ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"224"> de la grandeur & de la population de la Chine, il ne fut pas crû, & il ne put exiger de croyance. Les Portugais qui entrerent dans ce vaste empire plusieurs siecles après, commencerent à rendre la chose probable. Elle est aujourd'hui certaine, de cette certitude qui naît de la disposition unanime de mille témoins oculaires de différentes nations, sans que personne ait réclamé contre leur témoignage.

Si deux ou trois historiens seulement avoient écrit l'avanture du roi Charles XII. qui s'obstinant à rester dans les états du sultan son bienfaiteur, malgré lui, se battit avec ses domestiques contre une armée de janissaires & de Tartares, j'aurois suspendu mon jugement; mais ayant parlé à plusieurs témoins oculaires, & n'ayant jamais entendu révoquer cette action en doute, il a bien fallu la croire, parce qu'après tout, si elle n'est ni sage, ni ordinaire, elle n'est contraire ni aux loix de la nature, ni au caractere du héros.

L'histoire de l'homme au masque de fer auroit passé dans mon esprit pour un roman, si je ne la tenois que du gendre du chirurgien, qui eut soin de cet homme dans sa derniere maladie. Mais l'officier qui le gardoit alors, m'ayant aussi attesté le fait, & tous ceux qui devoient en être instruits me l'ayant confirmé, & les enfans des ministres d'état, dépositaires de ce secret, qui vivent encore, en étant instruits comme moi, j'ai donné à cette histoire un grand dégré de probabilité, dégré pourtant au - dessous de celui qui fait croire l'affaire de Bender, parce que l'avanture de Bender a eu plus de témoins que celle de l'homme au masque de fer.

Ce qui répugne au cours ordinaire de la nature ne doit point être cru, à moins qu'il ne soit attesté par des hommes animés de l'esprit divin. Voilà pourquoi à l'article Certitude de ce Dictionnaire, c'est un grand paradoxe de dire qu'on devroit croire aussi bien tout Paris qui affirmeroit avoir vû résusciter un mort, qu'on croit tout Paris quand il dit qu'on a gagné la bataille de Fontenoy. Il paroît évident que le témoignage de tout Paris sur une chose improbable, ne sauroit être égal au témoignage de tout Paris sur une chose probable. Ce sont là les premieres notions de la saine Métaphysique. Ce Dictionnaire est consacré à la vérité; un article doit corriger l'autre; & s'il se trouve ici quelque erreur, elle doit être relevée par un homme plus éclairé.

Incertitude de l'Histoire. On a distingué les tems en fabuleux & historiques. Mais les tems historiques auroient dû être distingués eux - mêmes en vérités & en fables. Je ne parle pas ici des fables reconnues aujourd'hui pour telles; il n'est pas question, par exemple, des prodiges dont Tite - Live a embelli ou gâté son histoire. Mais dans les faits les plus reçus que de raisons de douter? Qu'on fasse attention que la république romaine a été cinq cens ans sans historiens, & que Tite - Live lui - même déplore la perte des annales des pontifes & des autres monumens qui périrent presque tous dans l'incendie de Rome, pleraque interiere; qu'on songe que dans les trois cens premieres années, l'art d'écrire étoit très - rare, raroe per eadem tempora litteroe. Il sera permis alors de douter de tous les événemens qui ne sont pas dans l'ordre ordinaire des choses humaines. Sera - t - il bien probable que Romulus, le petit - fils du roi des Sabins, aura été forcé d'enlever des Sabines pour avoir des femmes. L'histoire de Lucrece sera - t - elle bien vraissemblable? croira - t - on aisément sur la foi de Tite - Live, que le roi Porsenna s'enfuit plein d'admiration pour les Romains, parce qu'un fanatique avoit voulu l'assassiner? Ne sera - t - on pas porté au contraire, à croire Polybe, antérieur à Tite - Live de deux cens années, qui dit que Porsenna subjugua les Romains. L'avanture de Regulus, enfermé par les Carthaginois dans un tonneau garni de pointes de fer, merite - t - elle qu'on la croie? Polybe contemporain n'en auroit - il pas parlé, si elle avoit été vraie? il n'en dit pas un mot. N'est - ce pas une grande présomption que ce conte ne fut lnventé que long - tems après pour rendre les Carthaginois odieux? Ouvrez le dictionnaire de Moréri à l'article Régulus, il vous assure que le supplice de ce Romain est rapporté dans Tite - Live. Cependant la Décade où Tite - Live auroit pû en parler est perdue; on n'a que le supplément de Freinsemius, & il se trouve que ce dictionnaire n'a cité qu'un allemand du xvij. siecle, croyant citer un romain du tems d'Auguste. On feroit des volumes immenses de tous les faits célebres & reçus, dont il faut douter. Mais les bornes de cet article ne permettent pas de s'étendre.

Les monumens, les cérémonies annuelles, les médailles mêmes, sont - elles des preuves historiques? On est naturellement porté à croire qu'un monument érigé par une nation pour célébrer un évenement, en atteste la certitude. Cependant, si ces monumens n'ont pas été élevés par des contemporains; s'ils célebrent quelques faits peu vraissemblables, prouvent - ils autre chose, sinon qu'on a voulu consacrer une opinion populaire?

