ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"410"> clat; que la Poésie étaloit tous ses charmes; que l'Histoire se faisoit lire avec avidité dans ses sources, & dans des traductions élégantes; que l'antiquité sembloit nous dévoiler ses trésors; qu'un examen judicieux portoit par - tout le flambeau de la critique: la Philosophie réformoit les idées, la Physique s'ouvroit de nouvelles routes pleines de lumieres, les Mathématiques s'élevoient à la perfection; enfin les lettres & les sciences s'enrichissoient mutuellement par l'intimité de leur commerce.

Ces exemples des siecles brillans prouvent que les sciences ne sauroient subsister dans un pays que les lettres n'y soient cultivées. Sans elles une nation seroit hors d'état de goûter les sciences, & de travailler à les acquérir. Aucun particulier ne peut profiter des lumieres des autres, & s'entretenir avec les Ecrivains de tous les pays & de tous les tems, s'il n'est savant dans les lettres par lui - même, ou du moins, si des gens de lettres ne lui servent d'interprete. Faute d'un tel secours, le voile qui cache les sciences, devient impénétrable.

Disons encore que les principes des sciences seroient trop rebutans, si les lettres ne leur prétoient des charmes. Elles embellissent tous les sujets qu'elles touchent: les vérités dans leurs mains deviennent plus sensibles par les tours ingénieux, par les images riantes, & par les fictions même sous lesquelles elles les offrent à l'esprit. Elles répandent des fleurs sur les matieres les plus abstraites, & savent les rendre intéressantes. Personne n'ignore avec quels succès les sages de la Grece & de Rome employerent les ornemens de l'éloquence dans leurs écrits philosophiques.

Les scholastiques, au lieu de marcher sur les traces de ces grands maîtres, n'ont conduit personne à la science de la sagesse, ou à la connoissance de la nature. Leurs ouvrages sont un jargon également inintelligible, & méprisé de tout le monde.

Mais si les lettres servent de clé aux sciences, les sciences de leur côté concourent à la perfection des lettres. Elles ne feroient que bégayer dans une nation où les connoissances sublimes n'auroient aucun accès. Pour les rendre florissantes, il faut que l'esprit philosophique, & par conséquent les sciences qui le produisent, se rencontre dans l'homme de lettres, ou du moins dans le corps de la nation. Voyez Gens de Lettres.

La Grammaire, l'Eloquence, la Poésie, l'Histoire, la Critique, en un mot, toutes les parties de la Littérature seroient extrèmement défectueuses, si les sciences ne les reformoient & ne les perfectionnoient: elles sont sur - tout nécessaires aux ouvrages didactiques en matiere de rhétorique, de poétique & d'histoire. Pour y réussir, il faut être philosophe autant qu'Homme de lettres. Aussi, dans l'ancienne Grece, l'érudition polie & le profond savoir faisoient le partage des génies du premier ordre. Empédocle, Epicharme, Parménide, Archelaüs sont célebres parmi les Poëtes, comme parmi les Philosophes. Socrate cultivoit également la philosophie, l'éloquence & la poésie. Xénophon son disciple sut allier dans sa personne l'orateur, l'historien & le savant, avec l'homme d'état, l'homme de guerre & l'homme du monde. Au seul nom de Platon, toute l'élévation des sciences & toute l'aménité des lettres se présente à l'esprit. Aristote, ce génie universel, porta la lumiere & dans tous les genres de littérature, & dans toutes les parties des sciences. Pline, Lucien, & les autres écrivains font l'éloge d'Eratosthene, & en parlent comme d'un homme qui avoit réuni avec le plus de gloire, les lettres & les sciences.

Lucrece, parmi les Romains, employa les muses latines à chanter les matieres philosophiques. Var<cb-> ron, le plus savant de son pays, partageoit son loisir entre la Philosophie, l'Histoire, l'étude des antiquités, les recherches de la Grammaire & les délassemens de la Poésie. Brutus étoit philosophe, orateur, & possédoit à fond la jurisprudence. Cicéron, qui porta jusqu'au prodige l'union de l'Eloquence & de la Philosophie, déclaroit lui - même que s'il avoit un rang parmi les orateurs de son siecle, il en étoit plus redevable aux promenades de l'académie, qu'aux écoles des rhéteurs. Tant il est vrai, que la multitude des talens est nécessaire pour la perfection de chaque talent particulier, & que les lettres & les sciences ne peuvent souffrir de divorce.

Enfin si l'homme attaché aux sciences & l'homme de lettres ont des liaisons intimes par des intérêts communs & des besoins mutuels, ils se conviennent encore par la ressemblance de leurs occupations, par la supériorité des lumieres, par la noblesse des vûes, & par leur genre de vie, honnête, tranquille & retiré.

J'ose donc dire sans préjugé en faveur des lettres & des sciences, que ce sont elles qui font fleurir une nation, & qui répandent dans le coeur des hommes les regles de la droite raison, & les semences de douceur, de vertu & d'humanité si nécessaires au bonheur de la société.

