ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

RECHERCHE Accueil Mises en garde Documentation ATILF ARTFL Courriel

Previous page

"77"> liers, dans la plûpart des affaires; ils prenoient connoissance des causes réelles & mixtes où les clercs avoient intérêt, & trouvoient toujours moyen de les attirer, soit sous prétexte de connexité, ou par reconvention; ils revendiquoient les criminels qui se disoient clercs, quoiqu'ils ne portassent ni l'habit ni la tonsure; ils donnoient la tonsure à tous ceux qui se présentoient, pour augmenter le nombre de leurs justiciables, & mettoient au nombre d'esclaves tous ceux qui avoient la tonsure, quoiqu'ils fussent mariés. Les meubles des clercs n'étoient sujets qu'à la jurisdiction ecclésiastique, sous prétexte que les meubles suivent la personne.

Ils connoissoient de l'exécution des contrats auxquels on avoit apposé la clause du serment, clause qui étoit devenue de style; & en général toutes les fois qu'il pouvoit y avoir du péché ou de la mauvaise foi dans l'inexécution de quelque acte, c'en étoit assez pour attirer la cause devant les juges d'Eglise, au moyen de quoi ils connoissoient de tous les contrats.

L'exécution des testamens étoit aussi de leur compétence, à cause des legs pieux, ce qui entraînoit les scellés & les inventaires.

Ils connoissoient aussi des conventions matrimoniales, parce que le douaire se constituoit en face d'Eglise, à la porte du Moustier.

Les veuves, les orphelins, les mineurs, les pauvres étoient sous leur protection, & par - tant leurs justiciables.

Ils excommunioient ceux qui étoient en demeure de payer les sommes par eux dûes, & obligeoient les juges laïques de contraindre les excommuniés à se faire absoudre, sous peine d'être eux - mêmes excommuniés, défendant de rien vendre aux excommuniés, ni de travailler pour eux, mettant les lieux en interdit quand les uges ne leur obéissoient pas; ils joignoient même aux censures des amendes pécuniaires, ce que dans l'origine les juges d'église n'avoient point le pouvoir de faire, ne pouvant selon leur état imposer que des peines spirituelles.

Ils prétendoient aussi que c'étoit à eux à suppléer la justice séculiere lorsqu'elle étoit suspecte aux parties, ou qu'elle tardoit un peu à faire droit.

Selon eux dans les causes difficiles, sur - tout par rapport au point de droit, & quand il y avoit partage d'opinion entre les juges, c'étoit à l'Eglise à décider, ce qu'ils appuyoient sur ce passage du Deutéronome: Si difficile & ambiguum apud te judicium esse perspexeris, & judicium intra portas videris variari; venies ad sacerdotes levitici generis & ad judicem qui fuerit illo tempore; qui indicabunt tibi veritatem, & facies quoecumque dixerint qui prasunt in loco quem elegerit dominus, appliquant ainsi une loi de police de l'ancien Testament qui ne convenoit plus au tems présent.

Enfin ils qualifioient de crimes ecclésiastiques, même à l'égard des laïques, la plupart des crimes, tels que le concubinage, l'usure, le parjure, ensorte qu'ils s'arrogeoient la connoissance de toutes les affaires criminelles, aussi bien que des affaires civiles; il ne restoit presque plus rien aux jurisdictions séculieres.

Ces entreprises de la jurisdiction ecclésiastique sur la jurisdiction séculiere firent le sujet de la fameuse dispute entre Pierre de Cugneres, avocat du roi, & Pierre Bertrandi, évêque d'Autun, devant Philippe de Valois à Vincennes en 1329.

Pierre de Cugneres soutint que l'Eglise n'avoit que la jurisdiction purement spirituelle, & qu'elle n'avoit pas droit de juger des causes temporelles; il cotta 66 chefs, sur lesquels il soutint que les ecclé<cb-> siastiques excédoient leur pouvoir, notamment dans les matieres temporelles dont on a vu ci - devant que les juges d'Eglise s'étoient attribué la connoissance.

Bertrandi prétendit au contraire que les ecclésiastiques étoient capables de la jurisdiction temporelle aussi bien que de la spirituelle, il répondit à chacun des 66 articles & en abandonna quelques - uns comme des abus que l'Eglise désavouoit; mais il défendit la plus grande partie alléguant la coutume & la possession & les concessions expresses ou tacites des princes qui avoient cru ne pouvoir mieux faire que de confier l'exercice de cette portion de la justice aux juges d'Eglise; il exhorta le roi à ne rien innover, & la chose en demeura là pour lors.

Mais ce qu'il est important d'observer, c'est que Pierre de Cugneres qualifia d'abus les entreprises des ecclésiastiques sur la jurisdiction temporelle, & c'est à cette époque que l'on rapporte l'origine des appels comme d'abus dont l'objet est de contenir les juges d'Eglise dans les bornes de leur pouvoir, & de les obliger de se conformer aux anciens canons, aux lois & aux ordonnances du royaume dans l'exercice de la jurisdiction qui leur est confiée.

