ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"716"> ne qu'il y a peu d'Artistes, à qui les élémens des Mathématiques ne soient nécessaires: mais un paradoxe dont la vérité ne se présentera pas d'abord, c'est que ces élémens leur seroient nuisibles en plusieurs occasions, si une multitude de connoissances physiques n'en corrigeoient les préceptes dans la pratique; connoissances des lieux, des positions, des figures irrégulieres, des matieres, de leurs qualités, de l'élasticité, de la roideur, des frottemens, de la consistance, de la durée, des effets de l'air, de l'eau, du froid, de la chaleur, de la secheresse, &c. il est évident que les élémens de la Géométrie de l'Académie, ne sont que les plus simples & les moins composés d'entre ceux de la Géométrie des boutiques. Il n'y a pas un levier dans la nature, tel que celui que Varignon suppose dans ses propositions; il n'y a pas un levier dans la nature dont toutes les conditions puissent entrer en calcul. Entre ces conditions il y en a, & en grand nombre, & de très - essentielles dans l'usage, qu'on ne peut même soûmettre à cette partie du calcul qui s'étend jusqu'aux différences les plus insensibles des quantités, quand elles sont apprétiables; d'où il arrive que celui qui n'a que la Géométrie intellectuelle, est ordinairement un homme assez mal adroit; & qu'un Artiste qui n'a que la Géométrie expérimentale, est un ouvrier très - borné. Mais il est, ce me semble, d'expérience qu'un Artiste se passe plus facilement de la Géométrie intellectuelle, qu'un homme, quel qu'il soit, d'une certaine Géométrie expérimentale. Toute la matiere des frottemens est restée malgré les calculs, une affaire de Mathématique expérimentale & manouvriere. Cependant jusqu'où cette connoissance seule ne s'étend - elle pas? Combien de mauvaises machines, ne nous sont - elles pas proposées tous les jours par des gens qui se sont imaginés que les leviers, les roues, les poulies, les cables, agissent dans une machine comme sur un papier; & qui, faute d'avoir mis la main à l'oeuvre, n'ont jamais sû la différence des effets d'une machine même, ou de son profil? Une seconde observation que nous ajoûterons ici, puisqu'elle est amenée par le sujet, c'est qu'il y a des machines qui réussissent en petit, & qui ne réussissent point en grand; & réciproquement d'autres qui réussissent en grand, & qui ne réussiroient pas en petit. Il faut, je crois, mettre du nombre de ces dernieres toutes celles dont l'effet dépend principalement d'une pesanteur considérable des parties mêmes qui les composent, ou de la violence de la réaction d'un fluide, ou de quelque volume considérable de matiere élastique à laquelle ces machines doivent être appliquées: exécutez - les en petit, le poids des parties se réduit à rien; la réaction du fluide n'a presque plus de lieu; les puissances sur lesquelles on avoit compté disparoissent; & la machine manque son effet. Mais s'il y a, relativement aux dimensions des machines, un point, s'il est permis de parler ainsi, un terme où elle ne produit plus d'effet, il y en a un autre en - delà ou en - deçà duquel elle ne produit pas le plus grand effet dont son méchanisme étoit capable. Toute machine a, selon la maniere de dire des Géometres, un maximum de dimensions; de même que dans sa construction, chaque partie considérée par rapport au plus parfait méchanisme de cette partie, est d'une dimension déterminée par les autres parties; la matiere entiere est d'une dimension déterminée, relativement à son méchanisme le plus parfait, par la matiere dont elle est composée, l'usage qu'on en veut tirer, & une infinité d'autres causes. Mais quel est, demandera - t - on, ce terme dans les dimensions d'une machine, au - delà ou en - deçà duquel elle est ou trop grande ou trop petite? Quelle est la dimension véritable & absolue d'une montre excellente, d'un moulin parfait, du vaisseau construit le mieux qu'il est possible? C'est à la Géométrie expérimentale & manouvriere de plusieurs siecles, aidée de la Géométrie intellectuelle la plus déliée, à donner une solution approchée de ces problèmes; & je suis convaincu qu'il est impossible d'obtenir quelque chose de satisfaisant là - dessus de ces Géométries séparées, & très - difficile, de ces Géométries réunies.

