ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"579"> Les payens avoient aussi leurs asyles; non seulement les autels & les temples en servoient, mais aussi les tombeaux & les statues des héros. Il y a encore des villes en Allemagne, qui ont conservé ce droit d'asyle; les palais des princes ont ce même privilége, & tous les souverains ont le droit d'asyle dans leurs états pour les sujets d'un autre prince, qui viennent s'y réfugier, à moins que l'intérêt commun des puissances ne demande que le coupable soit rendu à son souverain.

A l'égard des églises, c'étoient les asyles les plus inviolables; dans leur institution ils ne devoient servir que pour les infortunés & ceux que le hasard ou la nécessité exposoient à la rigueur de la loi; mais dans la suite on en fit un usage odieux, en les faisant servir à protéger indifféremment & les coupables malheureux & les plus grands scelérats.

L'empereur Arcadius fut le premier qui abolit ces asyles, à l'instigation d'Eutrope son favori; il fit entre autres choses une loi pour assujettir les oeconomes des églises à payer les dettes des refugiés que les clercs refusoient de livrer. Eutrope eut bientôt lieu de se repentir de ce qu'il avoit fait faire; car l'année d'après il fut obligé de venir chercher dans l'église de Constantinople l'asyle qu'il avoit voulu fermer aux autres. Cependant Arcadius ne pouvant résister aux cris du peuple qui demandoit Eutrope, envoya pour l'arracher de l'autel; une troupe de soldats vint assiéger l'église l'épée à la main. Eutrope se cacha dans la sacristie; S. Jean Chrisostome, patriarche de cette église, se présenta pour appaiser la fureur des soldats. Ils se saisirent de lui, & le menerent au palais comme un criminel; mais il toucha tellement l'empereur & ceux qui étoient présens par ses larmes & par ce qu'il leur dit sur le respect dû aux saints autels, qu'il obtint enfin qu'Eutrope demeureroit en sûreté, tant qu'il seroit dans cet asyle. Il en sortit quelques jours après dans l'espérance de se sauver; mais il fut pris & banni, & dans la même année il eut la tête tranchée. Après sa mort, Arcadius rétablit l'immunité des églises.

Théodore le jeune fit en 431 une loi concernant les asyles dans les églises. Elle porte que les temples dédiés doivent être ouverts à tous ceux qui sont en peril, & qu'ils seront en sûreté non - seulement près de l'autel, mais dans tous les bâtimens qui dépendent de l'église, pourvu qu'ils y entrent sans armes. Cette loi fut faite à l'occasion d'une profanation qui étoit arrivée nouvellement dans une église de Constantinople; une troupe d'esclaves s'y étant refugiée près du sanctuaire, s'y maintint les armes à la main pendant plusieurs jours, au bout desquels ils s'égorgerent eux - mêmes.

L'empereur Léon fit aussi en 466 une loi, portant défense sous peine capitale, de tirer personne des églises, ni d'inquieter les évêques & les oeconomes pour les dettes des réfugiés, dont on les rendoit responsables suivant la loi d'Arcadius.

Les évêques & les moines profiterent de ces dispositions favorables des souverains pour étendre cette immunité à tous les bâtimens qui étoient des dépendances de l'église. Ils marquoient même au dehors une enceinte, au - delà de laquelle ils plantoient des bornes pour limiter la jurisdiction séculiere. Ces couvens devenoient comme autant de forteresses où le crime étoit à l'abri, & bravoit la puissance du magistrat.

Nous avons d'anciens conciles qui ont fait des canons pour conserver aux églises le droit d'asyle. L'approbation que les souverains y donnoient, contribua beaucoup à faire faire ces decrets.

En Italie & dans plusieurs autres endroits, les églises & autres lieux saints sont encore des asyles pour les criminels. On y a même donné à ce privi<cb-> lége plus d'étendue qu'il n'avoit anciennement.

En France, sous la premiere race de nos rois, le droit d'asyle dans les églises étoit aussi un droit trèssacré. L'église de S. Martin de Tours étoit un asyle des plus respectables; on ne pouvoit le violer sans se rendre coupable d'un sacrilége des plus scandaleux.

Les conciles tenus alors dans les Gaules, recommandoient de ne point attenter aux asyles que l'on cherchoit dans les églises.

L'immunité fut étendue jusqu'au parvis des églises, aux maisons des évêques, & à tous les autres lieux renfermés dans leurs enceintes, afin de ne pas obliger les réfugiés de rester continuellement dans l'église, où plusieurs actions, nécessaires à la vic, ne pourroient se faire avec bienséance.

Lorsqu'il n'y avoit point de porche, ou de parvis & cimetiere fermé, l'immunité s'étendoit sur un arpent de terre autour de l'église, comme il est dit dans un decret de Clotaire, qui est à la suite de la loi salique, §. xiij.

Les réfugiés avoient la liberté de faire venir des vivres, & c'eût été violer l'immunité ecclésiastique, que de les en empêcher. On ne pouvoit les tirer de cet asyle, sans leur donner une assurance juridique de la vie & de la rémission de leurs crimes, sans qu'ils fussent sujets à aucune peine.

