ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"471"> & subalternes. Renfermées dans une certaine sphere d'activité plus ou moins grande, leurs idées n'atteignent que jusqu'à un certain degré dans la connoissance des objets; & en conséquence il doit leur arriver de prendre pour égales des choses qui ne le sont point du tout. Les apparences font ici le même effet que la réalité; & l'on ne disconviendra pas, que lorsqu'il s'agit de juger, de se déterminer, d'agir, il importe peu que les choses soient égales ou inégales, pourvu que les impressions qu'elles font sur nous soient les mêmes. On prévoit bien que les antagonistes de l'indifférence se hâteront de nier que des impressions égales puissent résulter d'objets inégaux. Mais cette supposition n'a pourtant rien qui ne suive nécessairement de la limitation qui fait le caractere essentiel de la créature. Dès - là que notre intelligence est bornée, ce qui différencie les objets doit nous échapper infailliblement, lorsqu'il est de nature à ne pouvoir être apperçu que par une vue extrèmement fixe & délicate. Et de - là, que suit - il? sinon, que dans plusieurs occasions l'ame doit se trouver dans un état de doute & de suspension, sans savoir précisément à quel parti se déterminer. C'est aussi ce que justifie une expérience fréquente.

Ces principes posés, il en résulte que la liberté d'équilibre est moins une prérogative dont nous devions nous glorifier, qu'une imperfection dans notre nature & nos connoissances, qui croît ou décroît en raison réciproque de nos lumieres. Dieu prévoyant que notre ame, par une suite de son imperfection, seroit souvent irrésolue & comme suspendue entre deux partis, lui a donné le pouvoir de sortir de cette suspension, par une détermination dont le principe fût elle - même. Ce n'est point supposer que le rien produise quelque chose. Est - ce en effet alléguer un rien, quand on donne la volonté pour cause de nos actions en certains cas? Que deviendroit cette activité qui est le propre des intelligences, si l'ame dans l'occasion ne pouvoit agir par elle - même, & sans être mise en action par une puissance étrangere?

Il y a d'ailleurs mille cas dans la vie où le parfait équilibre a lieu; par exemple, quand il s'agit de choisir entre deux louis - d'or qu'on me présente. Si l'on s'avise de me soutenir sérieusement que je suis necessité, & qu'il y a une raison en faveur de celui que j'ai pris; pour réponse je me mets à rire, tant je suis intimement persuadé qu'il est en mon pouvoir de prendre un des deux louis - d'or, plutôt que l'autre, & qu'il n'y a point pour ce choix de raison prévalente, puisque ces deux louis - d'or sont entierement semblables, ou qu'ils me paroissent tels.

De tout ce que nous avons dit sur la liberté, on en peut conclure que son essence consiste dans l'intelligence qui enveloppe une connoissance distincte de l'objet de la délibération. Dans la spontanéïté avec laquelle nous nous déterminons, & dans la contingence, c'est - à - dire dans l'exclusion de la nécessité logique ou métaphysique, l'intelligence est comme l'ame de la liberté, & le reste en est comme le corps & la base. La substance libre se détermine par elle - même, & cela suivant le motif du bien apperçu par l'entendement qui l'incline sans la nécessiter. Si à ces trois conditions, vous ajoutez l'indifférence d'équilibre, vous aurez une définition de la liberté, telle qu'elle se trouve dans les hommes pendant cette vie mortelle, & telle qu'elle a été définie nécessaire par l'Eglise pour mériter & démériter dans l'état de la nature corrompue. Cette liberté n'exclut pas seulement la contrainte (jamais elle ne fut admise par les fatalistes mêmes) ni la nécessité physique, absolue, fatale (ni les calvinistes, ni les jansénistes ne l'ont jamais reconnue) mais encore la nécessité morale, soit qu'elle soit absolue, soit qu'elle soit relative. La liberté catholique est dégagée de toute nécessité, suivant cette définition: ad merendum & demerendum in statu naturoe lapsoe, non requiritur in homine libertas à necessitate, sed sufficit libertas à coactione. Cette proposition ayant été condamnée comme hérétique, & cela dans le sens de Jansenius; on ne souscrit à la décision de l'Eglise qu'autant qu'on reconnoît une liberté exempte de cette nécessité à laquelle Jansenius l'asservissoit. Or cette nécessité n'est que morale; donc pour être catholique, il faut admettre une liberté libre de la nécessité morale, & par conséquent une liberté d'indifférence ou d'équilibre. Ce qu'il ne faut pas entendre en ce sens, que la volonté ne panche jamais plus d'un côté que de l'autre, cet équilibre est ridicule & démenti par l'expérience; mais plutôt en ce sens que la volonté domine ses penchans. Elle ne les domine pourtant pas tellement que nous soyons toûjours les maîtres de nos volitions directement. Le pouvoir de l'ame sur ses inclinations est souvent une puissance qui ne peut être exercée que d'une maniere indirecte; à peu - près comme Bellarmin vouloit que les papes eussent droit sur le temporel des rois. A la vérité, les actions externes qui ne surpassent point nos forces, dépendent absolument de notre volonté; mais nos volitions ne dépendent de la volonté que par certains détours adroits, qui nous donnent moyen de suspendre nos resolutions ou de les changer. Nous sommes les maîtres chez nous, non pas comme Dieu l'est dans le monde, mais comme un prince sage l'est dans ses états, ou comme un bon pere de famille l'est dans son domestique.