De la langue des Arts. J'ai trouvé la langue des Arts très - imparfaite par deux causes; la disette des mots propres, & l'abondance des synonymes. Il y a des outils qui ont plusieurs noms différens; d'autres n'ont au contraire que le nom générique, engin, machine, sans aucune addition qui les spécifie: quelquefois la moindre petite différence suffit aux Artistes pour abandonner le nom générique & inventer des noms particuliers; d'autres fois, un outil singulier par sa forme & son usage, ou n'a point de nom, ou porte le nom d'un autre outil avec lequel il n'a rien de commun. Il seroit à souhaiter qu'on eût plus d'égard à l'analogie des formes & des usages. Les Géometres n'ont pas autant de noms qu'ils ont de figures: mais dans la langue des Arts, un marteau, une tenaille, une auge, une pelle, &c. ont presque autant de dénominations qu'il y a d'Arts. La langue change en grande partie d'une manufacture à une autre. Cependant je suis convaincu que les manoeuvres les plus singulieres, & les machines les plus composées, s'expliqueroient avec un assez petit nombre de termes familiers & connus, si on prenoit le parti de n'employer des termes d'Art, que quand ils offriroient des idées particulieres. Ne doiton pas être convaincu de ce que j'avance, quand on considere que les machines composées ne sont que des combinaisons des machines simples; que les machines simples sont en petit nombre; & que dans l'exposition d'une manoeuvre quelconque, tous les mouvemens sont réductibles, sans aucune erreur considérable, au mouvement rectiligne & au mouvement circulaire? Il seroit donc à souhaiter qu'un bon Logicien à qui les Arts seroient familiers, entreprît des élémens de la grammaire des Arts. Le premier pas qu'il auroit à faire, ce seroit de fixer la valeur des correlatifs, grand, gros, moyen, mince, épais, foible, petit, léger, pesant, &c. Pour cet effet il faudroit chercher une mesure constante dans la nature, ou évaluer la grandeur, la grosseur & la force moyenne de l'homme, & y rapporter toutes les expressions indéterminées de quantité, ou du moins former des tables auxquelles on inviteroit les Artistes à conformer leurs langues. Le second pas, ce seroit de déterminer sur la différence & sur la ressemblance des formes & des usages d'un instrument & d'un autre instrument, d'une manoeuvre & d'une autre manoeuvre, quand il saudroit leur laisser un même nom & leur donner des noms différens. Je ne doute point que celui qui entreprendra cetouvrage, ne trouve moins de termes nouveaux à introduire, que de synonymes à bannir; & plus de difficulté à bien définir des choses communes, telles que grace en Peinture, noeud en Passementerie, creux en plusieurs Arts, qu'à expliquer les machines les plus compliquées. C'est le défaut de définitions exactes, & la multitude, & non la diversité des mouvemens dans les manoeuvres, qui rendent les choses des Arts difficiles à dire clairement. Il n'y a de remede au second inconvénient, que de se familiariser avec les objets: ils en valent bien la peine, soit qu'on les considere par les avantages qu'on en tire, ou par l'honneur qu'ils font à l'esprit humain. Dans quel système de Physique ou de Métaphysique remarque - t - on plus d'intelligence, de sagacité, de conséquence, que dans les machines à filer l'or, faire des bas, & dans les métiers de Passementiers, de Gaziers, de Drapiers ou d'ouvriers en soie? Quelle démonstration de Mathématique est plus compliquée que le méchanisme de certaines horloges, ou que les différentes opérations par [p. 717] lesquelles on fait passer ou l'écorce du chanvre, ou la coque du ver, avant que d'en obtenir un fil qu'on puisse employer à l'ouvrage? Quelle projection plus belle, plus délicate & plus singuliere que celle d'un dessein sur les cordes d'un sample, & des cordes du sample sur les fils d'une chaîne? qu'a - t - on imaginé en quelque genre que ce soit, qui montre plus de subtilité que le chiner des velours? Je n'aurois jamais fait si je m'imposois la tâche de parcourir toutes les merveilles qui frapperont dans les manufactures ceux qui n'y porteront pas des yeux prevenus, ou des yeux stupides.