La colonne rostrale érigée dans Rome par les contemporains de Duillius, est sans doute une preuve de la victoire navale de Duillius. Mais la statue de l'augure Navius, qui coupoit un caillou avec un rasoir, prouvoit - elle que Navius avoit opéré ce prodige? Les statues de Cérès & de Triptolème, dans Athènes, étoient - elles des témoignages incontestables que Cérès eût enseigné l'Agriculture aux Athéniens? Le fameux Laocoon, qui subsiste aujourd'hui si entier, atteste - t - il bien la vérité de l'histoire du cheval de Troie?

Les cérémonies, les fêtes annuelles établies par toute une nation, ne constatent pas mieux l'origine à laquelle on les attribue. La fête d'Arion porté sur un dauphin, se célébroit chez les Romains comme chez les Grecs. Celle de Faune rappelloit son aventure avec Hercule & Omphale, quand ce dieu amoureux d'Omphale prit le lit d'Hercule pour celui de sa maîtresse.

La fameuse fête des Lupercales étoit établie en l'honneur de la louve qui allaita Romulus & Remus.

Sur quoi étoit fondée la fête d'Orion, célébrée le 5 des ides de Mai? Le voici. Hirée reçut chez lui Jupiter, Neptune & Mercure; & quand ses hôtes prirent congé, ce bon homme, qui n'avoit point de femme, & qui vouloit avoir un enfant, témoigna sa douleur aux trois dieux. On n'ose exprimer ce qu'ils firent sur la peau du boeuf qu'Hirée leur avoit servi à manger; ils couvrirent ensuite cette peau d'un peu de terre, & de - là naquit Orion au bout de neuf mois.

Presque toutes les fêtes romaines, syriennes, greques, égyptiennes, étoient fondées fur de pareils contes, ainsi que les temples & les statues des anciens héros. C'étoient des monumens que la crédulité consacroit à l'erreur.

Une médaille, même contemporaine, n'est pas quelquefois une preuve. Combien la flatterie n'at - elle pas frappé de médailles sur des batailles très indécises, qualifiées de victoires, & sur des entreprises manquées, qui n'ont été achevées que dans la légende. N'a - t - on pas, en dernier lieu, pendant la guerre de 1740 des Anglois contre le roi d'Espagne, frappé une médaille qui attestoit la prise de Carthagene par l'amiral Vernon, tandis que cet amiral levoit le siége?

Les médailles ne sont des témoignages irréprochables que lorsque l'événement est attesté par des auteurs contemporains; alors ces preuves se soute<pb-> [p. 225] nant l'une par l'autre, constatent la vérité.

Doit - on dans l'histoire insérer des harangues, & faire des portratts? Si, dans une occasion importante, un général d'armée, un homme d'état a parlé d'une maniere singuliere & forte qui caractérise son génie & celui de son siecle, il faut sans doute rapporter son discours mot pour mot; de telles harangues sont peut - être la partie de l'histoire la plus utile. Mais pourquoi faire dire à un homme ce qu'il n'a pas dit? Il vaudroit presque autant lui attribuer ce qu'il n'a pas fait; c'est une fiction imitée d'Homere. Mais ce qui est fiction dans un poëme, devient à la rigueur mensonge dans un historien. Plusieurs anciens ont eu cette méthode; cela ne prouve autre chose, sinon que plusieurs anciens ont voulu faire parade de leur éloquence aux dépens de la vérité.

Les portraits montrent encore bien souvent plus d'envie de briller que d'instruire: des contemporains sont en droit de faire le portrait des hommes d'état avec lesquels ils ont négocié, des généraux sous qui ils ont fait la guerre. Mais qu'il est à craindre que le pinceau ne soit guidé par la passion! Il paroît que les portraits qu'on trouve dans Clarendon sont faits avec plus d'impartialité, de gravité & de sagesse, que ceux qu'on lit avec plaisir dans le cardinal de Retz.

Mais vouloir peindre les anciens, s'efforcer de développer leurs ames, regarder les évenemens comme des caracteres avec lesquels on peut lire sûrement dans le fond des coeurs; c'est une entreprise bien délicate; c'est dans plusieurs une puérilité.

De la maxime de Ciceron concernant l'histoire; que l'historien n'ose dire une fausseté, ni cacher une vérité. La premiere partie de ce précepte est incontestable; il faut examiner l'autre. Si une vérité peut être de quelque utilité à l'état, votre silence est condamnable. Mais je suppose que vous écriviez l'histoire d'un prince qui vous aura confié un secret, devez - vous le révéler? Devez - vous dire à la postérité ce que vous seriez coupable de dire en secret à un seul homme? le devoir d'un historien l'emportera - t - il sur un devoir plus grand?

Je suppose encore que vous ayez été témoin d'une foiblesse qui n'a point influé sur les affaires publiques, devez - vous révéler cette foiblesse? En ce cas, l'histoire seroit une satyre.

