ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"61"> Ante Agamemnoniam, gratissima tecta Mycenem, Optavit profugis oeternam condere sedem. Lib. I. v. 46.

Si nous passons en Italie, nous trouverons qu'avant l'existance de Rome, Junon jouissoit déja d'un temple à Falere en Toscane. Il ressembloit à celui d'Argos, & selon Denis d'Halicarnasse, on y suivoit le fit des Argiens.

Cependant les conquérans de l'univers sortoient à peine d'une retraite de voleurs. A peine leur ville naistante étoit élevée au - dessus de fes fondemens, que Tatius, collegue de Romulus, y établit le culte de la reine du ciel. Numa Pompilius, voulant à son tour gagner les bonnes graces de cette divinité suprême, lui fit ériger un nouveau temple, & défendit, par une loi expresse, à toute femme débauchée d'y entrer, ni même de le toucher.

Sous le regne de Tullus Hostilius, les pontifes consultés sur l'expiation des meurtres involontaires, dresserent deux autels, & y pratiquerent les cérémonies qu'ils jugerent propres à purifier le jeune Horace, qui venoit de tuer sa soeur. L'un de ces autels fut consacré à Junon, & l'autre à Janus.

Tarquin le superbe lui voua le temple du capitolc en commun avec Jupiter & Minerve; & d'abord, après la prise de Veïes, Camille lui en bâtit un en particulier sur le mont Aventin. En un mot, la fille de Saturne & de Rhée, voyoit tant de temples érigés uniquement en sa faveur, dans tous les quartiers de Rome, qu'elle ne put plus douter de la vénération extraordinaire que lui portoient les Romains.

Aussi Virgile (& c'est un des beaux endroits de son Enéide) introduit ingénieusement Jupiter, annonçant à son épouse qu'il arriveroit que les descendans d'Enée la serviroient plus dévotement que tous es autres peuples du monde, pourvu qu'elle voulut se desister de ses persécutions; à quoi la déesse ambitieuse consentit avec plaisir.

Hinc gens Ausonio mistam quod sanguine surget Supra homines, supta ire Deos pietate videbis. Nec gens ulla tuos oeque celebrabit honores. Annuit his Juno, & mentem loetata retorcit. AEneid. lib. XII, v. 838.

Les honneurs que Junon receveit dans d'autres villes d'Italie, n'etoient guere moins capables de la contenter. Elle étoit servie sous le titre de sospita, conservatrice, avec une dévotion singuliere à Lanuvium, sur le chemin d'Appins. Il falloit même que les consuls de Rome, à l'entrée de leur consulat, allassent rendre leurs hommages à Junon Lanuvienne. Il y avoit un grand trésor dans son temple, dont Auguste tira de grosses sommes, en promettant d'en payer l'intérêt, & s'assurant bien qu'il ne tiendroit jamais sa parole. On croit que ce temple avoit été fondé par les Pélages, originaires du Péloponnese; & l'on appuie ce sentiment, sur ce que la Junon de Lanuvium est nommée par Elien, Juno Argolica.

Quoi qu'il en soit, nous devons à Cicéron, dans ses ecrits de la nature des Dieux, liv. I, chap. xxix, le plaisir de connoître l'équipage de cette déesse. Cotta dit à Velleïus: « votre Junon tutélaire de Lanuvium ne se présente jamais à vous, pas même en songe, qu'avec sa peau de chevre, sa javeline, son petit bouclier, & ses escarpins recourbés en pointe sur le devant ».

Mais le temple de Junon Lacinia, qu'on voyoit à six milles de Crotone, est encore plus fameux dans l'nistoire. Ne nous étonnons pas de la variété de sentimens qui regne touchant son sondateur & l'occasion de sa fondation: de tous tems les hommes ont inventé mille fables en ce genre; on convient, & c'est assez, qu'il surpassoit une fois, par son étendue, le plus grand temple de Rome. Il étoit couvert de tuiles de marbre, dont une partie fut transférée dans la capitale, l'an de sa fondation 579, pour couvrir le temple de la Fortune équestre, que Quintus - Fulvius Flaccus faisoit bâtir.

Comme ce censeur périt misérablement, le sénat, par une action de piété & de justice, fit reporter les tuiles au même lieu d'où on les avoit ôtées. Annibal n'exécuta pas le dessein qu'il avoit d'enlever une colonne d'or de ce beau temple. Servius, Pline & Tite - Live récitent plusieurs choses miraculeuses, qu'on disoit arriver dans cet endroit: mais Tite - Live n'en croyoit rien; car il ajoute: « on attribue toujours quelques miracles à ces sortes de lieux, sur - tout lorsqu'ils sont célebres par leurs richesses & leur sainteté ». l'our cette fois cette remarque est d'un historien qui pense.