Charlemagne fit sur cette matiere deux capitulaires fort différens; l'un en 779, portant que les criminels dignes de mort suivant les lois, qui se réfugient dans l'église, n'y doivent point être protégés, & qu'on ne doit point les y tenir, ni leur porter à manger; l'autre qui fut fait en 788, porte au contraire que les églises serviront d'asyle à ceux qui s'y réfugieront; qu'on ne les condamnera à mort, ni à mutilation de membre.

Mais il faut observer qu'on en exceptoit certains crimes, pour lesquels on n'accorde jamais de grace.

L'église ne pouvoit pas non plus servir d'asyle aux criminels qui s'étoient évadés de prison.

Lorsque le criminel avoit le tems de se retirer dans unlieu d'asyle, avant que la justice se fût emparée de lui, alors elle ne pouvoit lui faire son procès; mais au bout de huit jours elle pouvoit l'obliger de forjurer le pays, suivant ce qui est dit en l'ancienne coutume de Normandie, chap. xxiv.

Philippe - le - Bel défendit de tirer les coupables des églises, où ils étoient refugiés, sinon dans les cas où le droit l'autorisoit.

Enfin, François I. par son ordonnance de 1539, art. 166, ordonne qu'il n'y auroit lieu d'immunité pour dettes ni autres matieres civiles, & que l'on pourra prendre toutes personnes en lieu de franchise, sauf à les réintégrer, quand il y aura decret de prise de corps décerné à l'encontre d'eux sur les informations, & qu'il sera ainsi ordonné par le juge; tel est le dernier état de l'immunité ecclésiastique par rapport au droit d'asyle.

Pour ce qui est des immunités qui peuvent appartenir aux ecclésiastiques, soit en corps, ou en particulier, les princes chrétiens, pour marquer leur respect envers l'église dans la personne de ses ministres, ont accordé aux ecclésiastiques plusieurs priviléges, exemptions & immunités, soit par rapport à leur personne ou à leurs biens; ces priviléges sont certainement favorables; on ne pretend pas les contester.

Mais il ne faut pas croire, comme quelques ecclésiastiques l'ont prétendu, que ces priviléges soient de droit divin, ni que l'église soit dans une indépendance absolue de la puissance séculiere.

Il est constant que l'église est dans l'état & sous la protection du souverain; les ecclésiastiques sujets & citoyens de l'état par leur naissance, ne cessent pas [p. 580] de l'être par leur consécration; leurs biens personnels, & ceux mêmes qui ont été donnés à l'église (en quoi l'on ne comprend point les offrandes & oblations), demeurent pareillement sujets aux charges de l'état, sauf les priviléges & exemptions que les ecclésiastiques peuvent avoir.

Ces priviléges ont reçu plus ou moins d'étendue, selon les pays, les tems & les conjonctures, & selon que le prince étoit disposé à traiter plus ou moins favorablement les ecclésiastiques, & que la situation de l'état le permettoit.

Si on recherche ce qui s'observoit par rapport aux ministres de la religion sous la loi de Moïse, on trouve que la tribu de Lévi sut soumise à Saül, de même que les onze autres tribus, & si elle ne payoit aucune redevance, c'est qu'elle n'avoit point eu de part dans les terres, & qu'il n'y avoit alors d'autre imposition que le cens qui étoit dû à cause des fonds.

Jesus - Christ a dit qu'il n'étoit pas venu pour délier les sujets de l'obéissance des rois; il a enseigné que l'église devoit payer le tribut à César, & en a donné lui - même l'exemple, en faisant payer ce tribut pour lui & pour ses apôtres.

La doctrine de S. Paul est conforme à celle de J. C. Toute ame, dit - il, est sujette aux puissances. S. Ambroise, évêque de Milan, disoit à un officier de l'empereur: si vous demandez des tributs, nous ne vous les refusons pas, les terres de l'église payent exactement le tribut. S. Innocent, pape, écrivoit en 404 à S. Victrice, évêque de Rouen, que les terres de l'église payoient le tribut.

Les ecclésiastiques n'eurent aucune exemption ni immunité jusqu'à la fin du troisieme siecle. Constantin leur accorda de grands priviléges; il les exempta des corvées publiques; on ne trouve cependant pas de loi qui exemptât leurs biens d'impositions.

Sous Valens, ils cesserent d'être exempts des charges publiques; car dans une loi qu'il adressa en 370 à Modeste, préfet du prétoire, il soumet aux charges des villes les clercs qui y étoient sujets par leur naissance, & du nombre de ceux que l'on nommoit curiales, à moins qu'ils n'eussent été dix ans dans le clergé.

Honorius ordonna en 412 que les terres des églises seroient sujettes aux charges ordinaires, & les affranchit seulement des charges extraordinaires.