On a encore apporté deux tempéramens pour limiter la jurisdiction eccléstastique.

L'un est la distinction du délit commun d'avec le délit privilégié; l'Eglise connoît du délit commun des clercs; le juge royal connoît du cas privilégié.

L'autre est la distinction que l'on fait dans les matieres ecclésiastiques du pétitoire d'avec le possessoire; le juge d'Eglise connoît du pétitoire, mais le juge royal connoît seul du possessoire.

Ce fut principalement l'ordonnance de 1539 qui commença à renfermer la jurisdiction ecclésiastique dans les justes bornes. François I. défendit à tous ses sujets de faire citer les laïcs devant les juges d'Eglise dans les actions pures personnelles, sous peine de perdre leur cause & d'amende arbitraire, défendit aussi par provision à tous juges d'Eglise de délivrer aucunes citations verbales ni par écrit pour citer les laïcs dans les matieres pures personnelles, sous peine aussi d'amende arbitraire. Cette même ordonnance porte que c'est sans préjudice de la jurisdiction ecclésiastique dans les matieres de sacrement & autres purement spirituelles & ecclésiastiques dont ils peuvent connoître contre les laïcs selon la forme de droit, & aussi sans préjudice de la jurisdiction temporelle & séculiere contre les clercs mariés & non mariés, faisant & exerçant états ou négociations pour raison desquels ils sont tenus & accoutumés de répondre en cour séculiere, pour lesquels ils continueront d'y procéder tant en matiere civile que criminelle.

Il est aussi ordonné que les appels comme d'abus interjettés par les prêtres & autres personnes ecclésiastiques dans les matieres de discipline & de correction ou auires pures personnelles, & non dépendantes de réalité, n'auront aucun effet suspensif.

L'ordonnance d'Orléans régla que les prélats & leurs officiers n'useroient de censures ecclésiastiques que pour des crimes scandaleux & publics; mais comme cette disposition donnoit lieu à beaucoup de difficultés, Charles IX. par ses lettres patentes de l'an 1571, régla que les prélats pourroient user des censures dans les cas qui leur sont permis par les saints decrets & conciles.

L'édit de 1695, concernant la jurisdiction ecclésiastique, ordonne que les ordonnances, édits & déclarations rendus en faveur des ecclésiastiques concernant leur jurisdiction volontaire & contentieuse seront exécutés.

Les principales dispositions de cette édit sont que la connoissance & le jugement de la doctrine con<pb-> [p. 78] cernant la religion appartiendra aux archevêques & évêques. Il est enjoint aux cours de parlement & à tous autres juges séculiers, de la renvoyer aux prélats; de leur donner l'aide dont ils ont besoin pour l'exécution des censures, & de procéder à la punition des coupables, sans préjudice à ces mêmes cours & juges, de pourvoir par les autres voies qu'ils estimeront convenables à la réparation du scandale & trouble de l'ordre, & tranquillité publique, & contravention aux ordonnances, que la publication de la doctrine auroit pu causer.

La connoissance des causes concernant les sacremens, les yoeux de religion, l'office divin, la discipline ecclésiastique & autres purement spirituelles, est déclarée appartenir aux juges d'Eglise, & il est enjoint aux cours & autres juges de leur en laisser, & même de leur en renvoyer la connoissance, sans prendre aucune jurisdiction ni connoissance des affaires de cette nature, à moins qu'il n'y eût appel comme d'abus de quelques jugemens, ordonnances ou procédures émanées des juges d'Eglise, ou qu'il fût question d'une succession ou autres effets civils.

Les cours ne peuvent connoître ni recevoir d'au tres appellations des ordonnances & jugemens des juges d'Eglise, que celles qui sont qualifiées comme d'abus.

Les procès criminels qu'il est nécessaire de faire à des prêtres, diacres, soudiacres, ou clercs vivans cléricalement, résidans & servans aux offices, ou aux ministeres & bénéfices qu'ils tiennent en l'Eglise, & qui sont accusés des cas que l'on appelle privilégiés, doivent être instruits conjointement par les juges d'Eglise, & par les baillis & sénéchaux ou leurs lieutenans, en la forme prescrite par les ordonnances, & particulierement par l'article 22 de l'édit de Melun, par celui du mois de Février 1678, & par la déclaration du mois de Juillet 1684.

Les archevêques & évêques ne sont obligés de donner des vicariats pour l'instruction & jugement des procès criminels, à moins que les cours ne l'ayent ordonné, pour éviter la recousse des accusés durant leur translation, & pour quelques raisons importantes à l'ordre & au bien de la justice dans les procès qui s'y instruisent; & en ce cas les prélats choisissent tels conseillers - clercs desdites cours qu'ils jugent à propos, pour instruire & juger le procès pour le délit commun.

La jurisaiction ecclésiastique est de deux sortes; sçavoir volontaire & contentieuse.

