ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

RECHERCHE Accueil Mises en garde Documentation ATILF ARTFL Courriel

Previous page

"79"> n'ont - ils pas craint d'avancer que sans eux le texte sacré n'auroit été pendant des milliers d'années qu'un nez de cire (instar nasi cerei, in diversas formas mutabilis fuisset. Leusden, phil. heb. disc. 14.), qu'un monceau de sable battu par le vent, qui d'âge en âge auroit perdu sa figure & sa forme primitive. Envain leurs adversaires appelloient à leur secours une tradition orale pour en conserver le sens de bouche en bouche, & pour en perpétuer l'intelligence d'âge en âge. On leur disoit que cette tradition orale n'étoit qu'une sable, & n'avoit jamais servi qu'à transmettre des fables. En vain osoient - ils prétendre que les inventeurs modernes des points voyelles avoient été inspirés du Saint - Esprit pour trouver & fixer le véritable sens du texte sacré & pour ne s'en écarter jamais. Ce nouveau miracle prouvoit aux autres l'impossibilité de la chose, parce que la traduction des livres saints ne doit pas être une merveille supérieure à celle de leur composition primitive. A ces raisons générales on en a joint de particulieres & en grand nombre: on a fait remarquer que les paraphrastes chaldéens, qui n'ont point employé de ponctuations dans leurs commentaires ou Targum, se sont servis très - fréquemment de ces consonnes muettes, aleph, vau, & jod, peu usitées dans les textes sacrés, où elles n'ont point de valeur par elles - mêmes, mais qui sont si essentielles dans les ouvrages des paraphrastes, qu'on les y appelle matres lectionis, parce qu'elles y fixent le son & la valeur des mots, comme dans les livres des autres langues. Les Juifs & les rabbins font aussi de ces caracteres le même usage dans leurs lettres & leurs autres écrits, parce qu'ils évitent de cette façon la longueur & l'embarras d'une ponctuation pleine de minuties.

Pour répondre à l'objection tirée du silence de l'antiquité, on a présenté les ouvrages même des Massoretes qui ont fait des notes critiques & grammaticales sur les livres sacrés, & en particulier sur les endroits dont ils ont crû la ponctuation altérée ou changée. On a trouvé de pareilles autorités dans quelques livres de docteurs fameux & de cabalistes, connus pour être encore plus anciens que la Massore; c'est ce qui est exposé & démontré avec le plus grand détail dans le livre de Cl. Buxtorf, de antiq. punct. cap. 5. part. I. & dans le Philog. heb. de Leusden. Quant au silence que la foule des auteurs & des écrivains du moyen âge a gardé à cet égard, il ne pourroit être étonnant, qu'autant que l'admirable invention des points voyelles seroit une chose aussi récente qu'on voudroit le prétendre. Mais si son origine sort de la nuit des tems les plus reculés, comme il est très - vraissemblable, leur silence alors ne doit pas nous surprendre; ces auteurs auront vû les points voyelles; ils s'en seront servis comme les Massoretes, mais sans parler de l'invention ni de l'inventeur; parce qu'on ne parle pas ordinairement des choses d'usage, & que c'est même là la raison qui nous fait ignorer aujourd'hui une multitude d'autres détails qui ont été vulgaires & très - communs dans l'antiquité. On a cependant plusieurs indices que les anciennes versions de la Bible qui portent les noms des Septante & de S. Jérôme, ont été faites sur des textes ponctués; leurs variations entre elles & entre toutes les autres versions qui ont été faites depuis, ne sont souvent provenues que d'une ponctuation quelquefois différente entre les textes dont ils se sont servis; d'ailleurs, comme ces variations ne sont point considérables, qu'elles n'influent que sur quelques mots, & que les récits, les faits, & l'ensemble total du corps historique, est toûjours le même dans toutes les versions connues; cette uniformité est une des plus fortes preuves qu'on puisse donner, que tous les traducteurs & tous les âges ont eu un secours commun & un même guide pour dé<cb-> chiffrer les consonnes hébraïques. S'il se pouvoit trouver des Juifs qui n'eussent point appris leur langue dans la Bible, & qui ne connussent point la ponctuation, il faudroit pour avoir une idée des difficultés que présente l'interprétation de celles qui ne le sont pas, exiger d'eux qu'ils en donnassent une nouvelle traduction, on verroit alors quelle est l'impossibilité de la chose, ou quelles fables ils nous feroient, s'ils étoient encore en état d'en faire.

