ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"473"> cela décider au tribunal de la siere raison, les questions qui ne sont que du ressort de la foi. Dieu n'a point abandonné à nos discussions des mysteres qui, soumis à la spéculation, paroîtroient des absurdités. Dans l'ordre de la révélation, il a posé des barrieres insurmontables à tous nos efforts; il a marqué un point où l'évidence cesse de luire pour nous; & ce point est le terme de la raison; mais là où elle finit, ici commence la foi, qui a droit d'exiger de l'esprit un parfait assentiment sur des choses qu'il ne comprend pas; mais cette soumission de l'aveugle raison à la foi, n'ébranle pas pour cela ses fondemens, & ne renverse pas les limites de la connoissance. Eh quoi? Si elle n'avoit pas lieu en matiere de religion, cette raison que quelques - uns décrient si fort, nous n'aurions aucun droit de tourner en ridicule les opinions avec les cérémonies extravagantes qu'on remarque dans toutes les religions, excepté la véritable. Qui ne voit que c'estlà ouvrir un vaste champ au fanatisme le plus outré, & aux superstitions les plus insensées? Avec de pareils principes, il n'y a rien qu'on ne croie, & les opinions les plus monstreuses, la honte de l'humanité, sont adoptées. La religion qui en est l'honneur, & qui nous distingue le plus des brutes, n'est - elle pas souvent la chose en quoi les hommes paroissent les moins raisonnables? Nous sommes faits d'une étrange maniere; nous ne saurions nous tenir dans un juste milieu. Si l'on n'est superstitieux, on est impie. Il semble qu'on ne puisse être docile par raison, & fidele en philosophe. Je laisse ici à décider laquelle des deux est la plus déraisonnable & la plus injurieuse à la religion, ou de la superstition ou de l'impiété. Quoi qu'il en soit, les bornes posées entre l'une & l'autre, ont eu moins à souffrir de la hardiesse de l'esprit, que de la corruption du coeur. La superstition est devenue impie, & l'impiété elle - même est devenue superstitieuse; oui, dans toutes les religions de la terre, la liberté de penser qui insulte aux bons croyans, comme à des ames foibles, à des esprits superstitieux, à des génies serviles, est quelquefois plus crédule & plus superstitieuse qu'on ne le pense. Quel usage de raison puis - je appercevoir dans des hommes qui croient par autorité qu'il ne faut pas croire à l'autorité? Quels sont la plûpart de ces enfans qui se glorifient de n'avoir point de religion? A les entendre parler, ils sont les seuls sages, les seuls philosophes dignes de ce nom; ils possedent eux seuls l'art d'examiner la vérité; ils sont seuls capables de tenir leur raison dans un équilibre parfait, qui ne sauroit être détruit que par le poids des preuves. Tous les autres hommes, esprits paresseux, coeurs servils & lâches, rampent sous le joug de l'autorité, & se laissent entraîner sans résistence, par les opinions reçues. Mais combien n'en voyons-nous pas dans leur société qui se laissent subjuguer par un enfant plus habile. Qu'il se trouve parmi eux un de ces génies heureux, dont l'esprit vif & original soit capable de donner le ton; que cet esprit d'ailleurs éclairé se précipite dans l'inconviction, parce qu'il aura été la dupe d'un coeur corrompu: son imagination forte, vigoureuse, & dominante, exercera sur leurs sentimens un pouvoir d'autant plus despotique, qu'un secret penchant à la liberté prêtera à ses raisons victorieuses une force nouvelle. Elle fera passer son enthousiasme dans les jeunes imaginations, les fléchira, les pliera à son gré, les subjuguera, les renversera.

Le traité de la liberté de penser, de Collins, passé parmi les inconvaincus, pour le chef - d'oeuvre de la raison humaine; & les jeunes inconvaincus se cachent derriere ce redoutable volume, comme si c'é<cb-> toit l'égide de Minerve. On y abuse de ce que présente de bon ce mot, liberté de penser, pour la réduire à l'irreligion; comme si toute recherche libre de la vérité, devoit nécessairement y aboutir. C'est supposer ce qu'il s'agissoit de prouver, savoir si s'éloigner des opinions généralement reçues, est un caractere distinctif d'une raison asservie à la seule évidence. La paresse & le respect aveugle pour l'autorité, ne sont pas les seules entraves de l'esprit humain. La corruption du coeur, la vaine gloire, l'ambition de s'ériger en chef de parti, n'exercent que trop souvent un pouvoir tyrannique sur notre ame, qu'elles détournent avec violence de l'amour pur de la vérité.

