ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"517"> les dogmes chrétiens, & l'on vit tout - à - coup éclore de ce mélange une multitude incroyable d'hérésies; la plûpart sous un faux air de philosophie. On en a un exemple frappant, entre autres dans celle des Valentiniens. Voyez l'article Valentiniens. De là cette haine des Peres contre la Philosophie, avec laquelle leurs successeurs ne se sont jamais bien reconciliés. Tout système leur fut également odieux, si l'on en excepte le Platonisme. Un auteur du seizieme siecle nous a exposé cette distinction, avec son motif & ses inconvéniens, beaucoup mieux que nous ne le pourrions faire. Voici comment il s'en exprime. La citation sera longue; mais elle est pleine d'éloquence & de vérité. Plato humaniter & plusquam par erat, benigne à nostris susceptus, cum ethnicus esset, & hostium famosissimus antesignamus, & vanis tum Groecorum, tum exterarum gentium superstitionibus apprime imbutus, & mentis acumine & variorum dogmatum cognitione, & famosâ illâ ad AEgyptum navigatione. Ingenii sui, alioqui proeclarissimi vires adeo roboraverit, & patria eloquentia usque adeo disciplinas adauxit, ut sive de Deo, & de ipsius una quadam nescio quâ trinitate, bonitate, providentia, sive de mundi creatione, de coelestibus mentibus, de doemonibus, sive de anima, sive tandem de moribus sermonem habuerit, solus è Groecorum numero ad sublimem sapientioe groecoe metan pervenisse videretur. Hinc nostri prima mali labes. Hinc hoeretici spargere voces ambiguas in vulgus ausi sunt; hinc superstitionum, mendaciorum, & pravitatum omne genus in Ecclesiam Dei, agmine facto, coepit irruere. Hinc Ecclesioe parietibus, tectis, columnis ac postibus sanctis horrificum quoddam & nefarium omni imbutum odio atque scelere bellum, hoeretici intulerunt: & quidem tanta fuit in captivo Platone sapientia, tantaque leporis eloquentioe dulcedo, ut parum abfuerit, quin de victoribus, triumpho ipse actus, triumpharet. Nam, ut à primis nosirorum patrum proceribus exordiar, si Clementem Alexandrinum inspicimus, quanti ille Platonem fecerit, plusquam sexcentis in locis, dum libet, videre licet, & tanquam veri amatorem à primo fere suorum librorum limine salutavit. Si vero etiam Origenem, quam frequenter in ejusdem sententiam iverit, magno quidem sui & christianoe reipublicoe documento experimur. Si Justinum, gavisus ipse olim est, se in Platonis doctri tam incidisse. Si Eusebium, nostra ille ad Platonem cuncta fere ad satietatem usque retulit. Si Theodoretum, adeo illius doctrina perculsus est, utcum Groecos affectus eurasse tentasset, medicamenta non sine Platone proeparante, illis adhibere sit ausus. Si vero tandem Augustinum, dissimulem ne pro millibus unum, quod referere piget. Platonis ille quidem, jam, non dicta, vérum decreta, & eadem sacro - sancta apellare non dubitavit. Vide igitur quantos, qualesque viros victus ille groecus ad sui benevolentiam de se triumphantes pellexerit; ut nec aliis deinde artibus ipsemet Plato in multorum animis sese veluti hostis deterrimus insinuaverit; quem tamen vel egregie corrigi, vel adhibita potius'cautione legi, quam veluti captivum servari proestitisset. Joan. Bapt. Crisp.

Je ne vois pas pourquoi le Platonisme a été reproché aux premiers disciples de Jesus - Christ, & pourquoi l'on s'est donné la peine de les en défendre. Y at - il eu aucun système de Philosophie qui ne contînt quelques vérités? & les Chrétiens devoient - ils les rejetter parce qu'elles avoient été connues, avancées ou prouvées par des Payens? Ce n'étoit pas l'avis de saint Justin, qui dit des Philosophes, quoecumque apud omnes recte dicta sunt, nostra Christianorum sunt, & qui retint des idées de Platon tout ce qu'il en put concilier avec la morale & les dogmes du Christianisme. Qu'importe en effet au dogme de la Trinité, qu'un métaphysicien, à force de subtiliser ses idées, ait ou non rencontré je ne sais quelle opinion qui lui soit analogue? Qu'en conclure, sinon que ce mystere loin d'être impossible, comme l'im<cb-> pie le prétend, n'est pas tout - à - fait inaccessible à la raison.

