ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"206"> au sortir du pis, bouilli, &c. est souvent si essentielle que tel estomac exige constamment l'un de ces états, à l'exclusion de tous les autres; mais elle est entierement dépendante d'une disposition inconnue, & aussi bisarre que tout ce qui regarde le goût. Le lait coupé avec l'eau ou les décoctions farineuses, passe beaucoup plus aisément, & ce mélange ne remplit que l'indication simple qui fait employer le lait; les sucs, décoctions, infusions vulnéraires, sudorifiques, &c. mêlés avec le lait, remplissent des indications composées. On ordonne par exemple, le lait coupé avec le suc ou la décoction de plantain, dans les pertes de sang, pour adoucir par le lait, & resserrer par le plantain, &c. Les mélanges peu communs de bouillon, & de liqueurs vineuses avec le lait sont plus nourrissans & plus fortifians que le lait pur. Le dernier est même une espece de stomachique cordial chez certains sujets singuliers, indéfinis, indéfinissables, qu'on ne découvre que par instinct ou par tatonnement. Le lait assaisonné de sucre, de sel, de poudre absorbante, &c. est utilement préservé par ces additions, des différentes altérations auxquelles il est sujet. Il est sur - tout utile de le ferrer, pour préve<-> ir ou pour arrêter le devoyement. Les farineux mêlés au lait l'empêchent aussi de jouir de tous ses droits, d'être autant sui juris; il est au contraire entraîné dans la digestion propre à ces substances, beaucoup plus appropriées que le lait à nos organes digestifs, & même éminemment digestibles pour ainsi dire; mais aussi l'effet médicamenteux du lait est moindre dans la même proportion. Enfin le lait écremé passe plus communément que le lait entier; il est moins sujet à fatiguer l'estomac.

Choix du lait. On doit prendre le lait d'un jeune animal, bien soigné, nourri habituellement à la campagne, & dans de bons paturages autant qu'il est possible, ou du moins dans une étable bien aérée, & pourvûe de bonne litiere fraîche, abondante, & souvent renouvellée. Les vaches qu'on entretient dans les fauxbourgs de Paris pour fournir du lait à la ville, ne jouissent certainement d'aucun de ces avantages, & sur - tout de celui d'une étable bien saine, & d'une litiere fraîche, choses très - essentielles pourtant à la santé de l'animal, & par coníéquent à la bonne qualité du lait. Le lait est meilleur quelques semaines après que la bête qui le fournit a mis bas, & tant qu'elle en donne abondamment, que dans les premiers jours, & lorsqu'il commence à être moins abondant. On doit rejetter celui d'une bête pleine, ou qui est en chaleur: on doit choisir le lait aussi frais & aussi pur qu'il est possible. On en vend assez communément à Paris qui est fourré d'eau & de farine, & qui d'ailleurs est fort peu récent. Il importe beaucoup encore de le loger dans des vaisseaux propres, & qui ne puissent lui communiquer aucune qualité nuisible. Il s'en faut bien que les cruches de cuivre dans lesquelles on le porte ordinairement à Paris, soient des vaisseaux convenables à cet usage. Un reste de lait oublié dans ces cruches, est, par sa pente à aigrir, beaucoup plus propre que la plupart des liqueurs qu'on loge dans le cuivre, à y former du verd - de - gris, qui communique très aisément sa qualité malfaisante au lait qu'on y met ensuite. Les exemples de familles entieres empoisonnées par de pareil lait, ne sont pas rares à Paris. On prétend enfin qu'il est utile pendant l'usage suivi & continu du lait, de prendre constamment celui d'une même vache ou d'une même chevre. En effet, il se trouve des estomacs dont la sensibilité est si exquise, qu'ils distinguent très - bien les laits tirés de diverses individus, & qui n'en peuvent supporter l'alternative ou le mélange. C'est encore ici une disposition d'organes particuliere aux victimes du luxe. Les estomacs vulgaires n'y regardent pas de si près; il est très - avantageux pour les premiers, & c'est aussi un usage re<cb-> çu chez les grands, de prendre une vache ou une chevre à soi.

Usage extérieur du lait. On emploie assez communément le lait comme émollient, calmant, adoucissant dans plusieurs affections externes, principalement quand elles sont accompagnées de douleurs vives. On en verse quelques gouttes dans les yeux contre l'ophtalmie; on bassine les hémorrhoïdes très douloureuses avec du lait chaud; on le donne en lavement dans les dyssenteries; on le fait entrer dans les bouillies, les cataplasmes, &c. qu'on applique sur des tumeurs inflammatoires, &c. Cet emploi ne mérite aucune considération particuliere; on peut avancer qu'en général il réussit assez bien dans ces cas.