A tous ces argumens si l'on vouloit en ajoûter un nouveau, peut - être pourroit - on encore faire parler l'écriture des Grecs en faveur de l'antiquité de la ponctuation hébraïque & de ses accens, comme nous l'avons fait ci - devant parler en faveur des caracteres. Quoique les Grecs ayent eu l'art d'ajoûter aux alphabets de Phénicie les voyelles fixes & déterminées dans leur son, leurs voyelles sont encore cependant tellement chargées d'accens, qu'il sembleroit qu'ils n'ont pas osé se défaire entierement de la ponctuation primitive. Ces accens sont dans leur écriture aussi essentiels, que les points le sont chez les Hébreux; & sans eux il y auroit un grand nombre de mots dont le sens seroit variable & incertain. Cette façon d'écrire moyenne entre celle des Hébreux & la nôtre, nous indique sans doute un des degrés de la progression de cet art; mais quoi qu'il en soit, on ne peut s'empêcher d'y reconnoître l'antique usage de ces points voyelles, & de cette multitude d'accens que nous trouvons chez les Hébreux. Si le seizieme siecle a donc vû naître une opinion contraire, peut - être n'y en a - t - il pas d'autre cause que la publicité des textes originaux rendus communs par l'Imprimerie encore moderne; comme elle multiplia les Bibles hébraïques, qui ne pouvoient être que très - rares auparavant, plus d'yeux en furent frappés, & plus de gens en raisonnerent; le monde vit alors le spectacle nouveau de l'ancien art d'écrire, & le silence des siecles fut nécessairement rompu par des opinions & des systèmes, dont la contrariété seule devroit suffire pour indiquer toute l'antiquité de l'objet où l'imagination a voulu, ainsi que les yeux, appercevoir une nouveauté.

La discussion des points voyelles seroit ici terminée toute en leur faveur, si les adversaires de son antiquité n'avoient encore à nous opposer deux puissantes autorités. Le Pentateuque samaritain n'a point de ponctuation, & les Bibles hébraïques que lisent les rabbins dans leurs synagogues pour instruire leur peuple, n'en ont point non plus; & c'est une regle chez eux que les livres ponctués ne doivent jamais servir à cet usage. Nous répondrons à ces objections 1°. que le Pentateuque samaritain n'a jamais été assez connu ni assez multiplié, pour que l'on puisse savoir ou non, si tous les exemplaires qui en ont existé ont tous été généralement dénués de ponctuation. Mais il suit de ce que ceux que nous avons en sont privés, que nous n'y pouvons connoître que par leur analogie avec l'hébreu, & en s'aidant aussi des trois lettres matres lectionis. 2°. Que les rabbins qui lisent des Bibles non ponctuées n'ont nulle peine à le faire, parce qu'ils ont tous appris à lire & à parler leur langue dans des Bibles qui ont tout l'appareil grammatical, & qui servent à l'intelligence de celles qui ne l'ont pas. D'ailleurs qui ne sait que ces rabbins toûjours livrés à l'illusion, ne se servent de Bibles sans voyelles pour instruire leur troupeau, que pour y trouver, à ce qu'ils disent, les sources du Saint - Esprit plus riches & plus abondantes en instruction; parce qu'il n'y a pas en effet un mot dans les Bibles de cette espece, qui ne puisse avoir une infinité de valeur par une imagination échauffée, qui veut se repaître de chimere, & qui veut en entretenir les autres?

