ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

RECHERCHE Accueil Mises en garde Documentation ATILF ARTFL Courriel

Previous page

"991">

Quelque inconvénient qu'il paroisse y avoir à ruiner son pays, c'est pourtant dans des cas pressans une opération indispensable; « car il vaut mieux, dit un grand capitaine, se conserver un pays ruiné, que de le conserver pour son ennemi... C'est une maxime, que nul bien public ne peut être sans quelque prejudice aux particuliers.... aussi un prince ne se peut démêler d'une périlleuse entreprise, s'il veut complaire à tout... & les plus grandes & ordinaires fautes que nous faisons en matiere d'état & de guerre, proviennent de se laisser emporter à cette complaisance, dont le repentir nous vient quand on n'y peut plus remédier ». Parfait capitaine, par M. le duc de Rohan.

Lorsque la guerre n'a pas été absolument imprévûe, qu'on a dû s'y attendre par les dispositions de l'ennemi, par l'augmentation de ses troupes, les amas de vivres & de fouirages dans ses places frontieres; alors on peut prendre des précautions pour lui résister. Pour cet effet on fait promptement de nouvelles levées de troupes; on réunit ensemble dans les lieux les plus propres à fermer l'entrée du pays, celles qu'on a déjà sur pié; & l'on forme des magasins de munitions de toute espece dans les lieux les moins exposés.

On cherche aussi à tirer du secours de ses alliés, soit par des diversions, ou par des corps de troupes. Enfin l'on doit s'appliquer à faire ensorte de n'étre point surpris, à bien démêler les desseins de l'ennemi, & à employer tous les expediens que la connoissance de la guerre & du pays peuvent suggérer pour lui résister.

Il arrive souvent qu'un prince qui fait la guerre à - la - fois de plusieurs côtés, n'est pas en état de la faire offensivement par - tout; alors il prend le parti de la défensive du côté où il se croit le plus en sûreté; mais cette défensive doit être conduite avec tant d'art & de prudence, que l'ennemi ne puisse s'en douter « Le projet de cette espece de guerre, dit M. de Feuquieres, mérite autant de reflexions & de capacite, qu'aucune autre; elle ne doit jamais se faire que du côté où l'on est sûr de réduire l'ennemi a passer une riviere difficile, ou un pays serré, coupe de defilés, & lorsqu'on a sur cette riviere une place forte bien munie, que l'on saura être un objet indispensable, par l'attaque de laquelle on pourra presumer qu'il perdra un tems assez considérable pour avoir celui de la secourir ou de le combattre ».

Quoique la guerre défensive soit plus difficile à soûtenir que l'offensive, M. le chevalier Folard prétend que les généraux les plus mal - habiles sont ceux qui da proposent; au lieu que les plus consommés dans la science des armes cherchent à l'éviter: la raison en est sans doute, qu'il paroît plus aisé de s'opposer aux desseins de l'ennemi, que d'en former soi - même; mais avec un peu d'attention on s'apperçoit bien - tôt que l'art de réduire un ennemi à l'absurde, & de deviner tous ses projets, demande plus de capacité & d'intelligence que pour l'attaquer à force ouverte, & le faire craindre pour son pays. Si l'ennemi peut pénétrer qu'on a dessein de se tenir sur la défensive à son égard, il doit devenir plus entreprenant.

« Ajoûtez à cela, dit le savant commentateur de Polybe, qu'une défensive ruine l'état, si elle dure long - tems; car outre qu'elle n'est jamais sans quelque perte, ou sans la ruine de notre frontiere que nos armées mangent, c'est que comme on craint également que l'ennemi coule sur toute sa ligne de communication, pour couper ou pénétrer la nôtre pour faire quelques conquetes, on se voit obligé de munir extraordinairement toutes les places de cette frontiere, parce qu'elles se trouvent également menacées: & quel est le prince assez puissant, con<cb-> tinue ce même auteur, pour fournir toutes ses forteresses de vivres & de munitions de guerre pour soûtenir un long siége »?

