ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"248"> surface; on peut s'en assurer par la vue & le tacì: cette croûte est quelquefois jaune & noire. Les modernes ont regardé cet état de la langue, qu'ils ont appellée chargée, comme un des principaux signes de pourriture dans les premieres voies, & comme une indication assurée de purger; ils ont cru que l'estoinac & les intestins étoient recouverts d'une croûte semblable. Cetteidée n'est pas tout - à - fait sans fondement, elle est vraie jusqu'à un certain point; mais elle est trop géneralisée, car dans presque toutes les maladies inflammatoires, dans les fievres simples, ardentes, &c. on observe toujours la langue enduite d'une croûte blanche ou jaunâtre, sans que pour cela les premieres voies soient infectées, & qu'on soit oblige de purger. Dans les indigestions, dans de petites incommodités passageres, la langue se charge; elle indique assez sûrement de concert avec les autres signes, le mauvais état de l'estomac; mais encore dans ces circonstances il n'est pas toujours nécessaire de purger, un peu de diete dissipe souvent tous ces symptomes; j'ai même souvent observe dans les maladies aiguës, la croûte de la langue diminuer & disparoître peu - à - peu pendant des excrétions critiques, autres que les selles, par l'expectoration, par excmple; j'ai vu des cas où les purgatifs donnés sous cette fausse indication, augmentolent & faisoient rembrunir cette croûte; enfin il arrive ordinairement dans les convalescences que cette croûte subsiste pendant quelques jours, ne s'effaçant qu'insensiblement; on agiroit tres - mal pour le malade, si on prétendoit l'emporter par les purgatifs.

« Si la langue est enduite d'une humeur semblable à de la salive blânche vers la ligne qui sépare la partie gauche de la droite, c'est un signe que la fievre diminue. Si cette humeur est épaisse, on peut espérer la remission le même jour, sinon le lendemain. Le troisieme jour, la croûte qu'on observe sur l'extrémité de la langue indique la même chose, mais moins sûrement ». Hippocrate, coac. pran. cap. vij. n°. 2. Le véritable sens de ce passage me paroît être celui - ci: lorsque la croûte qui enduisoit toute la langue s'est restreinte à la ligne du milieu ou à l'extrémité, c'est une marque que la maladie va cesser.

2°. La langue est couverte d'une croûte jaunâtre, bilieuse, & imprime aux alimens un goût amer dans la jaunisse, les fievres bilieuses & ardentes, dans quelques affections de poitrine; si la langue est jaune ou bilieuse, remarque Hipocrate, dans ses coaques au commencement des pleurésies, la crise se fait au septieme jour.

3°. La noirceur de la langue est un symptome assez ordinaire aux fievres putrides, & sur - tout aux malignes pestilentielles; la langue dans celles - ci noire & seche, ou brûlée adusta, est un très - mauvais signe; il n'est cependant pas toujours mortel. Quelquefois il indique une crise pour le quatorzieme jour, Hipocrare, proenot. coac. cap. vij. n°. 1. Mais, cependant, ajoûte Hipocrate dans le même article, la langue noire est très - dangereuse: & plus bas il dit, dans quelques - uns la noirceur de la langue présage une mort prochaine. n°. 5.

4°. La pâleur, la rougeur & la lividité de la langue dépendent de la lésion qui est dans son tissu même & non de quelque humeur arrêtée à sa surface; ces caracteres de la langue sont d'autant plus mauvais, qu'ils s'éloignent de l'état naturel. La pâleur est très pernicieuse, sur - tout si elle tire sur le verd, que quelques auteurs mal instruits ont traduit par jaune. 2°. Si la langue, dit toujours Hippocrate, qui à été au commencement seche, en gardant sa couleur naturelle, devient ensuite rude & livide, & qu'elle se fende, c'est un signe mortel. coac. proenot. cap. vij. Si dans une pleurésie il se forme dès le commence<cb-> ment une bulle livide sur la langue, semblable à du fer teint dans l'huile, la maladie se résout difficilement, la crise ne se fait que le quatorzieme jour, & ils crachent beaucoup de sang. Hipocrate, ibid. cap. xvj. n°. 6.

On a observé que la trop grande rougeur de la langue est quelquefois un mauvais signe dans l'angine inflammatoïre & la péripneumonie; cette malignité augmente & se confirme par d'autres signes. Hipocrate a vu cet état de la langue suivi de mort au cinquieme jour, dans une femme attaquée d'angine, (epidem. lib. III. sect. I), & au neuvieme jour dans le fils de Bilis (ibid. lib. vij. text. 19.). Cette rougeur est souvent accompagnée d'une augmentation considérable dans le volume de la langue; plusieurs malades qui avoient ce symptome sont morts; cette enflure de la langue accompagnée de sa noirceur est regardée comme un signe mortel. Tel fut le cas d'une jeune femme, dont Hippocrate donne l'histoire (epid. lib. V. text. 53.), qui mourut quatre jours apres avoir pris un remede violent pour se faire avorter.

