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Origine des Sciences & des Arts. C'est l'industrie de
l'homme appliquée aux productions de la Nature ou
par ses besoins, ou par son luxe, ou par son amusement,
ou par sa curiosité, &c. qui a donné naissance
aux Sciences & aux Arts; & ces points de réunion de
nos différentes réflexions ont reçû les dénominations
de Science & d'Art, selon la nature de leurs objets
formels, comme disent les Logiciens. Voyez
Spéculation & pratique d'un Art. Il est évident par ce qui précede, que tout Art a sa spéculation & sa pratique: sa spéculation, qui n'est autre chose que la connoissance inopérative des regles de l'Art: sa pratique, qui n'est que l'usage habituel & non réfléchi des mêmes regles. Il est difficile, pour ne pas dire impossible, de pousser loin la pratique sans la spéculation, & réciproquement de bien posséder la spéculation sans la pratique. Il y a dans tout Art un grand nombre de circonstances relatives à la matiere, aux instrumens, & à la manoeuvre que l'usage seul apprend. C'est à la pratique à présenter les difficultés & à donner les phénomenes; & c'est à la spéculation à expli quer les phénomenes & à lever les difficultés: d'où il s'ensuit qu'il n'y a guere qu'un Artiste sachant raisonner, qui puisse bien parler de son Art.
Distribution des Arts en libéraux & en méchaniques. En examinant les productions des Arts, on s'est apperçû que les unes étoient plus l'ouvrage de l'esprit que de la main, & qu'au contraire d'autres étoient plus l'ouvrage de la main que de l'esprit. Telle est en partie l'origine de la prééminence que l'on a accordée à certains Arts sur d'autres, & de la distribution qu'on a faite des Arts en Arts libéraux & en Arts méchaniques. Cette distinction, quoique bien fondée, a produit un mauvais effet, en avilissant des gens très estimables & très - utiles, & en fortifiant en nous je ne sai quelle paresse naturelle, qui ne nous portoit déjà que trop à croire, que donner une application constante & suivie à des expériences & à des objets particuliers, sensibles & materiels, c'étoit déroger à la dignité de l'esprit humain; & que de pratiquer, ou même d'étudier les Arts méchaniques, c'étoit s'abbaisser à des choses dont la recherche est laborieuse, la méditation ignoble, l'exposition difficile, le commerce déshonorant, le nombre inépuisable, & la valeur minutielle. Minui majestatem mentis humanoe, si in experimentis & rebus particularibus, &c. Bac. nov. org. Préjugé qui tendoit à remplir les villes d'orgueilleux raisonneurs, & de contemplateurs inutiles, & les campagnes de petits tyrans ignorans, oisifs & dédaigneux. Ce n'est pas ainsi qu'ont pensé Bacon, un des premiers génies de l'Angleterre; Colbert, un des plus grands ministres de la France; enfin les bons esprits & les hommes sages de tous les tems. Bacon regardoit l'histoire des Arts méchaniques comme la branche la plus importante de la vraie Philosophie; il n'avoit donc garde d'en mépriser la pratique. Colbert regardoit l'industrie des peuples & l'établissement des manufactures, comme la richesse la plus sûre d'un royaume. Au jugement de ceux qui ont anjourd'hui des idées saines de la valeur des choses, celui qui peupla la France de graveurs, de peintres, de sculp<cb->
But des Arts en général. L'homme n'est que le ministre ou l'interprete de la nature: il n'entend & ne fait qu'autant qu'il a de connoissance, ou expérimentale ou réfléchie, des êtres qui l'environnent. Sa main nue, quelque robuste, infatigable & souple qu'elle soit, ne peut suffire qu'à un petit nombre d'effets: elle n'acheve de grandes choses qu'à l'aide des instrumens & des regles; il en faut dire autant de l'entendement. Les instrumens & les regles sont comme des muscles surajoûtés aux bras, & des ressorts accessoires à ceux de l'esprit. Le but de tout Art en général, ou de tout système d'instrumens & de regles conspirant à une même fin, est d'imprimer certaines formes déterminées sur une base donnée par la nature; & cette base est, ou la matiere, ou l'esprit, ou quelque fonction de l'ame, ou quelque production de la nature. Dans les Arts méchaniques, auxquels je m'attacherai d'autant plus ici, que les Auteurs en ont moins parlé, le pouvoir de l'homme se réduit à rapprocher ou à éloigner les corps naturels. L'homme peut tout ou ne peut rien, selon que ce rapprochement ou cet éloignement est ou n'est pas possible. (V. nov. org.)
