ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"158"> prend toutes quatre à quatre, & on les coupe en quatre parties égales; ce qui donne huit cents quatre - vingts - seize feuilles.

Quand cette division est faite, voici comment on arrange ces huit cents quatre - vingt - seize feuilles: on laisse - là les feuillets de vélin; on en prend d'une autre matiere qu'on appelle baudruche, & dont nous parlerons plus bas; on met deux feuillets de parchemin, quinze emplures de baudruche, une feuille d'or, un feuillet de baudruche; une feuille d'or, un feuillet de baudruche, & ainsi de suite jusqu'à quatre cents quarante - huit inclusivement; puis quinze emplures, puis deux feuillets de parchemin; puis encore deux feuillets de parchemin, puis quinze emplures, puis une feuille d'or, puis un feuillet de baudruche, puis une feuille d'or, puis un feuillet de baudruche, & ainsi de suite, jusqu'à quatre cents quarante - huit inclusivement, puis quinze emplures de baudruche, & enfin deux feuillets de parchemin: cet assemblage s'appelle chaudret.

D'où l'on voit que le chaudret, ainsi que le second caucher, est divisé en deux parts au milieu, dans l'endroit où il se rencontre quatre feuillets de parchemin, dont deux appartiennent à la premiere part du chaudret, & la finissent, & deux à la seconde part, & la commencent.

Le feuillet du chaudret a environ cinq pouces en quarré; il est de baudruche, matiere bien plus déliée & bien plus fine que le vélin; c'est une pellicule que les Bouchers ou les Boyaudiers enlevent de dessus le boyau du boeuf: deux de ces pellicules minces collées l'une sur l'autre, forment ce qu'on appelle le feuillet de baudruche; & ces feuillets de baudruche & de parchemin disposés comme nous venons de le prescrire, forment le chaudret; le chaudret s'enfourre comme les cauchers.

On bat environ deux heures le chaudret: le marteau est le même que celui des cauchers; on observe en le battant tout ce qu'on a observé en battant le second caucher; je veux dire de défourrer de tems en tems, d'examiner si les feuilles d'or desafleurent ou non; de mettre en - dedans les faces des deux parts qui sont en - dehors, & celles qui sont en - dehors, de les mettre en - dedans; de battre selon l'art, en chassant du centre à la circonférence, &c. Lorsqu'on s'apperçoit que toutes les feuilles desafleurent, la troisieme opération est finie.

Alors on prend le chaudret défourré avec une tenaille a b c, qu'on voit fig. 9. on serre le chaudret par un de ses angles, entre les extrémités a de la tenaille, on empêche la tenaille de se desserrer, en contraignant une de ses branches c, d'entrer dans un des trous de la plaque x, attachée à l'autre branche b; on a à côté de soi un coussin d'un pié de large, sur deux piés & demi à trois piés de long, couvert de peau de veau, comme on le voit en 1, 2, fig. 3; on leve les feuillets de baudruche de la main gauche; & de la droite, on enleve avec une pince de bois qu'on voit fig. 10, les feuilles d'or; on les rogne avec un coûteau d'acier, & on les range par échelle sur le coussin; on les divise en quatre parties égales; ce qui donne quatre fois huit cents quatre - vingt - seize feuilles d'or; on divise ce nombre de quatre fois huit cents quatre - vingt - seize feuilles en quatre portions d'environ huit cents feuilles chacune, & l'on arrange ces huit cents feuilles d'or de la maniere suivante, asin de continuer le travail.

On prend deux feuillets de parchemin, vingt - cinq emplures de baudruche, une feuille d'or, un feuillet de baudruche; une feuille d'or, un feuillet de baudruche, & ainsi de suite, jusqu'à huit cents inclusivement, puis vingt - cinq emplures, & enfin deux feuilles de parchemin. Cet assemblage forme ce qu'on appelle une moule; les divisions du chaudret en qua<cb-> tre donnent de quoi former quatre moules qui se travaillent l'une après l'autre, & séparément.