2°. Qu'emportés par la chaleur de la dispute, nos premiers docteurs se sont quelquefois embarrassés dans des paralogismes, ont mal choisi leurs argumens, & montré peu d'exactitude dans leur logique.

3°. Qu'ils ont outré le mépris de la raison & des sciences naturelles.

4°. Qu'en suivant à la rigueur quelqu'un de leurs préceptes, la religion qui doit être le lien de la société, en deviendroit la destruction.

5°. Qu'il faut attribuer ces défauts aux circonstances des tems & aux passions des hommes, & non à la religion qui est divine, & qui montre par - tout ce caractere.

Après ces observations sur la doctrine des Peres en général, nous allons parcourir leurs sentimens particuliers, selon l'ordre dans lequel l'histoire de l'Eglise nous les présente.

Saint Justin fut un des premiers Philosophes qui embrasserent la doctrine évangélique. Il reçut au commencement du second siecle, & signa de son sang la foi qu'il avoit défendue par ses écrits. Il avoit d'abord été stoïcien, ensuite péripatéticien, pytagorien, platonicien, lorsque la constance avec laquelle les Chrétiens alloient au martyre, lui fit soupçonner l'imposture des accusations dont on les noircissoit. Telle fut l'origine de sa conversion. Sa nouvelle façon de penser ne le rendit point intolérant; au contraire, il ne balança pas de donner le nom de Chrétiens, & de sauver tous ceux qui avant & après Jesus - Christ, avoient sçû faire un bon usage de leurs raisons. Quicumque, dit - il, secundum rationem & verbum vixere, Christiani sunt, quamvis athoei, id est, nullius numinis cultores habiti sunt, quales inter Groecos fuere Socrates, Heraclitus, & his similes, inter barbaros autem Abraham & Ananias & Azarias & Misael & Elias, & alii complures; & celui qui nie la conséquence que nous venons de tirer de ce passage, & que nous pourrions inférer d'un grand nombre d'autres, est, selon Brucker, d'aussi mauvaise foi que s'il disputoit en plein midi contre la lumiere du jour.

Justin pensoit encore, & cette opinion lui étoit commune avec Platon & la plûpart des peres de son tems, que les Anges avoient habité avec les filles des hommes, & qu'ils avoient des corps propres à la génération.

D'où il s'ensuit que quelques éloges qu'on puisse donner d'ailleurs à la piété & à l'érudition de Bullus, de Baltus & de le Nourri, ils nuisent plus à la religion qu'ils ne la servent, par l'importance qu'ils semblent attacher aux choses, lorsqu'on les voit occupés à obscurcir des questions fort claires. Saint Justin étoit homme, & s'il s'est trompé en quelques points, pourquoi n'en pas convenir?

Tatien syrien d'origine, gentil de religion, sophiste de profession, fut disciple de saint Justin. Il partagea avec son maître la haine & les persécutions du cynique Crescence. Entraîné par la chaleur de son imagination, Tatien se fit un christianisme mélé de philosophie orientale & égyptienne. Ce mélange malheureux souilla un peu l'apologie qu'il écrivit pour la vérité du Christianisme, apologie d'ailleurs pleine de vérité, de force & de sens. Celui - ci fut l'auteur de l'hérésie des Encratites. Voyez cet article. Cet exemple ne sera pas le seul d'hommes transfuges de la Philosophie que l'Eglise reçut d'abord dans son giron, & qu'elle fut ensuite obligée d'en rejetter comme hérétiques.

