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Quelque inconvénient qu'il paroisse y avoir à ruiner
son pays, c'est pourtant dans des cas pressans une
opération indispensable;
Lorsque la guerre n'a pas été absolument imprévûe, qu'on a dû s'y attendre par les dispositions de l'ennemi, par l'augmentation de ses troupes, les amas de vivres & de fouirages dans ses places frontieres; alors on peut prendre des précautions pour lui résister. Pour cet effet on fait promptement de nouvelles levées de troupes; on réunit ensemble dans les lieux les plus propres à fermer l'entrée du pays, celles qu'on a déjà sur pié; & l'on forme des magasins de munitions de toute espece dans les lieux les moins exposés.
On cherche aussi à tirer du secours de ses alliés, soit par des diversions, ou par des corps de troupes. Enfin l'on doit s'appliquer à faire ensorte de n'étre point surpris, à bien démêler les desseins de l'ennemi, & à employer tous les expediens que la connoissance de la guerre & du pays peuvent suggérer pour lui résister.
Il arrive souvent qu'un prince qui fait la guerre
à - la - fois de plusieurs côtés, n'est pas en état de la
faire offensivement par - tout; alors il prend le parti
de la défensive du côté où il se croit le plus en sûreté;
mais cette défensive doit être conduite avec tant
d'art & de prudence, que l'ennemi ne puisse s'en
douter
Quoique la guerre défensive soit plus difficile à soûtenir que l'offensive, M. le chevalier Folard prétend que les généraux les plus mal - habiles sont ceux qui da proposent; au lieu que les plus consommés dans la science des armes cherchent à l'éviter: la raison en est sans doute, qu'il paroît plus aisé de s'opposer aux desseins de l'ennemi, que d'en former soi - même; mais avec un peu d'attention on s'apperçoit bien - tôt que l'art de réduire un ennemi à l'absurde, & de deviner tous ses projets, demande plus de capacité & d'intelligence que pour l'attaquer à force ouverte, & le faire craindre pour son pays. Si l'ennemi peut pénétrer qu'on a dessein de se tenir sur la défensive à son égard, il doit devenir plus entreprenant.
Lorsque par les évenemens d'une guerre malheureuse
on est dans le cas de craindre de se commettre
avec l'ennemi, il faut éviter les actions générales en
plaine, & chercher, comme le faisoit Fabius Maximus, à harceler l'ennemi, lui couper ses vivres &
ses fourrages, s'appliquer à ruiner son armée en détail,
en se tenant toûjours à - portée de profiter de ses
fautes, en occupant des postes sûrs & avantageux,
où sa supériorité ne soit point à craindre; en un mot
Lorsqu'on veut empêcher l'ennemi de pénétrer
dans un pays fermé de montagnes & de defiles, il
est bien difficile de s'assûrer de les garder tous également; car comme l'ennemi peut donner de la jalousie
de plusieurs côtés, il vous oblige par - là de partager
vos forces; ce qui fait qu'on ne se trouve pas en etat
de resister dans le lieu ou il fait ses plus grands efforts.
Dans les cas de cette espece, & lorsqu'on est
à - peu - pres égal en force à l'ennemi, il faudroit s'attacher
à le mettre lui - même sur la defensive; c'est le
moyen de déranger ses projets, & de l'occuper de
la conservation de son pays. Si l'on peut réussir, on
éloigne la guerre de ses frontieres; mais si l'entreprise
pareit trop difficile, il faut faire ensorte que l'ennemi
ne trouve aucune subsistance dans les lieux ou il
aura pénetré, qu'il s'y trouve gêne & à l'etroit par
un bon corps d'armée qui occupe un camp sûr &
avantageux, & qu'il ne lui permette pas de pouvoir
aller en - avant. C'est un principe certain, que le partage
des forces les diminue, & qu'en voulant se défendre
de tous côtés, on se trouve trop foible parteut: c'est pourquoi le parti le plus sûr dans les occasions
où l'on craint pour plusieurs endroits à - la-fois, est de réunir ses forces ensemble, de maniere
que s'il est nécessaire de combattre, on le fasse avec
tout l'essort dont on est capable. C'est par cette raison
qu'un general habile qui a des lignes d'une grande
étendue à garder, trouve plus avantageux d'aller audevant
de l'ennemi, pour le combattre avec toutes
ses forces, que de se voir forcé dans des retranchemens.
Voyez
De la guerre de secours. Un prince secourt ses voisins à cause des alliances ou des traités qu'il a faits avec eux; il le fait aussi souvent pour les empécher de succomber sous la puissance d'un prince ambitieux que la prudence demande qu'on arrête de bonne heure: car, comme le dit tres - judicieusement le chevalier de Ville, on ne doit pas rester tranquille lorsque le feu est aux maisons voisines; autrement on en sentira bien - tôt les effets.
Lorsqu'on donne du secours à un prince en vertu des traités, la justice & l'équite exigent qu'on lui tienne exactement tout ce qu'on lui a promis, soit pour lui sournir un certain nombre de troupes, soit pour attaquer soi - même l'ennemi de son allié, si l'on est à portee de le faire.
Si l'on donne des secours à un prince pour l'empêcher d'être opprimé par une puissance formidable qui veut envahir sen pays, la prudence demande [p. 992]
Pour cet effet, on doit exiger quelques places de sûreté qui puissent garantir la fidélité du prince auquel on donne du secours.