Liberté naturelle (Page 9:471)

Liberté naturelle, (Droit naturel.) droit que la nature donne à tous les hommes de disposer de leurs personnes & de leurs biens, de la maniere qu'ils jugent la plus convenable à leur bonheur, sous la restriction qu'ils le fassent dans les termes de la loi naturelle, & qu'ils n'en abusent pas au préjudice des autres hommes. Les lois naturelles sont donc la regle & la mesure de cette liberté; car quoique les hommes dans l'état primitif de nature, soient dans l'indépendance les uns à l'égard des autres, ils sont tous sous la dépendance des lois naturelles, d'après lesquelles ils doivent diriger leurs actions.

Le premier état que l'homme acquiert par la nature, & qu'on estime le plus précieux de tous les biens qu'il puisse posséder, est l'état de liberté; il ne peut ni se changer contre un autre, ni se vendre, ni se perdre; car naturellement tous les hommes naissent libres, c'est - à - dire, qu'ils ne sont pas soumis à la puissance d'un maître, & que personne n'a sur eux un droit de propriété.

En vertu de cet état, tous les hommes tiennent de la nature même, le pouvoir de faire ce que bon leur semble, & de disposer à leur gré de leurs actions & de leurs biens, pourvu qu'ils n'agissent pas contre les lois du gouvernement auquel ils se sont soumis.

Chez les Romains un homme perdoit sa liberté naturelle, lorsqu'il étoit pris par l'ennemi dans une guerre ouverte, ou que pour le punir de quelque crime, on le réduisoit à la condition d'esclave. Mais les Chrétiens ont aboli la servitude en paix & en guerre, jusques - là, que les prisonniers qu'ils font à la guerre sur les infideles, sont censés des hommes libres; de maniere que celui qui tueroit un de ces prisonniers, seroit regardé & puni comme homicide.

De plus, toutes les puissances chrétiennes ont jugé qu'une servitude qui donneroit au maître un droit de vie & de mort sur ses esclaves, étoit incompatible avec la perfection à laquelle la religion chrétienne appelle les hommes. Mais comment les puissances chrétiennes n'ont - elles pas jugé que cette [p. 472] même religion, indépendamment du droit naturel, reclamoit contre l'esclavage des negres? c'est qu'elles en ont besoin pour leurs colonies, leurs plantations, & leurs mines. Auri sacra fames!

Liberté civile (Page 9:472)

Liberté civile, (Droit des nations.) c'est la liberté naturelle dépouillée de cette partie qui faisoit l'indépendance des particuliers & la communauté des biens, pour vivre sous des lois qui leur procurent la sûreté & la propriété. Cette liberté civile consiste en même tems à ne pouvoir être forcé de faire une chose que la loi n'ordonne pas, & l'on ne se trouve dans cet état, que parce qu'on est gouverné par des lois civiles; ainsi plus ces lois sont bonnes, plus la liberté est heureuse.

Il n'y a point de mots, comme le dit M. de Montesquieu, qui ait frappé les esprits de tant de manieres différentes, que celui de liberté. Les uns l'ont pris pour la facilité de déposer celui à qui ils avoient donné un pouvoir tyrannique; les autres pour la facilité d'élire celui à qui ils devoient obéir; tels ont pris ce mot pour le droit d'être armé, & de pouvoir exercer la violence; & tels autres pour le privilege de n'être gouvernés que par un homme de leur nation, ou par leurs propres lois. Plusieurs ont attaché ce nom à une forme de gouvernement, & en ont exclu les autres. Ceux qui avoient goûté du gouvernement républicain, l'ont mise dans ce gouvernement, tandis que ceux qui avoient joui du gouvernement monarchique, l'ont placé dans la monarchie. Enfin, chacun a appellé liberté, le gouvernement qui étoit conforme à ses coutumes & à ses inclinations: mais la liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent; & si un citoyen pouvoit faire ce qu'elles défendent, il n'auroit plus de liberté, parce que les autres auroient tous de même ce pouvoir. Il est vrai que cette liberté ne se trouve que dans les gouvernemens modérés, c'est - à - dire dans les gouvernemens dont la constitution est telle, que personne n'est contraint de faire les choses auxquelles la loi ne l'oblige pas, & à ne point faire celles que la loi lui permet.

La liberté civile est donc fondée sur les meilleures lois possibles; & dans un état qui les auroit en partage, un homme à qui on feroit son procès selon les lois, & qui devroit être pendu le lendemain, seroit plus libre qu'un bacha ne l'est en Turquie. Par conséquent, il n'y a point de liberté dans les états où la puissance législative & la puissance exécutrice sont dans la même main. Il n'y en a point à plus forte raison dans ceux où la puissance de juger est réunie à la législatrice & à l'exécutrice.

