ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"805"> les angles étoient faits de maçonnerie en liaison, pour retenir la poussée de ces pierres inclinées, qui ne laissoit pas d'être fort considérable; mais cette espece de maçonnerie étoit beaucoup moins solide, parce que le poids de ces pierres qui portoient sur leurs angles les faisoit éclater ou égrainer, ou du moins ouvrir par leurs joints, ce qui détruisoit le mur. Mais les anciens n'avoient d'autres raisons d'employer cette maniere que parce qu'elle leur paroissoit plus agréable à la vûe. La maniere de bâtir en échiquier selon les anciens, que rapporte Palladio dans son I. liv. (Voyez la fig. 9.), étoit moins défectueuse, parce que ces pierres, dont les joints étoient inclinés, étoient non - seulement retenues par les angles du mur, faits de maçonnerie de brique en liaison, mais encore par des traverses de pareille maçonnerie, tant dans l'intérieur du mur qu'à l'extérieur.

La seconde espece étoit celle en liaison (fig. 2. & 3), appellée insertum, & dont les joints étoient horisontaux & verticaux: c'étoit la plus solide, parce que ces joints verticaux se croisoient, en sorte qu'un ou deux joints se trouvoient au milieu d'une pierre, ce qui s'appelloit & s'appelle encore maintenant maçonnerie en liaison. Cette derniere se subdivise en deux, dont l'une étoit appellée simplement insertum, fig. 2, qui avoit toutes les pierres égales par leurs paremens; l'autre, fig. 3, étoit la structure des Grecs, dans laquelle se trouve l'une & l'autre; mais les paremens des pierres étoient inégaux, en sorte que deux joints perpendiculaires se rencontroient au milieu d'un pierre.

Le second genre étoit celui de pierre brute, fig. 4. 5. & 6; il y en avoit de deux especes, dont l'une étoit appellée, comme la derniere, la structure des Grecs (fig. 4. & 5.), mais qui différoit en ce que les pierres n'en étoient point taillées, à cause de leur dureté, que les liaisons n'étoient pas régulieres, & qu'elles n'avoient point de grandeur reglée. Cette espece se subdivisoit encore en deux, l'une que l'on appelloit isodomum (fig. 4.), parce que les assises étoient d'égale hauteur; l'autre pseudisodomum (fig. 5.), parce que les assises étoient d'inégale hauteur. L'autre espece, faite de pierres brutes, étoit appellée amplecton (fig. 6.), dans laquelle les assises n'étoient point déterminées par l'épaisseur des pierres; mais la hauteur de chaque assise étoit faite de plusieurs si le cas y échéoit, & l'espace d'un parement (f) à l'autre étoit rempli de pierres jettées à l'aventure, sur lesquelles on versoit du mortier que l'on enduisoit uniment; & quand cette assise étoit achevée, on en recommençoit une autre par dessus: c'est ce que les Limousins appelloient des arrases, & que Vitruve nomme erecta coria.

Le troisieme genre appellé revinctum (fig. 7.) étoit composé de pierres taillées posées en liaison & cramponnées; ensorte que chaque joint vertical se trouvoit au milieu d'une pierre, tant dessus que dessous, entre lesquelles on mettoit des cailloux & d'autres pierres jettées à l'aventure mêlées de mortier.

        Table des manieres anciennes de bâtir, présentées sous un même aspect.
                                  la maillée, ou reticulatum.
Des pierres taillées & polies, 
                                                                         insertum.
                                  en liaison, ou insertum,    
                                                                         la structure des Grecs.
                                  la structure des Grecs,             isodomum.
De pierres brutes,                                                     pseudisodomum.
                                  amplecton.
De l'une & de l'autre,          revinctum.

Il y avoit encore deux manieres anciennes de bâtir; la premiere étoit de poser les pierres les unes sur les autres sans aucune liaison; mais alors il falloit que leurs surfaces fussent bien unies & bien planes. La seconde étoit de poser ces mêmes pierres les unes sur les autres, & de placer entre chacune d'elles une lame de plomb d'environ une ligne d'épaisseur.

