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Si vous doutez encore du matérialisme de Platon,
lisez ce qu'en dit M. Bayle dans le premier tome de
la continuation de ses pensées diverses, fondé sur un
passage d'un auteur moderne, qui a expliqué & dévoilé
le platonisme. Voici le passage que cite M.
Bayle.
Enfin, pour conclure par un argument tranchant
& décisif, c'est une chose avancée de tout le monde,
que Platon & presque tous les philosophes de l'antiquité
ont soutenu que l'ame n'étoit qu'une partie
séparée du tout; que Dieu étoit ce tout, & que
l'ame devoit enfin s'y réunir par voie de réfusion.
Or il est évident qu'un tel sentiment emporte nécessairement
avec lui le matérialisme. L'esprit tel que
nous l'admettons n'est pas sans doute composé de
parties qui puissent se détacher les unes des autres;
c'est là ce caractere propre & distinctif de la matiere.
Voyez l'article de l'
Comme l'ancienne philosophie confondoit la spiritualité & la matérialité, ne mettant entr'elles d'autre différence que celle qu'on met d'ordinaire entre les modifications d'une même substance, croyant de plus que ce qui est matériel peut deve<cb->
Origene ce savant si respectable, & consulté de
toutes parts, n'entendoit par esprit qu'une matiere
subtile, & un air extrèmement léger. C'est le sens
qu'il donne au mot
Tertullien s'est expliqué encore plus clairement
qu'Origene sur la corporéïté de Dieu qu'il appelle
cependant spirituel dans le sens dont on se servoit
de ce mot chez les anciens.
Ce sentiment de Tertullien ne prenoit pourtant pas sa source comme celui des autres, dans l'opinion dominante; il estimoit trop peu les Philosophes, & Platon lui - même, dont il disoit librement qu'il avoit fourni la matiere de toutes les hérésies. Il se trompoit ici par excès de religion, s'il étoit permis de s'exprimer de la sorte; parce qu'une femme pieuse rapportoit que dans un moment d'extase, une ame s'étoit montrée à elle, revêtue des qualités sensibles, lumineuse, colorée, palpable, & qui plus est, d'une figure extérieurement humaine; il crut devoir la maintenir corporelle, dans la crainte de blesser la foi. Circonspection dont on peut louer le motif, mais impardonnable entant que philosophe. Ce n'est pas qu'il ne dise quelquefois que l'ame est un esprit; mais qu'en conclure, sinon que cette expression n'emporte point dans le langage des anciens ce qu'elle signifie dans le nôtre? Par le mot esprit, nous concevons une intelligence pure, indivisible, simple; eux n'entendoient qu'une substance plus déliée, plus agile, plus pénétrante que les corps exposés à la perception des sens.
Je sais que dans les écoles on justifie Tertullien, du - moins par rapport à la spiritualité de Dieu. Ils veulent que cet ancien docteur regarde les termes de substances & de corps comme synonymes; ainsi lorsqu'on dit, qui peut nier que Dieu ne soit corps? c'est comme si l'on disoit, qui peut nier que Dieu ne soit une substance? Quant aux mots de spirituel & d'incorporel, ils ont chez Tertullien, selon les Scholastiques, un sens très - opposé. L'incorporel signifie le néant, le vuide, la privation de toute substance; le spirituel au contraire désigne une substance, qui n'est point matérielle. Ainsi, lorsque Tertullien dit, que tout esprit est corps, il faut l'entendre en ce sens, que tout esprit est une substance.
C'est par ces distinctions que les Scholastiques prétendent réfuter les reproches que S. Augustin a faits à Tertullien d'avoir crû que Dieu étoit corporel; il est assez singulier qu'ils se soient figurés que Tertullien ne connoissoit pas la valeur des termes latins, & qu'il exprimoit le mot de substance par celui de corps, & celui de néant par celui d'incorporel. Est - ce que tous les auteurs grecs & latins n'avoient pas fixé dans leurs écrits la véritable signification de ces termes? Cette peine qu'on se donne pour justifier Tertullien, est aussi infructueuse que celle qu'ont pris certains Platoniciens modernes, dans le dessein de prouver que Platon avoit crû la création de la matiere. Le savant Fabricius a dit, en parlant d'eux, qu'ils avoient entrepris de blanchir un more.