Projet d'un traité général des Arts méchaniques. Souvent l'on ignore l'origine d'un Art méchanique, ou l'on n'a que des connoissances vagues sur ses progrès: voilà les suites naturelles du mépris qu'on a eu dans tous les tems & chez toutes les nations savantes & belliqueuses, pour ceux qui s'y sont livrés. Dans ces occasions, il faut recourir à des suppositions philosophiques, partir de quelqu'hypothese vraissemblable, de quelqu'événement premier & fortuit, & s'avancer de - là jusqu'où l'Art a été poussé. Je m'explique par un exemple que j'emprunterai plus volontiers des Arts méchaniques, qui sont moins connus, que des Arts libéraux, qu'on a présentés sous mille formes différentes. Si l'on ignoroit l'origine & les progrès de la Verrerie ou de la Papeterie, que feroit un philosophe qui se proposeroit d'écrire l'histoire de ces Arts? Il supposeroit qu'un morceau de linge est tombé par hasard dans un vaisseau plein d'eau; qu'il y a séjourné assez long - tems pour s'y dissoudre; & qu'au lieu de trouver au fond du vaisseau, quand il a été vuide, un morceau de linge, on n'a plus apperçû qu'une espece de sédiment, dont on auroit eu bien de la peine à reconnoître la nature, sans quelques filamens qui restoient, & qui indiquoient que la matiere premiere de ce sédiment avoit été auparavant sous la forme de linge. Quant à la Verrerie, il supposeroit que les premieres habitations solides que les hommes se soient construites, étoient de terre cuite ou de brique: or il est impossible de faire cuire de la brique à grand feu, qu'il [p. 715]
Avantages de cette méthode. En s'y prenant ainsi, les progrès d'un Art seroient exposés d'une maniere plus instructive & plus claire, que par son histoire véritable, quand on la sauroit. Les obstacles qu'on auroit eu à surmonter pour le perfectionner se présenteroient dans un ordre entierement naturel, & l'explication fynthétique des démarches successives de l'Art en faciliteroit l'intelligence aux esprits les plus ordinaires, & mettroit les Artistes sur la voie qu'ils auroient à suivre pour approcher davantage de la perfection.
Ordre qu'il faudroit suivre dans un pareil traité. Quant à l'ordre qu'il faudroit suivre dans un pareil traité, je crois que le plus avantageux seroit de rappeller les Arts aux productions de la nature. Une énumération exacte de ces productions donneroit naissance à bien des Arts inconnus. Un grand nombre d'autres naîtroient d'un examen circonstancié des différentes faces sous lesquelles la même production peut être considérée. La premiere de ces conditions demande une connoissance très - étendue de l'histoire de la nature; & la seconde, une très - grande dialectique. Un traité des Arts, tel que je le conçois, n'est donc pas l'ouvrage d'un homme ordinaire. Qu'on n'aille pas s'imaginer que ce sont ici des idées vaines que je propose, & que je promets aux hommes des découvertes chimériques. Après avoir remarqué avec un philosophe que je ne me lasse point de loüer, parce que je ne me suis jamais lassé de la lire, que l'histoire de la nature est incomplete sans celle des Arts: & après avoir invité les naturalistes à couronner leur travail sur les regnes des végétaux, des minéraux, des animaux, &c. par les expériences des Arts méchaniques, dont la connoissance importe beaucoup plus à la vraie Philosophie; j'oserai ajoûter à son exemple: Ergo rem quam ago, non opinionem, sed opus esse; eamque non sectoe alicujus, aut placiti, sed utilitatis esse & amplitudinis immensoe fundamenta. Ce n'est point ici un système: ce ne sont point les fantaisies d'un homme; ce sont les décisions de l'expérience & de la raison, & les fondemens d'un édifice immense; & quiconque pensera différemment, cherchera à rétrécir