Ces deux manieres étoient fort solides, à cause du poids & de la charge d'un grand nombre de ces pierres, qui leur donnoient assez de force pour se soûtenir; mais les pierres étoient sujettes par ce même poids à s'éclater & à se rompre dans leurs angles, quoiqu'il y ait, selon Vitruve, des bâtimens fort anciens où de très - grandes pierres avoient été posées horisontalement, sans mortier ni plomb, & dont les joints n'étoient point éclatés, mais étoient demeurés presque invisibles par la jonction des pierres, qui avoient été taillées si juste & se touchoient en un si grand nombre de parties, qu'elles s'étoient conservées entieres; ce qui peut très - bien arriver, lorsque les pierres sont démaigries, c'est - à - dire plus creuses au milieu que vers les bords, tel que le fait voir la figure 8, parce que lorsque le mortier se seche, les pierres se rapprochent, & ne portent ensuite que sur l'extrémité du joint; & ce joint n'étant pas assez fort pour le fardeau, ne manque pas de s'éclater. Mais les mâçons qui ont travaillé au louvre ont imaginé de fendre les joints des pierres avec la scie, à mesure que le mortier se séchoit, & de remplir lorsque le mortier avoit fait son effet. On doit remarquer que par là un mur de cette espece a d'autant moins de solidité que l'espace est grand depuis le démaigrissement jusqu'au parement de devant, parce que ce mortier mis après coup n'étant compté pour rien, ce même espace est un moins dans l'épaisseur du mur, mais le charge d'autant plus.

Palladio rapporte dans son premier livre, qu'il y avoit anciennement six manieres de faire les murailles; la premiere en échiquier, la seconde de terre cuite ou de brique, la troisieme de ciment fait de cailloux de riviere ou de montagne, la quatrieme de pierres incertaines ou rustiques, la cinquieme de pierres de taille, & la sixieme de remplage.

Nous avons expliqué ci - dessus la maniere de bâtir en échiquier rapportée par Palladio, fig. 9.

La deuxieme maniere etoit de bâtir en liaison, avec des carreaux de brique ou de terre cuite grands ou petits. La plus grande partie des édifices de Rome connue, la rotonde, les thermes de Dioclétien & beaucoup d'autres édifices, sont bâtis de cette maniere.

La troisieme maniere (fig. 10.) étoit de faire les

(f) Parement d'une pierre est sa partie extérieure; elle peut en avoir plusieurs, selon qu'elle est placée dans l'angle saillant ou rentrant d'un bâtiment.
[p. 806] deux faces du mur de carreaux de pierre ou de briques en liaison; le milieu, de ciment ou de cailloux de riviere paitris avec du mortier; & de placer de trois piés en trois piés de hauteur, trois rangs de brique en liaison; c'est - à - dire le premier rang vû sur le petit côté, le second vû sur le grand côté, & le troisieme vû aussi sur le petit côté. Les murailles de la ville de Turin sont bâties de cette maniere; mais les garnis sont faits de gros cailloux de riviere cassés par le milieu, mêlés de mortier, dont la face unie est placée du côté du mur de face. Les murs des arenes à Vérone sont aussi construits de cette maniere avec un garni de ciment, ainsi que ceux de plusieurs autres bâtimens antiques.

La quatrieme maniere étoit celle appellée incertaine ou rustique (fig. 11.). Les angles de ces murailles étoient faits de carreaux de pierre de taille en liaison; le milieu de pierres de toutes sortes de forme, ajustées chacune dans leur place. Aussi se falloit - il servir pour cet effet d'un instrument (fig. 70.) appellé sauterelle; ce qui donnoit beaucoup de sujétion, sans procurer pour cela plus d'avantage. Il y a à Preneste des murailles, ainsi que les pavés des grands chemins faits de cette maniere.

La cinquieme maniere (fig. 12.), étoit en pierres de taille; & c'est ce que Vitruve appelle la structure des Grecs. Voyez la fig. 3. Le temple d'Auguste a été bâti ainsi; on le voit encore par ce qui en reste.

La sixieme maniere étoit les murs de remplage (fig. 13.); on construisoit pour cet effet des especes de caisses de la hauteur qu'on vouloit les lits, avec des madriers retenus par des arcs - boutans, qu'on remplissoit de mortier, de ciment, & de toutes sortes de pierres de différentes formes & grandeurs. On bâtissoit ainsi de lit en lit: il y a encore à Sirmion, sur le lac de Garda, des murs bâtis de cette maniere.

Il y avoit encore une autre maniere ancienne de faire les murailles (fig. 14.), qui étoit de faire deux murs de quatre piés d'épaisseur, de six piés distans l'un de l'autre, liés ensemble par des murs distans aussi de six piés, qui les traversoient, pour former des especes de coffres de six piés en quarré, que l'on remplissoit ensuite de terre & de pierre.

Les anciens pavoient les grands chemins en pierre de taille, ou en ciment mêlé de sable & de terre glaise.

Le milieu des rues des anciennes villes se pavoit en grais, & les côtés avec une pierre plus épaisse & moins large que les carreaux. Cette maniere de paver leur paroissoit plus commode pour marcher.

La derniere maniere de bâtir, & celle dont on bâtit de nos jours, se divise en cinq especes.