C'est par cette même raison, que les Cabalistes [p. 80] font aussi si peu de cas de la ponctuation; elle les gêneroit, & ils ne veulent point être gênés dans leurs extravagances; ils veulent en toute liberté supposer les voyelles, analyser les lettres, décomposer les mots, & renverser les syllabes; comme si les livres sacrés n'étoient pour eux qu'un répertoire d'anagrames & de logogryphes. Voyez Cabale. L'abus que ces prétendus sages ont fait de la Bible dans tous les tems, & les rêveries inconcevables où les rabbins, le texte à la main, se plongent dans leurs synagogues, semblent ici nous avertir tacitement de l'origine des livres non ponctués, & nous indiquer leur source & leur principe dans les déreglemens de l'imagination; les Bibles muettes ne pourroient - elles point être les filles du mystere, puisqu'elles ont été pour les Juifs l'occasion de tant de fables mystérieuses? Ce soupçon qui mérite d'être approfondi, si l'on veut connoître les causes qui ont répandu dans le monde des livres ponctués & non ponctués, & les suites qu'elles ont eû, nous conduit au véritable point de vûe sous lequel on doit nécessairement considérer l'usage & l'origine même des points voyelles; ce que nous allons dire fera la plus essentielle partie de leur histoire; & comme cette partie renferme une des plus intéressantes anecdotes de l'histoire du monde, on prévient qu'il ne faut pas confondre les tems avec les tems, ni les auteurs sacrés avec les sages d'Egypte ou de Chaldée. Nous allons parler d'un âge qui a sans doute été de beaucoup antérieur au premier écrivain des Hébreux.

Plus l'on réfléchit sur les opérations de ceux qui les premiers ont essayé de représenter les sons par des caracteres, & moins l'on peut concevoir qu'ils ayent précisément oublié de donner des signes aux voyelles qui sont les meres de tous les sons possibles, & sans lesquelles on ne peut rien articuler. L'écriture est le tableau du langage; c'est - là l'objet & l'essence de cette inestimable invention; or comme il n'y a point & qu'il ne peut y avoir de langage sans voyelles, ceux qui ont inventé l'écriture pour être utile au genre humain en peignant la parole, n'ont donc pû l'imaginer indépendamment de ce qui en fait la partie essentielle, & de ce qui en est naturellement inaliénable. Leusden & quelques autres adversaires de l'antiquité des points voyelles, ont avancé en discutant cette même question, que les consonnes étoient comme la matiere des mots, & que les voyelles en étoient comme la forme: ils n'ont fait en cela qu'un raisonnement faux, & d'ailleurs inutile; ce sont les voyelles qui doivent être regardées comme la matiere aussi simple qu'essentielle de tous les sons, de tous les mots, & de toutes les langues; & ce sont les consonnes qui leur donnent la forme en les modifiant en mille & mille manieres, & en nous les faisant articuler avec une variété & une fécondité infinie. Mais de façon ou d'autre, il faut nécessairement dans l'écriture comme dans le langage, le concours de cette matiere & de cette forme, pour faire sur nos organes l'impression distincte que ni la forme ni la matiere ne peuvent produire séparément. Nous devons donc encore en conclure qu'il est de toute impossibilité, que l'invention des signes des consonnes ait pû être naturellement séparée de l'invention des signes des voyelles, ou des points voyelles, qui sont la même chose.