Sans entrer dans le détail de ses opinions, on voit qu'il étoit dans le système des émanations; qu'il croyoit que l'ame meurt & résuscite avec le corps; que ce n'étoit point une substance simple, mais com<pb-> [p. 518] posée de parties; que ce n'étoit point par la raison, qui lui étoit commune avec la bête, que l'homme en étoit distingué, mais par l'image & la ressemblance de Dieu qui lui avoit été imprimée; que si le corps n'est pas un temple que Dieu daigne habiter, l'homme ne differe de la bête que par la parole; que les démons ont trouvé le secret de se faire auteurs de nos maladies, en s'emparant quelquefois de nous quand elles commencent; que c'est par le péché que l'homme a perdu la tendance qu'il avoit à Dieu, tendance qu'il doit travailler sans cesse à recouvrer, &c.

Théophile d'Antioche eut occasion de parcourir les livres des Chrétiens chez son savant ami Antolique, & se convertit; mais cette faveur du ciel ne le débarrassa pas entiérement de son platonisme. Il appelle le Verbe LOGOS2, & ce mot joue dans ses opinions le même rôle que dans Platon. Du - moins le savant Petaut s'y est il trompé.

Athenagoras fut en même tems chrétien, platonicien & éclectique. On peut conjecturer ce qu'il entendoit par ce mot LOGOS2, qui a causé tant de querelles; lorsqu'il dit: à principio Deus, qui est mens oeterna, ipse in se ipso LO/GON habet, cum ab oeterno rationalis sit; & ailleurs, Plato excelso animo mentem oeternam & sola ratione comprehendendum Deum est contemplatus; de suprema potestate optime disseruit. Le Verbe ou LOGOS2 est en Dieu de toute éternité, parce qu'il a raisonné de toute éternité. Platon homme d'un esprit élevé & profond, a bien connu la nature divine.

Celui - ci croyoit aussi au commerce des Anges avec les filles des hommes. Ces impudiques errent à présent autour du globe, & traversent autant qu'il est en eux, les desseins de Dieu. Ils entraînent les hommes à l'idolatrie, & ils avalent la fumée des victimes; ils jettent pendant le sommeil dans nos esprits, des songes & des images qui les souillent, &c.

Après Athénagore, on rencontre dans les fastes de l'Eglise, les noms d'Hermias & d'Irenée. L'un s'appliqua à exposer avec soin les sentimens des Philosophes payens, & l'autre à en purger le Christianisme. Il seroit seulement à souhaiter qu'Irenée eût été aussi instruit qu'Hermias fut zèlé; il eût travaillé avec plus de succès.

Nous voici arrivés au tems de Tertulien, ce bouillant Africain qui a plus d'idée que de mots, & qui seroit peut - être à la tête de tous les docteurs du Christianisme, s'il eût pû concevoir la distinction des deux substances, & ne pas se faire un Dieu & une ame corporels. Ses expressions ne sont point équivoques. Quis negabit, dit - il, Deum corpus esse, & si spiritus sit?

Clément d'Alexandrie parut dans le second siecle. Il avoit été l'éleve de Pantaenus, philosophe stoïcien, avant que d'être chrétien. Si cependant on juge de sa philosophie, par les précautions qu'il exige avant que d'initier quelqu'un au Christianisme, on sera tenté de la croire un peu pytagorique; & si l'on en juge par la diversité de ses opinions, fort éclectique. L'éclectisme ou cette philosophie qui consistoit à rechercher dans tous les systèmes ce qu'on y reconnoissoit de vérités, pour s'en composer un particulier, commençoit à se renouveller dans l'Eglise. Voyez l'article Eclectique.

L'histoire d'Origene, dont nous aurions maintenant à parler, fourniroit seul un volume considérable; mais nous nous en tiendrons à notre objet, en exposant les principaux axiomes de sa Philosophie.

