ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

RECHERCHE Accueil Mises en garde Documentation ATILF ARTFL Courriel

Previous page

"644"> leur assurer une pleine jouissance de leur droit à cet égard.

Les hommes, dit M. de Montesquieu, sont gouvernés par diverses sortes de lois. Ils sont gouvernés par le droit naturel, par le droit divin, qui est celui de la religion; par le droit ecclésiastique, autrement appellé canonique, qui est celui de la police de la religion; par le droit des gens, qu'on peut considérer comme le droit civil de l'univers, dans le sens que chaque peuple en est un citoyen; par le droit politique général, qui a pour objet cette sagesse humaine, qui a fondé toutes les sociétés; par le droit politique particulier, qui concerne chaque société; par le droit de conquête, fondé sur ce qu'un peuple a voulu, a pu ou dû faire violence à un autre; par le droit civil de chaque société, par lequel un citoyen peut défendre ses biens & sa vie contre tout autre citoyen; enfin, par le droit domestique, qui vient de ce qu'une société est divisée en diverses familles qui ont besoin d'un gouvernement particulier. Il y a donc différens ordres de lois, & la sublimité de la raison humaine consiste à savoir bien auquel de ces ordres se rapportent principalement les choses sur lesquelles on doit statuer, & à ne point mettre de confusion dans les principes qui doivent gouverner les hommes.

Les réflexions naissent en foule à ce sujet. Détachons - en quelques - unes des écrits profonds de ces beaux génies qui ont éclairé le monde par leurs travaux sur cette importante matiere.

La force d'obliger qu'ont les lois inférieures, découle de celle des lois supérieures. Ainsi dans les familles on ne peut rien prescrire de contraire aux lois de l'état dont elles font partie. Dans chaque état civil on ne peut rien ordonner de contraire aux lois qui obligent tous les peuples, telles que sont celles qui prescrivent de ne point prendre le bien d'autrui, de réparer le dommage qu'on a fait, de tenir sa parole, &c. & ces lois communes à toutes les nations, ne doivent renfermer rien de contraire au domaine suprème de Dieu sur ses créatures. Ainsi dès qu'il y a dans les lois inférieures des choses contraires aux lois supérieures, elles n'ont plus force de lois.

Il faut un code de lois plus étendu pour un peuple qui s'attache au commerce, que pour un peuple qui se contente de cultiver ses terres. Il en faut un plus grand pour celui - ci, que pour un peuple qui vit de ses troupeaux. Il en faut un plus grand pour ce dernier, que pour un peuple qui vit de sa chasse. Ainsi les lois doivent avoir un grand rapport avec la façon dout les divers peuples se procurent leur subsistance.

Dans les gouvernemens despotiques, le despote est le prince, l'état & les lois. Dans les gouvernemens monarchiques il y a une loi; & là où elle est précise, le juge la suit; là où elle ne l'est pas, il en cherche l'esprit. Dans les gouvernemens républicains, il est de la nature de leur constitution que les juges suivent la lettre de la loi; il n'y a point de citoyen contre qui on puisse interpréter une loi, quand il s'agit de ses biens, de son honneur ou de sa vie. En Angleterre les jurés décident du fait, le juge prononce la peine que la loi infflige; & pour cela il ne lui faut que des yeux.

Ceux qui ont dans leurs mains les lois pour gouverner les peuples, doivent toujours se laisser gouverner eux - mêmes par les lois. C'est la loi, & non pas l'homme qui doit régner. La loi, dit Plutarque, est la reine de tous les mortels & immortels. Le seul édit de 1499, donné par Louis XII. fait chérir sa mémoire de tous ceux qui rendent la justice dans ce royaume, & de tous ceux qui l'aiment. Il ordonne par cet édit mémorable « qu'on suive toujours la loi, malgré les ordres contraires à la loi, que l'importunité pourroit arracher du monarque ».

Le motif & l'effet des lois doit être la prospérité des citoyens. Elle résulte de l'intégrité des moeurs, du maintien de la police, de l'uniformité dans la distribution de la justice, de la force & de l'opulence de l'état, & les lois sont les nerfs d'une bonne administration. Quelqu'un ayant demandé à Anaxidame, roi de Lacédémone, qui avoit l'autorité dans Sparte, il répondit que c'étoient les lois; il pouvoit ajouter avec les moeurs sur lesquels elles influent, & dont elles tirent leur force. En effet, chez les Spartiates, les lois & les moeurs intimement unies dans le coeur des citoyens n'y faisoient, pour ainsi dire, qu'un même corps. Mais ne nous ne slattons pas de voir Sparte renaître au sein du commerce & de l'amour du gain.

« La grande différence que Lycurgue a mise entre Lacédémone & les autres cités, dit Xénophon, consiste en ce qu'il a sur - tout fait, que les citoyens obéissent aux lois. Ils courent lorsque le magistrat les appelle: mais à Athènes, un homme riche seroit au desespoir que l'on pensât qu'il dépendît du magistrat ».

