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Au reste, sur ce qui concerne les langues en général, on peut consulter plusieurs ouvrages composés sur cette matiere: les dissertations philologiques de H. Schaevius, De origine linguarum & quibusdam carum attributis; une dissertation de Borrichius, medecin de Copenhague, de causis diversitatis linguarum; d'autres dissertations de Thomas Hayne, de linguarum harmonid, où il traite des langues en général, & de l'affinité des différens idiomes; l'ouvrage de Théodore Bibliander, de ratione communi omnium linguarum & litterarum; celui de Gesner, intitulé Mithridates, qui a à - peu - près le même objet, & celui de former de leur mélangue une langue universelle; le trésor de l'histoire des langues de cet univers de Cl. Duret; l'harmonie étymologique des langues d'Etienne Guichart; le traité des langues, par Frain du Tremblay; les réstexious philosophiques sur l'origine des langues de M. de Maupertuis, & plusieurs autres observations repandues dans différens écrits, qui pour ne pas envisager directement cette matiere, n'en renferment pas moins des principes excellens & des vues utiles à cet égard.
Art. I. Origine de la langue primitive. Quelques-uns ont pensé que les premiers hommes, nés muets par le fait, vécurent quelque tems comme les brutes dans les cavernes & dans les forêts, isolés, sans liaison entre eux, ne prononçant que des sons vagues & confus, jusqu'à ce que réunis par la crainte des bêtes féroces, par la voix puissante du besoin, & par la nécessité de se prêter des secours mutuels, ils arriverent par degrés à articuler plus distincte, ment leurs sons, à les prendre en vertu d'une convention unanime, pour signes de leurs jdées ou des choses mêmes qui en étoient les objets, & enfin à se former une langue. C'est l'opinion de Diodore de Sicile & de Vitruve, & elle a paru probable à Richard Simon, Hist. crit. du vieux Test. I. xiv. xv. & III. xxj. qui l'a adoptée avec d'autant plus de hardiesse qu'il a cité en sa faveur S. Grégoire de Nysse, contrà Eunom. XII. Le P. Thomassin prétend néanmoins que, loin de défendre ce sentiment, le saint docteur le combat au contraire dans l'endroit même que l'on allegue; & plusieurs autres passages de ce saint pere, prouvent évidemment qu'il avoit sur cet objet des pensées bien différentes, & que M. Simon l'entendoit mal.
C'est donc s'exposer à contredire sans pudeur & sans succès le témoignage le plus authentique qui ait été rendu à la vérité par l'auteur même de toute vérité, que d'imaginer ou d'admettre des hypothèses contraires à quelques faits connus par la révélation, pour parvenir à rendre raison des faits naturels: & nonobstant les lumieres & l'autorité de quantité d'écrivains, qui ont crû bien faire en admettant la supposition de l'homme sauvage, pour expliquer l'origine & le développement successif du langage, j'ose avancer que c'est de toutes les hypothèses la moins soutenable.
M. J. J. Rousseau, dans son discours sur l'origine & les fondemens de l'inégalité parmi les hommes, I. partie, a pris pour base de ses recherches, cette supposition humiliante de l'homme né sauvage & sans autre liaison avec les individus même de son espece, que celle qu'il avoit avec les brutes, une simple co habitation dans les mêmes forêts. Quel parti a - t - il tiré de cette chimérique hypothèse, pour expliquer le fait de l'origine des langues? Il y a trouvé les difficultés les plus grandes, & il est contraint à la fin de les avouer insolubles.
Supposons cette premiere difficulté vaincue:
franchissons pour un moment l'espace unmense
qui dut se trouver entre le pur état de nature &
le besoin des langues; & cherchons, en les supposant
necessaires, comment elles purent commencer
à s'etablir. Nouvelle difficulté pire encore que
la précedente; car si les hommes ont eu besoin de
la parole pour apprendre à penser, ils ont eu besoin
encore de savoir penser pour trouver l'art de
la parole: & quand on comprendroit comment les
sons de la voix ont été pris pour interpretes conventionel,
de nos idées, il resteroit toujours à savoir
quels ont pa être les interprêtes mêmes de
cette convention pour les idées qui n'ayant point
un objet sensible, ne pouvoient s'indiquer ni par
le geste, ni par la voix; de sorte qu'a peine peuton
former des conjectures supportables sur la naissance
de cet art de communiquer ses pensées &
d'établir un commerce entre les esprits.
