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Quelqu'un dira peut - être qu'il est impossible de produire le meilleur, parce qu'il n'y a point de créature, pour si parfaite qu'on la suppose, qu'on ne puisse toujours en produire une qui le soit davantage. Je réponds que ce qui peut se dire d'une créature ou d'une substance particuliere qui peut toujours être surpassée par une autre, ne doit pas être appliqué à l'univers, lequel se devant étendre dans toute l'éternité future, est en quelque façon infini. Il ne s'agit donc pas d'une creature, mais de l'univers entier; & l'adversaire sera obligé de soutenir qu'un univers possible peut être meilleur que l'autre à l'infini: mais c'est ce qu'il ne pourra jamais prouver. Si cette opinion étoit véritable, Dieu n'en auroit produit aucun, car il est incapable d'agir sans raison; & ce seroit même agir contre la raison. C'est comme si l'on s'imaginoit que Dieu eût imaginé de faire une sphere matérielle, sans qu'il y eut aucune raison de la faire d'une telle grandeur. Ce decret seroit inutile; il porteroit avec lui ce qui en empecheroit l'effer.
Mais si Dieu produit toujours le meilleur, il produira d'autres dieux; autrement chaque substance qu'il produiroit ne seroit point la meilleure ni la plus parfaite. Mais on se trompe faute de considérer l'ordre & la liaison des choses. Si chaque substance prise à part étoit parfaite, elles seroient toutes semblables: ce qui n'est point convenable ni possible. Si c'étoit des dieux, il n'auroit pas été possible de les produire. Le meilleur systeme des choses ne contiendra donc point de dieux; il sera toujours un système de corps, c'est - à - dire, de choses rangées selon les lieux & les tems, & d'ames qui les régissent & les gouvernent. Il est aisé de concevoir qu'une structure de l'univers peut être la meilleure
Je vous accorde, dira - t - on, qu'entre tous les mondes possibles, il y en a un qui est le meilleur de tous; mais comment me prouverez - vous que Dieu lui a donné la préférence sur tous les autres qui comme a lui prétendoient à l'existence? Je vous le prouverai par la raison de l'ordre qui veut que le meilleur soit préféré à ce qui est moins bon. Faire moins de bien qu'on ne peut, c'est manquer contre la sagesse ou contre la bonté. Ainsi demander si Dieu a pu faire les choses plus accomplies qu'il ne les a faites, c'est mettre en question si les actions de Dieu sont conformes à la plus parfaite sagesse & à la plus grande bonté. Qui peut en douter? Mais en admettant ce principe, voilà les deux conséquences qui en résultent. La premiere est que Dieu n'a point été libre dans la création de l'univers; que le choix de celui - ci parmi tous les possibles a été l'effet d'une insurmontable nécessité; qu'enfin ce qui est fait est produit par l'impulsion d'une fatalité supérieure à la divinité même. La seconde conséquence est que tous les effets sont nécessaires & inévitables; & que dans la nature telle qu'elle est, rien ne peut y être que ce qui y est & comme il y est; que l'univers une fois choisi, va de lui - même, sans se laisser fléchir à nos justes plaintes ni à la triste voix de nos larmes.
J'avoue que c'est - là l'endroit foible du système
Leibnitzien. En paroissant se tirer du mauvais pas
où son système l'a conduit, ce philosophe ne fait que
s'y enfoncer de plus en plus. La liberté qu'il donne
à Dieu, & qui lui paroît très - compatible avec le
plan du meilleur monde, est une véritable nécessité,
malgré les adoucissemens & les correctifs par lesquels
il tâche de tempérer l'austérité de son hypothese.
Le P. Mallebranche, qui n'est pas moins
partisan de l'optimisme que M. Leibnitz, a sû
éviter l'écueil où ce dernier s'est brisé. Persuadé
que l'essence de la liberté consiste dans l'indifférence,
il prétend que Dieu a été indifférent à poser
le decret de la création du monde; ensorte que la
nécessité de créer le monde le plus parfait, auroit
été une véritable nécessité; &, par conséquent,
auroit détruit la liberté, si elle n'avoit point été
précédée par un decret émané de l'indifférence même,
& qui l'a rendue hypothétique.