Il y a plus; la premiere fonction des éphores de Lacédémone, en entrant en charge, étoit une proclamation publique, par laquelle ils enjoignoient aux citoyens, non pas d'observer les lois, mais de les aimer, afin que l'observation ne leur en fût point dure.

Rien ne doit être si cher aux hommes que les lois destinées à les rendre bons, sages & heureux. Les lois seront précieuses au peuple, tant qu'il les regardera comme un rempart contre le despotisme, & comme la sauvegarde d'une juste liberté.

Parmi les lois, il y en a d'excellentes, de vicieuses & d'inutiles. Toute bonne loi doit être juste, facile à exécuter, particulierement propre au gouvernement, & au peuple qui la reçoit.

Toute loi équivoque est injuste, parce qu'elle frappe sans avertir. Toute loi qui n'est pas claire, nette, précise, est vicieuse.

Les lois doivent commencer directement par les termes de jussion. Les préambules qu'on y met ordinairement sont constamment superflus, quoiqu'ils ayent été inventés pour la justification du législateur, & pour la satisfaction du peuple. Si la loi est mauvaise, contraire au bien public, le législateur doit bien se garder de la donner; si elle est nécessaire, essentielle, indispensable, il n'a pas besoin d'en faire l'apologie.

Les lois peuvent changer, mais leur style doit toujours être le même, c'est à - dire simple, précis, ressentant toujours l'antiquité de leur origine comme un texte sacré & inaltérable.

Que les lois respirent toujours la candeur: faites pour prévenir ou pour punir la méchanceté des hommes, elles doivent avoir la plus grande innocence.

Des lois qui choqueroient les principes de la nature, de la morale ou de la religion, inspireroient de l'horreur. Dans la proscription du prince d'Orange, par Philippe II. ce prince promet à celui qui le tuera, ou à ses héritiers, vingt mille écus & la noblesse, & cela en parole de roi, & comme serviteur de Dieu. La noblesse promise pour une telle action! une telle action ordonnée comme serviteur de Dieu! tout cela renverse également les idées de l'honneur, de la morale & de la religion.

Lorsqu'on fait tant que de rendre raison d'une loi, il faut que cette raison soit 1°. digne d'elle. Une loi romaine décide qu'un aveugle ne peut plaider, parce qu'il ne voit pas les ornemens de la magistrature. Il est pitoyable de donner une si mauvaise raison, [p. 645] quand il s'en présente tant de bonnes. 2°. Il faut que la raison alléguée soit vraie; Charles IX. fut déclaré majeur à 14 ans commencés, parce que, dit le chancelier de l'Hôpital, les lois regardent l'année commencée, lorsqu'il s'agit d'acquérir des honneurs; mais le gouvernement des peuples n'est - il qu'un honneur? 3°. Il faut, dans les lois, raisonner de la réalité à la réalité, & non de la réalité à la figure, ou de la figure à la réalité. La loi des Lombards, l. II. tit. XXXVII. défend à une femme qui a pris l'habit de religieuse de se marier. « Car, dit cette loi, si un époux qui a engagé à lui une femme par un anneau, ne peut pas sans crime en épouser une autre; à plus forte raison, l'épouse de Dieu ou de la sainte Vierge ».

Enfin dès que dans une loi on a fixé l'état des choses, il ne faut point y ajouter des expressions vagues. Dans une ordonnance criminelle de Louis XIV. après l'énumération des cas royaux, on ajoute: « Et ceux dont de tous tems les juges royaux ont décidé »: cette addition fait rentrer dans l'arbitraire que la loi venoit d'éviter.

Les lois ne font pas regle de droit. Les regles sont générales, les lois ne le sont pas: les regles dirigent, les lois commandent: la regle sert de boussole, & les lois de compas.

Il faut imposer au peuple à l'exemple de Solon, moins les meilleures lois en elles - mêmes, que les meilleures que ce peuple puisse comporter dans sa situation. Autrement il vaut mieux laisser subsister les désordres, que de prétendre y pourvoir par des lois qui ne seront point observées; car, sans remédier au mal, c'est encore avilir les lois.

Il n'y a rien de si beau qu'un état où l'on a des lois convenables, & où on les observe par raison, par passion, comme on le fit à Rome dans les premiers tems de la république; car pour - lors il se joint à la sagesse du gouvernement toute la force que pourroit avoir une faction.

Il est vrai que les lois de Rome devinrent impuissantes à sa conservation; mais c'est une chose ordinaire que de bonnes lois, qui ont fait qu'une petite république s'aggrandit, lui deviennent à charge lorsqu'elle s'est aggrandie, parce qu'elles n'étoient faites que pour opérer son aggrandissement.

Il y a bien de la différence entre les lois qui font qu'un peuple se rend maître des autres, & celles qui maintiennent sa puissance lorsqu'il l'a acquise.

Les lois qui font regarder comme nécessaire ce qui est indifférent, ne sont pas sensées, & ont encore cet inconvénient qu'elles font considérer comme indifférent ce qui est nécessaire; ainsi les lois ne doivent statuer que sur des choses essentielles.

