ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"178"> veuses de Moline, les sories ségovianes, & les sories communes. Les laines moliennes qu'on tire de Barcelone, les fleuretonnes communes de Navarre & d'Arragon, les cabésas d'Estramadoure, les petits campos de Séville: toutes ces laines font autant de classes différentes; les ouvriers connoissent la propriété de chacune.

Les Espagnols séparent leurs laines en fines, moyennes & inférieures. Ils donnent à la plus fine le nom de prime; celle qui suit s'appelle seconde; la troisieme porte le nom de tierce. Ces noms servent à distinguer la qualité des laines de chaque canton; & pour cela l'on a soin d'ajouter à ces dénominations le nom des lieux d'où elles viennent; ainsi l'on dit prime de Ségovie, pour désigner la plus belle laine de ce canton, celle de Portugal, de Roussillon, &c. On nomme seconde ou refleuret de Ségovie, celle de la seconde qualité; on appelle tierce de Ségovie les laines de la moindre espece.

L'Angleterre, je comprends même sous ce nom l'Ecosse & l'Irlande, est après l'Espagne le pays le plus abondant en magnifiques laines.

La laine choisie d'Angleterre, est moins fine & moins douce au toucher, mais plus longue & plus luisante que la laine d'Espagne. Sa blancheur & son éclat naturel la rendent plus propre qu'aucun autre à recevoir les belles teintures.

Les deux genres de laines dont nous venons de parler, les laines d'Angleterre & d'Espagne, sont les plus précieuses que la France emplore dans ses manufactures, en les mélangeant avec celles de son cru, mais ce ne sont pas les seules dont elle ait besoin pour son commerce & sa consommation. Elle est obligée d'en tirer quantité du Levant & des pays du Nord, quelques inférieures en qualité que soient ces dernieres laines.

Celles du Levant lui arrivent par la voie de Marseille; on préfere aux autres celles qui viennent en droiture de Constantinople & de Smyrne; mais comme les Grecs & les Turcs emploient la meilleure à leurs usages, la bonne parvient difficilement jusqu'à nous. Les Turcs sachant que les François sont friands de leurs laines, fardent & déguisent autant qu'ils peuvent, ce qu'ils ont de plus commun; & le vendent aux Négocians pour de véritables laines de Constantinople & de Smyrne. Celles des environs d'Alexandrie, d'Alep, de l'île de Chypre & de la Morée sont passables; faute d'autres, on les prend pour ce qu'elles valent, & nos marchands sont souvent trompés, dans l'obligation d'en accaparer un certain nombre de balles pour faire leur charge.

Les laines du Nord les plus estimées dans nos manufactures sont celles du duché de Weymar. On en tire aussi d'assez bonnes de la Lorraine & des environs du Rhin. Enfin nos fabriques usent des laines de Hollande & de Flandres, suivant leurs qualités.

Mais il est tems de parler des laines du cru du royaume, de leurs différentes qualités, de leur emploi, & du mêlange qu'on en fait dans nos manufactures, avec des laines étrangeres.

Les meilleures laines de France sont celles du Roussillon, de Languedoc, du Berry, de Valogne, du Cotentin, & de toute la basse - Normandie. La Picardie & la Champagne n'en fournissent que d'inférieures à celles des autres provinces.

Les toisons du Roussillon, du Languedoc, & de la basse - Normandie, sont sans difficulté les plus riches & les plus précieuses qu'on recueille en France, quoiqu'elles ne soient pas les seules employées. Le Dauphiné, le Limousin, la Bourgogne & le Poitou fournissent aussi de bonnes toisons.

Le Berry & le Beauvoisis sont de tout le royaume les lieux les plus garnis de bêtes à laine; mais les toisons qui viennent de ces deux pays, different totalement en qualité. Les laines de Sologne & de Berry sont courtes & douces à manier, au lieu que celles de Beauvais ont beaucoup de rudesse & de longueur; heureusement elles s'adoucissent au lavage.

On tire encore beaucoup de laines de la Gascogne & de l'Auvergne: Bayonne en produit de deux sortes. La laine qui croit sur les moutons du pays, est plus semblable à de longs poils, qu'à de véritables toisons. La race des brebis flandrines qu'on y a établie depuis près d'un siecle, y a passablement réussi. Elles fournissent des toisons qui surpassent en bonté celles qui nous viennent du Poitou & des marais de Charante.

Toutes ces laines trouvent leur usage dans nos manufactures, à raison de leur qualité. La laine de Roussillon entre dans la fabrique de nos plus beaux draps, sous le nom de Ségovie. Celles du Languedoc, décorées du même titre par les facteurs des Fabriquans, servent au même usage. La laine du Berry entre dans la fabrique des draps de Valogne & de Vire; & c'est aussi avec ces laines que l'on fait les draps qui portent le nom de Berry, de même que les droguets d'Amboise, en y mêlant un peu de laine d'Espagne. Les laines de Vaiogne & du Cotentin s'emploient en draps de Valogne & de Cherbourg, & en serges, tant finettes que razs de S. Lo. On assortit ces laines avec les belles d'Angleterre.

