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Il n'est pas nécessaire sans doute, en terminant ce
qui concerne l'écriture hébraïque, de dire qu'elle se
figure de droite à gauche; c'est une singalarité que
peu de gens ignorent. Nous n'oserions déterminer si
cette méthode a été aussi naturelle dans son tems,
que la nôtre l'est aujourd'hui pour nous. Les nations
se sont fait sur cela différens usages. Diodore, liv.
III. parle d'un peuple des Indes qui écrivoit de haut
en bas: l'ancienne écriture de Fohi nous est représentée
de même par les voyageurs. Les Egyptiens,
selon Hérodote, écrivoient, ainsi que les Phéniciens,
de droite à gauche; & les Grecs ont eu quelques
monumens fort anciens, dont ils appelloient l'écriture
III. L'histoire de la langue hébraïque n'est chez les rabbins qu'un tissu de fables, & qu'un ample sujet de questions ridicules & puériles. Elle est, selon eux, la langue dont le Créateur s'est servi pour commander à la nature au commencement du monde; c'est de la bouche de Dieu même que les anges & le premier homme l'ont apprise. Ce sont les enfans de celui - ci qui l'ont transmise de race en race & d'âge en âge, au - travers des révolutions du monde physique & moral, & qui l'ont fait passer sans interruption & sans altération de la famille des justes au peuple d'Is<cb->
La langue hébraique est une langue humaine, ainsi que toutes celles qui se sont parlées & qui se parlent ici bas; comme toutes les autres, elle a eu son commencement, son regne & sa fin, & comme elles encore, elle a eu son génie particulier, ses beautés & ses défauts. Sortie de la nuit des tems, nous ignorons son origine historique; & nous n'oserions avancer avec la confiance des Juifs, qu'elle est antérieure aux anciens des astres du monde. S'il étoit permis cependant d'hazarder quelques conjectures raisonnables, fondées sur l'antiquité même de cette langue & sur sa pauvreté, nous dirions qu'elle n'a commencé qu'après les premiers âges du monde renouvellé; qu'il a pû se faire que ceux même qui ont échappé aux destructions, avent eu pour un tems une langue plus riche & plus formée, qui auroit été sans doute une de celles de l'ancien monde; mais que la postérité de ces débris du genre humain n'ayant produit d'abord que de petites sociétés qui ont dû nécessairement être long - tems misérables & toutes occupées de leurs besoins & de leur subsistance, il a dû arriver que leur langage primitif se sera appauvri, aura dégénéré de race en race, & n'aura plus formé qu'un idiome de famille, qu'une langue pauvre, concise & sauvage pendant plusieurs siecles, qui sera ensuite devenue la mere des langues qui ont été propres & particulieres aux premiers peuples & à leur colonie. Il en est des langues comme des nations: elles sont riches, fécondes, étendues en proportion de la grandeur & de la puissance des sociétés qui les parlent; elles sont arides & pauvres chez les Sauvages; & elles se sont agrandies & embellies partout où la population, le commerce, les sciences & les passions ont agrandi l'esprit humain. Elles ont aussi été sujettes à toutes les révolutions morales & politiques où ont été exposées les puissances de la terre; elles se sont formées, elles ont régné, elles ont dégénéré, & se sont éteintes avec elles. Jugeons donc quels terribles effets ont dû faire sur les premieres langues des hommes, ces coups de la Providence, qui peuveut éteindre les nations en un clind'oeil, & qui ont autrefois frappé la terre, comme nous l'apprennent nos traditions religieuses & tous les monumens de la nature. Si les arts ne furent point épargnés, si les inventions se perdirent, & s'il a fallu des siecles pour les retrouver & les renouveller, à plus forte raison les langues qui en avoient été la source, le canal & le monument, se perdirent-elles de même, & furent - elles ensevelies dans la ruine commune. Le très - petit nombre de traditions qui nous restent sur les temps antérieurs à ces révo<pb-> [p. 84]
Il est donc très - peu vraissemblable que l'origine de la langue hébraïque puisse remonter au - delà du renouvellement du monde: tout au plus est - elle une des premieres qui ait été formée & fixée lorsque des nations en corps ont commencé à reparoître, & qu'elles ont pû s'occuper à d'autres objets qu'à leurs besoins. Nous disons tout au plus, parce que malgré la simplicité de la langue hébraïque, elle est quelquefois trop riche en synonymes, dont grand nombre de verbes & plusieurs substantifs ont une singuliere quantité; ce qui suppose une aisance d'esprit & une abondance dont le génie des premieres familles n'a pû être susceptible pendant long - tems, & ce qui décele des richesses acquises ailleurs après l'agrandissement des sociétés.
