ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"519"> copale; ac sane apud te de animi mei motibus disputabo; neque enim apud alium, quam amicissimum tuum unaque mecum educatum caput, commodius istud facere possum. Je ne balancerai point à vous dévoiler mes sentimens; & à qui pourrois - je montrer plus volontiers le fond de mon coeur, qu'à mon frere, qu'à celui avec lequel j'ai été nourri, élevé, qu'à l'homme qui m'aime le mieux, & à qui je suis le plus cher? Te enim oequum est & earumdem curarum esse participem, & cum noctu vigilare, tum interdiu cogitare, quemadmodum aut boni mihi aliquid contingat aut mali quidpiam evitare possim. Il faut qu'il partage tous mes soins; s'il est possible qu'en veillant avec moi la nuit, en m'entretenant le jour, je me procure quelque bien, ou que j'évite quelque mal, il ne s'y refusera pas. Audi igitur quoe sit mearum rerum status, quarum plerumque, jam, opinor, tibi fuerint cognitoe. Vons connoissez déja une partie de ma situation, écoutez - moi, mon frere, & sachez le reste. Cum exiguum onus suscepissem, commode mihi hactenus sustinuisse videor, philosophiam. Jusqu'à présent je me suis contenté du rôle de philosophe; il éroit facile, & je crois m'en êtré assez bien acquitté. Mais on a mal jugé de ma capacité; & parce qu'on m'a vû soutenir sans peine un fardeau leger, on a cru que j'en pourrois porter un plus pesant. Pro eo vero quod non omnino ab ea aberrare videor, à nonnullis laudatus, majoribus dignus ab iis existimor, qui animi facultatem habilitatemque dignoscere nequeant. Jugeons - nous nous - mêmes, & ne nous laissons point séduire par cet éloge. Craignons que de nouveaux honneurs ne nous rendent vains, & qu'un poste plus élevé ne m'ôte le peu de mérite que j'ai dans celui que j'occupe, s'il arrive qu'après avoir pour ainsi dire, méprisé l'un, l'on me reconnoisse in digne de l'autre. Vereor autem ne arrogantior redditus, cum honorem admittent, ab utroque excldam, postquam alterum quidem contempsero, alterius vero non fuerim dignitatem assecutus. Dieu, la loi, & la main sacrée de Théophile, m'ont attaché à une femme; il ne me convient ni de m'en séparer, ni de vivre secrettement avec elle, comme un adultere. Mihi & Deus ipse & lex & sacra Theophili manus uxorem dedit, quare hoc omnibus proedico, & testor neque me ab ea prorsus sejungi velle, neque adulteri instar cum ea clénculum consuescere. Je partage mon tems en deux portions. J'étudie ou j'enseigne. En étudiant, je suis ce qu'il me plaît. En enseignant, c'est autre chose. Duobus hisce tempus identidem distinguo ludis, atque studiis. At cum in studiis occupor, tum mihi uni dedirus sum; in ludendo vero, maximè omnibus expositus. Il est difficile, il est impossible de chasser de son esprit des opinions qui y sont entrées par la voie de la raison, & que la force de la démonstration y retient. Et vous n'ignorez pas qu'en plusieurs points, la Philosophie ne s'accorde ni avec nos dogmes, ni avec nos decrets. Difficile est, vel fieri potius nullo pacto potest ut quoe dogmata scientiarum ratione ad demonstrationem perducta in animum pervenerint, convellantur. Nosti autem Philosophiam cum plerisque ex