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INTERJECTION (Page 8:827)
INTERJECTION, s. f. (Gram. Eloq.) L'interjection étant considérée par rapport à la nature, dit l'abbé Regnier (p. 534.) est peut - être la premiere voix articulée dont les hommes se soient servis. Ce qui n'est que conjecture chez ce grammairien, est affirmé positivement par M. le Président de Brosses, dans ses observations sur les langues primitives, qu'il a communiquées à l'académie royale des Inscriptions & Belles - lettres.
Les interjections, mêmes telles qu'elles sont dans
nos langues formées & articulées, ne s'apprennent
pas par la simple audition & par l'intonation d'autrui;
mais tout homme les tient de soi - même &
de son propre sentiment; au moins dans ce qu'elles
ont de radical & de significatif, qui est le même
partout, quoiqu'il puisse y avoir quelque variété
dans la terminaison. Elles sont courtes; elles partent
du mouvement machinal & tiennent partout
à la langue primitive. Ce ne sont pas de simples
mots, mais quelque chose de plus, puisqu'elles
expriment le sentiment qu'on a d'une chose, &
que par une simple voix promte, par un seul coup
d'organe, elles peignent la maniere dont on s'en
trouve intérieurement affecté.
Toutes sont primitives, en quelque langue que
ce soit, parce que toutes tiennent immédiatement
à la fabrique générale de la machine organique,
& au sentiment de la nature humaine, qui est partout
le même dans les grands & premiers mouvemens
corporels. Mais les interjections, quoique primitives,
n'ont que peu de dérivés ».
[La raison en est simple. Elles ne sont pas du langage de l'esprit, mais de celui du coeur; elles n'expriment pas les idées des objets extérieurs, mais les sentimens intérieurs.
Essentiellement bornés, l'acquisition de nos connoissances
est nécessairement discursive; c'est - à - dire,
que nous sommes forcés de nous étayer d'une premiere
perception pour parvenir à une seconde, &
de passer ainsi par des degrés successifs, en courant,
pour ainsi dire, d'idée en idée (discurrendo). Cette
marche progressive & trainante fait obstable à la curiosité
naturelle de l'esprit humain, il cherche à tirer
de son propre fonds même des ressources contre sa
propre foiblesse; il lie volontiers les idées qui lui
viennent des objets extérieurs:]
Mais les mouvemens intérieurs de notre ame,
qui appartiennent à notre existence, y sont fort
distincts, y restent isolés, chacun dans leur classe,
selon le genre d'affection qu'ils ont produit tout
d'un coup, & dont l'effet, quoique permanent, a
été subit. La douleur, la surprise, le dégoût, n'ont
rien de commun; chacun de ces sentimens est un,
& son effet a d'abord été ce qu'il devoit être: il
n'y a ici ni dérivation dans les sentimens, ni pro<cb->
C'est une chose curieuse sans doute que d'observer
sur quelles cordes de la parole se frappe l'intonation
des divers sentimens de l'ame, & de voir
que ces rapports se trouvant les mêmes partout où
il y a des machines humaines, établissent ici, non
plus une relation purement conventionnelle, telle
qu'elle est d'ordinaire entre les choses & les mots,
mais une relation vraiment physique & de conformité
entre certains sentimens de l'ame & certaines
parties de l'instrument vocal.
La voix de la douleur frappe sur les basses cordes: elle est traînée, aspirée & profondément
gutturale: eheu, hélas. Si la douleur est tristesse
& gémissement, ce qui est la douleur douce, ou,
à proprement parler, l'affliction; la voix, quoique
toujours profonde, devient nasale.
La voix de la surprise touche la corde sur une
division plus haute: elle est franche & rapide;
ah ah, eh, oh oh: celle de la joie en differe en ce
qu'étant aussi rapide, elle est fréquentative & moins
breve; ha ha ha ha, hi hi hi hi.
La voix du dégoût & de l'aversion est labiale;
elle frappe au - dessus de l'instrument sur le bout de
la corde, sur les levres allongées; fi, voe, pouah.
Au lieu que les autres interjections n'emploient
que la voyelle, celle - ci se sert de la lettre labiale
la plus extérieure de toutes, parce qu'il y a ici
tout à la fois sentiment & action; sentiment qui
répugne, & mouvement qui repousse: ainsi il y a
dans l'interjection voix & figure [son & articulation]; voix qui exprime, & figure qui rejette par
le mouvement extérieur des levres allongées.
La voix du doute & du dissentement est volontiers
nasale, à la différence que le doute est allongé,
étant un sentiment incertain, hum, hom, &
que le pur dissentement est bref, étant un mouvement
tout déterminé, in, non.
Cependant il seroit absurde de se figurer que
ces formules, si différentes en apparence, & les
mêmes au fonds, se fussent introduites dans les
langues ensuite d'une observation réflechie telle
que je la viens de faire. Si la chose est arrivée
ainsi, c'est tout naturellement, sans y songer;
c'est qu'elle tient au physique même de la machine,
& qu'elle résulte de la conformation, du
moins chez une partie considérable du genre humain.
.... Le langage d'un enfant, avant qu'il
puisse articuler aucun mot, est tout d'interjections.