La feuille de la moule a six pouces en quarré, comme disent les ouvriers très - improprement, c'est - à - dire a la forme d'un quarré, dont le côté a six pouces; on l'enfourre, & on la bat plus ou moins de tems; cela dépend de plusieurs causes; de la disposition des outils, de la température de l'air, & de la diligence de l'ouvrier: il y a des ouvriers qui battent jusqu'à deux moules par jour. Chaque moule ne contient que huit cents feuilles d'or; quoiqu'il dût y en avoir quatre fois huit cents quatre - vingt - seize pour les quatre; e qui fait plus de huit cents pour chacune: mais partie de cet excédent s'est brisé dans la batte, quand il est arrivé que la matiere étoit aigre, ou qu'elle n'étoit pas assez épaisse pour fournir à l'extension; partie a été employée à étouper les autres. On appelle étouper une feuille, appliquer une piece à l'endroit foible où elle manque d'étoffe.

C'est ici le lieu d'observer qu'il importoit assez peu que les cinquante - six premiers quartiers qui ont fourni un si grand nombre de feuilles, fussent un peu plus forts ou un peu plus foibles les uns que les autres; la batte les réduit nécessairement à la même épaisseur: la seule différence qu'il y ait, c'est que dans le cours des opérations, les forts desafleurent beaucoup plus que les foibles.

On commence à battre la moule avec le marteau rond qui pese six à sept livres, qui porte quatre pouces de diametre à la tête, & qui est un peu plus convexe qu'aucun de ceux dont on s'est servi pour les cauchers & le chaudret; il s'appelle marteau à commencer; on s'en sert pendant quatre heures; on lui fait succéder un second marteau qui pese quatre à cinq livres, qui porte deux pouces de diametre à la tête, & qui est encore plus convexe que les précédens; on l'appelle marteau à chasser, & l'on s'en sert pendant une demi - heure; on reprend ensuite le marteau à commencer; on revient au marteau à chasser, dont on se sert pendant encore une demi - heure, & l'on passe enfin au marteau à achever. Le marteau à achever porte quatre pouces de diametre à la tête, est plus convexe qu'aucun des précédens, & pese douze à treize livres. On a eu raison de l'appeller marteau à achever; car c'est en effet par lui que finit la batte.

On observe aussi pendant la batte de la moule, de la frapper tantôt sur une face, tantôt sur une autre; de défourrer de tems en tems, & d'examiner si les feuilles desafleurent: quand elles desafleurent toutes, la batte est finie. Il ne s'agit plus que de tirer l'or battu d'entre les feuillets de la moule, & c'est ce que fait la fig. 3. & de les placer dans les quarterons.

Pour cet effet, on se sert de la tenaille de la fig. 9. on serre avec elle la moule par l'angle, & l'on en sort les feuilles battues les unes après les autres, à l'aide de la pince de bois de la fig. 10. on les pose sur le coussin; on souffle dessus pour les étendre; on prend le coûteau de la fig. 11. fait d'un morceau de roseau 5; on coupe un morceau de la feuille en ligne droite; ce côté de la feuille qui est coupé en ligne droite, se met exactement au fond du livret & du quarteron, que la feuille déborde de tous les autres côtés; on continue de remplir ainsi le quarteron; quand il est plein, on en prend un autre, & ainsi de suite. Lorsque la moule est vuide, on prend un coûteau, & l'on enleve tout l'excédent des feuilles d'or qui paroît hors des quarterons ou livrets; & l'on emporte ce que le coûteau a laissé, avec un morceau de linge qu'on appelle frottoir.

Les quarterons dont on voit un, fig. 5. sont des livrets de vingt - cinq feuillets quarrés; il y en a de deux sortes: les uns, dont le côté est de quatre pouces; d'autres, dont le côté n'est que de trois pouces & de<pb-> [p. 159] mi. Un livret d'or dont le côté est de quatre pouces, se vend quarante sous; un livret pareil d'argent, se vend six sous.

