ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"501"> eux & nous n'est pas qu'ils eussent des images, & que nous n'en ayons point; qu'ils aient fait des prieres devant des images, & que nous n'en faisions point: la différence est que leurs images figuroient des êtres fantastiques dans une religion fausse, & que les nôtres figurent des êtres réels dans une religion véritable.

Quand le consul Pline adresse ses prieres aux dieux immortels, dans l'exorde du panégyrique de Trajan, ce n'est pas à des images qu'il les adresse; ces images n'étoient pas immortelles.

Ni les derniers tems du paganisme, ni les plus reculés, n'offrent pas un seul fait qui puisse faire conclure qu'on adorât réellement une idole. Homere ne parle que des dieux qui habitent le haut olympe: le palladium, quoique tombé du ciel, n'étoit qu'un gage sacré de la protection de Pallas; c'étoit elle qu'on adoroit dans le palladium.

Mais les Romains & les Grecs se mettoient à genoux devant des statues, leur donnoient des couronnes, de l'encens, des fleurs, les promenoient en triomphe dans les places publiques: nous avons sanctifié ces coutumes, & nous ne sommes point idolâtres.

Les femmes en tems de sécheresse portoient les statues des faux dieux après avoir jeûné. Elles marchoient piés nuds, les cheveux épars, & aussi - tôt il pleuvoit à sceaux, comme dit ironiquement Pétrone, & statim urceatim pluebat. Nous avons consacré cet usage illégitime chez les Gentils, & légitime parmi nous. Dans combien de villes ne porte t - on pas nuds piés les châsses des saints pour obtenir les bontés de l'Etre suprème par leur intercession?

Si un turc, un lettré chinois étoit témoin de ces cérémonies, il pourroit par ignorance nous accuser d'abord de mettre notre confiance dans les simulacres que nous promenons ainsi en procession; mais il suffiroit d'un mot pour le détromper.

On est surpris du nombre prodigieux de déclamations débitées contre l'idolâtrie des Romains & des Grecs; & ensuite on est plus surpris encore quand on voit qu'en effet ils n'étoient point idolâtres; que leur loi ne leur ordonnoit point du tout de rapporter leur culte à des simulacres.

Il y avoit des temples plus privilégiés que les autres; la grande Diane d'Ephese avoit plus de reputation qu'une Diane de village, que dans un autre de ses temples. La statue de Jupiter Olympien attiroit plus d'offrandes que celle de Jupiter Paphlagonien. Mais puisqu'il faut toùjours opposer ici les coutumes d'une religion vraie à celles d'une religion fausse, n'avons nous pas eu depuis plusieurs siecles, plus de dévotion à certaines autels qu'à d'autres? Ne seroit - il pas ridicule de saisir ce prétexte pour nous accuser d'idolâtrie?

On n'avoit imaginé qu'une seule Diane, un seul Apollon, & un seul Esculape; non pas autant d'Apollons, de Dianes, & d'Esculapes, qu'ils avoient de temples & de statues; il est donc prouvé autant qu'un point d'histoire peut l'être, que les anciens ne croyoient pas qu'une statue fût une divinité, que le culte ne pouvoit être rapporté à cette statue, à cette idole, & que par conséquent les anciens n'étoient point idolâtres.

Une populace grossiere & superstitieuse qui ne raisonnoit point, qui ne savoit ni douter, ni nier, ni croire, qui couroit aux temples par oisiveté, & parce que les petits y sont égaux aux grands; qui portoit son offrande par coutume, qui parloit continuellement de miracles sans en avoir examiné aucun, & qui n'étoit guere au - dessus des victimes qu'elle amenoit; cette populace, dis - je, pouvoit bien à la vûe de la grande Diane, & de Jupiter tonnant, être frappé d'une horreur religieuse, & ado<cb-> rer sans le savoir la statue même. C'est ce qui est arrivé quelquefois dans nos temples à nos paysans grossiers; & on n'a pas manqué de les instruire que c'est aux bienheureux, aux immortels reçus dans le ciel, qu'ils doivent demander leur intercession, & non à des figures de bois & de pierre, & qu'ils ne doivent adorer que Dieu seul.

Les Grecs & les Romains augmenterent le nombre de leurs dieux par des apothéoses; les Grecs divinisoient les conquérans, comme Bacchus, Hercule, Persée. Rome dressa des autels à ses empereurs. Nos apothéoses sont d'un genre bien plus sublime; nous n'avons égard ni au rang, ni aux conquêtes. Nous avons élevé des temples à des hommes simplement vertueux qui seroient la plûpart ignorés sur la terre, s'ils n'étoient placés dans le ciel. Les apothéoses des anciens sont faites par la flatterie; les nôtres par le respect pour la vertu. Mais ces anciennes apothéoses sont encore une preuve convaincante que les Grecs & les Romains n'étoient point idolâtres. Il est clair qu'ils n'admettoient pas plus une vertu divine dans la statue d'Auguste & de Claudius, que dans leurs médailles. Cicéron dans ses ouvrages philosophiques ne laisse pas soupçonner seulement qu'on puisse se méprendre aux statues des dieux, & les confondre avec les dieux mêmes. Ses interlocuteurs foudroient la religion établie; mais aucun d'eux n'imagine d'accuser les Romains de prendre du marbre & de l'airain pour des divinités.

