ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

RECHERCHE Accueil Mises en garde Documentation ATILF ARTFL Courriel

Previous page

"222"> droite & à gauche de ce fleuve. Il avoit fallu que ces peuples rassemblés eussent les instrumens du labourage, ceux de l'Architecture, une grande connoissance de l'Arpentage, avec des lois & une police: tout cela demande nécessairement un espace de tems prodigieux. Nous voyons par les longs détails qui retardent tous les jours nos entreprises les plus nécessaires & les plus petites, combien il est difficile de faire de grandes choses, & qu'il faut non seulement une opiniâtreté infatigable, mais plusieurs générations animées de cette opiniâtreté.

Cependant que ce soit Ménès ou Thot, ou Chéops, ou Ramessès, qui aient élevé une ou deux de ces prodigieuses masses, nous n'en serons pas instruits de l'histoire de l'ancienne Egypte: la langue de ce peuple est perdue. Nous ne savons donc autre chose sinon qu'avant les plus anciens historiens, il y avoit de quoi faire une histoire ancienne.

Celle que nous nommons ancienne, & qui est en effet récente, ne remonte guere qu'à trois mille ans: nous n'avons avant ce tems que quelques probabilités: deux seuls livres profanes ont conservé ces probabilités; la chronique chinoise, & l'histoire d'Hérodote. Les anciennes chroniques chinoises ne regardent que cet empire séparé du reste du monde. Hérodote, plus intéressant pour nous, parle de la terre alors connue; il enchanta les Grecs en leur récitant les neuf livres de son histoire, par la nouveauté de cette entreprise & par le charme de sa diction, & sur - tout par les fables. Presque tout ce qu'il raconte sur la foi des étrangers est fabuleux: mais tout ce qu'il a vû est vrai. On apprend de lui, par exemple, quelle extrême opulence & quelle splendeur régnoit dans l'Asie mineure, aujourd'hui pauvre & dépeuplée. Il a vû à Delphes les présens d'or prodigieux que les rois de Lydie avoient envoyés à Delphes, & il parle à des auditeurs qui connoissoient Delphes comme lui. Or quel espace de tems a dû s'écouler avant que des rois de Lydie eussent pû amasser assez de trésors superflus pour faire des présens si considérables à un temple étranger!

Mais quand Hérodote rapporte les contes qu'il a entendus, son livre n'est plus qu'un roman qui ressemble aux fables millésiennes. C'est un Candaule qui montre sa femme toute nue à son ami Gigès; c'est cette femme, qui par modestie, ne laisse à Gigès que le choix de tuer son mari, d'épouser la veuve, ou de périr. C'est un oracle de Delphes qui dévine que dans le même tems qu'il parle, Crésus à cent lieues de là, fait cuire une tortue dans un plat d'airain. Rollin qui répete tous les contes de cette espece, admire la science de l'oracle, & la véracité d'Apollon, ainsi que la pudeur de la femme du roi Candaule; & à ce sujet, il propose à la police d'empêcher les jeunes gens de se baigner dans la riviere. Le tems est si cher, & l'histoire si immense, qu'il faut épargner aux lecteurs de telles fables & de telles moralités.

L'histoire de Cyrus est toute défigurée par des traditions fabuleuses. Il y a grande apparence que ce Kiro, qu'on nomme Cyrus, à la tête des peuples guerriers d'Elam, conquit en effet Babylone amollie par les délices. Mais on ne sait pas seulement quel roi régnoit alors à Babilone; les uns disent Baltazar, les autres Anabot. Hérodote fait tuer Cyrus dans une expédition contre les Massagettes. Xénophon dans son roman moral & politique, le fait mourir dans son lit.

On ne sait autre chose dans ces ténebres de l'histoire, sinon qu'il y avoit depuis très - longtems de vastes empires, & des tyrans dont la puissance étoit fondée sur la misere publique; que la tyrannie étoit parvenue jusqu'à dépouiller les hommes de leur virilité, pour s'en servir à d'infames plaisirs au sortir de l'enfance, & pour les employer dans leur vicillesse à la garde des femmes; que la superstition gouvernoit les hommes; qu'un songe étoit regardé comme un avis du ciel, & qu'il décidoit de la paix & de la guerre, &c.