Lorsqu'un prince envoye un corps de troupes au
secours d'un autre prince,
De la guerre des saiges. Quoique nous ayons exposé fort brievement ce qui concerne les guerres précédentes, nous serons encose plus succints sur celle des siéges.
Nous observerons seulement qu'on ne doit entreprendre aucun siége que lorsqu'on a acquis quelque supériorité sur l'ennemi par le gain d'une bataille ou d'un combat, ou bien lorsqu'on est en état en se mettant de bonne heure en campagne, de finir le siége avant que l'ennemi ait eu le tems d'assembler une armée pour s'y opposer. Une armée qui fait un siége s'affoiblit toûjours beaucoup: par conséquent si elle est de pareille force que celle de l'ennemi, elle devient alors inférieure; c'est pourquoi pour éviter tout inconvénient à cet égard, il ne faut se livrer à ces sortes d'entreprises, que lorsqu'on peut présumer que l'ennemi ne pourra empêcher de les terminer heureusement. Il y a des places dont la disposition du terrein des environs est si favorable pour une armce d'observation, qu'il est difficile à l'ennemi, lorsqu'on y est une fois établi, de vous y attaquer avec avantage. Mlis comme ces situations ne sont pas ordinaires, les habiles généraux pensent qu'il faut être maitre de la campagne, pour faire un siége tranquillement.
On doit avoir pour objet principal à la guerre,
celui de pousser son ennemi & de l'empêcher de paroître;
lorsqu'on y est parvenu, les siéges se sont sans
difficulte & sans inquiétude: à l'égard des différentes
opérations du siége, voyez
Avant de finir cet article, observons que les succès à la guerre dépendent non - seulement du général, mais encore des ossiciers généraux qui sont sous ses ordres, & de ceux qui sont chargés du détail des subsistances: si le général n'en est pas bien secondé, les projets les mieux pensés & les mieux entendus peuvent manquer dans l'exécution, sans qu'il y ait aucune faute de sa part: on veut cependant le rendre responsable de tout; & ce qui est encore plus singulier, tout le monde veut s'ingérer de juger de sa conduite, & chacun s'en croit capable. Cette manie n'est pas nouvelle.
Sachez, Romains, que cette licence qu'on se
donne à Rome apporte un grand obstacle au succès
de vos armées & au bien public. Tous vos
généraux n'ont pas la fermeté & la constance de
Fabius, qui aima mieux voir son autorité insultée
par la témérité d'une multitude indiserette & imprudente,
que de ruiner les assaires de la république
en se piquant à contre - tems de bravoure pour
faire cesser des bruits populaires.
Je suis bien éloigné de croire que les généraux
n'ayent pas besoin de recevoir des avis; je pense
au contraire que quiconque veut seul tout conduire
par ses seules lumieres & sans consulter,
marque plus de présomption que de sagesse. Que
peut - on donc exiger raisonnablement? c'est que
personne ne s'ingere de donner des avis à vos généraux,
que ceux premierement qui sont habiles dans
le métier de la guerre, & à qui l'expérience a appris
ce que c'est que de commander; & secondement
ceux qui sont sur les lieux, qui connoissent l'ennemi,
qui sont en état de juger des différentes conjonctures,
& qui se trouvant embarqués comme dans
un même vaisseau, partagent avec nous tous les dangers.
Si donc quelqu'un se flatte de pouvoir m'aider
de ses conseils dans la guerre dont vous m'avez
chargé, qu'il ne refuse point de rendre ce service
à la république, & qu'il vienne avec moi en Macédoine; galere, chevaux, tentes, vivres, je le défrayerai
de tout. Mais si l'on ne veut pas prendre
cette peine, & qu'on préfere le doux loisir de la
ville aux dangers & aux fatigues du camp, qu'on
ne s'avise pas de vouloir tenir le gouvernail en demeurant
tranquille dans le port: s'ils ont une si
grande demangeaison de parler, la ville par elle - même
leur fournit assez d'autres matieres; celle - ci
n'est point de leur compétence ».
L'abus dont se plaint Paul - Émile dans ce discours dicté par le bon sens & la raison, nous montre, dit M. Rollin, qui le rapporte dans son histoire romaine, que les hommes dans tous les tems sont toûjours les mêmes.
On se fait un plaisir secret & comme un mérite
d'examiner, de critiquer, & de condamner la conduite
des généraux, & l'on ne s'apperçoit pas qu'en
cela on peche visiblement & contre le bon - sens & contre
l'équité: contre le bon - sens; car quoi de plus absurde
& de plus ridicule que de voir des gens sans aucune
connoissance de la guerre & sans aucune expérience,
s'ériger en censeurs des plus habiles généraux,
& prononcer d'un ton de maître sur leurs actions?
contre l'équité; car les plus experts même n'en
peuvent juger sainement s'ils ne sont sur les lieux; la
moindre circonstance du tems, du lieu, & de la disposition
des troupes, des ordres même secrets qui ne
sont pas connus, pouvant changer absolument les
regles ordinaires. Mais il ne faut pas espérer qu'on
se corrige de ce desaut, qui a sa source dans la curiosité
& dans la vanité naturelle à l'homme; & les
généraux, à l'exemple de Paul Emile, font sagement
de mépriser ces bruits de ville, & ces rumeurs de
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