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Cette histoire des points voyelles nous offre sans doute la plus forte preuve que l'on puisse donner de leur indispensable nécessité. Nous avons vû dans quelles erreurs sont tombées les nations qui les ont perdus par accident, ou négligés par ignorance & par mauvais goût. Jettons actuellement nos yeux sur cet heureux coin du monde où cette même écriture, qui n'étoit pour une infinité de peuples qu'une écriture du mensonge & du délire, étoit pour le peuple juif & sous la main de l'Esprit - saint, l'écriture de la sagesse & de la vérité.
On ne peut douter que Moyse élevé dans les arts & les sciences de l'Egypte, ne se soit particulierement servi de l'écriture * ponctuée pour faire connoître ses lois, & qu'il n'en ait remis à l'ordre sacerdotal qu'il institua, des exemplaires soigneusement écrits en consonnes & en points voyelles, pour perpétuer par leur moyen le sens & l'intelligence d'une loi dont il avoit si fort & si souvent recommandé l'exercice le plus exact & la pratique la plus severe. Ce sage législateur ne pouvoit ignorer le danger des lettres sans voyelles; il ne pouvoit pas non plus ignorer les fables qui en étoient déja issues de son tems: il n'a donc pû manquer à une précaution que l'écriture de son siecle exigeoit nécessairement, & de laquelle dépendoit le succès de la législation. Il y auroit même lieu de croire qu'il en répandit aussi des exemplaires parmi le peuple, puisqu'il en a ordonné à tous la lecture & la méditation assidue; mais il est difficile à cet égard de penser que les copies en ayent été fort fréquentes, attendu que sans le secours de l'impression on n'a pû, dans ces premiers âges & chez un peuple qui sournissoit 600 mille combattans, multiplier les livres en raison des hommes; nous ne devons sans doute voir dans ce précepte que l'ordre de fréquenter assidument les instructions publiques & journalieres où les prêtres faisoient la lecture & l'explication de cette loi. On nous répondra sans doute que chaque israélite étoit obligé dans sa jeunesse de la transcrire, & que les enfans des rois n'étoient pas eux - mêmes exemts de ce devoir. Mais si cette remarque nous fait connoître la véritable étendue du précepte de Moyse, il y a toute apparence qu'il en a été de l'observance de ce précepte comme à l'égard de tant d'autres, que les Hébreux n'ont point pratiqués, & qu'ils ont négligés ou oubliés presqu'aussitôt après le premier commandement qui leur en avoit été fait; on sait que leur infidélité sur tous les points de leur loi a été presque aussi continue qu'inconcevable. Conduits par Dieu même dans le desert, ils y négligent la circoncision pendant quarante ans, & toute la géné<->
* Comme le langage de l'Egypte n'a été qu'une dialecte assez semblable aux langues de Phénicie & de Palestine, on conjecture que l'écriture a dû être aussi la même. Ceci est d'autant plus vraissemblable, que les Hébreux écrivent de droite à gauche ainsi qu'écrivoient les Egyptiens, selon Hérodote.[p. 82]
Un esprit inquiet & surpris pourra nous dire: Se peut - il faire que Dieu ayant donné une loi à son peuple, & lui en ayant si sévérement recommandé l'observation, ait pû permettre que l'écriture en fût obscure & la lecture difficile? comment ce peuple pouvoit - il la méditer & la pratiquer? Nous pourrions répondre qu'il a dépendu de ceux qui ont été les organes de la science & les canaux publics de l'instruction, de prévenir les égaremens des peuples en remplissant eux - mêmes leurs devoirs selon la raison & selon la vérité: mais il en est sans doute une cause plus haute qu'il ne nous appartient pas de pénétrer. Ce n'est pas à nous, aveugles mortels, à questionner la Providence: que ne lui demandons - nous aussi pourquoi elle s'est plû à ne parler aux Juifs qu'en parabole; pourquoi elle leur a donné des yeux afin qu'ils ne vissent point, & des oreilles afin qu'ils n'entendissent point, & pourquoi de toutes les nations de
Si les crimes & les erreurs des Hébreux, semblables aux crimes & aux erreurs des autres nations, nous indiquent qu'ils ont pendant plusieurs âges négligé les livres de Moyse, & abusé de l'ancienne écriture pour se repaître de chimeres & se livrer aux mêmes folies qu'encensoit le reste de la terre; la conservation de ces livres précieux qui n'ont pû parvenir jusqu'à nous qu'à - travers une multitude de hazards, est cependant une preuve sensible que la Providence n'a jamais cessé de veiller sur eux comme sur un dépôt moins fait pour les anciens hébreux que pour leur postérité & pour les nations futures.