La jurisdiction volontaire est ainsi appellée, non pas qu'elle s'exerce toujours inter volentes, mais parce qu'elle s'exerce ordinairement sans qu'il y ait aucune contestation des parties; ou s'il y a quelque contestation entre les parties, l'évêque n'en connoît que sommairement & de plano, comme il arrive dans le cours des visites & autres occasions semblables. Elle s'exerce au for intérieur & au for extérieur. Celle qui s'exerce au for intérieur & de conscience, s'appelle pénitencielle, & regarde particulierement le sacrement de pénitence; elle est administrée par les évêques mêmes, par leurs pénitenciers, par les curés & par les confesseurs.

La jurisdiction volontaire qui s'exerce au for extérieur, consiste à donner des dimissoires pour chacun des ordres, des permissions de précher & de confesser; à approuver les vicaires qui servent dans les paroisses, approuver les maîtres & maîtresses des petites écoles; donner aux prêtres étrangers la permission de célébrer dans le diocese, donner la permission de faire des annexes; conférer les bénéfices qui sont à la collation de l'évêque dans des mois libres; à ériger, diviser ou unir des cures & autres bénéfices. Dans toutes ces matieres, la jurisdiction volontaire de l'évêque est aussi qualifiée de jurisdiction gracieuse, parce que l'exercice en dépend de la seule prudence de l'évêque, & que ceux qu'il a refusés ne peuvent pas se plaindre de son refus; c'est pourquoi il n'est pas tenu d'en exprimer les motifs.

Il y a encore d'autres actes qui appartiennent à la jurisdiction volontaire, mais qui ne sont pas de jurisdiction gracieuse; comme la collation des bénefices à des pourvus de cour de Rome, à des presentés par des patrons, à des gradues & autres expectans, auxquels il est obligé de conférer, à moins qu'il n'y ait des causés légitimes pour les resuser; c'est pourquoi dans ces cas il est obligé d'exprimer les causes du refus, afin que le supérieur puisse connoitre si le refus est bien ou mal fondé; comme de bénir les églises, chapelles, cimetieres, & les reconcilier; visiter les lieux saints, les vases sacrés & ornemens nécessaires au service divin; faire là visite des curés, vicaites, marguilliers, des régens, des pauvres, des pécheurs publics & scandaleux, des monasteres; donner des dispenses pour l'ordination, des dispentes pour relever des voeux ou des irrégularités, des dispenses de bans de mariage & des empêchemens de mariage; prononcer des censures, accorder des absolutions des cas reservés à l'évêque & des censures.

La jurisdiction contentieuse qui s'exerce toujours au for extérieur, est celle qui s'exerce avec solemnité & avec les formes prescrites par le droit, pour terminer les différends des parties, ou pour punir les crimes qui sont de la compétence de la jurisdiction ecclésiastique, suivant ce qui a été expliqué précédemment; telles sont les causes concernant les sacremens, les voeux de religion, l'office divin, la discipline ecclésiastique, & autres purement spirituelles; telles sont aussi les causes personnelles entre clercs, ou dans lesquelles le défendeur est clerc; les causes de réclamation contre les ordres sacrés; la fulmination des bulles & autres signatures, dont l'exécution est adressée à l'official de l'évêque.

Au reste le privilege des clercs pour la jurisdiction ecclésiastique est restraint à ceux qui sont actuellement au service de quelque église, ou qui étudient dans quelque université, ou qui sont pourvus de de quelque bénéfice.

Les réguliers soumis à la jurisdiction de l'évêque, par rapport à la prédication & à la confession, & pour les fonctions curiales à l'égard de ceux qui possedent des cures, pour la réclamation contre leurs voeux, & la translation à un autre ordre.

Les laïques mêmes sont en certains cas soumis à la jurisdiction contentieuse de l'évêque; savoir pour les demandes en accomplissement pu en nullité des promesses de mariage quoad fadus, pour les demandes en dissolution de mariage, pour causes d'impuissance ou autres moyens de nullité, pour l'enterinement des dispenses que l'on obtient en cour de Rome sur les empéchemens de mariage.

L'évêque peut commettre à des grands vicaires l'exercice de sa jurisdtction volontaire & gracieuse, soit en tout ou partie; il lui est libre aussi de l'exercer par lui - même.

Pour ce qui est de la jurisdiction contentieuse, les évêques l'exerçoient aussi autrefois en personne; présentement ils ne peuvent juger eux mêmes les affaires contentieuses, à moins que ce ne soit de plano, & dans le cours de leurs visites, ils doivent renvoyer à leurs officiaux les affaires qui méritent d'être instruites dans les formes.

Il est néanmoins d'usage en quelques diocèses, que le nouvel évêque est installé à l'officialité, & y juge ce jour là les causes qui se présentent avec l'avis du doyen & du chapitre. Cela fut pratiqué le 2 Juin 1746 pour M. de Bellefonds, archevêque de Paris.

Next page


The Project for American and French Research on the Treasury of the French Language (ARTFL) is a cooperative enterprise of Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF) of the Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), the Division of the Humanities, the Division of the Social Sciences, and Electronic Text Services (ETS) of the University of Chicago.

PhiloLogic Software, Copyright © 2001 The University of Chicago.