Il y en a qui vont plus loin que le P. Maliebranche, & qui donnent plus d'étendue à la liberté de Dieu. Ils veulent non - seulement que Dieu ait pû ne point produire le monde; mais encore qu'il ait choisi librement, entre les degrés de bien & de perfection possibles, le degré qu'il lui a plû; qu'il ait jugé à propos d'arrêter là l'exercice de son pouvoir infini, en tirant du néant tel nombre précis de créatures douées d'un tel degré de perfection, & capables d'une telle mesure de bonheur. Quelque système qu'on adopte, soit que l'on dise que la sagesse de Dieu lui a fait une loi de créer le monde le plus parfait, & qu'elle a seulement enchainé sa liberte, supposé qu'il se déterminât une fois à créer, soit que l'on soutienne que sa souveraine liberté a mis aux choses créées les bornes qu'il a voulu, on peut résoudre les difficultés que l'on fait sur l'origine du mal. Dites - vous que Dieu a été parfaitement libre dans les limites qu'il a données aux perfections de ses créatures? Donc il a pû leur don ner une liberté flexible pour le bien & pour le mal. De - là l'origine du mal moral, du mal physique, & du mal métaphysique. Le mal métaphysique prendra sa source dans la limitation originale des créatures; le mal moral, dans l'abus de la liberté; & le mal physique, dans les peines & les douleurs qui seront ou un effet de la punition du péché, ou une suite de la constitution naturelle des corps. Vous en tenez - vous au meilleur de tous les mondes possibles? Alors vous concevez que tous les maux qui paroissent défigurer l'univers, étant liés avec le plan du meilleur monde, Dieu ne doit point en avoir choisi un moins parfait, à cause des inconvéniens qu'en ressentiroient certaines créatures. Ces inconvéniens sont les ingrédiens du monde le plus parfait. Ils sont une suite nécessaire des regles de convenance, de proportion, de liaison, qu'une sagesse infinie ne manque jamais de suivre, pour arriver au but que la bonté se propose, savoir le plus grand bien total de cet assemblage de créatures qu'elle a produites. Vouloir que tout mal fût exclu de la nature, c'est prétendre que la bonté de Dieu devoit exclure toute régularite, tout ordre, toute proportion dans son ouvrage, ou, ce qui revient au même, que Dieu ne sauroit être infiniment bon, sans se dépouiller de sa sagesse. Supposer un monde composé des mêmes êtres que nous voyons, & dont toutes les parties seroient liees d'une maniere avantageuse au tout, sans aucun mélange du mal, c'est supposer une chimere.
M. Bayle se trompe assurément, quand il prétend que cette bonté, qui fait le caractere de la divinité, doit agir à l'infini pour prévenir tout mal & produire tout bien. Un etre qui est bon, & qui n'est que cela, un être qui n'agit que par ce seul at<cb->
Les maux métaphysiques sont injurieux à la sagesse
& à la puissance de Dieu: les maux physiques
blessent sa bonté: les maux moraux termssent
l'éclat de sa sainteté. C'est là, en partie, où se
réduisent tous les raisonnemens de M. Bayle; assurément
il outre les choses. On accoide que quelque
vices ont été liés avec le meilleur plan de l'univers;
mais on ne lui accorde pas qu'ils soient
contraires à ses divins attributs. Cette objection
auroit lieu s'il n'y avoit point de vertu, si le vice
tenoit sa place partout. Il dira, sans doute,
qu'il suffit que le vice regne, & que la vertu est
peu de chose en comparaison. Mais je n'ai garde
de lui accorder cela; & je crois qu'effectivement,
à le bien prendre, il y a incomparablement plus de
bien moral, que de mal moral dans les creatures
raisonnables, dont nous ne connoissons qu'un tres petit
nombre. Ce mal n'est pas même si grand dans
les hommes qu'on le debite. Il n'y a que les gens
d'un naturel malin, ou des gens devenus un peu
sombres & misantropes par les malheurs, comme
le Timon de Lucien, qui trouvent de la mechanceté
par - tout, qui empoisonnent les meilleures actions
par les interprétations sinistres qu'ils leur donnent,
& dont la bile amere repand sur la vertu la plus
pure les couleurs odieuses du vice. Il y a des personnes
qui s'appliquent à nous faue appercevoir
des crimes, où nous ne découvrons que des vertus;
& cela, pour montrer la pénetration de leur
esprit. On a critique cela dans Tacite, dans M. de
la Rochefoucauld, & dans le livre de l'abbé Esprit,
touchant la fausseté des vertus humaines. Mais supposons
que le vice surpasse la vertu dans le genrehumain,
comme l'on suppose que le nombre des
reprouvés surpasse celui des élus; il ne s'ensuit nullement
que le vice & la misere surpassent la vertu
& la félicité dans l'univers. Il faut plutôt juger
tout le contraire, parce que la cité de Dieu doit
être le plus parfait de tous les états possibles, puisqu'il a été formé, & qu'il est toujours gouverné
par le plus grand & le meilleur de tous les monarques.
L'univers n'est pas contenu dans la seule
planete de la terre. Que dis - je? cette terre que
nous habitons, comparée avec l'univers, se perd &
s'évanouit presque dans le néant. Quand même la
révélation ne m'apprendroit pas déja qu'il y a des intelligences
créées, aussi différentes entre elles, par
leur nature, qu'elles le sont de moi, ma raison ne
me conduiroit - elle pas à croire que la région des
substances pensantes est, peut - être, aussi variée dans
ses especes, que la matiere l'est dans ses parties?
Quoi! cette matiere, vile & morte par elle même,
reçoit un million de beautés diverses, qui font presque
meconnoitre son unité parmi tant de différences;
& je voudrois penser que dans l'ordre des esprits
il n'y a pas de différences pareilles? Je voudrois
croire que tous ces csprits sont enchainés dans
la même sphere de perfection. Or, dès que je puis
& que je dois supposer des esprits d'un autre ordre
que n'est le mien, me voilà conduit à des nouvelles
conséquences, me voilà forcé de reconnoitre qu'il
peut y avoir, qu'il y a même beaucoup plus de bien
moral que de mal moral dans l'univers. Eh bien,
me direz - vous, quand je vous accorderois tout cela,
il seroit toujours vrai de dire, que l'amour de Dieu
pour la vertu n'est pas sans bornes, puisqu'il tolere
le vice que sa puissance pourroit supprimer ou pré<pb->
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