Quatre onces d'or donnent les cinquante - six quartiers avec lesquels on a commencé le travail. Il y a eu dans le cours du travail, tant en lavures qu'en rognures ou autrement, dix - sept gros de déchet. Ainsi quatre onces moins dix - sept gros, pourroient fournir trois mille deux cents feuilles quarrées, de chacune trente - six pouces de surface: mais elles ne les donnent que de 16 pouces en quarré; car les feuilles qui sortent de la moule de 36 pouces en quarré, s'enferment dans un quarteron de 16 pouces en quarré. Ainsi l'on ne couvriroit qu'une surface de 41200 pouces quarrés, avec quatre onces d'or, moins dix - sept gros, ou deux onces un gros: mais on en pourroit couvrir une de 115200 pouces quarrés.

Pour avoir de bons cauchers, il faut choisir le meilleur vélin, le plus fin, le plus serré & le plus uni. Il n'y a pas d'autre préparation à lui donner, que de le bien laver dans de l'eau froide, que de le laisser sécher à l'air, & que de le passer au brun; on verra plus bas ce que c'est que le brun.

Quant à la baudruche, ou à cette pellicule qui se leve de dessus le boyau de boeuf, c'est autre chose: elle vient d'abord pleine d'inégalités & couverte de graisse; on enleve les inégalités en passant légerement sur sa surface le tranchant mousse d'un couteau. Pour cet effet, on la colle sur les montans verticaux d'une espece de chevalet; le même instrument emporte aussi la graisse. Quand elle est bien égale & bien degraissée, on l'humecte avec un peu d'eau; & l'on applique l'une sur l'autre deux peaux de baudruche humides. L'humidité suffit pour les unir indivisiblement. Le batteur d'or paye soixante - quinze livres les huit cents feuilles; cela est cher, mais elles durent: quatre mois, six mois, huit mois de travail continu les fatiguent, mais ne les usent point.

Avant que de les employer, le Batteur d'or leur donne deux préparations principales: l'une s'appelle le fond, & l'autre consiste à les faire saer. Il commence par celle - ci; elle consiste à en exprimer ce qui peut y rester de graisse. Pour cet effet, il met chaque feuille de baudruche entre deux feuillets de papier blanc; il en fait un assemblage considérable qu'il bat à grands coups de marteau. L'effort du marteau en fait sortir la graisse, dont le papier se charge à l'instant. Donner le fond aux feuillets de baudruche, c'est les humecter avec une éponge, d'une infusion de canelle, de muscade, & autres ingrédiens chauds & aromatiques; l'effet de ce fond est de les consolider, & d'en resserrer les parties. Quand on leur a donné le fond une premiere fois, on les laisse sécher à l'air, & on le leur donne une seconde fois; quand elles sont seches, on les met à la presse & on les employe.

Les Batteurs donnent en général le nom d'outils aux assemblages, soit de vélin, soit de baudruche; & quand ces assemblages ont beaucoup travaillé, ils disent qu'ils sont las; alors ils cessent de s'en servir. Ils ont de grandes feuilles de papier blanc qu'ils humectent, les uns de vinaigre, les autres de vin blanc. Ils prennent les feuillets de baudruche las; ils les mettent feuillets à feuillets entre les feuilles de papier blanc préparées; ils les y laissent pendant trois ou quatre heures: quand ils s'apperçoivent qu'ils ont assez pris de l'humidité des papiers blancs, ils les en retirent, & les distribuent dans un outil de parchemin, dont chaque feuillet est un quarré, dont le côté a douze pouces. Ils appellent cet outil plane; Pour faire sécher les feuillets de baudruche enfermés entre ceux de la plane, ils battent avec le marteau la plane pendant un jour. Puis ils les brunissent, ou donnent le brun; c'est - à - dire, qu'ils prennent du gypse ou de ce fossile qu'on appelle miroir d'ne, qu'on tire des carrieres de plâtre; qu'ils le font calciner, qu'ils le broyent bien menu, & qu'avec une patte de lievre, ils en répandent sur les feuillets de baudruche, d'un & d'autre côté.