Si les lois indifférentes ne sont pas bonnes, les inutiles le sont encore moins, parce qu'elles affoiblissent les lois nécessaires; celles qu'on peut éluder, affoiblissent aussi la législation. Une loi doit avoir son effet, & il ne faut pas permettre d'y déroger par une convention particuliere.

Plusieurs lois paroissent les mêmes qui sont fort différentes. Par exemple, les lois grecques & romaines punissoient le receleur du vol comme le voleur; la loi françoise en use ainsi. Celles - là étoient raisonnables, celle - ci ne l'est point. Chez les Grecs & les Romains, le voleur étoit condamné à une peine pécuniaire, il falloit bien punir le receleur de la même peine; car tout homme qui contribue, de quelque façon que ce soit, à un dommage, doit le réparer. Mais en France, la peine du vol étant capitale, on n'a pu, sans outrer les choses, punir le receleur comme le voleur. Celui qui reçoit le vol, peut en mille occasions le recevoir innocemment: celui qui vole est toujours coupable. Le receleur empêche à la vérité la conviction d'un crime déja commis, mais l'autre commet le crime; tout est passif dans le receleur, il y a une action dans le voleur. Il faut que le voleur surmonte plus d'obstacles, & que son ame se roidisse plus long - tems contre les lois.

Comme elles ne peuvent prévoir ni marque rtous les cas, c'est à la raison de comparer les faits obmis avec les faits indiqués. Le bien public doit décider quand la loi se trouve muette; la coûtume ne peut rien alors, parce qu'il est dangereux qu'on ne l'applique mal, & qu'on ne veuille la diriger, au lieu de la suivre.

Mais la coutume affermie par une chaîne & une succession d'exemples, supplée au défaut de la loi, tient sa place, a la même autorité, & devient une loi tacite ou de prescription.

Les cas qui dérogent au droit commun, doivent être exprimés par la loi; cette exception est un hommage qui confirme son autorité; mais rien ne lui porte atteinte, comme l'extension arbitraire & indéterminée d'un cas à l'autre. Il vaut mieux attendre une nouvelle loi pour un cas nouveau, que de franchir les bornes de l'exception déja faite.

C'est sur - tout dans les cas de rigueur qu'il faut être sobre à multiplier les cas cités par la loi. Cette subtilité d'esprit qui va tirer des conséquences, est contraire aux sentimens de l'humanité & aux vûes du législateur.

Les lois occasionnées par l'altération des choses & des tems, doivent cesser avec les raisons qui les ont fait naître, loin de revivre dans les conjectures ressemblantes, parce qu'elles ne sont presque jamais les mêmes, & que toute comparaison est suspecte, dangereuse, capable d'égarer.

On établit des lois nouvelles, ou pour confirmer les anciennes, ou pour les réformer, ou pour les abolir. Toutes les additions ne font que charger & embrouiller le corps des lois. Il vaudroit mieux, à l'exemple des Athéniens, recueillir de tems en tems les lois surannées, contradictoires, inutiles & abusives, pour épurer & diminuer le code de la nation.

Quand donc on dit que personne ne doit s'estimer plus prudent que la loi, c'est des lois vivantes qu'il s'agit, & non pas des lois endormies.

Il faut se hâter d'abroger les lois usées par le tems, de peur que le mépris des lois mortes en retombe sur les lois vivantes, & que cette gangrene ne gagne tout le corps de droit.

Mais s'il est nécessaire de changer les lois, apportez - y tant de solemnités & de précautions, que le peuple en conclue naturellement que les lois sont bien saintes, puisqu'il faut tant de formalités pour les abroger.

Ne changez pas les usages & les manieres par les lois, ce seroit une tyrannie. Les choses indifférentes ne sont pas de leur ressort: il faut changer les usages & les manieres par d'autres usages & d'autres manieres. Si les lois gênoient en France les manieres, elles gêneroient peut - être les vertus. Laissez faire à ce peuple léger les choses frivoles sérieusement, & gaiement les choses sérieuses. Cependant les lois peuvent contribuer à former les moeurs, les manieres & le caractere d'une nation; l'Angleterre en est un exemple.

Tout ce qui regarde les regles de la modestie, de la pudeur, de la décence, ne peut guere être compris sous un code de lois. Il est aisé de régler par les lois ce qu'on doit aux autres; il est difficile d'y comprendre tout ce qu'on se doit à soi - même.

La multiplicité des lois prouve, toutes choses égales, la mauvaise constitution d'un gouvernement; car, comme on ne les fait que pour réprimer les injustices & les desordres, il faut de nécessité que,

Next page


The Project for American and French Research on the Treasury of the French Language (ARTFL) is a cooperative enterprise of Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF) of the Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), the Division of the Humanities, the Division of the Social Sciences, and Electronic Text Services (ETS) of the University of Chicago.

PhiloLogic Software, Copyright © 2001 The University of Chicago.