Liberté politique (Page 9:472)

Liberté politique, (Droit politique.) la liberté politique d'un état est formée par des lois fondamentales qui y établissent la distribution de la puissance législative, de la puissance exécutrice des choses qui dépendent du droit des gens, & de la puissance exécutrice de celles qui dépendent du droit civil, de maniere que ces trois pouvoirs sont liés les uns par les autres.

La liberté politique du citoyen, est cette tranquillité d'esprit qui procede de l'opinion que chacun a de sa sûreté; & pour qu'on ait cette sûreté, il faut que le gouvernement soit tel, qu'un citoyen ne puisse pas craindre un citoyen. De bonnes lois civiles & politiques assurent cette liberté; elle triomphe encore, lorsque les lois criminelles tirent chaque peine de la nature particuliere du crime.

Il y a dans le monde une nation qui a pour objet direct de sa constitution la liberté politique; & si les principes sur lesquels elle la fonde sont solides, il faut en reconnoître les avantages. C'est à ce sujet, que je me souviens d'avoir oui dire à un beau génie d'Angleterre, que Corneille avoit mieux peint la hauteur des sentimens qu'inspire la liberté politique, qu'aucun de leurs poëtes, dans ce discours que tient Viriate à Sertorius.

Affranchissons le Tage, & laissons faire au Tibre: La liberté n'est rien quand tout le monde est libre. Mais il est beau de l'être, & voir tout l'univers Soupirer sous le joug, & gémir dans les fers. Il est beau d'étaler cette prérogative Aux yeux du Rhône esclave, & de Rome captive, Et de voir envier aux peuples abattus, Ce respect que le fort garde pour les vertus. Sertorius, act. IV. sc. vj.

Je ne prétends point décider que les Anglois jouissent actuellement de la prérogative dont je parle; il me suffit de dire avec M. de Montesquieu, qu'elle est établie par leurs lois; & qu'après tout, cette liberté politique extrème ne doit point mortifier ceux qui n'en ont qu'une modérée, parce que l'excès même de la raison n'est pas toûjours desirable, & que les hommes en général s'accommodent presque toûjours mieux des milieux que des extrémités. (D. J.)

Liberté de penser (Page 9:472)

Liberté de penser, (Morale.) Ces termes, liberté de penser, ont deux sens; l'un général, l'autre borné. Dans le premier ils signifient cette généreuse force d'esprit qui lie notre persuasion uniquement à la vérité. Dans le second, ils expriment le seul effet qu'on peut attendre, selon les esprits forts, d'un examen libre & exact, je veux dire, l'inconviction. Autant que l'un est louable & mérite d'être applaudi, autant l'autre est blamable, & mérite d'être combattu. La véritable liberté de penser tient l'esprit en garde contre les préjugés & la précipitation. Guidée par cette sage Minerve, elle ne donne aux dogmes qu'on lui propose, qu'un degré d'adhésion proportionné à leur degré de certitude. Elle croit fermement ceux qui sont évidens; elle range ceux qui ne le sont pas parmi les probabilités; il en est sur lesquels elle tient sa croyance en équilibre; mais si le merveilleux s'y joint, elle en devient moins crédule; elle commence à douter, & se méfie des charmes de l'illusion. En un mot elle ne se rend au merveilleux qu'après s'être bien prémunie contre le penchant trop rapide qui nous y entraîne. Elle ramasse sur - tout toutes ses forces contre les préjugés que l'éducation de notre enfance nous fait prendre sur la religion, parce que ce sont ceux dont nous nous défaisons le plus difficilement; il en reste toujours quelque trace, souvent même après nous en être éloignés; lassés d'être livrés à nous - mêmes, un ascendant plus fort que nous, nous tourmente & nous y fait revenir. Nous changeons de mode, de langage; il est mille choses sur lesquelles insensiblement nous nous accoutumons à penser autrement que dans l'enfance; notre raison se porte volontiers à prendre ces nouvelles formes; mais les idées qu'elle s'est faites sur la religion, sont d'une espece respectable pour elle; rarement ose - t - elle les examiner; & l'impression que ces préjugés ont faite sur l'homme encore enfant, ne périt communément qu'avec lui. On ne doit pas s'en étonner; l'importance de la matiere jointe à l'exemple de nos parens que nous voyons en être réellement persuadés, sont des raisons plus que suffisantes pour les graver dans notre coeur, de maniere qu'il soit difficile de les en effacer. Les premiers traits que leurs mains impriment dans nos ames, en laissent toujours des impressions profondes & durables; telle est notre superstition, que nous croyons honorer Dieu par les entraves où nous mettons notre raison; nous craignons de nous démasquer à nous - mêmes, & de nous surprendre dans l'erreur, comme si la vérité avoit à redouter de paroître au grand jour.

Je suis bien éloigné d'en conclure qu'il faille pour

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