Je conclus avec Raoul de Presles, dans son vieux langage du xiv. siecle, que « Ociosité, sans lettres & sans science, est sépulture d'homme vif ». Cependant le goût des lettres, je suis bien éloigné de dire la passion des lettres, tombe tous les jours davantage dans ce pays, & c'est un malheur dont nous tâcherons de dévoiler les causes au mot Littérature.

Lettre, Epitre, Missive (Page 9:410)

Lettre, Epitre, Missive, (Littérat.) les lettres des Grecs & des Romains avoient, comme les nôtres, leurs formules: voici celles que les Grecs mettoient au commencement de leurs missives.

Philippe, roi de Macédoine, à tout magistrat, salut, & pour indiquer le terme grec, XAIREIN. Les mots XAI\REIN, E)UPRA/TEIN, U(GIAI/NEIN, dont ils se servoient, & qui signifioient joie, prospérité, santé, étoient des especes de formules affectées au style épistolaire, & particulierement à la décoration du frontispice de chaque lettre.

Ces sortes de formules ne signifioient pas plus en elles - mêmes, que signifient celles de nos lettres modernes; c'étoient de vains complimens d'étiquettes. Lorsqu'on écrivoit à quelqu'un, on lui souhaitoit au moins en apparence la santé par U(GIAI/NEIN, la prospérité par E)UPRA/TEIN, la joie & la satisfaction par XAI/REIN.

Comme on mettoit à la tête des lettres, XAI/REIN, E)UPRA\TEIN, U(GIAI/NEIN, on mettoit à la fin, ER)R(WSO, E)UTU/XE; & quand on adressoit sa lettre à plusieurs, E)R)R(AQE, E)UTU/XEITE, portez - vous bien, soyez heureux, ce qui équivaloit (mais plus sensément) à notre formule, votre très - humble serviteur.

S'il s'agissoit de donner des exemples de leurs lettres, je vous citerois d'abord celle de Philippe à Aristote, au sujet de la naissance d'Alexandre.

« Vous savez que j'ai un fils; je rends graces aux dieux, non pas tant de me l'avoir donné, que de me l'avoir donné du vivant d'Aristote. J'ai lieu de me promettre que vous formerez en lui un successeur digne de nous, & un roi digne de la Macédoine ». Aristote ne remplit pas mal les espérances de Philippe. Voici la lettre que son éleve devenu maître du monde, lui écrivit sur les débris du trône de Cyrus.

« J'apprends que tu publies tes écrits acromatiques. Quelle supériorité me reste - t - il maintenant sur les autres hommes? Les hautes sciences que tu m'a enseignées, vont devenir communes; & tu [p. 411] n'ignores pas cependant que j'aime encore mieux surpasser les hommes par la science des choses sublimes, que par la puissance. Adieu ».

Les Romains ne firent qu'imiter les formules des Grecs dans leurs lettres; elles finissoient de même par le mot vale, portez - vous bien; elles commençoient semblablement par le nom de celui qui les écrivoit, & par celui de la personne à qui elles étoient adressées. On observoit seulement lorsqu'on écrivoit à une personne d'un rang supérieur, comme à un consul ou à un empereur, de mettre d'abord le nom du consul ou de l'empereur.

Quand un consul ou empereur écrivoit, il mettoit toujours son nom avant celui de la personne à qui il écrivoit. Les lettres des empereurs, pour les affaires d'importance, étoient cachetées d'un double cachet.

Les successeurs d'Auguste ne se contenterent pas de souffrir qu'on leur donnât le titre de seigneurs, dans les lettres qu'on leur adressoit, mais ils agréerent qu'on joignit à leur nom les épithetes magnifiques de très - grand, très - auguste, très - débonnaire, invincible & sacré. Dans le corps de la lettre, on employoit les termes de votre clémence, votre piété, & autres semblables. Par cette nouvelle introduction de formules inouies jusqu'alors, il arriva que le ton noble épistolaire des Romains sous la république ne connut plus sous les empereurs d'autre style, que celui de la bassesse & de la flatterie.

Lettres des Sciences (Page 9:411)

Lettres des Sciences, (Littérat.) l'usage d'écrire des lettres, des épîtres, des billets, des missives, des dépêches, est aussi ancien que l'écriture; car on ne peut pas douter que dès que les hommes eurent trouvé cet art, ils n'en ayent profité pour communiquer leurs pensées à des personnes éloignées. Nous voyons dans l'Iliade, liv. VI. v. 69, Bellerophon porter une lettre de Proëtus à Jobatès. Il seroit ridicule de répondre que c'étoit un codicile, c'est - à - dire de simples feuilles de bois couvertes de cire, & écrites avec une plume de métal; car quand on écrivoit des codiciles, on écrivoit sans doute des lettres, & même ce codicile en seroit une essentiellement, si la définition que donne Cicéron d'une épître est juste, quand il dit que son usage est de marquer à la personne à qui elle est adressée, des choses qu'il ignore.