Au reste, on ne sauroit réfléchir au culte qu'on rendoit à Junon en tant de pays & avec tant d'appareil, sans en attribuer quelque chose à l'avantage de son sexe. Toute femme qui gouverne un état avec distinction, est généralement plus honorée & plus respectée que ne l'est un homme de pareille autorité. Les peuples ont transporté dans le ciel cet usage de la terre. Jupiter étoit considéré commeun roi, & Junon comme une reine ambitieuse, fiere, jalouse, vindicative, implacable dans sa colere, d'ailleurs partageant le gouvernement du monde avec son époux, & assistant à tous ses conseils.

Un homme de génie du siecle passé, pensoit que c'etoit de la même source que provenoient les exces d'adorations où des chrétiens sont tombés envers les saints & la vierge Marie, tant en Angletetre qu'ailleurs. Erasme lui - même prétendoit que la coutume de saluer la sainte - vierge en chaire après l'exorde du sermon, étoit contre l'exemple des anciens, & qu'il vaudroit mieux les imiter.

Au titre de reine que portoit Junon, & à sa qualité de femme, qui augmentoit sa célébrité, nous joindrons, pour comble de prérogatives, la direction en chef qu'on lui donnoit sur tous les mariages, & leurs suites naturelles: illi vincla jugalia cura, dit Virgile. Voyez ses commentateurs, ils vous indiqueront cent autres passages semblables, & vous expliqueront les épithetes de jugalis, de pronuba, de populonia, de ZOGIA, de ARHLIA, de PARZRUMFOS2, &c. qui ont été affectées à la femme de Jupiter, à cause de son intendance sur tous les engagemens matrimoniaux.

Elle avoit encore, en cette qualité, des surnoms particuliers, fondés sur ce qu'elle présidoit à la conduite des nouvelles mariées, à la maison de leurs maris, à l'oignement que faisoit la fiancée au jambage de la porte de son - époux, & finalement au secours qu'elle accordoit à cet époux pour dénouer la ceinture virginale. Vous trouverez ces sortes de surnoms dans ces paroles latines, d'une priere à cette déesse du mariage. Iterducam, domiducam, unxiam, cinctiam, mortales puella debent in nuptias convocare, ut earum itinera protegas, in optatas domos ducas, & quùm postes ungent, faustum omen affigas, & cingulum ponentes in thalamis, non relinquas. Cet hymne est dans Martianus Capella, de Nupt. Philol. lib. II.

Je n'ose indiquer les autres épithetes qu'on donnoit à Junon, pour lui demander son assistance dans le lit nuptial; la chasteté de notre langue, & les égards que l'on doit à la pudeur, m'obligent de les taire.

Disons seulement que la superstition romaine étoit si grande, qu'il y avoit des femmes qui honoroient Junon, en faisant semblant de la peigner & de la parer, & en lui tenant le miroir devant ses statues; car c'étoit un proverbe, « que les coëffeuses pré<pb-> [p. 62] sentoient toujours le miroir à Junon», etemus speculum tenere Junoni, s'écrie Seneque. D'autres femmes, animées de passions différentes, alloient s'asseoir au capitole auprès de Jupiter, dans l'espérance d'avoir ce dieu pour amant.

Je voudrois bien savoir la maniere dont on représentoit l'auguste déesse du ciel dans tous les divers rôles qu'on lui faisoit jouer. En effet, en la considérant seulement sous les titres de pronuba, d'opigena, de februa, de fluonia, ou comme présidant tantôt aux mariages, tantôt aux accouchemens, tantôt aux accidens naturels du beau sexe, il semble qu'elle devoit être vêtue différemment dans chacune de ces diverses cérémonies.

Une matrone majestueuse, tenant la pique ou le sceptre à la main, avec une couronne radiale sur la tête, & son oiseau favori couché à ses pieds, désignoit bien la soeur & la femme de Jupiter; mais, par exemple, le croissant qu'on lui mettoit sur la tête, marquoit vraissemblablement la déesse Ména, c'est - à dire l'empire que Junon avoit tous les mois sur le sexe.

C'est peut - être pour la même raison qu'on la représentoit sur les medailles de Samos avec des especes de brasselets, qui pendoient des bras jusqu'aux piés, & qui soutenoient un croissant: peut - être aussi que ces brasselets ne sont point un des attributs de Junon, mais un ornement de mode imaginé sous son nom, parce que cette déesse avoit inventé la maniere de s'habiller & de se coëffer.

Tristan, dans ses observations sur Callimaque, a donné le type d'une médaille des Samiens, représentant Junon avant la gorge passablement découverte. Elle est vêtue d'une robe qui descend sur ses piés, avec une ceinture assez serrée; & le repli que la robe fait sur elle - même, forme une espece de tablier. Le voile prend du haut de la tête, & tombe jusqu'au bas de la robe, comme faisoient les écharpes que nos dames portoient au commencement de ce siecle.

Le revers d'une médàille qui est dans le cabinet du roi de France, & que M. Spanheim a gravée, représente ce voile tout déploye, qui fait deux angles sur les mains, un angle sur la tête, & un autre angle sur les talons.