A mesure qu'Hérodote dans son histoire se rapproche de son tems, il est mieux instruit & plus vrai. Il faut avouer que l'histoire ne commence pour nous qu'aux entreprises des Perses contre les Grecs. On ne trouve avant ces grands événemens que quelques récits vagues, enveloppés de contes puériles. Hérodote devient le modele des historiens, quand il décrit ces prodigieux préparatifs de Xerxès pour aller subjuguer la Grece, & ensuite l'Europe. Il le mene, suivi de près de deux millions de soldats, depuis Suze jusqu'à Athènes. Il nous apprend comment étoient armés tant de peuples différens que ce monarque traînoit après lui: aucun n'est oublié, du fond de l'Arabie & de l'Egypte, jusqu'au delà de la Bactriane & de l'extrémité septentrionale de la mer Caspienne, pays alors habité par des peuples puissans, & aujourd'hui par des Tartares vagabonds. Toutes les nations, depuis le Bosphore de Thrace jusqu'au Gange, sont sous ses étendards. On voit avec étonnement que ce prince possédoit autant de terrein qu'en eut l'empire romain; il avoit tout ce qui appartient aujourd'hui au grand mogol en - deçà du Gange; toute la Perse, tout le pays des Usbecs, tout l'empire des Turcs, si vous en exceptez la Romanie; mais en récompense il possédoit l'Arabie. On voit par l'étendue de ses états quel est le tort des déclamateurs en vers & en prose, de traiter de fou Alexandre, vengeur de la Grece, pour avoir subjugué l'empire de l'ennemi des Grecs. Il n'alla en Egypte, à Tyr & dans l'Inde, que parce qu'il le devoit, & que Tyr, l'Egypte & l'Inde appartenoient à la domination qui avoit dévasté la Grece.

Hérodote eut le même mérite qu'Homere; il fut le premier historien comme Homere le premier poëte épique; & tous deux saisirent les beautés propres d'un art inconnu avant eux. C'est un spectacle admirable dans Hérodote que cet empereur de l'Asie & de l'Afrique, qui fait passer son armée immense sur un pont de bateau d'Asie en Europe, qui prend la Thrace, la Macédoine, la Thessalie, l'Achaie supérieure, & qui entre dans Athènes abandonnée & deserte. On ne s'attend point que les Athéniens sans ville, sans territoire, refugiés sur leurs vaisseaux avec quelques autres Grecs, mettront en fuite la nombreuse flote du grand roi, qu'ils rentreront chez eux en vainqueurs, qu'ils forceront Xerxès à ramener ignominieusement les débris de son armée, & qu'ensuite ils lui défendront par un traité, de naviger sur leurs mers. Cette supériorité d'un petit peuple généreux & libre, sur toute l'Asie esclave, est peut - être ce qu'il y a de plus glorieux chez les hommes. On apprend aussi par cet événement, que les peuples de l'Occident ont toujours été meilleurs marins que les peuples asiatiques. Quand on lit l'histoire moderne, la victoire de Lépante fait souvenir de celle de Salamine, & on compare dom Juan d'Autriche & Colone, à Thémistocle & à Euribiades. Voilà peut - être le seul fruit qu'on peut tirer de la connoissance de ces tems reculés.

Thucydide, successeur d'Hérodote, se borne à nous détailler l'histoire de la guerre du Péloponnèse, pays qui n'est pas plus grand qu'une province de France ou d'Allemagne, mais qui a produit des hommes en tout genre dignes d'une réputation immortelle: & comme si la guerre civile, le plus horrible des fléaux, ajoutoit un nouveau feu & de nou veaux ressorts à l'esprit humain, c'est dans ce tems que tous les arts florissoient en Grece. C'est ainsi qu'ils commencent à se perfectionner ensuite à Rome dans d'au<pb-> [p. 223] tres guerres civiles du tems de César, & qu'ils renaissent encore dans notre xv. & xvj. siecle de l'ere vulgaire, parmi les troubles de l'Italie.