Nous n'avons de vraiment bonnes lettres que celles de ce même Cicéron & d'autres grands hommes de son tems, qu'on a recueillies avec les siennes & les lettres de Pline; comme les premieres sur - tout sont admirables & même uniques, j'espere qu'on me permettra de m'y arrêter quelques momens.

Il n'est point d'écrits qui fassent tant de plaisir que les lettres des grands hommes; elles touchent le coeur du lecteur, en déployant celui de l'écrivain. Les lettres des beaux génies, des savans profonds, des hommes d'état sont toutes estimées dans leur genre différent; mais il n'y eut jamais de collection dans tous les genres égale à celle de Cicéron, soit qu'on considere la pureté du style, l'importance des matieres, ou l'éminence des personnes qui y sont intéressées.

Nous avons près de mille lettres de Cicéron qui subsistent encore, & qu'il fit après l'âge de quarante ans; cependant ce grand nombre ne fait qu'une petite partie, non seulement de celles qu'il écrivit, mais même de celles qui furent publiées après sa mort par son secrétaire Tyro. Il y en a plusieurs volumes qui se sont perdus; nous n'avons plus le premier volume des lettres de ce grand homme à Lucinius Calvus; le premier volume de celles qu'il adressa à Q. Axius; le second volume de ses lettres à son fils; un autre second volume de ses lettres à Cornelius Nepos; le troisieme livre de celles qu'il écrivit à Jules - César, à Octave, à Pansa; un huitieme volume de semblables lettres à Brutus; & un neuvieme à A. Hirtius.

Mais ce qui rend les lettres de Cicéron très - précieuses, c'est qu'il ne les destina jamais à être publiques, & qu'il n'en garda jamais de copies. Ainsi nous y trouvons l'homme au naturel, sans déguisement & sans affectation; nous voyons qu'il parle à Atticus avec la même franchise, qu'il se parloit à lui - même, & qu'il n'entre dans aucune affaire sans l'avoir auparavant consulté.

D'ailleurs, les lettres de Cicéron contiennent les matériaux les plus authentiques de l'histoire de son siecle, & dévoilent les motifs de tous les grands événemens qui s'y passerent, & dans lesquels il joua lui - même un si beau rôle.

Dans ses lettres familieres, il ne court point après l'élégance ou le choix des termes, il prend le premier qui se présente, & qui est d'usage dans la conversation; son enjouement est aisé, naturel, & coule du sujet; il se permet un joli badinage, & même quelquefois des jeux de mots: cependant dans le reproche qu'il fait à Antoine, d'avoir montré une de ses lettres, il a raison de lui dire: « Vous n'ignoriez pas qu'il y a des choses bonnes dans notre société, qui rendues publiques, ne sont que folles ou ridicules ».

Dans ses lettres de complimens, & quelques - unes sont adressées aux plus grands hommes qui vécurent jamais, son desir de plaire y est exprimé de la maniere la plus conforme à la nature & à la raison, avec toute la délicatesse du sentiment & de la diction; mais sans aucun de ces titres pompeux, de ces épithetes fastueuses que nos usages modernes donnent aux grands, & qu'ils ont marqués au coin de la politesse, tandis qu'ils ne présentent que des restes de barbarisme, fruit de la servitude & de la décadence du goût.

Dans ses lettres politiques, toutes ses maximes sont tirées de la profonde connoissance des hommes, & des affaires. Il frappe toujours au but, prévoit le danger, & annonce les événemens: Quoe nunc usu veniunt, cecinit ut vates, dit Cornelius Nepos.

Dans ses lettres de recommendation, c'est la bienfaisance, c'est le coeur, c'est la chaleur du sentiment qui parle. Voyez Lettre de recommendation.

Enfin, les lettres qui composent le recueil donné sous le nom de Cicéron, me paroissent d'un prix infini en ce point particulier, que ce sont les seuls monumens qui subsistent de Rome libre. Elles soupirent les dernieres paroles de la liberté mourante. La plus grande partie de ces lettres ont paru, si l'on peut parler ainsi, au moment que la république étoit dans la crise de sa ruine, & qu'il falloit enflammer tout l'amour qui restoit encore dans le coeur des vertueux & courageux citoyens pour la défense de leur patrie.

Les avantages de cette conjoncture sauteront aux yeux de ceux qui compareront ces lettres avec celles d'un des plus honnêtes hommes & des plus beaux génies qui se montrerent sous le regne des empereurs. On voit bien que j'entends les lettres de Pline; elles méritent certainement nos regards & nos éloges, parce qu'elles viennent d'une ame vraiment noble, épurée par tous les agrémens possibles de l'esprit, du savoir & du goût. Cependant, on apperçoit dans le charmant auteur des lettres dont nous parlons, je ne sais quelle stérilité dans les faits, & quelle réserve dans les pensées, qui décelent la crainte d'un maître. Tous les détails du disciple de Quintilien, & toutes ses réflexions, ne portent que sur la vie privée. Sa politique n'a rien de vraiment intéressant; elle ne développe point le ressort des grandes affaires, ni les motifs des conseils, ni ceux des événemens publics.

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