Le premier langage de l'homme, le langage le
plus universel, le plus onergique, & le seul dont
il cut besoin avant qu'il >lut persuader des hommes
assembles, est le cri de la nature. Comme ce
cri n'étoit arraché que par une sorte d'instinct
dans les occasions pressantes, pour implorer du
secours dans les grands dangers ou du soulagement
dans les maux violens, il n'étoit pas d'un grand
usage dans le cours ordinaire de la vie où regnent
des sentimens plus modéres. Quand les idées des
hommes commencerent à s'étendre & à se multiplier,
& qu'il s'établit entre eux une communication
plus etroite, ils chercherent des lignes plus
nombreux & un langage plus étendu: ils multiplierent
les inflexions de la voix, & y joignirent
les gestes, qui, par leur nature, sort plus expressifs,
& dont le sens depend moins d'une détermination
antérieure. Ils exprimoient donc les objets
visibles & mobiles par des gestes; & ceux qui
frappent l'ouie par des fons imitatifs: mais comme
le geste n'indique guere que les objets présens
ou faciles à décrire, & les actions visibles; qu'il
n'est pas d'un usage universel, puisque l'obscurité
ou l'interposition d'un corps le rendent inutile, &
qu'il exige l'attention plutot qu'il ne l'excite; on
s'avisa enfin de lui substituer les articulations de
la voix, qui, sans avoir le même rapport avec
certaines idées, sont plus propres à les représenter
toutes, comme signes institués; substitution
qui ne peut se saile que d'un commun consentement,
& d'une maniere assez difficile à pratiquer
pour des hommes dont les organes grossiers n'avoient
encore aucun exercice, & plus difficile encore
à concevoir en elle - même, puisque cet accord
unanime dut être motivé, & que la parole
paroît avoir été fort nécessaire pour établir l'usage
de la parole.
On doit juger que les premiers mots dont les
hommes firent usage, eurent dans leurs esprits
une signification beaucoup plus étendue que n'ont
ceux qu'on emploie dans les langues déja formées,
& qu'ignorant la division du discours en ses parties,
ils donnerent d'abord à chaque mot le sens
d'une proposition entiere. Quand ils commence<cb->
Chaque objet reçut d'abord un nom particulier,
sans égard aux genres & aux especes, que ces premiers
instituteurs n'étoient pas en état de distinguer;
& tous les individus se présenterent isolés à
leur esprit, comme ils le sont dans le tableau de
la nature. Si un chêne s'appelioit A, un autre
chêne s'appelloit B; de sorte que plus les connoissance
étoient bornées, & plus le dictionnaire devint
étendu. L'embarras de toute cette nomenclature
ne put être levé facilement; car pour ranger
les êtres sous des dénominations communes & génériques,
il en falloit connoître les propriétés &
les différences; il falloit des observations & des
définitions, c'est - à - dire, de l'Histoire naturelle &
de la Métaphysique, beaucoup plus que les hommes
de ce tems - là n'en pouvoient avoir.
D'ailleurs, les idées générales ne peuvent s'introduire
dans l'esprit qu'à l'aide des mots, & l'entendement
ne les saisit que par des propositions.
C'étoit une des raisons pourquoi les animaux ne
sauroient se former de telles idées, ni jamais acquérir
la perfectibilité qui en dépend. Quand un
singe va sans hésiter d'une noix à l'autre; penset - on qu'il ait l'idée générale de cette sorte de fruit,
& qu'il compare son archétype à ces deux indivi
dus? Non sans doute; mais la vue de l'une de ces
noix rappeile à sa mémoire les sensations qu'il a
reçues de l'autre; & ses yeux modifiés d'une certaine
manicre, annoncent à son goût la modification
qu'il va recevoir. Toute idée générale est
purement intellectuelle; pour peu que l'imagination
s'en mêle, l'idée devient aussi - tôt particuliere.
Essayez de vous tracer l'image d'un arbre en général,
vous n'en viendrez jamais à bout, malgré
vous il faudra le voir petit ou grand, rare ou touffu,
clair ou foncé; & s'il dépendoit de vous de
n'y voir que ce qui se trouve en tout arbre, cette
image ne ressembleroit plus à un arbre. Les êtres
purement abstraits se voyent de même, ou ne se
conçoivent que par le discours. La définition seule
du triangle vous en donne la véritable idée: si - tôt
que vous en figurez un dans votre esprit, c'est un
tel triangle, & non pas un autre, & vous
ne pouvez éviter d'en rendre les lignes sensibles,
ou le plan coloré. Il faut donc énoncer des
propositions; il faut donc parler pour avoir des
idées générales; car si tôt que l'imagination s'arrête,
l'esprit ne marche plus qu'à l'aide du discours.
Si donc les premiers inventeurs n'ont pu donner
des noms qu'aux idées qu'ils avoient déjà, il s'ensuit
que les premiers substantifs n'ont pu jamais
être que des noms propres.
Mais lorsque, par des moyens que je ne conçois
pas, nos nouveaux grammairiens commencerent
à étendre leurs idées, & à généraliser leurs mots,
l'ignorance des inventeurs dut assujettir cette méthode
à des bornes fort étroites; & comme ils
avoient d'abord trop multiplié les noms des individus,
faute de connoître les genres & les especes,
ils firent ensuite trop d'especes & de genres, faute
d'avoir considéré les êtres par toutes leurs differences.
Pour pousser les divisions assez loin, il eût
fallu plus d'expérience & de lumiere qu'ils n'en
pouvoient avoir, & plus de recherches & de travail
qu'ils n'y en vouloient employer. Or, si mê<pb->
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