pervulgatis usu decretis pugnare. Jamais, mon frere, je ne me persuaderai que l'origine de l'ame soit postérieure au corps; je ne prendrai jamais sur moi de dire que ce monde & ses autres parties puissent passer en même tems. J'ai une facon de penser qui n'est point celle du vulgaire, & il y a dans cette doctrine usée & rebattue de la résurrection, je ne sais quoi de ténébreux & dé sacré, que je ne saurois digérer. Une ame imbue de la Philosophie, un esprit accoutumé à la recherche de la vérité, ne s'expose pas sans répugnance à la nécessité de mentir. Etenim nunquam profecto mihi persuasero animum originis esse posteriorem corpore; mundum coeterasque ejus partes una interire nunquam dixero; tritam illam ac decantatam resurrectionem sacrum quidplum atque arcanum arbitror, longeque absum à vulgi opinionibus comprobandis. Animus certè quidem Philosophia imbutus ac veritatis inspector mentiendi necessitati non nihil remittit. Il en est de la vérité comme de la lumiere. Il faut que la lumiere soit proportionnée à la force de l'organe, si l'on ne veut pas qu'il en soit blessé. Les ténebres conviennent aux ophtalmiques, & le mensonge aux peuples; & la vérité nuit à ceux dont l'esprit ou inactif ou hébété ne peut ou n'est pas accoutumé à approfondir. Lux enim veritati, oculus vulgo proportione quadam respondent. Et oculus ipse non sine damno suo immodica luce perfruitur. Ac uti ophtalmicis caligo magis expedit, eodem modo mendacium vulgo prodesse arbitror, contra nocere veritatem iis qui in rerum perspicuitatem intendere mentis aciem nequeunt. Cependant voyez; je ne refuse pas d'être évêque, s'il m'est permis d'allier les fonctions de cet état avec mon caractere & ma franchise, philosophant dans mon cabinet, répetant des fables en public, n'en seignant rien de nouveau, ne desabusant sur rien, & laissant les hommes dans leurs préjugés à peu près comme ils me viendront; mais le croyez - vous? Hoec si mihi episcopalis nostri muneris jussa concesserint, subire hanc dignitatem possint, ita ut domi quidem philosopher, foris vero fabulas texam, ut nihil penitùs docens, sic nihil etiam dedocens atque in proesumptâ animi opinione sistens. Sans cela, s'il faut qu'un évêque soit populaire dans ses opinions, je me décélerai sur le champ. On me conférera l'épiscopat si l'on veut; mais je ne veux pas mentir. J'en atteste Dieu & les hommes. Dieu & la vérité se touchent. Je ne veux point me rendre coupable d'un crime à ses yeux. Non, mon frere, non, je ne puis dissimuler mes sentimens. Jamais ma bouche ne proférera le contraire de ma pensée. Mon coeur est sur le bord de mes levres. C'est en pensant comme je fais, c'est en ne disant rien que je ne pense, que j'espere de plaire à Dieu. Si dixerint episcopum opinionibus popularem esse, ego me illico omnibus manisestum proebebo. Si ad episcopale munus vocer, nolo ementiri dogmata. Horum Deum, horum homines testes facio. Assinis est Deo veritas, apud quem criminis expers omnis cupio. Dogmata porro mea nunquam obtegam, neque mihi ab animo lingua dissidebit. Ita sentiens, itaque loquens placere me Deo arbitror. Voyez les ouvrages de Synésius dans la Colléct. des Peres de l'Eglise.