2°. Du lait d'ânesse, c'est a dire, des usages medicinaux du lait d'ânesse. Ce que nous avons dit de la composition naturelle du lait d'ânesse, annonce déja ses propriétés medicinales. On peut en déduire, avec beaucoup de vraissemblance, que ce lait possode en un degré supérieur toutes les vertus du lait, sans faire appréhender ses principaux inconvéniens. En effet, c'est par le principe caséeux & par le principe butyreux que le lait est principalement capable de produire tous les accidens qu'on lui reproche. C'est par la facilité avec laquelle ces principes se séparent & s'alterent diversement dans le lait de vache, par exemple, que ce lait est sujet à produire les mauvais effets que nous avons détaillés plus haut. Or le lait d'ânesse contient fort peu de ces principes. Une expérience ancienne & constante vient à l'appui de ce raisonnement. Hippocrate a compté parmi les bonnes qualités du lait d'ânesse, celle de passer plus facilement par les selles que les autres especes de lait, de lâcher doucement le ventre. Sur quoi il faut observer que cet effet appartient au lait d'ânesse inaltéré; au lieu que le lait de vache, par exemple, ne devient laxatif que lorsqu'il a essuyé une vraie corruption. Aussi un leger dévoiement, ou du - moins une ou deux selles liquides, quelques heures après l'usage du lait d'ânesse, sont ordinairement un bien, un signe que le remede réussit, & ces selles sont sans douleur & sans ventosités: au lieu que le dévoiement, même égal pour l'abondance & la fréquence des selles, est presque toujours de mauvais augure pendant l'usage du lait de vache ou de chevre, & les déjections sont ordinairement flatueuses & accompagnées de quelques tranchées. Au reste, il faut observer qu'il ne s'agit point ici du dévoiement qu'on peut appeller in extremis, c'est - à dire, de celui par lequel finissent communément les malades qui succombent à plusieurs des maladies pour lesquelles on donne du lait. Il est à peu - prés démontré, comme nous l'avons remarqué plus haut, que cet accident appartient à la marche de la maladie, & non pas au lait, ou à tel lait.

La quantité très - considérable de substance sucrée que contient le lait d'ânesse le rend aussi très - nourrissant. Cette substance est dans le lait la matiere nutritive par excellence; la substance caséeuse ne mérite que le second rang, & le beurre n'est point nourrissant, du - moins le beurre pur. C'est par conséquent un préjugé, une erreur, que d'imaginer, comme on le fait assez généralement, que le lait le plus épais est le plus nourrissant, car c'est le plus butyreux qui est le plus épais; & un lait très - clair, comme celui d'ânesse, peut être éminemment sucré, comme il l'est en effet. C'est manifestement cette opinion qui a empêché d'essayer l'usage du lait d'ânesse pour toute nourriture, ou du - moins cet usage de prendre, si tant est que quelqu'un l'ait essayé. Or je crois que cette pratique pourroit devenir très - salutaire.

Selon la méthode ordinaire, le lait d'ânesse se donne seulement une fois par jour, à la dose de huit onces jusqu'à une livre. On le prend ou le matin à [p. 207] jeun, ou le soir en se couchant, & quant au degré de chaleur, tel qu'on vient de le traire. Pour cela, on amene l'ânesse à côté du lit, ou à la porte de la chambre du malade, où on la trait dans un vaisseau de verre à ouverture un peu étroite, plongé dans de l'eau tiede, & qu'on tient dans cette espece de bain - marie jusqu'à ce qu'on le présente au malade. On y ajoute quelquefois un morceau de sucre, mais cet assaisonnement est assez inutile, le lait d'ânesse étant naturellement très - doux.

On donne le lait d'ânesse contre toutes les maladies dans lesquelles on emploie aussi le lait de vache, &c. & que nous avons énoncées, en parlant de cette autre espece de lait. Mais on préfere le lait d'ânesse dans les cas particuliers où l'on craint les accidens propres du lait que nous avons aussi rapportés; & principalement lorsque les sujets étant très - foibles, ces accidens deviendroient nécessairement funestes, c'est - à - dire, que le lait d'ânesse est dans la plûpart de ces maladies, & sur - tout dans les maladies chroniques de la poitrine, un remede extrème, une derniere ressource, sacra anchora; que par cette raison, on voit très - rarement réussir, du moins guérir. Mais quand il est employé de bonne heure, ou contre ces maladies lorsqu'elles sont encore à un degré curable, il fait assez communément des merveilles. Il est admirable, par exemple, dans les toux séches vraiment pectorales, dans les menaces de jaunisse, ou les jaunisses commençantes, dans presque toutes les affections des voies urinaires, dans les sensibilités d'entrailles, les dispositions aux ophtalmies appellées bilieuses ou séches, les fleurs blanches.

On prend le lait d'ânesse principalement au printems & en automne. On a coutume, & on fait bien, de mettre en pâture l'ânesse qui fournit le lait, ou de la nourrir, autant qu'il est possible, de fourrage vert, sur - tout d'herbe presque mûre de froment ou d'orge; on lui donne aussi du grain, sur - tout de l'orge. On doit encore la bien étriller plusieurs fois par jour, lui fournir de la bonne litiere, &c.

3°. Du lait de semme, ou des usages medicinaux du lait de semme. Le lait de femme peut être considéré medicinalcment sous deux aspects; ou comme fournissant la nourriture ordinaire, propre, naturelle des enfans; ou comme un aliment médieamenteux ordonné aux adultes dans certains cas. Nous ne le considérerons ici que sous le dernier aspect. Quant au premier, voyez Enfant & Nourrice.