La premiere (fig. 15.) se construit de carreaux (g) & boutisse (h) de pierres dures ou tendres bien posées en recouvrement les unes sur les autres. Cette maniere est appellée communément maçonnerie en liaison, où la différente épaisseur des murs détermine les différentes liaisons à raison de la grandeur des pierres que l'on veut employer: la fig. 2 est de cette espece.

Il faut observer, pour que cette construction soit bonne, d'éviter toute espece de garni & remplissage, & pour faire une meilleure liaison, de piquer les paremens intérieurs au marteau, afin que par ce moyen les agens que l'on met entre deux pierres puissent les consolider. Il faut aussi bien équarrir les pierres, & n'y souffrir aucun tendre ni bouzin

(g) Carreau, pierre qui ne traverse point l'épaisseur du mur, & qui n'a qu'un ou deux paremens au plus. (h) Boutisse, pierre qui traverse l'épaisseur du mur, & qui fait parement des deux côtés. On l'appelle encore pamieresse, pierre parpeigne, de parpein, ou faisant parpein.
(i), parce que l'un & l'autre émousseroit les parties de la chaux & du mortier.

La seconde est celle de brique, appellée en latin lateritium, espece de pierre rougeâtre faite de terre grasse, qui après avoir été moulée d'environ huit pouces de longueur sur quatre de largeur & deux d'épaisseur, est mise à sécher pendant quelque tems au soleil & ensuite cuite au four. Cette construction se fait en liaison, comme la précédente. Il se trouve à Athènes un mur qui regarde le mont Hymette, les murailles du temple de Jupiter, & les chapelles du temple d'Hercule faites de brique, quoique les architraves & les colonnes soient de pierre. Dans la ville d'Arezzo en Italie, on voit un ancien mur aussi en brique très - bien bâti, ainsi que la maison des rois attaliques à Sparte; on a levé de dessus un mur de brique anciennement bâti, des peintures pour les encadrer. On voit encore la maison de Crésus aussi bâtie en brique, ainsi que le palais du roi Mausole en la ville d'Haly carnasse, dont les murailles de brique sont encore toutes entieres.

On peut remarquer ici que ce ne fut pas par économie que ce roi & d'autres après lui, presque aussi riches, ont préféré la brique, puisque la pierre & le marbre étoient chez eux très - communs.

Si l'on défendit autrefois à Rome de faire des murs en brique, ce ne fut que lorsque les habitans se trouvant en grand nombre, on eut besoin de ménager le terrein & de multiplier les surfaces; ce qu'on ne pouvoit faire avec des murs de brique, qui avoient besoin d'une grande épaisseur pour être solides: c'est pourquoi on substitua à la brique la pierre & le marbre; & par - là on put non - seulement diminuer l'épaisseur des murs & procurer plus de surface, mais encore élever plusieurs étages les uns sur les autres; ce qui fit alors que l'on fixa l'épaisseur des murs à dix - huit pouces.

Les tuiles qui ont été long - tems sur les toîts, & qui y ont éprouvé toute la rigueur des saisons, sont, dit Vitruve, très - propres à la maçonnerie.

La troisieme est de moilon, en latin coementitium; ce n'est autre chose que des éclats de la pierre, dont il faut retrancher le bouzin & toutes les inégalités, qu'on réduit à une même hauteur, bien équarris, & posés exactement de niveau en liaison, comme ci - dessus. Le parement extérieur de ces moilons peut être piqué (l) ou rustiqué (m), lorsqu'ils sont apparens & destinés à la construction des soûterreins, des murs de cloture, de caves, mitoyens, &c.

La quatrieme est celle de limousinage, que Vitruve appelle amplecton (fig. 6.); elle se fait aussi de moilons posés sur leurs lits & en liaison, mais sans être dressés ni équarris, étant destinés pour les murs que l'on enduit de mortier ou de plâtre.

Il est cependant beaucoup mieux de dégrossir ces moilons pour les rendre plus gissans & en ôter toute espece de tendre, qui, comme nous l'avons dit précédemment, absorberoit ou amortiroit la qualité de la chaux qui compose le mortier. D'ailleurs si on ne les équarrissoit pas au - moins avec la hachette (fig. 106), les interstices de différentes grandeurs produiroient une inégalité dans l'emploi du mortier, & un tassement inégal dans la construction du mur.

La cinquieme se fait de blocage, en latin structura ruderaria, c'est - à - dire de menues pierres qui s'emploient avec du mortier dans les fondations, & avec

(i) Bouzin, est la partie extérieure de la pierre abreuvée de l'humioité de la carriere, & qui n'a pas eu le tems de sécher, après en être sortie. (l) Piqué, c'est - à - dire dont les paremens sont piqués aveo la pointe du marteau. (m) Rustiqué, c'est - à - dire dont les paremens, après avoir été équarris & hachés, sont grossierement plqués avec la pointe du marteau.

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