Pour nous prouver toute l'antériorité de leur langage, les Juifs nous montrent les noms des premiers hommes, dont l'interprétation convenable ne peut se trouver que chez eux: toute fondée que soit cette remarque, quoiqu'il y ait plusieurs de ces noms qui tiennent plus au chaldéen qu'à l'hébreu, il n'y a qu'une aveugle prévention qui puisse s'en faire un titre, & l'on n'y voit autre chose sinon que ce sont des auteurs hébreux & chaldéens qui nous ont transmis le sens primitif de ces noms propres en les traduisant en leur langue: s'ils eussent été grecs, ils eussent donné des noms grecs, & des noms latins s'ils eussent été latins; parce qu'il a été aussi ordinaire que naturel à tous les anciens peuples de rendre le sens des noms traditionnels en leur langue. Ils y étoient forcés, parce que ces noms faisoient souvent une partie de l'histoire, & qu'il falloit traduire les uns en traduisant l'autre, afin de les rendre mutuellement intelligibles, & parce que le renouvellement des arts & des sciences exigeoit nécessairement le renouvellement des noms. La Mythologie qui n'a que trop connu cet ancien usage de traduire les noms pour expliquer l'histoire, nous montre souvent l'abus qu'elle en a fait, en les dérivant de sources étrangeres, & en personnifiant quelquefois des êtres naturels & métaphysiques: ses méprises en ce genre sont, comme on sait, une des sources de la fable. Mais nous devons à cet égard rendre la justice qui est dûe aux écrivains divinement inspirés: c'est par eux que la foi nous apprend que le premier homme a eté appellé terre ou terrestre, & la premiere femme la vie. La raison concourt même à nous dire que l'homme est terre & que la femme donne la vie; mais ni l'une ni l'autre ne nous ont jamais fait connoître quels sont les premiers mots par lesquels ont été désignés la terre & la vie.
Il est de plus fort incertain quel nom de peuple la langue hébraïque a pû porter dans son origine. Ce n'a point été le nom des Hébreux, qui malgré l'antiquité de leur famille, n'ont été qu'un peuple nouveau vis - à - vis des Chaldéens d'où Abraham est sorti, & vis - à - vis des Cananéens & Egyptiens, où ce patriarche & ses enfans ont si long - tems voyagé en simples particuliers. Si la langue de la Bible est celle d'Abraham, elle ne peut être que la langue même de l'ancienne Chaldée: si elle ne l'est point, elle ne doit être qu'une langue nouvelle ou étrangere. Entre ces deux alternatives il est un milieu sans doute auquel nous devons nous arrêter. Abraham, chaldéen de famille & de naissance, n'ayant pû parler autrement que chaldéen, il est plus que vraissemblable que sa postérité a dû conserver son langage pendant quelques générations, & qu'ensuite leur commerce & leurs liaisons avec les Cananéens, les Arabes & les Egyptiens l'ayant peu - à - peu changé, il en est résulté une nouvelle dialecte propre & particu<cb->
Ces différences n'ont cependant jamais été assez
grandes pour rendre toutes ces langues méconnoissables
entre elles, quoique le chaldéen d'Abraham
ait dû souffrir de grands changemens dans l'intervalle
de plus de quatorze cents ans qui s'est écoulé
depuis ce patriarche jusqu'à Daniel. Il différoit moins
alors de la langue de Moyse, que l'italien, le françois
& l'espagnol ne different entre eux, quoiqu'ils
soient moins éloignés des siecles de la latinité qui
les a tous formés. Sur quoi nous devons observer
qu'il ne faut jamais dans l'Ecriture prendre le nom
de langue à la rigueur; lorsqu'en parlant des Chaldéens, des Cananéens, des Egyptiens, des Amalécites, des Ammonites, &c. elle nous dit quelquefois
que tel ou tel peuple parloit un langage inconnu,
cela ne peut signifier qu'une dialecte différente, qu'un
autre accent, & qu'une autre prononciation; & il
faut avouer que tous ces divers modes ont dû être
extrémement variés, puisqu'on rencontre en plusieurs
endroits de l'Ecriture des preuves que les
Hébreux se sont servis d'interpretes vis - à - vis de tous
ces peuples, quoique le fond de leur langue fût le
même, comme nous en pouvons juger par les livres
& les vestiges qui en sont restés, où toutes ces langues
s'expliquent les unes par les autres. Il nous
manque sans doute, pour apprécier leurs différences,
les oreilles des peuples qui les ont parlé. Il falloit
être Athénien pour reconnoître au langage que
Demosthène étoit étranger dans Athènes; & il faudroit
de même être Hébreu ou Chaldéen, pour saisir
toutes les différences de prononciation qui diversifioient
si considérablement toutes ces anciennes dialectes,
quoiqu'issues d'une même source. Au reste,
nous ne devons point être étonnés de remarquer dans
toutes ces contrées de l'Asie le langage d'Abraham;
il étoit sorti d'un pays & d'un peuple qui dans presque
tous les tems a étendu sur elles sa puissance &
son empire, tantôt par les armes & toujours par les
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