Les laines de Caux, apprêtées comme il convient, sont propres aux pinchinats de Champagne, que l'on fabrique avec les laines de cette province. L'on en fait des couvertures & des chaînes pour plusieurs sortes d'étoffes, & entr'autres pour les marchandises de Reims & d'Amiens. Les grosses laines de Bayonne servent aux lisieres des draps noirs, en y mêlant quelques poils d'autruche & de chameau.

L'on voit déja que toutes les qualités de laines ont leur usage, à raison du mérite de chacune. Celles que le bonnetier ou le drapier rejette comme trop fortes ou trop grossieres, le tapissier les assortit pour ses ouvrages particuliers. Dévoilons donc cet emploi de toutes sortes de laines dans nos différentes manufactures.

On peut partager en trois classes les fabriquans qui consument les laines dans leurs atteliers; ce sont des drapiers drapans, des bonnetiers, & des tapissiers.

La draperie est, comme l'on sait, l'art d'ourdir les étostes de laines. On range sous cette classe les serges, les étoffes croisées & les couvertures. Le drap est de tous les tissus le plus fécond en commodités, le plus propre à satisfaire le goût & les besoins des nations: aussi consomme - t - il les laines les plus belles & les plus précieuses.

Les ouvrages de bonneterie s'exécutent sur le métier ou au tricot. Cette derniere façon est la moins coûteuse; elle donne à l'homme une couverture très parfaite, qui forme un tout sans assemblage & sans couture.

Les Tapissiers font servir la laine à mille ouvrages divers; ils l'employent en tapisseries soit au métier. soit à l'aiguille, en matelas, en fauteuils, en moëtes, &c. On en fait du fil à coudre, des chapeaux, desjarretieres, & cent sortes de marchandises qu'il seroit trop long d'énoncer ici.

La laine d'Espagne entre dans la fabrique de nos plus beaux draps, en usant de grandes précautions pour l'assortir aux laines qui sont du cru de la France. J'ai déjà dit que la laine d'Espagne la plus recherchée, est celle qui vienten droiture de l'Escurial: on l'emploie presque sans mêlange avec succès dans la manufacture des Gobelins. La prime de Ségovie & de Villecassin, sert pour l'ordinaire à faire des draps, [p. 179] des ratines, & autres semblables étoffes façon d'Angleterre & de Hollande. La ségoviane ou refleuret sert à fabriquer des draps d'Elboeuf ou autres de pareille qualité. La tierce n'entre que dans les draps communs, comme dans ceux de Rouen ou de Darnetal. Les couvertures & les bas de Ségovie ont beaucoup de débit, parce qu'ils sont moëlleux, doux au toucher, & d'un excellent usé.

Cette laine néanmoins malgré son extrème finesse, n'est pas propre à toutes sortes d'ouvrages. Il en est qui demandent de la longueur dans la laine: par exemple, il seroit imprudent d'employer la magnifique laine d'Espagne à former les chaînes des tapisseries que l'on fabrique aux Gobelins: la perfection de l'ouvrage exige que les chaînes avec beaucoup de portée soient fortement tendues, & que leur tissu, sans être épais, soit assez ferme, assez élastique pour résister aux coups & au maniement des ouvriers qui sans cesse les tirent, les frappent & les allongent.

La laine d'Angleterre est done la seule que sa longueur rende propre à cet usage. Quel esset ne fait point sur nos yeux l'éclat de sa blancheur? Elle est la seule qui par sa propreté reçoive parfaitement les couleurs de feu & les nuances les plus vives. On assortit très - bien la laine d'Angleterre à la laine de Valogne & du Cotentin. Elle entre dans la fabrique des draps de Valogne, serges façon de Londres, &c. On on fait en bonneterie des bas de bouchons, & de très - belles couvertures: on la carde rarement; peignée & filée, elle sert à toutes sortes d'ouvrages à l'aiguille & sur le cannevas.

La plûpart des laines du levant ne vaudroient pas le transport si l'on se donnoit la peine de les voiturer jusqu'à Paris. On les emploie dans les manufactures de Languedoc & de Provence, à raison de leurs qualités. On fait usage des laines du nord avec la même reserve. Les meilleures toisons de Weymar & les laines d'été de Pologne, servent à la fabrique des petites étoffes de Reims & de Champagne.

Enun mot il n'est aucune espece de laines étrangeres ou françoises que nos ouvriers ne mettent en oeuvre, depuis le drap de Julienne, de Van - Robais, de Pagnon, de Rousseau, & le beau camelct de Lille en Flandres, jusqu'aux draps de tricot & de Poulangis, & jusqu'au gros bouracan de Rouen. Il n'est point de qualité de laines que nous n'employions & n'apprêtions avec une variété infinie, en étamine,en serge, en voile, en espagnolette, & en ouvrages de tout genre.