la sphere de nos connoissances, & à décourager les esprits. Nous devons au hasard un grand nombre de connoissances; il nous en a présenté de fort importantes que nous ne cherchions pas: est - il à présumer que nous ne trouverons rien, quand nous ajoûterons nos efforts à son caprice, & que nous mettrons de l'ordre & de la méthode dans nos recherches? Si nous possédons à présent des secrets qu'on n'espéroit point auparavant; & s'il nous est permis de tirer des conjectures du passé, pourquoi l'avenir ne nous réserveroit - il pas des richesses sur lesquelles nous ne comptons guere aujourd'hui? Si l'on eût dit, il y a quelques siecles, à ces gens qui mesurent la possibilité des choses sur la portée de leur génie, & qui n'imaginent rien au - delà de ce qu'ils connoissent, qu'il est une poussiere qui brise les rochers, qui renverse les murailles les plus épaisses à des distances étonnantes, qui renfermée au poids de quelques livres dans les entrailles profondes de la terre, les secoüe, se fait jour à travers les masses énormes qui la couvrent, & peut ouvrir un gouffre dans lequel une ville entiere disparoîtroit; ils n'auroient pas manqué de comparer ces effets à l'action des roues, des poulies, des leviers, des contrepoids, & des autres machines
Autre motif de recherche. Mais ce qui doit encore nous encourager dans nos recherches, & nous déterminer à regarder avec attention autour de nous, ce sont les siecles qui se sont écoulés sans que les hommes se soient apperçûs des choses importantes qu'ils avoient, pour ainsi dire, sous les yeux. Tel est l'Art d'imprimer, celui de graver. Que la condition de l'esprit humain est bisarte! S'agit - il de découvrir, il se défie de sa force, il s'embarrasse dans les difficultés qu'il se fait; les choses lui paroissent impossibles à trouver: sont - elles trouvées? il ne conçoit plus comment il a fallu les chercher si long - tems, & il a pitié de lui - même.
Différence singuliere entre les machines. Après avoir proposé mes idées sur un traité philosophique des Arts en général, je vais passer à quelques observations utiles sur la maniere de traiter certains Arts méchaniques en particulier. On employe quelquefois une machine très - composée pour produire un effet assez simple en apparence; & d'autres fois une machine très - simple en effet suffit pour produire une action fort composée: dans le premier cas, l'effet à produire étant conçu facilement, & la connoissance qu'on en aura n'embarrassant point l'esprit, & ne chargeant point la mémoire, on commencera par l'annoncer, & l'on passera ensuite à la description de la machine: dans le second cas au contraire, il est plus à propos de descendre de la description de la machine à la connoissance de l'effet. L'effet d'une horloge est de diviser le tems en parties égales, à l'aide d'une aiguille qui se meut uniformément & très - lentement sur un plan ponctué. Si donc je montre une horloge à quelqu'un à qui cette machine étoit inconnue, je l'instruirai d'abord de son effet, & j'en viendrai ensuite au méchanisme. Je me garderai bien de suivre la même voie avec celui qui me demandera ce que c'est qu'une maille de bas, ce que c'est que du drap, du droguet, du velours, du satin. Je commencerai ici par le détail de métiers qui servent à ces ouvrages. Le développement de la machine, quand il est clair, en fait sentir l'effet toutd'un - coup; ce qui seroit peut - être impossible sans ce préliminaire. Pour se convaincre de la vérité de ces observations, qu'on tâche de définir exactement ce que c'est que de la gaze, sans supposer aucune notion de la machine du Gazier.
De la Géométrie des Arts. On m'accordera sans pei<pb->
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