Le brun se donne aussi aux outils de vélin.

Il faut que les outils de baudruche soient pressés & séchés toutes les fois qu'on s'en sert; sans quoi l'humidité de l'air qu'ils pompent avec une extrème facilité, rendroit le travail pénible. Il ne faut pourtant pas les faire trop sécher; la baudruche trop seche est perdue.

On a pour presser & sécher en même tems la baudruche, un instrument tel qu'on le voit fig. 4. La partie M N O P peut contenir du feu. C'est une espece de vaisseau de fer; le fond q est une plaque de fer. Ce vaisseau & sa plaque peuvent se baisser & se hausser en vertu de la vis t u; la bride a b c est fixesur la plaque inférieure q r s; on insere entre ces plaques les outils enfermés entre deux voliches; on serre la presse; on met du feu dans le vaisseau supérieur, dont la plaque m n o p fait le fond; & l'on pose la plaque inférieure q r s, sur une poele pleine de charbons ardens: les outils se trouvent par ce moyen entre deux feux.

Quant aux outils de vélin, quand ils sont très - humides, on les répand sur un tambour; c'est une boîte faite comme celle où l'on enfermeroit une chaufrette, avec cette différence qu'elle est beaucoup plus grande & plus haute; & qu'au lieu d'une planche percée, sa partie supérieure est grillée avec du fil d'archal; on étend les feuillets de vélin sur cette grille, & l'on met du feu dans le tambour.

Il paroît que les Romains ont possédé l'art d'étendre l'or: mais il n'est pas aussi certain qu'ils l'ayent poussé jusqu'au point où nous le possédons. Pline rapporte que dans Rome on ne commença à dorer les planchers des maisons, qu'après la ruine de Carthage, lorsque Lucius Mummius étoit censeur; que les lambris du capitole furent les premiers qu'on dora; mais que dans la suite le luxe prit de si grands accroissemens, que les particuliers firent dorer les plat - fonds & les murs de leurs appartemens.

Le même auteur nous apprend qu'ils ne tiroient d'une once d'or, que cinq à six cents feuilles de quatre doigts en quarré; que les plus épaisses s'appelloient bractea Pranestina, parce qu'il y avoit à Preneste une statue de la Fortune, qui étoit dorée de ces feuilles épaisses; & que les feuilles de moindre épaisseur se nommoient bracteoe quoestorioe. Il ajoûte qu'on pouvoit tirer un plus grand nombre de feuilles que celui qu'il a désigné.

Il étoit difficile d'assujettir les batteurs d'or à la marque. La nature de leur ouvrage ne permet pas de prendre cette précaution contre l'envie qu'ils pourroient avoir de tromper, en chargeant l'or qu'ils employent, de beaucoup d'alliage: mais heureusement l'art même y a pourvû; car l'or se travaillant avec d'autant plus de facilité, & ayant d'autant plus de ductilité, qu'il est plus pur, ils perdent du côté du tems & de la quantité d'ouvrage, ce qu'ils peuvent gagner sur la matiere, & peut - être même perdent - ils davantage. Leur communauté paye mille écus à la monnoie pour ce droit de marque.

Quoiqu'il ne s'agisse que de battre, cette opération n'est pas aussi facile qu'elle le paroît; & il y a peu d'arts où le savoir - faire soit si sensible; tel habile ouvrier fait plus d'ouvrage & plus de bon ouvrage en un jour, qu'un autre ouvrier n'en fait de mauvais en un jour & demi.

Cependant le meilleur ouvrier peut avoir contre lui la température de l'air; dans les tems pluvieux, humides, pendant les hyvers nébuleux, les vélins & les baudruches s'bumectent, deviennent molles, &

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