Après cette guerre du Péloponnèse, décrite par Thucydide, vient le tems célebre d'Alexandre, prince digne d'être élevé par Aristote, qui fonde beaucoup plus de villes que les autres n'en ont détruit, & qui change le commerce de l'Univers. De son tems, & de celui de ses successeurs, florissoit Carthage; & la république romaine commençoit à fixer sur elle les regards des nations. Tout le reste est enseveli dans la Barbarie: les Celtes, les Germains, tous les peuples du Nord sont inconnus.

L'histoire de l'empire romain est ce qui mérite le plus notre attention, parce que les Romains ont été nos maîtres & nos législateurs. Leurs loix sont encore en vigueur dans la plûpart de nos provinces: leur langue se parle encore, & longtems après leur chûte, elle a été la seule langue dans laquelle on rédigeât les actes publics en Italie, en Allemagne, en Espagne, en France, en Angleterre, en Pologne.

Au démembrement de l'empire romain en Occident, commence un nouvel ordre de choses, & c'est ce qu'on appelle l'histoire du moyen âge; histoire barbare de peuples barbares, qui devenus chrétiens, n'en deviennent pas meilleurs.

Pendant que l'Europe est ainsi boulversée, on voit paroître au vij. siecle les Arabes, jusques - là renfermés dans leurs deserts. Ils étendent leur puissance & leur domination dans la haute Asie, dans l'Afrique, & envahissent l'Espagne; les Turcs leur succedent, & établissent le siége de leur empire à Constantinople, au milieu du xv. siecle.

C'est sur la fin de ce siecle qu'un nouveau monde est découvert; & bientôt après la politique de l'Europe & les arts prennent une forme nouvelle. L'art de l'Imprimerie, & la restauration des sciences, font qu'enfin on a des histoires assez fideles, au lieu des chroniques ridicules renfermées dans les cloîtres depuis Grégoire de Tours. Chaque nation dans l'Europe a bientôt ses historiens. L'ancienne indigence se tourne en superflu: il n'est point de ville qui ne veuille avoir son histoire particuliere. On est accablé sous le poids des minuties. Un homme qui veut s'instruire est obligé de s'en tenir au fil des grands événemens, & d'écarter tous les petits faits particuliers qui viennent à la traverse; il saisit dans la multitude des révolutions, l'esprit des tems & les moeurs des peuples. Il faut sur - tout s'attacher à l'histoire de sa patrie, l'étudier, la posséder, réserver pour elle les détails, & jetter une vue plus générale sur les autres nations. Leur histoire n'est intéressante que par les rapports qu'elles ont avec nous, ou par les grandes choses qu'elles ont faites; les premiers âges depuis la chûte de l'empire romain, ne sont, comme on l'a remarqué ailleurs, que des avantures barbares, sous des noms barbares, excepté le tems de Charlemagne. L'Angleterre reste presque isolée jusqu'au regne d'Edouard III. le Nord est sauvage jusqu'au xvj. siecle; l'Allemagne est longtems une anarchie. Les querelles des empereurs & des papes desolent 600 ans l'Italie, & il est difficile d'appercevoir la vérité à - travers les passions des écrivains peu instruits, qui ont donné les chroniques informes de ces tems malheureux. La monarchie d'Espagne n'a qu'un événement sous les rois Visigoths; & cet événement est celui de sa destruction. Tout est confusion jusqu'au regne d'Isabelle & de Ferdinand. La France jusqu'à Louis XI. est en proie à des malheurs obscurs sous un gouvernement sans regle. Daniel a beau prétendre que les premiers tems de la France sont plus intéressans que ceux de Rome: il ne s'apperçoit pas que les commencemens d'un si vaste empire sont d'autant plus intéressans qu'ils sont plus foibles, & qu'on aime à voir la petite source d'un torrent qui a inondê la moitié de la terre.