Ce ne fut que dans les siecles qui suivirent le retour de la captivité de Babylone, que les Juifs se livrerent à l'étude & à la pratique de leur loi, sans aucun retour vers l'idolatrie. Outre le souvenir des grands châtimens que leurs peres avoient essuyés, & qui étoit bien capable de les retenir d'abord; ils conçurent sans doute aussi quelque émulation pour l'étude, par leur commerce avec les grandes nations de l'Asie, & sur - tout par la fréquentation des Grecs, qui porterent bientôt dans cette partie du monde leur politesse, leur goût & leur empire. Ce fut alors que la Judée fit valoir les livres de Moyse & des prophetes: elle les étudia profondément: elle eut une foule de commentateurs, d'interpretes & de savans: il se forma même différentes sectes de sages ou de philosophes; & ce goût général pour les lettres & la science fut une cause seconde, mais puissante, qui retint les Juifs pour jamais dans l'exercice constant de leur religion: tant il est vrai qu'un peuple idiot & stupide ne peut être un peuple religieux, & que l'empire de l'ignorance ne peut être celui de la vérité.
Les premiers siecles après ce retour furent le bel âge de la nation juive: alors la loi triompha comme si Moyse ne l'eût donnée que dans ces instans. Pleins de vénération pour son nom & pour sa mémoire, les Juifs travaillerent avec autant d'ardeur à la recherche de ses livres qu'à la reconstruction de leur temple. On ignore par quelle voie, en quel tems & en quel lieu ces livres si long - tems négligés se retrouverent. Les Juifs à cet égard exaltent peut - être trop les services qu'ils ont reçûs d'Esdras dans ces premiers tems; il leur tint presque lieu d'un second Moyse, * & c'est à lui ainsi qu'à la grande synagogue qu'ils attribuent la collection & la révision des livres sacrés, & même la ponctuation que nous y voyons aujourd'hui. Ils prétendent qu'il fut avec ses collegues secondé des lumieres surnaturelles pour en retrouver l'intelligence qui s'étoit perdue: quelques - uns ont même poussé le merveilleux au point d'assûrer qu'il les avoit écrits de mémoire sous la dictée du Saint - Esprit. Mais le Pentateuque entre les mains des Sa<->
* Il est vraissemblable que le nom d'Esdras a donné lieu à toutes les traditions qui le concernent. Ce nom, tel qu il est écrit dans le texte, se devroit dire Ezra; & dérivé d'azar, il a secouru, on l'interprete secours, parce qu'Esdras a été d'un grand secours aux Juifs au retour de leur captivité. Mais il y en a eu d'autres qui l'ont aussi cherché dans zehar, il a institué, il a enseignè, & qui sous ce point de vûe ont regardé Esdras comme l'instituteur de la plûpart de leurs usages, & comme leur plus grand docteur. Le changement de dialecte d'Ezra en Esdra, parce que le z tourne en sd comme en ds, l'a fait encore chercher dans sadar, il a arrangé, il a mis en ordre. D'où ils ont aussi tiré cette conséquence, qu'Esdras avoit été l'ordonnateur, le réviseur, & l'éditeur des livres sacrés. Tel est le grand art des Juifs dans la composition de leurs histoires traditionnelles: c'est donc avec bien de la raison que les Chrétiens ont rejetté ce qu'ils débitent sur Esdras, & tant d'autres anecdotes qui n'ont pas de meilleurs fondemens.
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