Sur une des médailles du même cabinet, cette déesse est coëffec d'un bonnet assez pointu, terminé par un croissant. On voit sur d'autres médailles de M. Spanheim, une espece de panier qui sert de coëffure à Junon, vêtue du reste à - peu - près comme nos religieux Bénédictins. La coëffure des femmes Turques, approche fort de celle de Junon, & les fait paroitre de belle taille. Cette déesse avoit sans doute inventé ces ornemens de tête avantageux, & que les fontanges ont depuis mal imités.

Junon nuptiale, gamélienne, ou présidente aux noces, portoit une couronne de souchet & de ces fleurs que nous appellons immortelles. On en couvroit une petite corbeille fort légere, que l'on arrêtoit sur le haut de sa tête: c'est peut - être de - là que sont venues les couronnes, que l'on met encore dans le levant sur la tête des nouvelles épouses; & la mode n'en est pas entierement passée parmi nous, quand on marie les jeunes filles.

Il y a des médailles de Maximin, au revers desquelles est le temple de Samos, avec une Junon en habit de noces, assez semblable à ceux dont on vient de parler, & ayant à ses piés deux paons, oiseaux qui, comme l'on sçait, lui étoient consacrés, & qu'on élevoit autour du temple de cette déesse.

Quelquefois l'épervier & l'oison accompagnent ses statues; le dictamne, le pavot & la grenade etoient les plantes ordinaires que les Grecs lui of<cb-> froient, & dont ils ornoient ses autels; enfin, la victime qu'on lui immoloit communément, étoit l'agneau femelle; Virgile nous le dit:

Junoni mactans lectas de more bidentes.

Il est tems de finir cet article de Junon; mais quelque long qu'il soit, je n'ai pris que la fleur de l'histoire de cette déesse, sur son culte, ses temples, ses autels, ses attributs, ses statues & ses médailles. M. Bayle touche encore un autre sujet dans son dictionnaire; c'est la considération de l'état des malheurs du coeur qui tirannisoient sans cesse cette divinité, selon le systeme populaire de la theologie payenne. Les Poetes, les theâtres, les statues, les tableaux, les monumens des temples offroient mille preuves des amertumes de son ame, en peignant aux yeux de tout le monde son humeur altiere, impérieuse, jaloute, toujours occupée de vengeances & ne goûtant jamais une pleine satisfaction de ses succès. Le titre pompeux de reine du ciel, la séance sur le trône de l'univers, le sceptre à la main, le diadème sur la tête, tout cela ne pouvou adoucir ses peines & ses tourmens. L'immortalite même y mettoit le sceau; car l'espérance de voir finir un jour ses chagrins par la mort, est une consolation que nous avons ici - bas. (D. J.)

JUNONALES ou JUNONIES (Page 9:62)

JUNONALES ou JUNONIES, s. f. pl. (Antiq. rom.) en latin Junonalia; fête romaine en l'honneur de Junon, dont Ovide ne parle point dans ses fastes, & qui est cependant decrite fort particulierement par Tite - Live, Décade 3, liv. VII.

Cette fête fut instituée à l'occasion de certains prodiges qui parurent en Italie; ce qui fit que les pontifes ordonnerent que vingt - sept jeunes filles, divisées en trois bandes, iroient par la ville en chantant un cantique composé par le poëte Livius; mais il arriva que comme elles l'apprenoient par coeur, dans le temple de Jupiter Stator, la soudre tomba sur celui de Junon - reine, au mont Aventin.

A la nouvelle de cet événement, les devins ayant eté consultés, répondirent, que ce dernier prodige regardoit les dames Romaines, qui devoient appaiser la soeur de Jupiter par des offrandes & par des sacrifices. Elles acheterent donc un bassin d'or, qu'elles allerent offrir à Junon sur le mont - Aventin; ensuite les décemvirs assignerent un jour pour un service solemnel, qui fut ainsi ordonné: « On conduisit deux vaches blanches du temple d'Appollon dans la ville, par la porte Carmentale: on porta deux images de Junon - reine, faites de bois de cyprès: ensuite marchoient vingt jeunes filles, vêtues de robes tiainantes, & chantant une hymne en l'honneur de la déesse. Les décemvirs suivoient couronnés de laurier, & ayant la robe bordée de pourpre. Cette pompe après avoir fait une pause dans la grande place de Rome, où les vingt - sept jeunes filles exécuterent la danse de leur hymne; la procession continua sa route, & se rendit sans s'arrêter au temple de Junon - reine; les victimes furent immolées par les décemvirs, & les images de cypres furent placées dans le temple de la divinité.» (D. J.)

JUNONIE (Page 9:62)

JUNONIE, (Géogr. anc.) la ville de Junon, nouveau nom que Carthage reçut de Caïus Gracchus, lorsqu'il donna ses soins à la rebâtir & à la repeupler, près de cent ans avant que Virgile travaillât à son Enéïde; ce n'est donc pas par une simple fiction poëtique qu'il a dit de Carthage.

Quam Juno fertur terris magis omnibus unam Post habita coluisse Samo. AEnéïd. I. v. 20.

On voit qu'il a suivi une tradition reçue & connue de son tems. (D. J.)

JUNONS (Page 9:62)

JUNONS, s. f. pl. (Mythol.) on appelloit ainsi

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