Il est vrai que les inconvaincus en imposent & doivent en imposer par la liste des grands hommes, parmi les anciens, qui selon eux se sont distingués par la liberté de penser, Socrate, Platon, Epicure, Ciceron, Virgile, Horace, Pétrone, Corneille Tacite. Quels noms pour celui qui porte quelque respect aux talens & à la vertu! mais cette logique est - elle bien assortie avec le dessein de nous porter à penser librement! Pour montrer que ces illustres anciens ont pensé librement, citer quelques passages de leurs écrits, où ils s'élevent au - dessus des opinions vulgaires, des dieux de leur pays, n'est - ce pas supposer que la liberté de penser est l'apanage des incrédules, & par conséquent supposer ce qu'il s'agissoit de prouver. Nous ne dirons pas que pour se persuader que ces grands hommes de l'antiquité ont été entierement libres dans leurs recherches, il faudroit avoir pénétré les secrets mouvemens de leur coeur, dont il est impossible que leurs ouvrages nous donnent une connoissance suffisante; que si les incrédules sont capables de cette force incompréhensible de pénétration, ils sont fort habiles; mais que s'ils ne le sont pas, il est constant que par un sophisme très grossier qui suppose évidemment ce qui est en question, ils veulent nous engager à respecter comme d'excellens modeles, des sages prétendus, dont l'intérieur leur est inconnu, comme au reste des hommes. Cette maniere de raisonner feroit le procès à tous les honnêtes gens qui ont écrit pour ou contre quelque systême que ce soit, & accuseroit d'hypocrisie à Paris, à Rome, à Constantinople, dans tous les lieux de la terre, & dans tous les tems, ceux qui ont fait & qui font honneur aux nations. Mais ce qui nous fâche, c'est qu'un auteur ne se contente pas de nous donner pour modeles de la liberté de penser, quelques - uns des plus fameux sages du Paganisme; mais qu'il étale encore à nos yeux des écrivains inspirés, & qu'il s'imagine prouver qu'ils ont pensé librement, parce qu'ils ont rejetté la religion dominante. Les prophetes, dit - il, se sont déchaînés contre les sacrifices du peuple d'Israel; donc les prophetes ont été des patrons de la liberté de penser. Seroit - il possible que celui qui se mêle d'écrire, fût d'une infidélité ou d'une ignorance assez distinguée pour croire tout de bon que ces saints hommes eussent voulu détourner le peuple d'Israel du culte lévitique? N'est - il pas beaucoup plus raisonnablè d'interpréter leurs sentimens par leur conduite, & d'expliquer l'irrégularité de quelques expressions, ou par la véhémence du langage oriental qui ne s'asservit pas toujours à l'exactitude des idées, ou par un violent mouvement de l'indignation qu'inspiroit à des hommes saints l'abus que les peuples corrompus faisoient des préceptes d'une saine religion? N'y a - t - il aucune difference entre l'homme inspiré par son Dieu, & l'homme qui examine, discute, raisonne, réfléchit tranquillement & de sang froid?

On ne peut nier qu'il n'y ait eu & qu'il n'y ait parmi les inconvaincus des hommes du premier mé<pb-> [p. 474] rite; que leurs ouvrages ne montrent en cent endroits de l'esprit, du jugement, des connoissances; qu'ils n'aient même servi la religion, en en décriant les véritables abus; qu'ils n'aient forcé nos théologiens à devenir plus instruits & plus circonspects; & qu'il n'aient infiniment contribué à établir entre les hommes l'esprit sacré de paix & de tolérance: mais il faut aussi convenir qu'il y en a plusieurs dont on peut demander avec Swift, « qui auroit soupçonné leur existence, si la religion, ce sujet inépuisable, ne les avoit pourvus abondamment d'esprit & de syllogismes? Quel autre sujet renfermé dans les bornes de la nature & de l'art, auroit été capable de leur procurer le nom d'auteurs profonds, & de les faire lire? Si cent plumes de cette force avoient été emploiées pour la défense du Christianisme, elles auroient été d'abord livrées à un oubli éternel. Qui jamais se seroit avisé de lire leurs ouvrages, si leurs défauts n'en avoient été comme cachés & ensevelis sous une forte teinture d'irreligion ». L'impiété est d'une grande ressource pour bien des gens. Ils trouvent en elle les talens que la nature leur refuse. La singularité des sentimens qu'ils affectent, marque moins en eux un esprit supérieur, qu'un violent desir de le paroître. Leur vanité trouvera - t - elle son compte à être simples approbateurs des opinions les mieux démontrées? Se contenteront - ils de l'honneur subalterne d'en appuyer les preuves, ou de les affermir par quelques raisons nouvelles? Non; les premieres places sont prises, les secondes ne sauroient satisfaire leur ambition. Semblables à César, ils aiment mieux être les premiers dans un bourg, que les secondes personnes à Rome; ils briguent l'honneur d'être chefs de parti, en ressuscitant de vieilles erreurs, ou en cherchant des chicanes nouvelles dans une imagination que l'orgueil rend vive & féconde. Voyez l'art. Intolérance & Jesus - Christ. (G)

Libertés de l'Eglise Gallicane (Page 9:474)

Libertés de l'Eglise Gallicane, (Jurisp.) Elles consistent dans l'observation d'un grand nombre de points de l'ancien Droit commun & canonique concernant la discipline ecclésiastique que l'Eglise de France a conservée dans toute sa pureté, sans souffrir que l'on admît aucune des nouveautés qui se sont introduites à cet égard dans plusieurs autres églises.