Mais, dira quelqu'un, cet étalage pompeux & mercanlilc que vous venez de nous faire de l'emploi de toutes sortes de laines, n'est pas une chose bien merveilleuse dans une monarchie où tout se débite, le bon, le médiocre, le mauvais & le très - mauvais. Il vaudroit bien mieux nous apprendre si l'on ne pourroit pas se passer dans notre royaume des laines étrangeres, notamment de celles d'Espagne & d'Angleterre, en perfectionnant la qualité & en augmentant la quantité de nos laines en France. Voilà des objers de discussion qui seroient dignes d'un Encyclopédiste. Eh bien, sans perdre le tems en discours superflus, je vais examiner par des faits si les causes qui procurent aux Espagnols & aux Anglois des laines supérieures en qualité, sont particulieres à leur pays, & exclusives pour tout autre.

L'Espagne eut le sort des contrées soumises aux armes romaines; de nombreuses colonies y introduisirent le goût du travail & de l'agriculture. Unriche métayer de Cadix, Marc Columelle (oncle du célebre écrivain de ce nom), qui vivoit comme lui sous l'empire de Claude, & qui faisoit ses délices des douceurs de la vie champêtre, fut frappé de la blancheur éclatante des laines qu'il vit sur des moutons sauvages que des marchands d'Afrique débarquoient pour les spectacles. Sur - le - champ il prit la résolution de tenter s'il seroit possible d'apprivoiser ces bêtes, & d'en établir la race dans les environs de Cadix. Il l'essaya avec succès; & portant plus loin ses expériences, il accoupla des béliers africains avec des brebis communes Les moutons qui en vinrent avoient, avec la délicatesse de la mere, la blancheur & la qualité de la laine du pere.

Cependant cet établissement ingénieux n'eut point de suite, parce que sans la protection des souverains, les tentatives les mieux conçues des particuliers sont presque toujours des spéculations stériles.

Plus de treize siecles s'écoulerent depuis cette époque, sans que personne se soit avisé en Espagne derenouveller l'expérience de Columelle. LesGoths, peuple barbare, usurpateurs de ce royaume, n'étoient pas faits pour y songer, encore moins les Musulmans d'Afrique qui leur succéderent. Ensuite les Chrétiens d'Espagne ne perfectionnerent pas l'Agriculture, en faisant perpétuellement la guerre aux Maures & aux Mahométans, ou en se la faisant malheureusement entr'eux.

Dom Pedre IV. qui monta sur le trône de Castille en 1350, fut le premier depuis Columelle, qui tenta d'augmenter & d'améliorer les laines de son pays. Informé du profit que les brebis de Barbarie donnoient à leurs propriétaires, il résolut d'en établir la race dans ses états. Pour cet effet, il profita des bonnes volontes d'un prince Maure, duquel il obtint la permission de transporter de Barbarie en Espagne un grand nombre de béliers & de brebis de la plus belle espece. Il voulut, par cette démarche, s'attacher l'affection des Castillans, afin qu'ils le soutinssent sur le trône contre le parti de ses freres bâtards, & contre Eleonore leur mere.

Selon les regles de l'économie la plus exacte, & selon les lois de la nature, le projet judicieux de Dom Pedre, taillé dans le grand & soutenu de sa puissance, ne pouvoit manquer de réussir. Il étoit naturel de penser qu'en transplantant d'un lieu défavorable une race de bêtes mal nourrie, dans des pâturages d'herbes fines & succulentes, où le soleil est moins ardent, les abris plus fréquens, & les eaux plus salutaires, les bêtes transplantées produiroient de nombreux troupeaux couverts de laines fines, soyeuses & abondantes. Ce prince ne se trompa point dans ses conjectures, & la Castille acquit au quatorzieme siecle un genre de richesses qui y étoit auparavant inconnu.

Le cardinal Ximenès, devenu premier ministre d'Espagne au commencement du sixieme siecle, marcha sur les traces heureuses de Dom Pedre, & à son exemple, profita de quelques avantages que les troupes de Ferdinand avoient eu sur les côtes de Barbarie, pour en exporter des brebis & des béliers de la plus belle espece. Il les établit principalement aux environs de Ségovie, où croît encore la plus précieuse laine du royaume. Venons à l'Angleterre.

Non - seulement la culture des laines y est d'une plus grande ancienneté qu'en Espagne, mais elle y a été portée, encouragée, maintenue & perfectionnée avec une toute autre attention.

Si l'Angleterre doit à la température de son climat & à la nature de son sol l'excellente qualité de ses laines, elle commença à être redevable de leur abondance au partage accidentel de ses terres, fait en 830; partage qui invita naturellement ses habitans à nourrir de grands troupeaux de toutes sortes de bestiaux. Ils n'avoient d'autre moyen que celui - là pour jouir de leur droit de communes, perpétué jusqu'à nos jours, & ce droit fut longtems le seul objet de l'industrie de la nation. Ce grand terrain, destiné au paturage, s'augmenta par l'étendue des parcs que

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