ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"499"> pensée à notre maniere de l'énoncer, on ne trouve personne qui le veuille.

C'est la même syntaxe & la même construction par - tout où l'on trouve un infinitif employé comme sujet du verbe sum, lorsque ce verbe a le sens adjectif, c'est - à - dire lorsqu'il n'est pas simplement verbe substantif, mais qu'il renferme encore l'idée de l'existence réelle comme attribut, & conséquemment qu'il est équivalent à existo. Ce n'est que dans ce cas qu'il y a latinisme; car il n'y a rien de si commun dans la plûpart des langues, que de voir l'infinif sujet du verbe substantif, quand on exprime ensuite un attribut déterminé: ainsi dit - on en latin turpe est mentiri, & en françois, mentir est une chose honteuse. Mais nous ne pouvons pas dire voir est pour on voit, voir étoit pour on voyoit, voir sera, pour on verra, comme les Latins disent videre est, videre erat, videre erit. L'infinitif considéré comme nom, sert aussi à expliquer une autre espece de latinisme qu'il me semble qu'on n'a pas encore entendu comme il faut, & à l'explication duquel les rudimens ont substitué les difficultés ridicules & insolubles du redoutable que retranché. Voyez Infinitif.

II. Pour ce qui regarde les idiotismes irréguliers, il faut, pour en pénétrer le sens, discerner avec soin l'espece d'écart qui les détermine, & remonter, s'il est possible, jusqu'à la cause qui a occasionné ou pû occasionner cet écart: c'est même le seul moyen qu'il y ait de reconnoître les caracteres précis du génie propre d'une langue, puisque ce génie ne consiste que dans la réunion des vues qu'il s'est proposées, & des moyens qu'il a autorisés.

Pour discerner exactement l'espece d'écart qui détermine un idiotisme irrégulier, il faut se rappeller ce que l'on a dit au mot Grammaire, que toutes les regles fondamentales de cette science se réduisent à deux chefs principaux, qui sont la Lexicologie & la Syntaxe. La Lexicologie a pour objet tout ce qui concerne la connoissance des mots considérés en soi & hors de l'élocution: ainsi dans chaque langue, le vocabulaire est comme l'inventaire des sujets de son domaine; & son principal office est de bien fixer le sens propre de chacun des mots autorisés dans cet idiome. La Syntaxe a pour objet tout ce qui concerne le concours des mots réunis dans l'ensemble de l'élocution; & ses décisions se rapportent dans toutes les langues à trois points généraux. qui sont la concordance, le régime & la construction.

Si l'usage particulier d'une langue autorise l'altération du sens propre de quelques mots, & la substitution d'un sens étranger, c'est alors une figure de mots que l'on appelle trope. Voyez ce mot.

Si l'usage autorise une locution contraire aux lois générales de la Syntaxe, c'est alors une figure que l'on nomme ordinairement figure de construction, mais que j'aimerois mieux que l'on désignât par la dénomination plus générale de figure de Syntaxe, en réservant le nom de figure de construction aux seules locutions qui s'écartent des regles de la construction proprement dite. Voyez Figure & Construction. Voilà deux especes d'écart que l'on peut observer dans les idiotismes irréguliers.

1°. Lorsqu'un trope est tellement dans le génie d'une langue, qu'il ne peut être rendu littéralement dans une autre, ou qu'y étant rendu littéralement il y exprime un tout autre sens, c'est un idiotisme de la langue originale qui l'a adopté; & cet idiotisme est irrégulier, parce que le sens propre des mots y est abandonne; ce qui est contraire à la premiere institution des mots. Ainsi le superstitieux euphémisme, qui dans la langue latine a donné le sens de sacrifier au verbe mactare, quoique ce mot signifie dans son étymologie augmenter davantage (magis auctare); cet euphémisme, dis - je, est tellement propre au génie de cette langue, que la traduction littérale que l'on en feroit dans une autre, ne pourroit jamais y faire naître l'idée de sacrifice. Voyez Euphémisme.

C'est pareillement un trope qui a introduit dans notre langue ces idiotismes déja remarqués au mot Gallicisme, dans lesquels on emploie les deux verbes venir & aller, pour exprimer par l'un des prétérits prochains, & par l'autre des futurs prochains (voyez Tems); comme quand on dit, je viens de lire, je venois de lire, pour j'ai ou j'avois lû depuis peu de tems; je vais lire, j'allois lire, pour je dois, ou je devois lire dans peu de tems. Les deux verbes auxiliaires venir & aller perdent alors leur signification originelle, & ne marquent plus le transport d'un lieu en un autre; ils ne servent plus qu'à marquer la proximité de l'antériorité ou de la postériorité; & nos phrases rendues littéralement dans quelque autre langue, ou n'y signifieroient rien, ou y signifieroient autre chose que parmi nous. C'est une catachrese introduite par la nécessi é (voyez Catachrese), & fondée néanmoins sur quelque analogie entre le sens propre & le sens figuré. Le verbe venir, par exemple, suppose une existence antérieure dans le lieu d'où l'on vient; & dans le moment qu'on en vient, il n'y a pas long - tems qu'on y étoit: voilà précisément la raison du choix de ce verbe, pour servir à l'expression des prétérits prochains. Pareillement le verbe aller indique la postériorité d'existence dans le lieu où l'on va; & dans le tems qu'on y va, on est dans l'intention d'y être bientôt: voilà encore la justification de la préférence donnée à ce verbe, pour désigner les futurs prochains. Mais il n'en demeure pas moins vrai que ces verbes, devenus auxiliaires, perdent réellement leur signification primitive & fondamentale, & qu'ils n'en retiennent que des idées accessoires & éloignées.