Justinien, par sa novelle 37, permet aux évêques d'Afrique de rentrer dans une partie des biens, dont les Ariens les avoient dépouillés, à condition de payer les charges ordinaires; ailleurs il exempte les églises des charges extraordinaires seulement; il n'exempta des charges ordinaires qu'une partie des boutiques de Constantinople, dont le loyer étoit employé aux frais des sépultures, dans la crainte que, s'il les exemptoit toutes, cela ne préjudiciât au public.

Les papes mêmes & les fonds de l'église de Rome, ont été tributaires des empereurs romains ou grecs jusqu'à la fin du huitieme siecle. S. Grégoire recommandoit aux défenseurs de Sicile de faire cultiver avec soin les terres de ce pays, qui appartenoient au saint siége, afin que l'on pût payer plus facilement les impositions dont elles étoient chargées. Pendant plus de cent vingt ans, & jusqu'à Benoît II, le pape étoit confirmé par l'empereur, & lui payoit 20 liv. d'or; les papes n'ont été exempts de tous tributs, que depuis qu'ils sont devenus souverains de Rome & de l'exarcat de Ravenne, par la donation que Pepin en fit à Etienne III.

Lorsque les Romains eurent conquis les Gaules, tous les ecclésiastiques, soit gaulois ou romains, étoient sujets aux tributs, comme dans le reste de l'empire.

Depuis l'établissement de la monarchie françoise, on suivit pour le clergé ce qui se pratiquoit du tems des empereurs, c'est - à - dire que nos rois exempterent les ecclésiastiques d'une partie des charges personnelles; mais ils voulurent que les terres de l'église demeurassent sujettes aux charges réelles.

Sous la premiere & la seconde race de nos rois, tems où les fiefs étoient encore inconnus, les ecclésiastiques devoient déja, à cause de leurs terres, le droit de giste ou procuration, & le service militaire; ces deux devoirs continuerent d'être acquittés par les ecclésiastiques encore long - tems sous la troisieme race.

Le droit de giste & de procuration consistoit à loger & nourrir le roi & ceux de sa suite, quand il passoit dans quelque lieu où des ecclésiastiques seculiers ou réguliers avoient des terres; ils étoient aussi obligés de recevoir ceux que le roi envoyoit de sa part dans les provinces.

A l'égard du service militaire, lorsqu'il y avoit guerre, les églises étoient obligées d'envoyer à l'armée leurs vassaux & un certain nombre de personnes, & de les y entretenir; l'évêque ou l'abbé devoit être à la tête de ses vassaux. Quelques - uns de nos rois, tel que Charlemagne, dispenserent les prélats de se trouver en personne à l'armée, à condition d'envoyer leurs vassaux sous la conduite de quelque autre seigneur; il y avoit des monasteres qui payoient au roi une somme d'argent pour être déchargés du service militaire.

Outre le droit de giste & le service militaire, les ecclésiastiques fournissoient encore quelquefois au roi des secours d'argent pour les besoins extraordinaires de l'état. Clotaire I. ordonna en 558 ou 560, qu'ils payeroient le tiers de leur revenu; tous les évêques y souscrivirent, à l'exception d'Injuriosus, évêque de Tours, dont l'opposition fit changer le roi de volonté; mais si les ecclésiastiques firent alors quelque difficulté de payer le tiers, il est du - moins constant qu'ils payoient au roi, ou autre seigneur duquel ils tenoient leurs terres, la dixme ou dixieme partie des fruits, à l'exception des églises qui en avoient obtenu l'exemption, comme il paroît par une ordonnance du même Clotaire de l'an 560, ensorte que l'exemption de la dixme étoit alors une des immunités de l'église. Chaque église étoit dotée suffisamment, & n'avoit de dixme ou dixieme portion que sur les terres qu'elle avoit données en bénéfice. Dans la suite les exemptions de dixme étant devenues fréquentes en faveur de l'église, de même que les concessions du droit actif de dixmes, on a regardé les dixmes comme étant ecclésiastiques de leur nature.

Les églises de France étoient aussi dès lors sujettes à certaines impositions. En effet, Grégoire de Tours rapporte que Theodebert, roi d'Austrasie, petit - fils de Clovis, déchargea les églises d'Auvergne de tous les tributs qu'elles lui payoient. Le même auteur nous apprend que Childebert, aussi roi d'Austrasie & petit - fils de Clotaire I. affranchit pareillement le clergé de Tours de toutes sortes d'impôts.

Charles Martel, qui sauva dans tout l'Occident la religion de l'invasion des Sarrasins, fit contribuer le clergé de France à la récompense de la noblesse qui lui avoit aidé à combattre les infideles; l'opinion commune est qu'il ôta aux ecclésiastiques les dixmes pour les donner à ses principaux officiers; & c'est de - là que l'on tire communément l'origine des dixmes inféodées; mais Pasquier, en ses recherches, liv. III. chap. xxxxij, & plusieurs autres auteurs tiennent que Charles Martel ne prit pas les dixmes; qu'il prit seulement une partie du bien temporel des églises, sur - tout de celles qui étoient de fondation royale, pour le donner à la noblesse françoise, & que

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