Selon Origene, Dieu dont la puissance est limitée par les choses qui sont, n'a créé de matiere qu'autant qu'il en avoit à employer; il n'en pouvoit ni créer ni employer davantage. Dieu est un corps seulement plus subtil. Toute la matiere tend à un état plus par<cb-> fait. La substance de l'homme, des Anges, de Dieu & des personnes divines est la même. Il y a trois hypostases en Dieu, & par ce mot il n'entend point des personnes. Le fils differe du pere, & il y a entre eux quelque inégalité. Il est le ministre de son pere dans la creation. Il en est la premiere émanation. Les Anges, les esprits, les ames occupent dans l'univers un rang particulier, selon leur degré de bonté. Les Anges sont corporels; les corps des mauvais anges sont plus grossiers. Chaque homme a un ange tutélaire, auquel il est confié au moment de sa naissance ou de son baptême. Les Anges sont occupés à conduire la matiere, chacun selon son mérite. L'homme en a un bon & un mauvais. Les ames ont été créées avant les corps. Les corps sont des prisons où elles ont été renfermées pour quelques fautes commises antérieurement. Chaque homme a deux ames; c'étoient des esprits purs qui ont dégénéré avec l'intérêt que Dieu y prenoit. Outre le corps, les ames ont encore un véhicule plus subtil qui les enveloppe. Elles passent successivement dans différens corps. L'état d'ame est moyen entre celui d'esprit & de corps. Les ames les moins coupables sont allées animer les astres. Les astres, en qualité d'êtres animés, peuvent indiquer l'avenir. Tout étant en vicissitude, la damnation n'est point éternelle; les ames peuvent se relever & retomber. Les fautes des ames s'expient par le feu. Il y a des régions basses où les ames des pécheurs subissent des châtimens proportionnés à leurs fautes. Elles en sortent libres de souillures, & capables d'atteindre aux demeures éternelles. Voici les différens degrés du bonheur de l'homme, perdre ses erreurs, connoître la vérité, être ange, s'assimiler à Dieu, s'y unir. L'homme en jouit successivement sur la terre, dans l'air, dans le paradis. Le cours de félicité se remplit dans un espace de siecles indéfinis; après lequel Dieu étant tout en tout, & tout étant en Dieu, il n'y aura plus de mal dans l'univers, & le bonheur sera général & parfait. A ce monde il en succédera un autre; à celui - ci un troisieme, & ainsi de suite, jusqu'à celui où Dieu sera tout en tout, & ce monde sera le dernier. La base de ce système, c'est que Dieu produit sans cesse, & qu'il en émane des mondes qui y retournent & y retourneront jusqu'à la consommation des siecles où il n'y aura plus que lui.

Les tems de l'Eglise qui suivent, virent naître Anatolius, qui résuscita le Parépatétisme; Arnobe, qui mélant l'Optimisme avec le Christianisme, disoit que nous prenant pour la mesure de tout, nous faisons à la nature qui est bonne, un crime de notre ignorance; Lactance, qui prit en une telle haine toutes les sectes philosophiques, qu'il ne put souffrir que ni Socrate ni Platon eussent dit d'eux - mêmes quelque chose de bien, & qui affectant des connoissances de toutes sortes d'especes, tomba dans un grand nombre de puérilités qui défigurent ses ouvrages d'ailleurs très - précieux; Eusebe, qui nous auroit laissé un ouvrage incomparable dans sa préparation évangélique, s'il eût été mieux instruit des principes de la Philosophie ancienne, & qu'il n'eût pas pris les dogmes absurdes des argumentateurs de son tems pour les vrais sentimens de ceux dont ils se disoient les disciples; Didyme d'Alexandrie; qui sçut très - bien séparer d'Aristote & de Platon ce qu'ils avoient de faux & de vrai, être philosophe & chrétien, croire avec jugement, & raisonner avec sobriété; Chalcidius, dont le Christianisme est demeuré fort suspect jusqu'à ce jour; Augustin, qui fut d'abord manichéen; Synesius, dont les incertitudes sont peintes dans une lettre qu'il écrivit à son frere d'une maniere naïve qui charme. La voici: ego cum me ipsum considero, omnino inferiorem sentio quam ut episcopali fastigio respondeam. Plus je m'examine moi - même, plus je me sens au - dessous du poids & de la dignité épis<pb->

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