Cette protestation ne l'empêcha point d'être consacré évêque de Ptolomaïs. Il est incroyable que Théophile n'ait point balancé à élever à cette dignité un philosophe infecté de Platonisme, & s'en faisant honneur. On eut égard, dit Photius, à la sainteté de ses moeurs, & l'on espéra de Dieu qu'il l'éclaireroit un jour sur la résurrection & sur les autres dogmes que ce philosophe rejettoit.

Denis l'Aréopagite, Claudien Mamert, Boëtce, AEneas Gazaeus, Zacharie le Scholastique, Philopon & Nemesius, ferment cette ere de la Philosophie chrétienne que nous allons suivre, dans l'Orient, dans la Grece & dans l'Occident, en exposant les révolutions depuis le septieme siecle jusqu'au douzieme.

Cette philosophie des émanations, cette chaîne d'esprits qui descendoit & qui s'élevoit, toutes ces visions platonico - origenico - alexandrines qui promettoient à l'homme un commerce plus ou moins intime avec Dieu, étoient très - propres à entretenir l'oisiveté pieuse de ces comtemplateurs inutiles qui remplissoient les forêts, les monasteres & les solitudes; aussi fit - elle fortune parmi eux. Le Péripatétisme au contraire, dont la dialectique subtile fournissoit des armes aux hérétiques, s'accréditoit d'un autre côté. Il y en eut qui, jaloux d'un double avantage, tâcherent de concilier Aristote avec Platon; mais celui - ci perdit de jour en jour; Aristote gagna, & la philosophie alexandrine etoit presque oubliée, [p. 520] lorsque Jean Damascene parut. Il professa dans le monde le Péripatétisme qu'il ne quitta point dans son monastere. Il fut le premier qui commença à introduire l'ordre didactique dans la Théologie. Les scholastiques pourroient le regarder comme leur fondateur. Damascene fit - il bien d'associer Aristote à Jesus - Christ, & l'Eglise lui a - t - elle une grande obligation d'avoir habillé ses dogmes à la mode scholastique? c'est ce que je laisse discuter à de plus habiles.

Les ténebres de la barbarie se répandirent en Grece au commencement du huitieme siecle. Dans le neuvieme la Philosophie y avoit subi le sort des Lettres qui y étoient dans le dernier oubli. Ce fut la suite de l'ignorance des empereurs, & des incursions des Arabes. Le jour ne reparut, mais foible, que vers le milieu du neuvieme; sous le regne de Michel & de Barda. Celui - ci établit des écoles, & stipendia des maîtres. Les connoissances s'étendirent un peu sous Constantin Porphyrogenete. Psillus l'ancien & Léon Allatius son disciple lutterent contre les progrès de l'ignorance, mais avec peu de succès. L'honneur de relever les Lettres & la Philosophie étoit réservé à ce Photius qui deux fois nommé patriarche, & deux fois déposé, mit toute l'Eglise d'orient en combustion. Cet homme nous a conservé dans sa bibliotheque des notices d'un grand nombre d'ouvrages qui n'existent plus. Il fit aussi l'éducation de l'empereur Léon, qu'on a surnommé le sage, & qui a passé pour un des hommes les plus instruits de son tems. On trouve sous le regne de Léon, dans la liste des restaurateurs de la Science, les noms de Nicetas David, de Michel Ephesius, de Magentinus, d'Eustratius, de Michel Anchialus, de Nicephore Blenimides, qui furent suivis de Georgius de Pachemere, de Théodore Méthochile, de Georgius de Chypre, de Georgius Lapitha, de Michel Psellius le jeune, & de quelques autres travaillans successivement à ressusciter les Lettres, la Poésie & la Philosopbie aristotélique & péripatéticienne jusqu'à la prise de Constantinople, tems où les connoissances abandonnerent l'Orient, & vinrent chercher le repos en Occident, où nous allons éxaminer l'état de la Philosophie depuis le septieme siecle jusqu'au douzieme.

Nous avons vû les Sciences, les Lettres & la Philosophie décliner parmi les premiers Chrétiens, & s'éteindre pour ainsi dire à Boëtce. La haine que Justinien portoit aux Philosophes; la pente des esprits à l'esclavage, les miseres publiques, les incursions des Barbares, la division de l'Empire romain, l'oubli de la langue greque, même par les propres habitans de la Grece, mais sur - tout la haine que la superstition s'efforçoit à susciter contre la Philosophie, la naissance des Astrologues, des Genethliaques & de la foule des fourbes de cette espece, qui ne pouvoient espérer d'en imposer qu'à la faveur de l'ignorance, consommerent l'ouvrage; les livres moraux de Grégoire devinrent le seul livre qu'on eût.

Cependant il y avoit encore des hommes; & quand n'y en a - t - il plus? mais les obstacles étoient trop difficiles à surmonter. On compte parmi ceux qui chercherent à secouer le joug de la barbarie, Capella, Cassiodore, Macrobe, Firmicus Maternus, Chalcidius, Augustin; au commencement du septieme siecle, Isidore d'Hispale, les moines de l'ordre de S. Benoît, sur la fin de ce siecle Aldhelme, au milieu du huitieme Beda, Acca, Egbert, Alcuin, & notre Charlemagne auquel ni les tems antérieurs, ni les tems posterieurs n'auroient peut - être aucun homme à comparer, si la Providence eût placé à côté de lui des personnages dignes de cultiver les talens qu'elle lui avoit accordés. Il tendit la main à la science abattue, & la releva. On vit renaître par ses encouragemens les connoissances profanes & sacrées, les Sciences, les Arts, les Lettres & la Philosophie. Il arrachoit cette partie du monde à la barbarie, en la conquérant; mais la superstition renyersoit d'un côté ce que le prince édifioit d'un autre. Cependant les écoles qu'il forma subsisterent, & c'est de - là qu'est sortie la lumiere qui nous éclaire aujourd'hui. Qui est - ce qui écrira dignement la vie de Charlemagne? Qui est - ce qui consacrera à l'immortalité le nom d'Alfred, à qui la Science a les mêmes obligations en Angleterre, qu'à Charlemagne en France?