2°. Le mouvement de la langue est vitié dans les convulsions, tremblemens, paralysie, incontinence de cette partie: tous ces symptomes survenans dans les maladies aiguës, sont d'un mauvais augure; la convulsion de la langue annonce l'aliénation d'esprit (coac. proen. cap. 11. n°. 24.). Lorsque le tremblement succede à la sechéresse de la langue, il est certainement mortel. On l'observe fréquemment dans les pleuresies qui doivent se terminer par la mort: Hippocrate semble douter s'il n'indique pas lui - même une alienation d'esprit (ibid. cap. vij. n°. 5.). Dans quelques uns ce tremblement est suivi de quelques selles liquides. Lorsqu'il se rencontre avec une rougeur aux environs des narines sans signes (critiques) du côté du poumon, il est mauvais; il annonce pour lors des purgations abondantes & pernicieuses (n°. 3.). Les paralysies de la langue qui surviennent dans les maladies aiguës, sont suivies d'extinction de voix: voyez Voix. Enfin les mouvemens de la langue peuvent être génés lorsqu'elle est seche, rude, âpre, aspera, lorsqu'elle est ulcérée, pleine de crevasses. La sécheresse de la langue est regardée comme un très mauvais signe, sur - tout dans l'esquinancie; Hippocrate rapporte qu'une femme attaquée de cette maladie qui avoit la langue seche, mourut le septie me jour (epid. lib. III.). La soif est une suite ordinaire de cette sécheresse, & il est bon qu'on l'observe toujours; car si la langue étoit seche sans qu'il y eût soif, ce seroit un signe assûré d'un délire présent ou très - prochain; la rudesse, l'âpreté de la langue, n'est qu'un degré plus fort de sécheresse. Hippocrate surnomme phrénétiques les langues qui sont seches & rudes, faisant voir par - là que cet état de la langue est ordinaire dans la phrénésic (prorrhet. lib. I. sect. 1. n°. 3.). Il faut prendre garde de ne pas confondre la sécheresse occasionnée par bienfait immédiat de l'air, dans ceux qui dorment la bouche ouverte, avec celle qui est vraiment morbifique; & d'ailleurs pour en déduire un prognostic fâcheux, il faut que les autres signes conspirent, car sans cela les malades avec une langue seche & ridée, échappent des maladies les plus dangereuses, comme il est arrivé à la fille de Larissa (epid. lib. I. sect. 7.). La langue qui est ulcérée, remplie de crevasses, est un symptome très - fâcheux, & très - ordinaire dans les fievres malignes. Prosper Alpin assure avoir vu fréquemment des malades guérir parfaitetement malgré ce signe pernicieux. Rasis veut cependant que les malades qui ont une fievre violente, & la langue chargée de ces pustules, meurent au commencement du jour suivant. La langue ramollie sans raison & avec dégoût après une diarrhée, & avec une sueur froide, préjuge des vomissemens [p. 249] noirs, pour lors la lassitude est d'un mauvais augure, Hippocrate, coac. proenot. cap. vij. n°. 4. Si la langue examinée paroît froide au toucher, c'est un signe irrévocable de mort très - prochaine, il n'y aaucune observation du contraire. Riviere en rapporte une qui lui a été communiquée par Paquet, qui confirme ce que nous avançons. Baglivi assure avoir éprouvé quelquefois lui - même la réalité de ce prognostic.

Tels sont les signes qu'on peut tirer des différens états de la langue; nous n'avons fait pour la plûpart que les extraire fidelement des écrits immortels du divin Hippocrate: cet article n'est presque qu'une exposition abrégée & historique de ce qu'il nous apprend là - dessus. Nous nous sommes bien gardés d'y mêler aucune explication théorique, toujours au moins incertaine; on peut, si l'on est curieux d'un peu plus de détail, consulter un traité particulier fait ex prosesso sur cette matiere par un nommé Prothus Casulanus, dans lequel on trouvera quelques bonnes choses, mêlées & enfouies sous un tas d'inutilités & de verbiages. Art. de M. Ménuret.

LANGUE (Page 9:249)

LANGUE, (Gramm.) après avoir censuré la définition du mot langue, donnée par Furetiere, Frain du Tremblay, (Traité des langues, ch. ij.) dit que « ce qu'on appelle langue, est une suite ou un amas de certains sons articulés propres à s'unir ensemble, dont se sert un peuple pour signifier les choses, & pour se communiquer ses pensées; mais qui sont indifférens par eux - mêmes à signifier une chose ou une pensée plutôt qu'une autre ». Malgré la longue explication qu'il donne ensuite des diverses parties qui entrent dans cette définition, plutôt que de la définition même & de l'ensemble, on peut dire que cet écrivain n'a pas mieux réussi que Furetiere à nous donner une notion précise & complette de ce que c'est qu'une langue. Sa definition n'a ni briéveté, ni clarté. ni vérité.

Elle peche contre la briéveté, en ce qu'elle s'attache à developper dans un trop grand detail l'essence des sons articulés, qui ne doit pas être envisagée si explicitement dans une définition dont les sons ne peuvent pas être l'objet immédiat.