La peinture d'aucun objet n'est encore entrée en
lui par les portes des sens extérieurs, si ce n'est
peut - être la sensation d'un toucher fort indistinct:
il n'y a que la volonté, ce sens intérieur qui naît
avec l'animal, qui lui donne des idées ou plûtôt
des sensations, des affections; ces affections, il
les désigne par la voix, non volontairement, mais
par une suite nécessaire de sa conformation méchanique
& de la faculté que la nature lui a donnée
de proférer des sons. Cette faculté lui est commune
avec quantité d'autres animaux [mais dans
un moindre dégré d'intensité]; aussi ne peut - on
pas douter que ceux - ci n'ayent reçu de la nature
le don de la parole, à quelque petit degré plus
ou moins grand »,
Si on entend par oraison, la manifestation orale de tout ce qui peut appartenir à l'état de l'ame, toute la doctrine précédente est une preuve incon<pb-> [p. 828]
Il y a donc en effet des parties d'oraison de deux especes; les premieres sont les signes naturels des sentimens, les autres sont les signes arbitraires des idées: celles là constituent le langage du coeur, elles sont affectives: celles ci appartiennent au langage de l'esprit, elles sont discursives. Je mets au premier rang les expressions du sentiment, parce qu'elles sont de premiere nécessité, les besoins du coeur étant antérieurs & supérieurs à ceux de l'esprit: d'ailleurs elles sont l'ouvrage de la nature, & les signes des idées sont de l'institution de l'art; ce qui est un second titre de prééminence, fondé sur celle de la nature même à l'égard de l'art.
M. l'abbé Girard a cru devoir abandonner le mot
interjection, par deux motifs:
On peut remarquer sur cela, 1°. que M. Girard s'est trompé quand il n'a pas trouvé au mot interjection un air assez françois: un terme technique n'a aucun besoin d'être usité dans la conversation ordinaire pour être admis; il suffit qu'il soit usité parmi les gens de l'art, & celui - ci l'est autant en grammaire que les mots préposition, conjonction, &c. lesquels ne le sont pas plus que le premier dans le langage familier. 2°. Que le mot interjective, adopté ensuite par cet académicien, devoit lui paroître du moins aussi voisin du barbarisme que le mot interjection, & qu'il est même moins ordinaire que ce dernier dans les livres de Grammaire. 3°. Que le terme de particule n'est pas plus connu dans le langage du monde avec le sens que les Grammairiens y ont attaché, & beaucoup moins encore avec celui que lui donne l'auteur des vrais principes. 4°. Que ce terme est employé abusivement par ce subtil métaphysicien, puisqu'il prétend réunir sous la dénomination de particule, & les expressions du coeur & des termes qui n'appartiennent qu'au langage de l'esprit; ce qui est confondre absolument les especes les plus différentes & les moins rapprochées.
Ce n'est pas que je ne sois persuadé qu'il peut être utile, & qu'il est permis de donner un sens fixe & précis à un terme technique, aussi peu déterminé
Pretendre faire un corps systématique des diverses especes d'interjections, & chercher entr'elles des différences spécifiques bien caractérisées, c'est me semble, s'imposer une tâche où il est très - aisé de se méprendre, & dont l'exécution ne seroit pour le Grammairien d'aucune utilité.
Je dis d'abord qu'il est très - aisé de s'y méprendre,
J'ajoute que le succès de cette division ne seroit d'aucune utilité pour le grammairien: en voici les raisons. Les interjections sont des expressions du sentiment dictées par la nature, & qui tiennent à la constitution physique de l'organe de la parole: la même espece de sentiment doit donc toujours opérer dans la même machine le même mouvement organique, & produire constamment le même mot sous la même forme. De là l'indéclinabilité essentielle des interjections, & l'inutilité de vouloir en préparer l'usage par aucun art, lorsqu'on est sûr d'être bien dirigé par la nature. D'ailleurs l'énonciation claire de la pensée est le principal objet de la parole, & le seul que puisse & doive envisager la Grammaire, parce qu'elle ne doit être chargée de diriger que le langage de l'esprit; le langage du coeur est sans art, parce qu'il est naturel: or il n'est utile au grammairien de distinguer les especes de mots, que pour en spécifier ensuite plus nettement les usages; ainsi n'ayant rien à remarquer sur les usages des interjections, la distinction de leurs différences spécifiques est absolument inutile au but de la Grammaire.
Encore un mot avant que de finir cet article. Les deux mots latins en & ecce sont des interjections, disent les rudimens; elles gouvernent le nominatif ou l'accusatif, ecce homo ou hominem, & elles signifient en françois voici ou voila, qui sont aussi des interjections dans notre langue.
Ces deux mots latins seront, si l'on veut, des interjections; mais on auroit dû en distinguer l'usage: en indique les objets les plus éloignés, ecce des objets plus prochains; ensorte que Pilate montrant aux Juifs Jésus flagellé, dut leur dire ecce homo; mais un Juif qui auroit voulu fixer sur ce spectacle l'attention de son voisin, auroit dû lui dire en homo, ou même en hominem. Cette distinction artificielle porte sur les vûes diverses de l'esprit; en & ecce sont donc du langage de l'esprit, & ne sont pas des interjections: ce sont des adverbes, comme hic & illic.
C'est une autre erreur que de croire que ces mots gouvernent le nominatif ou l'accusatif; la destination de ces cas est toute différente. Ecce homo, c'est - à - dire ecce adest homo; ecce hominem, c'est à - dire ecce vide ou videte hominem. Le nominatif doit être le sujet d'un verbe personnel, & l'accusatif, le complément ou d'un verbe ou d'une préposition: quand les apparences sont contraires, il y a ellipse.
Enfin, c'est une troisieme erreur que de croire que
voici & voilà soient en françois les correspondans des
mots latins en & ecce, & que ce soit des interjections.
Nous n'avons pas en françois la valeur numérique
de ces mots latins, ici & là sont les mots qui en approchent
le plus. Voici & voilà sont des mots composés
qui renferment ces mêmes adverbes, & le
verbe voi, dont il y a souvent ellipse en latin, voici,
voi ici; voilà, voi là. C'est pour cela que ces mots
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