Pourquoi donc nous est - il parvenu des livres sans aucune ponctuation? C'est ici qu'il faut en demander la raison primitive à ces sages de la haute antiquité, qui ont eu pour principe que la science n'étoit point faite pour le vulgaire, & que les avenues en devoient être fermées au peuple, aux profanes, & aux étrangers. On ne peut ignorer que le goût du mystere a été celui des savans des premiers âges; c'étoit lui qui avoit déjà en partie présidé à l'invention des hieroglyphes sacrés qui ont devancé l'écriture; & c'est lui qui a tenu les nations pendant une multitude de siecles dans des ténebres qu'on ne peut pénétrer, & dans une ignorance profonde & universelle, dont deux mille ans d'un travail assez continu n'ont point encore réparé toutes les suites funestes. Nous ne chercherons point ici quels ont été les principes d'un tel système; il suffit de savoir qu'il a existé, & d'en voir les tristes suites, pour y découvrir l'esprit qui a dû présider à la primitive invention des caracteres des sons, & qui en a fait deux classes séparées, quoiqu'elles n'eussent jamais dû l'être. Cette prétieuse & inestimable découverte n'a point été dès son origine livrée & communiquée aux hommes dans son entier, les signes des consonnes ont été montrés au vulgaire; mais les signes des voyelles ont été mis en reserve comme une clef & un secret qui ne pouvoit être confié qu'aux seuls gardiens de l'arbre de la science. Par une suite de l'ancienne politique, l'invention nouvelle ne fut pour le peuple qu'un nouveau genre d'hiéroglyphe plus simple & plus abrégé à la vérité, que les précédens, mais dont il fallut toûjours qu'il allât de même chercher le sens & l'intelligence dans la bouche des sages, & chez les administrateurs de l'instruction publique. Heureux sans doute ont été les peuples auxquels cette instruction a été donnée saine & entiere; heureuses ont été les sociétés où les organes de la science n'ont point, par un abus trop conséquent de leur funeste politique, regardé comme leur patrimoine & leur domaine le dépôt qui ne leur étoit que commis & confié; mais quand elles auroient eû toutes ce rare bonheur, en est - il une seule qui ait été à l'abri des guerres destructives, & des révolutions qui renversent tout, & principalement les Arts? Les nations ont donc été détruites, les sages ont été dispersés, souvent ils ont péri & leur mystere avec eux. Après ces évenemens il n'est plus resté que les monumens énigmatiques de la science primitive, devenus mystérieux & inintelligibles par la perte ou la rareté de la clé des voyelles. Peut - être le peuple juif est - il le seul qui par un bienfait particulier de la Providence, ait heureusement conservé cette clé de ses annales par le secours de quelques livres ponctués qui auront échappé aux diverses desolations de leur patrie; mais quant à la plûpart des autres nations, il n'est que trop vraissemblable qu'il a été pour elles un tems fatal, où elles ont perdu tout moyen de relever l'édifice de leur histoire. Il fallut ensuite recourir à la tradition; il fallut évertuer l'imagination pour déchiffrer des fragmens d'annales toutes écrites en consonnes; & la privation des exemplaires ponctués presque tous péris avec ceux qui les avoient si mysterieusement gardés, donna nécessairement lieu à une science nouvelle, qui fit respecter les écritures non ponctuées, & qui en répandit le goût dépravé chez divers peuples: ce fut de deviner ce qu'on ne pouvoit plus lire; & comme l'appareil de l'écriture & des livres des anciens sages avoit quelque chose de merveilleux, ainsi que tout ce qu'on ne peut comprendre, on s'en forma une très - haute idée; on n'y chercha que des choses sublimes, & ce qui n'y avoit jamais été sans doute, comme la medecine universelle, le grand oeuvre, ses secrets, la magie, & toutes ces sciences occultes que tant d'esprits faux & de têtes creuses ont si long - tems cherchées dans certains chapitres de la Bible, qui ne contiennent que des hymnes ou des généalogies, ou des dimensions de bâtiment. Il en fut aussi de même quant à l'histoire générale des peuples & aux histoires particulieres des grands hommes. Les nations qui dans des tems plus anciens avoient déjà abusé des symboles primitifs & des premiers hiéroglyphes, pour en

Next page


The Project for American and French Research on the Treasury of the French Language (ARTFL) is a cooperative enterprise of Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF) of the Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), the Division of the Humanities, the Division of the Social Sciences, and Electronic Text Services (ETS) of the University of Chicago.

PhiloLogic Software, Copyright © 2001 The University of Chicago.