2°. Ce que l'on vient de dire des tropes, est également vrai des figures de Syntaxe: telle figure est un idiotisme irrégulier, parce qu'elle ne peut être rendue littéralement dans une autre langue, ou que la version littérale qui en seroit faite, y auroit un autre sens. Ainsi l'usage où nous sommes, dans la langue françoise, d'employer l'adjectif possessif masculin, mon, ton, son, avant un nom féminin qui commence par une voyelle ou par une h muette, est un idiotisme irrégulier de notre langue, un gallicisme; parce que l'imitation littérale de cette figure dans une autre langue n'y seroit qu'un solécisme. Nous disons mon ame, & l'on ne diroit pas meus anima; ton opinion, & l'on ne peut pas dire tuus opinio: c'est que les Latins avoient pour éviter l'hiatus occasionné par le concours des voyelles, des moyens qui nous sont interdits par la constitution de notre langue, & dont il étoit plus raisonnable de faire usage, que de violer une loi aussi essentielle que celle de la concordance que nous transgressons: ils pouvoient dire anima mea, opinio tua; & nous ne pouvons pas imiter ce tour, & dire ame ma, opinion ta. Notre langue sacrifie donc ici un principe raisonnable aux agrémens de l'euphonie (voyez Euphonie), conformément à la remarque sensée de Cicéron, Orat. n. 47: impetratum est à consuetudine ut peccare, suavitatis causâ, liceret.

Voici une ellipse qui est devenue une locution propre à notre langue, un gallicisme, parce que l'usage en a prévalu au point qu'il n'est plus permis de suivr en pareil cas la Syntaxe pleine: il ne laisse pas d'agir, notre langue ne laisse pas de se prêter à tous les genres d'écrire, on ne laisse pas d'abandonner la vertu en la louant, c'est - à - dire il ne laisse pas le soin d'agir, notre langue ne laisse pas la faculté de se prêter à tous les genres d'écrire, on ne laisse pas la foiblesse d'abandonner la vertu en la louant. Nous préférons dans ces [p. 500] phrases le mérite de la briéveté à une locution pleine, qui sans avoir plus de clarté, auroit le désagrément inséparable des longueurs superflues.

S'il est facile de ramener à un nombre fixe de chefs principaux les écarts qui déterminent les différens idiotismes, il n'en est pas de même de vues particulieres qui peuvent y influer: la variété de ces causes est trop grande, l'influence en est trop délicate, la complication en est quelquefois trop embarrassante pour pouvoir établir à ce sujet quelque chose de bien certain. Mais il n'en est pas moins constant qu'elles tiennent toutes, plus ou moins, au génie des diverses langues, qu'elles en sont des émanations, & qu'elles peuvent en devenir des indices. « Il en est des peuples entiers comme d'un homme particulier, dit du Tremblay, traité des langues, chap. 22; leur langage est la vive expression de leurs moeurs, de leur génie & de leurs inclinations; & il ne faudroit que bien examiner ce langage pour pénétrer toutes les pensées de leur ame & tous les mouvemens de leur coeur. Chaque langue doit donc nécessairement tenir des perfections & des défauts du peuple qui la parle. Elles auront chacune en particulier, disoit - il un peu plus haut, quelque perfection qui ne se trouvera pas dans les autres, parce qu'elles tiennent toutes des moeurs & du génie des peuples qui les parlent: elles auront chacune des termes & des façons de parler qui leur seront propres, & qui seront comme le caractere de ce génie ». On reconnoît en effet le flegme oriental dans la répétition de l'adjectif ou de l'adverbe; amen, amen; sanctus, sanctus, sanctus: la vivacité françoise n'a pû s'en accommoder, & très - saint est bien plus à son gré que saint, saint, saint.

Mais si l'on veut démêler dans les idiotismes réguliers ou irréguliers, ce que le génie particulier de la langue peut y avoir con ribué, la premiere chose essentielle qu'il y ait à faire, c'est de s'assurer d'une bonne interpré ation littérale. Elle suppose deux choses; la traduction rigoureuse de chaque mot par sa signification propre, & la réduction de toute la phrase à la plénitude de la construction analytique, qui seule peut remplir les vuides de l'ellipse, corriger les rédondances du pléonasme, redresser les écarts de l'inversion, & faire rentrer tout dans le système invariable de la Grammaire générale.