Lucrece ne reproche cette sottise à personne, lui qui reproche tout aux superstitieux: donc encore une fois, cette opinion n'existoit pas, & l'erreur du politéïsme n'étoit pas erreur d'idolâtrie.

Horace fait parler une statue de Priape: il lui fait dire: j'étois autrefois un tronc de figuier; un charpentier ne sachant s'il feroit de moi un dieu ou un banc, se détermina enfin à me faire dieu, &c. Que conclure de cette plaisanterie? Priape étoit de ces petites divinités subalternes, abandonnées aux railleurs; & cette plaisanterie même est la preuve la plus forte que cette figure de Priape qu'on mettoit dans les potagers pour effrayer les oiseaux, n'étoit pas fort révéree.

Dacier, en digne commentateur, n'a pas manqué d'observer que Baruc avoit prédit cette avanture, en disant, ils ne seront que ce que voudront les ouvriers; mais il pouvoit observer aussi qu'on en peut dire autant de toutes les statues: on peut d'un bloc de marbre tirer tout aussi - bien une cuvette, qu'une figure d'Alexandre ou de Jupiter, ou de quelque chose de plus respectable. La matiere dont étoient formés les chérubins du saint des saints, auroit pû servir également aux fonctions les plus viles. Un tronc, un autel en sont - ils moins révérés, parce que l'ouvrier en pouvoit faire une table de cuisine?

Dacier au lieu de conclure que les Romains adoroient la statue de Priape, & que Baruc l'avoit prédit, devoit donc conclure que les Romains s'en mocquoient. Consultez tous les auteurs qui parlent des statues de leurs dieux, vous n'en trouverez aucun qui parle d'idolâtrie; ils disent expressément le contraire: vous voyez dans Martial.

Qui finxit sacros auro vel marmore vultus, Non faoit ille deos. Dans Ovide. Colitur pro Jove forma Jovis. Dans Stace. Nulla autem effigies nulli commissa metallo.

Forma Dei montes habitare ac numina gaudet. Dans Lucain. Est - ne Dei nisi terra & pontus, & aer?

On feroit un volume de tous les passages qui déposent que des images n'étoient que des images.

Il n'y a que le cas où les statues rendoient des ora<pb-> [p. 502] cles, qui ait pu faire penser que ces statues avoient en elles quelque chose de divin; mais certainement l'opinion regnante étoit que les dieux avoient choisi certains autels, certains simulacres, pour y venir résider quelquefois, pour y donner audience aux hommes, pour leur répondre. On ne voit dans Homère, & dans les choeurs des tragédies greques, que des prieres à Apollon, qui rend ses oracles sur les montagnes, en tel temple, en telle ville; il n'y a pas dans toute l'antiquité la moindre trace d'une priere adressée à une statue.

Ceux qui professoient la magie, qui la croyoient une science, ou qui feignoient de le croire, prétendoient avoir le secret de faire descendre les dieux dans les statues, non pas les grands dieux, mais les dieux secondaires, les génies. C'est ce que Mercure Trismégite appelloit faire des dieux; & c'est ce que S. Augustin réfute dans sa cité de Dieu; mais cela même montre évidemment qu'on ne croyoit pas que les simulacres eussent rien en eux de divin, puisqu'il falloit qu'un magicien les animât; & il me semble qu'il arrivoit bien rarement qu'un magicien fût assez habile pour donner une ame à une statue pour la faire parler.

En un mot, les images des dieux n'étoient point des dieux; Jupiter & non pas son image lançoit le tonnerre. Ce n'étoit pas la statue de Neptune qui soulevoit les mers, ni celle d'Apollon qui donnoit la lumiere; les Grecs & les Romains étoient des gentils, des polithéistes, & n'étoient point des idolâtres.

Si les Perses, les Sabéens, les Egyptiens, les Tartares, les Turcs ont été idolâtres, & de quelle antiquité est l'origine des simulacres appellés idoles; histoire abrégée de leur culte. C'est un abus des termes d'appeller idolâtres les peuples qui rendirent un culte au soleil & aux étoiles. Ces nations n'eurent long - tems ni simulacres, ni temples; si elles se tromperent, c'est en rendant aux astres ce qu'elles devoient au créateur des astres: encore les dogmes de Zoroastre, ou Zardust, recueillis dans le Sadder, enseignent - ils un être suprême vengeur & rénumérateur; & cela est bien loin de l'idolâtrie. Le gouvernement de la Chine n'a jamais eu aucune idole; il a toûjours conservé le culte simple du maître du ciel Kingtien, en tolérant les pagodes du peuple. Gensgis - Kan chez les Tartares n'étoit point idolâtre, & n'avoit aucun simulacre; les Musulmans qui remplissent la Grece, l'Asie mineure, la Syrie, la Perse, l'Inde, & l'Afrique, appellent les Chrétiens idolâtres, giaour, parce qu'ils croyent que les Chrétiens rendent un culte aux images. Ils briserent toutes les statues qu'ils trouverent à Constantinople dans sainte Sophie, dans l'église des saints Apôtres, & dans d'autres qu'ils convertirent en mosquées. L'apparence les trompa comme elle trompe toûjours les hommes; elle leur fit croire que des temples dédiés à des saints qui avoient été hommes autrefois, des images de ces saints révérées à genoux, des miracles opérés dans ces temples, étoient des preuves invincibles de l'idolâtrie la plus complette; cependant il n'en est rien. Les Chrétiens n'adorent en effet qu'un seul Dieu, & ne réverent dans les bienheureux que la vertu même de Dieu qui agit dans ses saints. Les Iconoclastes, & les Protestans ont fait le même reproche d'idolâtrie à l'Eglise; & on leur a fait la même réponse.