Nous n'oublierons pas ici Rabanus Maurus, qui naquit dans le huitieme siecle, & qui se fit distinguer dans le neuvieme; Strabon, Scot, Enginhard, Anlegisus, Adelhard, Hincmar, Paule - Wenfride, Lupus - Servatus, Herric, Angilbert, Egobart, Clément, Wandalbert, Reginon, Grimbeld, Ruthard, & d'autres qui repousserent la barbarie, mais qui ne la dissiperent point. On sait quelle fut encore l'ignorance du dixieme siecle. C'étoit envain que les Ottons d'un côté, les rois de France d'un autre, les rois d'Angleterre & différens princes offroient des asyles & des secours à la Science, l'ignorance duroit. Ah, si ceux qui gouvernent, parcouroient des yeux l'histoire de ces tems, ils verroient tous les maux qui accompagnent la stupidité; & combien il est difficile de reproduire la lumiere, lorsqu'une fois elle s'est éteinte! Il ne faut qu'un homme & moins d'un siecle pour hébêter une nation; il faut une multitude d'hommes & le travail de plusieurs siecles pour la ranimer.

Les écoles d'Oxford produisirent en Angleterre Bridferth, Dunstan, Alfred de Malmesburi; celles de France, Remy, Constantin Abbon; on vit en Allemagne Notkere, Ratbode, Nannon, Bruno, Baldric, Israel, Ratgerius, &c... mais aucun ne se distingua plus que notre Gerbert, souverain pontife sous le nom de Sylvestre second, & notre Odon; cependant le onzieme siecle ne fut pas fort instruit. Si Guido Arétin composa la gamme, un moine s'avisa de composer le droit pontifical, & prépara bien du mal aux siecles suivans. Les princes occupés d'affaires politiques, cesserent de favoriser les progrès de la Science, & l'on ne rencontre dans ces tems que les noms de Fulbert, de Berenger & de Lanfranc, & des Anselmes ses disciples, qui eurent pour contemporains ou pour successeurs Léon neuf, Maurice, Franco, Willeram, Lambert, Gerard, Wilhelme, Pierre d'Amien, Hermann Contracte, Hildebert, & quelques autres, tels que Roscelin.

La plûpart de ces hommes, nés avec un esprit très - subtil, perdirent leur tems à des questions de dialectique & de théologie scholastique; & la seule obligation qu'on leur ait, c'est d'avoir disposé les hommes à quelque chose de mieux.

On voit les frivolités du Péripatétisme occuper toutes les têtes au commencement du douzieme siecle. Que font Constantinus Afer, Daniel Morlay, Robert, Adelard, Oton de Frisingue, &c. ils traduisent Aristote, ils disputent, ils s'anathématisent, ils se détestent, & ils arrêtent plûtôt la Philosophie qu'ils ne l'avancent. Voyez dans Gerson & dans Thomasius l'histoire & les dogmes d'Alméric. Celui - ci eut pour disciple David de Dinant. David prétendit avec son maître, que tout étoit Dieu, & que Dieu étoit tout; qu'il n'y avoit aucune différence entre le créateur & la créature; que les idées créent & sont créées; que Dieu étoit la fin de tout, en ce que tout en étoit émané, & y retournoit, &c. Ces opinions furent condamnées dans un concile tenu à Paris, & les livres de David de Dinant brûlés.

Ce fut alors qu'on proscrivit la doctrine d'Aristote; mais tel est le caractere de l'esprit humain, qu'il

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