Pour pénétrer dans le labyrinthe ténébreux du moyen âge, il faut le secours des archives, & on n'en a presque point. Quelques anciens couvens ont conservé des chartres, des diplomes, qui contiennent des donations, dont l'autorité est quelquefois contestée; ce n'est pas là un recueil où l'on puisse s'éclairer sur l'histoire politique, & sur le droit public de l'Europe. L'Angleterre est, de tous les pays, celui qui a sans contredit, les archives les plus anciennes & les plus suivies. Ces actes recueillis par Rimer, sous les auspices de la reine Anne, commencent avec le xij. siecle, & sont continués sans interruption jusqu'à nos jours. Ils répandent une grande lumiere sur l'histoire de France. Ils font voir par exemple, que la Guienne appartenoit aux Anglois en souveraineté absolue, quand le roi de France Charles V. la confisqua par un arrêt, & s'en empara par les armes. On y apprend quelles sommes considérables, & quelle espece de tribut paya Louis XI. au roi Edouard IV. qu'il pouvoit combattre; & combien d'argent la reine Elisabeth prêta à Henri le Grand, pour l'aider à monter sur son thrône, &c.

De l'utilité de l'Histoire. Cet avantage consiste dans la comparaison qu'un homme d'état, un citoyen peut faire des loix & des moeurs étrangeres avec celles de son pays: c'est ce qui excite les nations mordernes à enchérir les unes sur les autres dans les arts, dans le commerce, dans l'Agriculture. Les grandes fautes passées servent beaucoup en tout genre. On ne sauroit trop remettre devant les yeux les crimes & les malheurs causés par des querelles absurdes. Il est certain qu'à force de renouveller la mémoire de ces querelles, on les empêche de renaître.

C'est pour avoir lû les détails des batailles de Creci, de Poitiers, d'Azincourt, de Saint - Quentin, de Gravelines, &c. que le célebre maréchal de Saxe se déterminoit à chercher, autant qu'il pouvoit, ce qu'il appelloit des affaires de poste.

Les exemples font un grand effet sur l'esprit d'un prince qui lit avec attention. Il verra qu'Henri IV. n'entreprenoit sa grande guerre, qui devoit changer le système de l'Europe, qu'après s'être assez assuré du nerf de la guerre, pour la pouvoir soutenir plusieurs années sans aucun secours de finances.

Il verra que la reine Elisabeth, par les seules ressources du commerce & d'une sage économie, résista au puissant Philippe II. & que de cent vaisseaux qu'elle mit en mer contre la flotte invincible, les trois quarts étoient fournis par les villes commerçantes d'Angleterre.

La France non entamée sous Louis XIV. après neuf ans de la guerre la plus malheureuse, montrera évidemment l'utilité des places frontieres qu'il construisit. En vain l'auteur des causes de la chûte de l'empire romain blâme - t - il Justinien, d'avoir eu la même politique que Louis XIV. Il ne devoit blâmer que les empereurs qui négligerent ces places frontieres, & qui ouvrirent les portes de l'empire aux Barbares.

Enfin la grande utilité de l'histoire moderne, & l'avantage qu'elle a sur l'ancienne, est d'apprendre à tous les potentats, que depuis le xv. siecle on s'est toujours réuni contre une puissance trop prépondérante. Ce système d'équilibre a toujours été inconnu des anciens, & c'est la raison des succès du peuple romain, qui ayant formé une milice supérieure à celle des autres peuples, les subjugua l'un après l'autre, du Tibre jusqu'à l'Euphrate.

De la certitude de l'Histoire. Toute certitude qui n'est pas démonstration mathématique, n'est qu'une extrème probabilité. Il n'y a pas d'autre certitude historique.

Quand Marc Paul parla le premier, mais le seul,

Next page


The Project for American and French Research on the Treasury of the French Language (ARTFL) is a cooperative enterprise of Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF) of the Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), the Division of the Humanities, the Division of the Social Sciences, and Electronic Text Services (ETS) of the University of Chicago.

PhiloLogic Software, Copyright © 2001 The University of Chicago.