Comme les hommes ont eu très - rarement des idées précises, & ont encore moins exprimé leurs idées par des mots précis, & sans équivoque, nous appellimes du nom d'idolâtres les Gentils, & sur - tout les Politéïstes. On a écrit des volumes immenses; on a débité des sentimens différens sur l'origine de ce culte rendu à Dieu, ou à plusieurs dieux, sous des figures sensibles: cette multitude de livres & d'opinions ne prouve que l'ignorance.

On ne sait pas qui inventa les habits & les chaussures, & on veut savoir qui le premier inventa les idoles! Qu'importe un passage de Sanconiaton qui vivoit avant la guerre de Troie? Que nous apprendil, quand il dit que le cahos, l'esprit, c'est - à - dire le souffle, amoureux de ses principes, en tira le limon, qu'il rendit l'air lumineux, que le vent Colp, & sa femme Baü engendrerent Eon, & qu'Eon engendra Jenos? que Cronos leur descendant avoit deux yeux par - derriere, comme par - devant, qu'il devint dieu, & qu'il donna l'Egypte à son fils Taut; voilà un des plus respectables monumens de l'antiquité.

Orphée, antérieur à Sanconiaton, ne nous en apprendra pas davantage dans sa théogonie, que Damascius nous a conservée; il représente le principe du monde sous la figure d'un dragon à deux têtes, l'une de taureau, l'autre de lion, un visage au milieu qu'il appelle visage - dieu, & des aîles dorées aux épaules.

Mais vous pouvez de ces idées bisarres tirer deux grandes vérités; l'une que les images sensibles & hyéroglyphes sont de l'antiquité la plus haute; l'autre que tous les anciens philosophes ont reconnu un premier principe.

Quant au polithéïsme, le bon sens vous dira que dès qu'il y a eu des hommes, c'est - à - dire des animaux foibles, capables de raison, sujets à tous les accidens, à la maladie & à la mort, ces hommes ont senti leur foiblesse & leur dépendance; ils ont reconnu aisément qu'il est quelque chose de plus puissant qu'eux. Ils ont senti une force dans la terre qui produit leurs alimens; une dans l'air qui souvent les détruit; une dans le feu qui consume, & dans l'eau qui submerge. Quoi de plus naturel dans des hommes ignorans, que d'imaginer des êtres qui président à ces élémens! Quoi de plus naturel que de révérer la force invisible qui faisoit luire aux yeux le soleil & les étoiles? Et dès qu'on voulut se former une idée de ces puissances supérieures à l'homme, quoi de plus naturel encore que de les figurer d'une maniere sensible? La religion juive qui précéda la nôtre, & qui fut donnée par Dieu même, étoit toute remplie de ces images sous lesquelles Dieu est représenté. Il daigne parler dans un buisson le langage humain; il paroît sur une montagne. Les esprits célestes qu'il envoie, viennent tous avec une forme humaine; enfin, le sanctuaire est rempli de chérubins, qui sont des corps d'hommes avec des aîles & des têtes d'animaux; c'est ce qui a donné lieu à l'erreur grossiere de Plutarque, de Tacite, d'Appion, & de tant d'autres, de reprocher aux Juifs d'adorer une tête d'âne. Dieu, malgré sa défense de peindre & de sculpter aucune figure, a donc daigné se proportionner à la foiblesse humaine, qui demandoit qu'on parlât aux sens par des images.

Isaïe dans le chap. VI. voit le Seigneur assis sur un trône, & le bas de sa robe qui remplit le temple. Le Seigneur étend sa main & touche la bouche de Jérémie au chap. I. de ce prophete. Ezéchiel au chap. III. voit un trône de saphir, & Dieu lui paroît comme un homme assis sur ce trône. Ces images n'alterent point la pureté de la religion juive, qui jamais n'employa les tableaux, les statues, les idoles, pour représenter Dieu aux yeux du peuple.

Les lettrés Chinois, les Perses, les anciens Egyptiens n'eurent point d'idoles; mais bien - tôt Isis & Osiris furent figurés: bien - tôt Bel à Babylone fut un gros colosse; Brama fut un monstre bisarre dans la presqu'île de l'Inde. Les Grecs sur - tout multiplierent les noms des dieux, les statues & les temples; mais en attribuant toûjours la suprème puissance à leur Zeus, nommé par les Latins Jupiter, maître des

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