Il faut avouer que la plûpart des écrivains d'anecdotes sont plus indiscrets qu'utiles. Mais que dire de ces compilateurs insolens, qui se faisant un mérite de médire, impriment & vendent des scandales, comme Lecauste vendoit des poisons.

De l'histoire satyrique. Si Plutarque a repris Hérodote de n'avoir pas assez relevé la gloire de quelques villes greques; & l'avoir omis plusieurs faits connus dignes de mémoire, combien sont plus répréhensibles aujourd'hui ceux qui, sans avoir aucun des mérites d'Hérodote, imputent aux princes, aux nations, des actions odieuses; sans la plus légere apparence de preuve. La guerre de 1741 a été écrite en Angleterre. On trouve, dans cette histoire, qu'à la bataille de Fontenoy les François tirerent sur les Anglois avec des balles empoisonnées & des morceaux de verre venimeux, & que le duc de Cumberland envoya au roi de France une boëte pleine de ces prétendus poisons trouvés dans les corps des Anglois blessés. Le même auteur ajoûte que les François ayant perdu quarante mille hommes à cette bataille, le parlement de Paris rendit un arrêt par lequel il étoit défendu d'en parler sous des peines corporelles.

Des mémoires frauduleux, imprimés depuis peu, sont remplis de pareilles absurdités insolentes. On y trouve qu'au siége de Lille les alliés jettoient des billets dans la ville conçus en ces termes: François, consolez - vous, la Maintenon ne sera pas votre reine.

Presque chaque page est remplie d'impostures & de termes offensans contre la famille royale & contre les familles principales du royaume, sans alléguer la plus légere vraissemblance qui puisse donner la moindre couleur à ces mensonges. Ce n'est point écrire l'histoire, c'est écrire au hazard des calomnies.

On a imprimé en Hollande, sous le nom d'histoire, une foule de libelles, dont le style est aussi grossier que les injures, & les faits aussi faux qu'ils sont mal écrits. C'est, dit - on, un mauvais fruit de l'excellent arbre de la liberté. Mais si les malheureux auteurs de ces inepties ont eu la liberté de tromper les lecteurs, il faut user ici de la liberté de les détromper.

De la méthode, de la maniere d'ecrire l'histoire, & du style. On en a tant dit sur cette matiere, qu'il faut ici en dire très - peu. On sait assez que la méthode & le style de Tite - Live, sa gravité, son éloquence sage, conviennent à la majesté de la république romaine; que Tacite est plus fait pour peindre des tyrans, Polybe pour donner des leçons de la guerre, Denys d'Halycarnasse pour développer les antiquités.

Mais en se modélant en général sur ces grands maîtres, on a aujourd'hui un fardeau plus pesant que le leur à soutenir. On exige des historiens modernes plus de détails, des faits plus constatés, des dates précises, des autorités, plus d'attention aux usages, aux lois, aux moeurs, au commerce, à la finance, à l'agriculture, à la population. Il en est de l'histoire comme des Mathématiques & de la Physique. La carriere s'est prodigieusement accrue. Autant il est aisé de faire un recueil de gazettes, autant il est difficile aujourd'hui d'écrire l'histoire.

On exige que l'histoire d'un pays étranger ne soit point jertée dans le même moule que celle de votre patrie.

Si vous faites l'histoire de France, vous n'êtes pas obligé de décrire le cours de la Seine & de la Loire; mais si vous donnez au public les conquêtes des Portugais en Asie, on exige une topographie des pays découverts. On veut que vous meniez votre lecteur par la main le long de l'Afrique, & des côtes de la Perse & de l'Inde; on attend de vous des instructions sur les moeurs, les lois, les usages de ces nations nouvelles pour l'Europe.

Nous avons vingt histoires de l'établissement des Portugais dans les Indes; mais aucune ne nous a fait connoître les divers gouvernemens de ce pays, ses religions, ses antiquités, les Brames, les disciples de Jean, les Guebres, les Banians. Cette réflexion peut s'appliquer à presque toutes les histoires des pays étrangers.

Si vous n'avez autre chose à nous dire, sinon qu'un Barbare a succédé à un autre Barbare sur les bords de l'Oxus & de l'Iaxarte, en quoi êtes - vous utile au public?

La méthode convenable à l'histoire de votre pays n'est pas propre à écrire les découvertes du nouveau monde. Vous n'écrirez point sur une ville comme sur un grand empire; vous ne ferez point la vie d'un particulier comme vous écrirez l'histoire d'Espagne ou d'Angleterre.

Ces regles sont assez connues. Mais l'art de bien écrire l'Histoire sera toujours très - rare. On sait assez qu'il faut un style grave, pur, varié, agréable. Il en est des lois pour écrire l'Histoire comme de celles de tous les arts de l'esprit; beaucoup de préceptes, & peu de grands artistes. Cet article est de M. de Voltaire.

Histoire Naturelle (Page 8:225)

Histoire Naturelle. L'objet de l'Histoire naturelle est aussi étendu que la nature; il comprend tous les êtres qui vivent sur la terre, qui s'élevent dans l'air, ou qui restent dans le sein des eaux, tous

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