un aûtre sens. "Le beau tems ne vous est de rien: vous y êtes trop acoutumée. Sév. On dit aussi, comme si de rien n'étoit. "Tout d'un coup on vient lui dire qu'il verra clair, et que ses paûvres yeux, que la fluxion avoit mis hors de la tête, y étoient rentrés heureusement, comme si de rien n'étoit. Id. "Elle va et vient par le monde, comme si de rien n'étoit. Id. (Comme si elle n'etait pas malade). "On canone, on tiraille... la nuit vient au milieu du tapage: chacun va chez soi écrire des relations... et puis on reparoit des deux côtés, comme si de rien n'étoit. Ling. Tout cela est du style familier. = 6°. Rien, suivi d'un pronom relatif, exige quelquefois que le verbe, qui vient aprês, soit afecté par la particule ne. "Il n'y a rien que je ne fasse pour vous faire plaisir. Si l'on retranchait cette négative, on dirait tout le contraire de ce que l'on voudrait dire dans ces ocasions. = 7°. Rien se met quelquefois au pluriel; et il est pur substantif: il signifie alors des bagatelles, des chôses ou des dificultés, qui n'en valent pas la peine. "Toutes ces objections sont des riens. "Grand diseur de riens; et non pas de rien, comme on le voit dans des Livres. "N'étoit ce pas le câs de ne rien répondre, ou de répondre des riens. L'Ab. Garnier, Hist. de Fr. Ce jeu de mots est frivole et trivial. = 8°. Rien se met quelquefois à la tête de la phrâse, en réponse à une interrogation. "Qu'y a-t-il donc dans ces Historiettes de Mr. Im...? Rien: rien à reprendre; rien à louer. Journ. de Mons. On sous-entend, il n'y a. = * 9°. On a dit aûtrefois rien au fém. pour chôse. On disait, sur toute rien, pour sur toute chôse; par nulle rien, pour, quelque chôse que ce soit. "Beau fils, la première chôse que je t'enseigne et commande à garder, si est que de tout ton coeur et sur toute rien tu aimes Dieu. Joinville, Vie de St. Louis. "Par nulle rien, on ne lui eut souffert. Monstrelet. = * 10°. En certaines Provinces, où l'on parle fort mal, bien des gens disent, cela ne fait de rien, ou, ne fait en rien. Il faut dire, cela ne fait rien. Le Peuple le dit en d'autres Provinces, où les gens qui ont reçu une éducation parlent bien. "Mon Dieu! c'est fête aujourd'hui. — Cela ne fait en rien. Th. d'Éduc. — 11°. Ne savoir rien de rien est du st. famil.
   Ne sachant rien de rien,
   Au susdit cloitre enfermé pour son bien.
       Ververt.
  Nouvel habitant de ce monde,
  Ignorant le mal et le bien,
  Ou plutôt ne sachant encore rien de rien,
  Un jeune rat de sa niche profonde
  Étoit sorti pour la première fois.
       L'Ab. Reyre.
= Venir à rien. Voy. VENIR. = N' être de rien. "Il comptoit pour beaucoup cet avantage si peu recherché de n'être de rien. FONTEN. Él. du P. Reyneau de l'Oratoire. = * M. Rétif dit, homme de rien, gens de rien. "Les enfans de famille s'avancent dificilement, tandis que les fils de gens de rien parviennent. L'Acad. met homme de rien, d'une fort basse naissance. On dit aussi, homme de néant; mais je ne sais si l'on peut dire aussi des gens de néant, des gens de rien. = En moins de rien, adv. En peu de tems: "En moins de rien les Japonois furent sur les murâilles. Le P. Charlev. On dit, en ce sens, il n'y a rien que je l'ai vu, il n'y a rien d'ici là. Il sert alors à marquer l'espace de tems ou de lieu. = Il ne tint à rien que: il s'en falut peu que. "Il ne tint à rien qu' il ne se tuât. = Se réduire à rien se dit d'une chôse dont il n'est presque rien resté, ou d'une afaire dont on se promettait un grand succês, et qui n'en a eu aucun. = Cet homme ne m'est rien, n'est pas mon parent: il ne m'est rien, ou de rien; je n'y prends nul intérêt. = Il est venu de rien, il s'est élevé de rien; il est de basse extraction. = On dit, proverbialement, d'un mauvais ménager, qui n'entend pas ses afaires, que: "de cent sous il fait quatre liv. et de quatre livres rien. = On ne fait rien de rien: On ne saurait réussir sans moyens, sans secours. = On ne fait rien pour rien: on a presque toujours quelque vûe d'intérêt dans les services qu'on rend aux aûtres.


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