« Je sais bien, dit M. du Marsais, Meth. pour apprendre la langue latine, pag. 14, que cette traduction littérale fait d'abord de la peine à ceux qui n'en connoissent point le motif; ils ne voyent pas que le but que l'on se propose dans cette maniere de traduire, n'est que de montrer comment on parloit latin; ce qui ne peut se faire qu'en expliquant chaque mot latin par le mot françois qui lui répond.

Dans les premieres années de notre enfance, nous lions certaines idées à certaines impressions; l'habitude confirme cette liaison. Les esprits animaux prennent une route déterminée pour chaque idée particuliere; de sorte que lorsqu'on veut dans la suite exciter la même idée d'une maniere différente, on cause dans le cerveau un mouvement contraire à celui auquel il est accoutumé, & ce mouvement excite ou de la surprise ou de la risée, & quelquefois même de la douleur: c'est pourquoi chaque peuple différent trouve extraordinaire l'habillement ou le langage d'un autre peuple. On rit à Florence de la maniere dont un François prononce le latin ou l'italien, & l'on se moque à Paris de la prononciation du Florentin. De même la plûpart de ceux qui entendent traduire pater ejus, le pere de lui, au lieu de son pere, sont d'abord portés à se moquer de la traduction.

Cependant comme la maniere la plus courte pour faire entendre la façon de s'habiller des étrargers, c'est de faire voir leurs habits tels qu'ils sont, & non pas d'habiller un étranger à la françoise; de même la meilleure méthode pour apprendre les langues étrangeres, c'est de s'instruire du tour original, ce qu'on ne peut faire que par la traduction littérale.

Au reste il n'y a pas lieu de craindre que cette façon d'expliquer apprenne à mal parler françois.

1°. Plus on a l'esprit juste & net, mieux on écrit & mieux on parle: or il n'y a rien qui soit plus propre à donner aux jeunes gens de la netteté & de la justesse d'esprit, que de les exercer à la traduction littérale, parce qu'elle oblige à la précision, à la propriété des termes, & à une certaine exactitude qui empêche l'esprit de s'égarer à des idées étrangeres.

2°. La traduction littérale fait sentir la différence des deux langues. Plus le tour latin est éloigné du tour françois, moins on doit craindre qu'on l'imite dans le discours. Elle fait connoître le génie de la langue latine; ensuite l'usage, mieux que le maître, apprend le tour de la langue françoise.» Article de M. de Beauzée.

IDOLE, IDOLATRE, IDOLATRIE; (Page 8:500)

IDOLE, IDOLATRE, IDOLATRIE; idole vient du grec EIDOS2, figure, EIDOLOS2, représentation d'une figure, LATREUIN, servir, révérer, adorer. Ce mot adorer est latin, & a beaucoup d'acceptions différentes; il signifie porter la main à la bouche en parlant avec respect; se courber, se mettre à genoux, saluer, & enfin communément rendre un culte suprême.

Il est utile de remarquer ici que le dictionnaire de Trévoux commence cet article par dire que tous les Payens étoient idolatres, & que les Indiens sont encore des peuples idolâtres: premierement, on n'appella personne payen avant Théodose le jeune; ce nom fut donné alors aux habitans des bourgs d'Italie, pagorum incoloe pagani, qui conserverent leur ancienne religion: secondement, l'Indoustan est mahométan, & les Mahométans sont les implacables ennemis des images & de l'idolatrie: troisiémement, on ne doit point appeller idolâtres beaucoup de peuples de l'Inde qui sont de l'ancienne religion des Perses, ni certaines côtes qui n'ont point d'idoles.

S'il y a jamais eu un gouvernement idolâtre. Il paroît que jamais il n'y a eu aucun peuple sur la terre qui ait pris le nom d'idolâtre. Ce mot est une injure que les Gentils, les Politéistes sembloient mériter; mais il est bien certain que si on avoit demandé au sénat de Rome, à l'aréopage d'Athènes, à la cour des rois de Perse, êtes - vous idolâtres? ils auroient à peine entendu cette question. Nul n'auroit répondu, nous adorons des images, des idoles. On ne trouve ce mot idolâtre, idolatrie, ni dans Homere, ni dans Hésiode, ni dans Hérodote, ni dans aucun auteur de la religion des Gentils. Il n'y a jamais eu aucun édit, aucune loi qui ordonnât qu'on adorât des idoles, qu'on les servît en dieux, qu'on les crût des dieux.

Quand les capitaines romains & carthaginois faisoient un traité, ils attestoient toutes les divinités; c'est en leur présence, disoient - ils, que nous jurons la paix: or les statues de tous ces dieux, dont le dénombrement étoit très long, n'étoit pas dans la tente des généraux; ils regardoient les dieux comme présens aux actions des hommes, comme témoins, comme juges, & ce n'étoit pas assurément le simulacre qui constituoit la divinité.

De quel oeil voyoient - ils donc les statues de leurs fausses divinités dans les temples? du même oeil, s'il étoit permis de s'exprimer ainsi, que nous voyons les images des vrais objets de notre vénération. L'erreur n'étoit pas d'adorer un morceau de bois ou de marbre, mais d'adorer une fausse divinité représentée par ce bois & par ce marbre. La différence entre

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