Elle peche contre la clarté, en ce qu'elle laisse dans l'esprit sur la nature de ce qu'on appelle langue, une incertitude que l'auteur même a sentie, & qu'il a voulu dissiper par un chapitre entier d'explication.

Elle peche enfin contre la vérité, en ce qu'elle présente l'idée d'un vocabulaire plutôt que d'une langue. Un vocabulaire est véritablement la suite ou l'amas des mots dont se sert un peuple, pour signifier les choses & pour se communiquer ses pensées. Mais ne faut - il que des mots pour constituer une langue; & pour la savoir, suffit - il d'en avoir appris le vocabulaire? Ne faut - il pas connoître le sens principal & les sens accessoires qui constituent le sens propre que l'usage a attaché à chaque mot; les divers sens figurés dont il les a rendus susceptibles; la maniere dont il veut qu'ils soient modifiés, combinés & assortis pour concourir à l'expression des pensées; jusqu'à quel point il en assujettit la construction à l'ordre analytique; comment, en quelles occurrences, & à quelle fin il les a affranchis de la servitude de cette construction? Tout est usage dans les langues; le matériel & la signification des mots, l'analogie & l'anomalie des terminaisons, la servitude ou la liberté des constructions, le purisme ou le barbarisme des ensembles. C'est une vérité sentie par tous ceux qui ont parlé de l'usage; mais une vérité mal présentée, quand on a dit que l'usage étoit le tyran des langues. L'idée de tyrannie emporte chez nous celle d'une usurpation injuste & d'un gouvernement déraisonnable; & cependant rien de plus jusle que l'empire de l'usage sur quelque idiome que ce soit, puisque lui seul peut donner à la communication des pensées, qui est l'objet de la parole, l'universalité nécessaire; rien de plus raisonnable que d'obéir à ses décisions, puisque sans cela on ne seroit pas entendu, ce qui est le plus contraire à la destination de la parole.

L'usage n'est donc pas le tyran des langues, il en est le législateur naturel, nécessaire, & exclusif; ses décisions en font l'essence: & je dirois d'après cela, qu'une langue est la totalité des usages propres à une nation pour exprimer les pensées par la voix.

Si une langue est parlée par une nation composée de plusieurs peuples égaux & indépendans les uns des autres, tels qu'étoient anciennement les Grecs, & tels que sont aujourd'hui les Italiens & les Allemans; avec l'usage général des mêmes mots & de la même syntaxe, chaque peuple peut avoir des usages propres sur la prononciation ou sur les terminaisons des mêmes mots: ces usages subalternes, également légitimes, constituent les dialectes de la langue nationale. Si, comme les Romains autrefois, & comme les François aujourd'hui, la nation est une par rapport au gouvernement; il ne peut y avoir dans sa maniere de parler qu'un usage légitime: tout autre qui s'en écarte dans la prononciation, dans les terminaisons, dans la syntaxe, ou en quelque façon que ce puisse étre, ne fait ni une langue à part, ni une dialecte de la langue nationale; c'est un patois abandonné à la populace des provinces, & chaque province a le sien.

Si dans la totalité des usages de la voix propres à une nation, on ne considere que l'expression & la communication des pensées, d'après les vues de l'esprit les plus universelles & les plus communes à tous les hommes; le nom de langue exprime parfaitement cette idée générale. Mais si l'on prétend encore envisager les vues particulieres à cette nation, & les tours singuliers qu'elles occasionnent nécessairement dans son élocution; le terme d'idiome est alors celui qui convient le mieux à l'expression de cette idée moins générale & plus restrainte.

La différence que l'on vient d'assigner entre langue & idiome, est encore bien plus considérable entre langue & langage, quoique ces deux mots paroissent beaucoup plus rapprochés par l'unité de leur origine. C'est le matériel des mots & leur ensemble qui détermine une langue; elle n'a rapport qu'aux idées, aux conceptions, à l'intelligence de ceux qui la parlent. Le langage paroît avoir plus de rapport au caractere de celui qui parle, à ses vues, à ses intérêts; c'est l'objet du discours qui détermine le langage; chacun a le sien selon ses passions, dit M. l'abbé de Condillac, Orig. des conn. hum. II. Part. 1. sect. ch. xv. Ainsi la même nation, avec la même langue, peut, dans des tems différens, tenir des langages différens, si elle a changé de moeurs, de vues, d'intérêts; deux nations au contraire, avec différentes langues, peuvent tenir le même langage, si elles ont les mêmes vues, les mêmes intérêts, les mêmes moeurs: c'est que les moeurs nationales tiennent aux passions nationales, & que les unes demeurent stables ou changent comme les autres. C'est la même chose des hommes que des nations: on dit le langage des yeux, du geste, parce que les yeux & le geste sont destinés par la nature à suivre les mouvemens que les passions leur impriment, & conséquemment à les exprimer avec d'autant plus d'énergie, que la correspondance est plus grande entre le signe & la chose signifiée qui le produit.

Après avoir ainsi déterminé le véritable sens du mot langue, par la définition la plus exacte qu'il a été possible d'en donner, & par l'exposition précise des différences qui le distinguent des mots qui lui sont

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