Je m'arrêterai avec le philosophe Anglois à trois inventions, dont les anciens n'ont point eu connoissance, & dont à la honte de l'histoire & de la poësie modernes, les noms des inventeurs sont presque ignorés: je veux parler de l'Art d'imprimer, de la découverte de la poudre à canon, & de la propriété de l'aiguille aimantée. Quelle révolution ces découvertes n'ont - elles pas occasionnée dans la république des Lettres, dans l'Art militaire, & dans la Marine? L'aiguille aimantée a conduit nos vaisseaux jusqu'aux régions les plus ignorées; les caracteres typographiques ont établi une correspondance de lumieres entre les savans de tous les lieux & de tous les tems à venir; & la poudre à canon a fait naître tous ces chefs - d'oeuvres d'architecture qui défendent nos frontieres & celles de nos ennemis: ces trois Arts ont presque changé la face de la terre.

Rendons enfin aux Artistes la justice qui leur est dûe. Les Arts libéraux se sont assez chantés eux - mêmes; ils pourroient employer maintenant ce qu'ils ont de voix à célébrer les Arts méchaniques. C'est aux Arts libéraux à tirer les Arts méchaniques de l'avilissement où le préjugé les a tenus si long - tems; c'est à la protection des rois à les garantir d'une indigence où ils languissent encore. Les Artisans se sont crus méprisables, parce qu'on les a méprisés; apprenons - leur à mieux penser d'eux - mêmes: c'est le seul moyen d'en obtenir des productions plus parfaites. Qu'il sorte du sein des Académies quelqu'Homme qui descende dans les atteliers, qui y recueille les phénomenes des Arts, & qui nous les expose dans un ouvrage qui détermine les Artistes à lire, les Philosophes à penser utilement, & les Grands à faire enfin un usage utile de leur autorité & de leurs récompenses.

Un avis que nous oserons donner aux savans, c'est de pratiquer ce qu'ils nous enseignent eux - mêmes, qu'on ne doit pas juger des choses avec trop de précipitation, ni proscrire une invention comme inutile, parce qu'elle n'aura pas dans son origine tous les avantages qu'on pourroit en exiger. Montagne, cet homme d'ailleurs si philosophe, ne rougiroit - il pas s'il revenoit parmi nous, d'avoir écrit, que les armes à feu sont de si peu d'effet, sauf l'étonnement des oreilles, à quoi chacun est désormais apprivoisé, qu'il espere qu'on en quittera l'usage. N'auroit - il pas montré plus de sagesse à encourager les arquebusiers de son tems à substituer à la meche & au roüet quelque machine qui répondît à l'activité de la poudre, & plus de sagacité à prédire que cette machine s'inventeroit un jour? Mettez Bacon à la place de Montagne, & vous verrez ce premier considérer en philosophe la nature de l'agent, & prophétiser, s'il m'est permis de le dire, les grenades, les mines, les canons, les bombes, & tout l'appareil de la Pyrothecnie militaire. Mais Montagne n'est pas le seul philosophe qui ait porté sur la possibilité ou l'impossibilité des machines, un jugement précipité. Descartes, ce génie extraordinaire né pour égarer & pour conduire, & d'autres qui valoient bien l'auteur des Essais, n'ont - ils pas prononcé que le miroir d'Archimede étoit une fable? cependant ce miroir est exposé à la vûe de tous les savans au Jardin du Roi, & les effets qu'il y opere entre les mains de M. de Buffon qui l'a retrouvé, ne nous permettent plus de douter de ceux qu'il opéroit sur les murs de Syracuse entre les mains d'Archimede. De si grands exemples suffisent pour nous rendre circonspects.

