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Ces principes posés, il en résulte que la liberté d'équilibre est moins une prérogative dont nous devions nous glorifier, qu'une imperfection dans notre nature & nos connoissances, qui croît ou décroît en raison réciproque de nos lumieres. Dieu prévoyant que notre ame, par une suite de son imperfection, seroit souvent irrésolue & comme suspendue entre deux partis, lui a donné le pouvoir de sortir de cette suspension, par une détermination dont le principe fût elle - même. Ce n'est point supposer que le rien produise quelque chose. Est - ce en effet alléguer un rien, quand on donne la volonté pour cause de nos actions en certains cas? Que deviendroit cette activité qui est le propre des intelligences, si l'ame dans l'occasion ne pouvoit agir par elle - même, & sans être mise en action par une puissance étrangere?
Il y a d'ailleurs mille cas dans la vie où le parfait équilibre a lieu; par exemple, quand il s'agit de choisir entre deux louis - d'or qu'on me présente. Si l'on s'avise de me soutenir sérieusement que je suis necessité, & qu'il y a une raison en faveur de celui que j'ai pris; pour réponse je me mets à rire, tant je suis intimement persuadé qu'il est en mon pouvoir de prendre un des deux louis - d'or, plutôt que l'autre, & qu'il n'y a point pour ce choix de raison prévalente, puisque ces deux louis - d'or sont entierement semblables, ou qu'ils me paroissent tels.
De tout ce que nous avons dit sur la liberté, on en peut conclure que son essence consiste dans l'intelligence qui enveloppe une connoissance distincte de l'objet de la délibération. Dans la spontanéïté avec laquelle nous nous déterminons, & dans la contingence, c'est - à - dire dans l'exclusion de la nécessité logique ou métaphysique, l'intelligence est comme l'ame de la liberté, & le reste en est comme le corps & la base. La substance libre se détermine par elle - même, & cela suivant le motif du bien apperçu par l'entendement qui l'incline sans la nécessiter. Si à ces trois conditions, vous ajoutez l'indifférence d'équilibre, vous aurez une définition de la liberté, telle qu'elle se trouve dans les hommes pendant cette vie mortelle, & telle qu'elle a été définie nécessaire par l'Eglise pour mériter & démériter dans l'état de la nature corrompue. Cette liberté n'exclut pas seulement la contrainte (jamais elle ne fut admise par les fatalistes mêmes) ni la nécessité physique, absolue, fatale (ni les calvinistes, ni les jansénistes ne l'ont jamais reconnue) mais encore la
Liberté naturelle (Page 9:471)
Le premier état que l'homme acquiert par la nature, & qu'on estime le plus précieux de tous les biens qu'il puisse posséder, est l'état de liberté; il ne peut ni se changer contre un autre, ni se vendre, ni se perdre; car naturellement tous les hommes naissent libres, c'est - à - dire, qu'ils ne sont pas soumis à la puissance d'un maître, & que personne n'a sur eux un droit de propriété.
En vertu de cet état, tous les hommes tiennent de la nature même, le pouvoir de faire ce que bon leur semble, & de disposer à leur gré de leurs actions & de leurs biens, pourvu qu'ils n'agissent pas contre les lois du gouvernement auquel ils se sont soumis.
Chez les Romains un homme perdoit sa liberté naturelle, lorsqu'il étoit pris par l'ennemi dans une guerre ouverte, ou que pour le punir de quelque crime, on le réduisoit à la condition d'esclave. Mais les Chrétiens ont aboli la servitude en paix & en guerre, jusques - là, que les prisonniers qu'ils font à la guerre sur les infideles, sont censés des hommes libres; de maniere que celui qui tueroit un de ces prisonniers, seroit regardé & puni comme homicide.