L'auteur anonyme d'un traité des libertés de l'Eglise gallicane, dont il est parlé dans les oeuvres de Bayle, tome I. p. 320. édit. de 1737, se trompe, lorsqu'il suppose que l'on n'a commencé à parler de nos libertés que sous le regne de Charles VI.

M. de Marca en son traité des libertés de l'Eglise gallicane, soutient que les libertés furent reclamées dès l'an 461 au premier concile de Tours, & en 794, au concile de Francfort.

Mais la premiere fois que l'on ait qualifié de libertés, le droit & la possession qu'a l'Eglise de France de se maintenir dans ses anciens usages, fut du tems de saint Louis, sous la minorité duquel, au mois d'Avril 1228, on publia en son nom une ordonnance adressée à tous ses sujets dans les diocèses de Narbonne, Cahors, Rhodès, Agen, Arles & Nîmes, dont le premier article porte, que les églises du Languedoc jouiront des libertés & immunités de l'Eglise gallicane: libertatibus & immunitatibus utantur quibus utitur Ecclesia gallicana.

Les canonistes ultramontains prétendent que l'on ne pourroit autoriser nos libertés, qu'en les regardant comme des privileges & des concessions particulieres des papes, qui auroient bien voulu mettre des bornes à leur puissance, en faveur de l'Eglise gallicane: & comme on ne trouve nulle part un tel privilege accordé à cette église, ces canonistes concluent de là que nos libertés ne sont que des chimeres.

D'autres par un excès de zele pour la France, font consister nos libertés dans une indépendance entiere du saint siege, ne laissant au pape qu'un vain titre de l'Eglise, sans aucune jurisdiction.

Mais les uns & les autres s'abusent également; nos libertés, suivant les plus illustres prélats de l'Eglise de France, les docteurs les plus célebres, & les canonistes les plus habiles, ne consistant, comme on l'a déja dit, que dans l'observation de plusieurs anciens canons.

Ces libertés ont cependant quelquefois été appellées privileges & immunités, soit par humilité ou par respect pour le saint siege, ou lorsqu'on n'a pas bien pesé la force des termes; car il est certain que le terme de privilege est impropre, pour exprimer ce que l'on entend par nos libertés, les privileges étant des exceptions & des graces particulieres accordées contre le droit commun, au lieu que nos libertés ne consistent que dans l'observation rigoureuse de certains points de l'ancien droit commun & canonique.

En parlant de nos libertés, on les qualifie quelquefois de saintes, soit pour exprimer le respect que l'on a pour elles, & combien elles sont précieuses à l'Eglise de France, soit pour dire qu'il n'est pas permis de les enfraindre sans encourir les peines portées par les lois: sanctoe quasi legibus sancitoe.

L'Eglise de France n'est pas la seule qui ait ses libertés; il n'y en a guere qui n'ait retenu quelques restes de l'ancienne discipline; mais dans toute l'église latine, il n'y a point de nation qui ait conservé autant de libertés que la France, & qui les ait soutenues avec plus de fermeté.

Nous n'avons point de lois particulieres qui fixent précisément les libertés de l'Eglise gallicane.

Lorsque quelqu'un a voulu opposer que nous n'avons point de concessions de nos libertés, on a quelquefois répondu par plaisanterie, que le titre est au dos de la donation de Constantin au pape Sylvestre, pour dire que l'on seroit bien embarrassé de part & d'autre de rapporter des titres en fait de droits aussi anciens; mais nous ne manquons point de titres plus réels pour établir nos libertés, puisque les anciens usages de l'Eglise de France qui forment ses libertés, sont fondés sur l'ancien Droit canonique; & à ce propos il faut observer que sous la premiere race de nos rois, on observoit en France le code des canons de l'Eglise universelle, composé des deux premiers conciles généraux, de cinq conciles particuliers de l'Eglise grecque, & de quelques conciles tenus dans les Gaules. Ce code ayant été perdu depuis le viij. siecle, le pape Adrien donna à Charlemagne le code des canons de l'Eglise romaine, compilé par Denis le Petit en 527. Ce compilateur avoit ajoûté au code de l'Eglise universelle 50 canons des apôtres, 27 du concile de Chalcédoine, ceux des conciles de Sardique & de Carthage, & les décrétales des papes, depuis Sirice jusqu'à Anastase.

Tel étoit l'ancien Droit canonique observé en France avec quelques capitulaires de Charlemagne. On regardoit comme une entreprise sur nos libertés tout ce qui y étoit contraire; & l'on y a encore recours lorsque la cour de Rome veut attenter sur les usages de l'Eglise de France, conformes à cet ancien droit.

Les papes ont eux - mêmes reconnu en diverses occasions la justice qu'il y a de conserver à chaque église ses libertés, & singulierement celle de l'Eglise gallicane: cap. licet extra de frigidis & cap. in genesi extra de electione.

Nos rois ont de leur part publié plusieurs ordonnances, édits & déclarations, pour maintenir ces

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