Nous invitons les Artistes à prendre de leur côté conseil des savans, & à ne pas laisser périr avec eux les découvertes qu'ils feront. Qu'ils sachent que c'est se rendre coupable d'un larcin envers la société, que de renfermer un secret utile; & qu'il n'est pas moins vil de préférer en ces occasions l'intérêt d'un seul à l'intérêt de tous, qu'en cent autres où ils ne balanceroient pas eux - mêmes à prononcer. S'ils se rendent communicatifs, on les débarrassera de plusieurs préjugés, & sur - tout de celui où ils sont presque tous, que leur Art a acquis le dernier degré de perfection. Leur peu de lumieres les expose souvent à rejetter sur la nature des choses, un défaut qui n'est qu'en eux - mêmes. Les obstacles leur paroissent invincibles dès qu'ils ignorent les moyens de les vaincre. Qu'ils fassent des expériences; que dans ces expériences chacun y mette du fien; que l'Artiste y soit pour la maind'oeuvre; l'Académicien pour les lumieres & les conseils, & l'homme opulent pour le prix des matieres, des peines & du tems; & bientôt nos Arts & nos manufactures auront sur celles des étrangers toute la supériorité que nous desirons.

De la supériorité d'une manufacture sur une autre. Mais ce qui donnera la supériorité à une manufacture sur une autre, ce sera sur - tout la bonté des matieres qu'on y employera, jointe à la célérité du travail & à la perfection de l'ouvrage. Quant à la bonté des matieres, c'est une affaire d'inspection. Pour la célérité du travail & la perfection de l'ouvrage, elles dépendent entierement de la multitude des ouvriers rassemblés. Lorsqu'une manufacture est nombreuse, chaque opération occupe un homme différent. Tel ouvrier ne fait & ne fera de sa vie qu'une seule & unique chose; tel autre, une autre chose: d'où il arrive que chacune s'exécute bien & promptement, & que l'ouvrage le mieux fait est encore celui qu'on a à meilleur marché. D'ailleurs le goût & la façon se perfectionnent nécessairement entre un grand nombre d'ouvriers, parce qu'il est difficile qu'il ne s'en rencontre quelques - uns capables de réfléchir, de combiner, & de trouver enfin le seul moyen qui puisse les mettre au - dessus de leurs semblables; le moyen ou d'épargner la matiere, ou d'allonger le tems, ou de surfaire l'industrie, soit par une machine nouvelle, soit par une manoeuvre plus commode. Si les manufactures étrangeres ne l'emportent pas sur nos manufactures de Lyon, ce n'est pas qu'on ignore ailleurs comment on travaille - là, on a par - tout les mêmes métiers, les mêmes soies, & à peu près les mêmes pratiques: mais ce n'est qu'à Lyon qu'il y a 30000 ouvriers rassemblés & s'occupant tous de l'emploi de la même matiere. Nous pourrions encore allonger cet article: mais ce que nous venons de dire, joint à ce qu'on trouvera dans notre Discours préliminaire, suffira pour ceux qui savent penser, & nous n'en aurions jamais assez dit pour les autres. On y rencontrera peut - être des endroits d'une métaphysique un peu forte: mais il étoit impossible que cela fût autrement. Nous avions à parler de ce qui concerne l'Art en général; nos propositions devoient donc être générales: mais le bon sens dit, qu'une proposition est d'autant plus abstraite, qu'elle est plus générale, l'abstraction consistant à étendre une vérité en écartant de son énonciation les termes qui la particularisent. Si nous avions pû épargner ces épines au lecteur, nous nous serions épargné bien du travail à nous - mêmes.

Art des Esprits (Page 1:717)

Art des Esprits, ou Art Angélique, moyen superstitieux pour acquérir la connoissance de tout ce qu'on veut savoir avec le secours de son ange gardien, ou de quelqu'autre bon ange. On distingue

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