De plus, toutes les puissances chrétiennes ont jugé qu'une servitude qui donneroit au maître un droit de vie & de mort sur ses esclaves, étoit incompatible avec la perfection à laquelle la religion chrétienne appelle les hommes. Mais comment les puissances chrétiennes n'ont - elles pas jugé que cette [p. 472]
Liberté civile (Page 9:472)
Il n'y a point de mots, comme le dit M. de Montesquieu, qui ait frappé les esprits de tant de manieres différentes, que celui de liberté. Les uns l'ont pris pour la facilité de déposer celui à qui ils avoient donné un pouvoir tyrannique; les autres pour la facilité d'élire celui à qui ils devoient obéir; tels ont pris ce mot pour le droit d'être armé, & de pouvoir exercer la violence; & tels autres pour le privilege de n'être gouvernés que par un homme de leur nation, ou par leurs propres lois. Plusieurs ont attaché ce nom à une forme de gouvernement, & en ont exclu les autres. Ceux qui avoient goûté du gouvernement républicain, l'ont mise dans ce gouvernement, tandis que ceux qui avoient joui du gouvernement monarchique, l'ont placé dans la monarchie. Enfin, chacun a appellé liberté, le gouvernement qui étoit conforme à ses coutumes & à ses inclinations: mais la liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent; & si un citoyen pouvoit faire ce qu'elles défendent, il n'auroit plus de liberté, parce que les autres auroient tous de même ce pouvoir. Il est vrai que cette liberté ne se trouve que dans les gouvernemens modérés, c'est - à - dire dans les gouvernemens dont la constitution est telle, que personne n'est contraint de faire les choses auxquelles la loi ne l'oblige pas, & à ne point faire celles que la loi lui permet.
La liberté civile est donc fondée sur les meilleures lois possibles; & dans un état qui les auroit en partage, un homme à qui on feroit son procès selon les lois, & qui devroit être pendu le lendemain, seroit plus libre qu'un bacha ne l'est en Turquie. Par conséquent, il n'y a point de liberté dans les états où la puissance législative & la puissance exécutrice sont dans la même main. Il n'y en a point à plus forte raison dans ceux où la puissance de juger est réunie à la législatrice & à l'exécutrice.
Liberté politique (Page 9:472)
La liberté politique du citoyen, est cette tranquillité d'esprit qui procede de l'opinion que chacun a de sa sûreté; & pour qu'on ait cette sûreté, il faut que le gouvernement soit tel, qu'un citoyen ne puisse pas craindre un citoyen. De bonnes lois civiles & politiques assurent cette liberté; elle triomphe encore, lorsque les lois criminelles tirent chaque peine de la nature particuliere du crime.
Il y a dans le monde une nation qui a pour objet direct de sa constitution la liberté politique; & si les principes sur lesquels elle la fonde sont solides, il faut en reconnoître les avantages. C'est à ce sujet, que je me souviens d'avoir oui dire à un beau génie d'Angleterre, que Corneille avoit mieux peint la hauteur des sentimens qu'inspire la liberté politique,
Affranchissons le Tage, & laissons faire au Tibre: La liberté n'est rien quand tout le monde est libre. Mais il est beau de l'être, & voir tout l'univers Soupirer sous le joug, & gémir dans les fers. Il est beau d'étaler cette prérogative Aux yeux du Rhône esclave, & de Rome captive, Et de voir envier aux peuples abattus, Ce respect que le fort garde pour les vertus. Sertorius, act. IV. sc. vj.
Je ne prétends point décider que les Anglois jouissent actuellement de la prérogative dont je parle; il me suffit de dire avec M. de Montesquieu, qu'elle est établie par leurs lois; & qu'après tout, cette liberté politique extrème ne doit point mortifier ceux qui n'en ont qu'une modérée, parce que l'excès même de la raison n'est pas toûjours desirable, & que les hommes en général s'accommodent presque toûjours mieux des milieux que des extrémités. (D. J.)
Liberté de penser (Page 9:472)
Je suis bien éloigné d'en conclure qu'il faille pour
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