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Après avoir disculpé la providence de Dieu sur les maux moraux, qui sont les péchés, il faut maintenant la justifier sur les maux métaphysiques, & sur les maux physiques. Commençons par les maux métaphysiques, qui consistent dans les imperfections des créatures. Les anciens attribuoient la cause du mal à la matiere qu'ils croyoient incréée & indépendante de Dieu. Il n'y avoit tant de maux, que parce que Dieu, en travaillant sur la matiere, avoit trouvé un sujet rébelle, indocile, & incapable de se plier à ses volontés bienfaisantes: mais nous qui dérivons tout de Dieu, où trouverons - nous la source du mal? La réponse est, qu'elle doit être cherchée dans la nature idéale de la créature, entant que cette créature est renfermée dans les vérités éternelles, qui sont dans l'entendement divin. Car il faut considérer qu'il y a une imperfection originale dans - les créatures avant le péché, parce que les créatures sont limitées essentiellement. Platon a dit, dans son Timée, que le monde avoit son origine de l'entendement joint à la nécessité. D'autres ont joint Dieu & la nature. On y peut donner un bon sens. Dieu sera l'entendement & la nécessité, c'est - à - dire, la nature essentielle des choses sera l'objet de l'entendement, entant qu'il consiste dans les vérités éternelles. Mais cet objet est interne, & se trouve dans l'entendement divin. C'est la région des vérités éternelles qu'il faut mettre à la place de la matiere, quand il s'agit de chercher la source des choses. Cette région est la cause idéale du mal & du bien. Les limitations & les imperfections naissent dans les créatures de leur propre nature, qui borne la production de Dieu; mais les vices & les crimes y naissent du consentement libre de leur volonté.
Chrysippe dit quelque chose d'approchant. Pour répondre à la question qu'on lui faisoit touchant l'origine du mal, il soutient que le mal vient de la premiere constitution des ames, que celles qui sont bien faites naturellement résistent mieux aux impressions des causes externes; mais que celles dont les défauts naturels n'avoient pas été corrigés par la
L'être suprême, en créant un monde accompagné de défauts, tel qu'est l'univers actuel, n'est donc point comptable des irrégularités qui s'y trouvent? Elles n'y sont qu'à cause de l'infirmité naturelle, fonciere, insurmontable, & originale de la créature; ainsi, Dieu est pleinement & philosophiquement justifié. Mais, dira quelque censeur audacieux des ouvrages de Dieu, pourquoi ne s'est - il point abstenu de la production des choses, plutôt que d'en faire d'imparfaites? Je réponds que l'abondance de la bonté de Dieu en est la cause. Il a voulu se communiquer aux dépens d'une délicatesse, que nous imaginons en Dieu, en nous figurant que les imperfections le choquent. Ainsi, il a mieux aimé qu'il y eût un monde imparfait, que s'il n'y avoit rien. Au reste, cet imparfait est pourtant le plus parfait qui se pouvoit, & Dieu a dû en être pleinement content, les imperfections des parties servant à une plus grande perfection dans le tout. Il est vrai qu'il y a certaines choses qui auroient pû être mieux faites, mais non pas sans d'autres incommodités encore plus grandes.
Venons au mal physique, & voyons s'il prête au Manichéisme des armes plus fortes que le mal métaphysique & le mal moral, dont nous venons de parler.