Le lait de femme, considéré comme remede, a été célébré, dès l'enfance de l'art, comme le premier de tous les laits, principalement dans les marasmes, in tabidis, celui qui étoit le plus salutaire, le plus approprié à la nature de l'homme. Les livres, les théories, tirent un merveilleux parti de cette considération. Quoique les raisonnemens ne se soient pas dissimulés cette observation défavorable, savoir que ce lait provenant d'un animal carnivore, est plus sujet à rancir que celui des animaux qui se nourrissent uniquement de végétaux. Mais la pratique, l'expérience, le mettent au dernier rang au contraire; ne fût - ce que parce qu'il est le moins usité, & que le plus grand nombre de Medecins ne l'ont point essayé. D'ailleurs le raisonnement a dit encore que pour l'appliquer convenablement & avec espoir de succès, il falloit ne le donner qu'à des sujets qui approchassent beaucoup de la nature des enfans, & qui vecussent comme les enfans, non seulement quant à l'exercice, aux mouvemens du corps, mais encore quant aux passions, aux affections de l'ame. Or il est très - rare derencontrer ces conditions chez des adultes.

Quant à la circonstance de faire teter le malade, & de lui faire ainsi avaler un lait animé d'un prétendu esprit vivifiant, que Galien lui - même a célébré; outre que le malade pourroit aussi - bien teter une vache ou une ânesse qu'une femme; d'ailleurs l'esprit du lait, & sa dissipation par la moindre communication avec l'air, ne sont certainement pas des choses démontrées. Au reste, c'est cependant là un remede & une maniere de l'administrer qu'il paroît fort utile de tenter.

Nous ne pensons certainement pas aussi avantageusement de la méthode de faire coucher de jeunes hommes absolument exténués, réduits au dernier degré d'étisie, tabe consumptis, avec des jeunes nourrices, jolies, fraiches, proprettes, afin que le pauvre moribond puisse teter à son aise, tant que la nourrice y peut fournir. Forestius étale envain l'observation fameuse d'un jeune homme arraché des bras de la mort par ce singulier remede; & plus vainement encore, à mon avis, un très - célebre auteur moderne prétend - il qu'une émanation très - subtile qui s'échappe du corps jeune & vigoureux de la nourrice, venant à s'insinuer dans le corps très - foible du malade (subtilissima exhalentia è valido juvenili corpore insinuata debilissimis, &c.) doit le ranimer très - efficacement. L'exemple de David, dont on réchauffoit la vieillesse par ce moyen, que cet écrivain allegue, ne conclut rien en faveur de son opinion: car, 1°. il n'est pas rapporté que cette pratique ait été suivie de quelque succès. 2°. Quand bien même ce seroit là une bonne recette contre les glaces de l'extrème vicillesse, il paroît que la maniere d'opérer de ce secours seroit fort mal estimée par l'insinuation des tenuissima exhalantia è validè juvenili corpore, in effoetum senile, &c. Il nous paroît donc évident sur tout ceci, d'abord que les tenuissima exhalantia, c'est - à - dire la transpiration, ne fait absolument rien ici. En second lieu, que si des jeunes gens réduits au dernier degré de marasme, pouvoient en être retirés en couchant habituellement avec des jeunes & belles nourrices, cette révolution salutaire seroit vraissemblablement dûe (si l'usage du lait de femme ne l'opéroit pas toute entiere) à l'appétit vénérien constamment excité, & jamais éteint par la jouissance, qui agiroit comme un puissant cordial, ou comme un irritant extérieur, les vésicatoires ou la flagellatior Enfin, que quand même la religion permettroit d'avoir recours à un pareil moyen, ce seroit toujours une ressource trèséquivoque, parce que l'espece de fièvre; d'ardeur, de convulsion continuelle dans laquelle je suppose mon malade, état dont il est en effet très - susceptible, & même éminemment susceptible, selon une observation très - connue; que cet état, dis - je, paroît plus capable de hâter la mort que de la prévenir, encore qu'on fût sûr que le malade ne consommeroit point l'acte vénérien, à plus forte raison s'il le consommoit; car il est très connu que cette erreur de régime est mortelle aux étiques, & que plusieurs sont morts dans l'acte même.

Du petit - lait. Nous avons déja donné une idée de la nature du petit - lait au commencement de cet article. Nous avons observé aussi que le petit - lait étoit différent, selon qu'on le séparoit par l'altération spontanée du lait, ou bien par la coagulation. Celui qui est séparé par le premier moyen est connu dans les campagnes, comme nous l'avons déja rapporté aussi sous le nom de lait de beurre. Il est aigrelet; car c'est dans son sein que réside l'unique substance qui s'est aigrie pendant la décomposition spontanée du lait: il est fort peu usité en Medecine; on pourroit cependant l'employer avec succès, comme on l'employe en effet dans les pays où les laitages sont tres - abondans, dans les cas où une boisson aqueuse & légerement acide est indiquée. Le nom de petit - lait acidule lui convient beaucoup mieux qu'à celui que M. Cartheuser a désigné par ce nom dans sa Pharmacologie, & qui n'est autre chose que

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