S. Justin n'a pas eu des idées plus pures de la parfaite
spiritualité qu'Origene & Tertullien. Il a dit en
termes exprès, que les anges étoient corporels;
que le crime de ceux qui avoient péché, étoit de
s'être laissé séduire par l'amour des femmes, & de
les avoir connu charnellement. Certainement, je ne
crois pas que personne s'avise de vouloir spiritualiser
les anges de S. Justin, il leur fait faire des preuves
trop fortes de leur corporéité. Quant à la nature
de Dieu, ce pere ne l'a pas mieux connue que
celle des autres êtres spirituels.
Tatien, philosophe chrétien, dont les ouvrages
sont imprimés à la suite de ceux de S. Justin, parle
dans ces termes de la spiritualité des anges & des
démons:
S. Clément d'Aléxandrie a dit en termes formels, que Dieu étoit corporel. Après cela, il est inutile de rapporter s'il croyoit les ames corporelles; on le sent bien sans doute. Quant aux anges, il leur faisoit prendre les mêmes plaisirs que S. Justin; plaisirs où le corps est autant nécessaire que l'ame.
Lactance croyoit l'ame corporelle. Après avoir examiné toutes les opinions des Philosophes sur la matiere dont l'essence de l'ame est composée, & les avoir toutes regardées comme incertaines; il dit qu'elles ont toutes cependant quelque chose de véritable, notre ame ou le principe de notre vie étant dans le sang, dans la chaleur & dans l'esprit; mais qu'il est impossible de pouvoir exprimer la nature qui résulte de ce melange, parce qu'il est plus facile d'en voir les opérations que de la définir. Le même auteur ayant établi par ces principes la corporéïté de l'ame, dit qu'elle est quelque chose de semblable à Dieu. Il rend par conséquent Dieu matériel, sans s'en appercevoir, & sans connoître son erreur; car selon les idées de son siecle, quoique ce fût celui de Constantin, un esprit étoit un corps composé de matiere subtile. Ainsi, disant que l'ame étoit corps, & cependant quelque chose de semblable à Dieu, il ne croyoit pas dégrader davantage la nature divine & la spiritualité, que lorsque nous assûrons aujourd'hui que l'ame étant spirituelle, est d'une nature semblable à celle de Dieu.
Arnobe n'est pas moins précis ni moins formel sur la corporéité spirituelle que Lactance. On pourroit lui joindre S. Hilaire, qui dans la suite pensa que l'ame étoit étendue; S. Grégoire de Nazianze, qui disoit qu'on ne pouvoit concevoir un esprit, sans concevoir du mouvement & de la diffusion; S. Grégoire de Nysse, qui parloit d'une sorte de transmigration inconcevable sans matérialité; S. Ambroise qui divisoit l'ame en deux parties, division qui la dépouilloit de son essence en la privant de sa simplicité; Cassien qui pensoit & s'expliquoit presque de même; & enfin Jean de Thessalonique, qui au septieme concile avance, comme un article de tradition attestée par S. Athanase, par S. Basile & par S. Méthode, que ni les anges, ni les démons, ni les ames humaines ne sont dégagés de la matiere. Déja néanmoins de grands personnages avoient enseigné dans l'Eglise une philosophie plus correcte; mais l'ancien préjugé se conservoit apparemment dans quelques esprits, & se montroit encore une fois pour ne plus reparoitre.
Les Grecs modernes ont été à peu - près dans les
mêmes idées que les anciens. Ce sentiment est appuyé
de l'autorité de M. de Beausobre, l'un des
plus savans hommes qu'il y ait eu en Europe. Voici
comme il parle dans son histoire de Manichée & du
Manichéisme:
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