L'auteur de nos biens l'est - il aussi de nos maux? Quelques philosophes effarouchés d'un tel dogme ont mieux aimé nier l'existence de Dieu, que d'en reconnoître un qui se fasse un plaisir barbare de tourmenter les créatures, ou plutôt ils l'ont dégradé du titre d'intelligent, & l'ont relégué parmi les causes aveugles. M. Bayle a pris occasion des différens maux dont la vie est traversée, de relever le système des deux principes, système écroulé depuis tant de siecles. Il ne s'est apparemment servi de ses ruines que comme on se sert à la guerre d'une masure dont on essaye de se couvrir pour quelques momens. Il étoit trop philosophe pour être tenté de croire [p. 29]
Il atrive quelquefois que la douleur semble nous avertir de nos maux en pure perte. Rien de ce qui est autour de nous ne peut les soulager; c'est qu'il en est des lois du sentiment comme de celles du mouvement. Les lois du mouvement reglent la succession des changemens qui arrivent dans les corps, & portent quelquefois la pluie sur les rochers ou sur des terres stériles. Les lois du sentiment reglent de même la succession des changemens qui arrivent dans les êtres animés, & des douleurs qui nous paroissent inutiles, en sont quelquefois une suite nécessaire par les circonstances de notre situation. Mais l'inutilité apparente de ces différentes lois, dans quelques cas particuliers, est un bien moindre inconvénient que n'eût été leur mutabilité continuelle, qui n'eût laissé subsister aucun principe fixe, capable de diriger les démarches des hommes & des animaux. Celles du mouvement sont d'ailleurs si parfaitement
Non seulement les lois du sentiment se joignent à tout l'univers, pour déposer en faveur d'une cause intelligente; je dis plus, elles annoncent un législateur bienfaisant. Si, pour ranimer une main engourdie par le froid, je l'approche trop près du feu, une douleur vive la repousse, & tous les jours je dois à de pareils avertissemens la conservation tantôt d'une partie de moi - même, tantôt d'une autre; mais si je n'approche du feu qu'à une distance convenable, je sens alors une chaleur douce, & c'est ainsi qu'aussi - tôt que les impressions des objets, ou les mouvemens du corps, de l'esprit ou du coeur sont, tant - soit - peu, de nature à favoriser la durée de notre être ou sa perfection, notre auteur y a libéralement attaché du plaisir. J'appelle à témoin de cette profusion de sentimens agréables, dont Dieu nous prévient, la peinture, la seulpture, l'architecture, tous les objets de la vûe, la musique, la danse, la poésie, l'éloquence, l'histoire, toutes les sciences, toutes les occupations, l'amitié, la tendresse, enfin tous les mouvemens du corps, de l'esprit & du coeur.
M. Bayle & quelques autres philosophes, attendris sur les maux du genre humain, ne s'en croient pas suffisamment dédommagés par tous ces biens, & ils voudroient presque nous faire regretter que ce ne soient pas eux qui ayent été chargés de dicter les lois du sentiment. Supposons pour un moment que la nature se soit reposée sur eux de ce soin, & essayons de deviner quel eût été le plan de leur administration. Ils auroient apparemment commencé par fermer l'entrée de l'univers à tout sentiment douloureux, nous n'eussions vécu que pour le plaisir, mais notre vie auroit eu alors le sort de ces fleurs, qu'un même jour voit naître & mourir. La faim, la soif, le dégoût, le froid, le chaud, la lassitude, aucune douleur enfin ne nous auroit avertis des maux presens ou à venir, aucun frein ne nous auroit modérés dans l'usage des plaisirs, & la douleur n'eût été anéantie dans l'univers que pour faire place à la mort, qui, pour détruire toutes les especes d'animaux, se fût également armée contre eux de leurs maux & de leurs biens.
Ces prétendus législateurs, pour prévenir cette
destruction universelle, auroient apparemment rappellé
les sentimens douloureux, & se seroient contentés
d'en affoibsir l'impression. Ce n'eût été que
des douleurs sourdes qui nous eussent averti, au
lieu de nous affliger. Mais tous les inconvéniens
du premier plan se seroient retrouvés dans le second.
Ces avertissemens respectueux auroient été
une voix trop foible pour être entendue dans la
jouissance des plaisirs. Combien d'hommes ont peine
à entendre les menaces des douleurs les plus vives!
Nous eussions encore bientôt trouvé la mort dans
l'usage même des biens destinés à assûrer notre durée.
Pour nous dédommager de la douleur, on auroit
peut - être ajouté une nouvelle vivacité au plaisir
des sens. Mais ceux de l'esprit & du coeur fussent
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