Lorsque par les évenemens d'une guerre malheureuse on est dans le cas de craindre de se commettre avec l'ennemi, il faut éviter les actions générales en plaine, & chercher, comme le faisoit Fabius Maximus, à harceler l'ennemi, lui couper ses vivres & ses fourrages, s'appliquer à ruiner son armée en détail, en se tenant toûjours à - portée de profiter de ses fautes, en occupant des postes sûrs & avantageux, où sa supériorité ne soit point à craindre; en un mot « fuir, comme le dit M. Folard, toute occasion de combattre ou la supériorité du nombre peut beaucoup, & chercher celles où le pays militera pour nous: mais il n'appartient pas, dit - il, aux généraux médiocres de faire la guerre de cette sorte; & lorsqu'un prince est assez heureux pour avoir des géneraux du premier ordre à son service, il n'a garde de les brider. Contre ceux - ci, Dieu n'est pas toûjours pour les gros bataillons. M. de Turenne a fait voir mille fois que cette maxime étoit fausse, & elle l'est en effet a l'égard des grands capitaines & » des officiers expérimentés. Comm. sur Polybe, liv. V. chap. xij.

Lorsqu'on veut empêcher l'ennemi de pénétrer dans un pays fermé de montagnes & de defiles, il est bien difficile de s'assûrer de les garder tous également; car comme l'ennemi peut donner de la jalousie de plusieurs côtés, il vous oblige par - là de partager vos forces; ce qui fait qu'on ne se trouve pas en etat de resister dans le lieu ou il fait ses plus grands efforts. Dans les cas de cette espece, & lorsqu'on est à - peu - pres égal en force à l'ennemi, il faudroit s'attacher à le mettre lui - même sur la defensive; c'est le moyen de déranger ses projets, & de l'occuper de la conservation de son pays. Si l'on peut réussir, on éloigne la guerre de ses frontieres; mais si l'entreprise pareit trop difficile, il faut faire ensorte que l'ennemi ne trouve aucune subsistance dans les lieux ou il aura pénetré, qu'il s'y trouve gêne & à l'etroit par un bon corps d'armée qui occupe un camp sûr & avantageux, & qu'il ne lui permette pas de pouvoir aller en - avant. C'est un principe certain, que le partage des forces les diminue, & qu'en voulant se défendre de tous côtés, on se trouve trop foible parteut: c'est pourquoi le parti le plus sûr dans les occasions où l'on craint pour plusieurs endroits à - la-fois, est de réunir ses forces ensemble, de maniere que s'il est nécessaire de combattre, on le fasse avec tout l'essort dont on est capable. C'est par cette raison qu'un general habile qui a des lignes d'une grande étendue à garder, trouve plus avantageux d'aller audevant de l'ennemi, pour le combattre avec toutes ses forces, que de se voir forcé dans des retranchemens. Voyez Ligne.

De la guerre de secours. Un prince secourt ses voisins à cause des alliances ou des traités qu'il a faits avec eux; il le fait aussi souvent pour les empécher de succomber sous la puissance d'un prince ambitieux que la prudence demande qu'on arrête de bonne heure: car, comme le dit tres - judicieusement le chevalier de Ville, on ne doit pas rester tranquille lorsque le feu est aux maisons voisines; autrement on en sentira bien - tôt les effets.

Lorsqu'on donne du secours à un prince en vertu des traités, la justice & l'équite exigent qu'on lui tienne exactement tout ce qu'on lui a promis, soit pour lui sournir un certain nombre de troupes, soit pour attaquer soi - même l'ennemi de son allié, si l'on est à portee de le faire.

Si l'on donne des secours à un prince pour l'empêcher d'être opprimé par une puissance formidable qui veut envahir sen pays, la prudence demande [p. 992] qu'avant de le faire, on prenne toutes les sûretés convenables pour que le prince attaqué ne fasse pas la paix à votre préjudice & sans votre participation.

Pour cet effet, on doit exiger quelques places de sûreté qui puissent garantir la fidélité du prince auquel on donne du secours.

« Que si, comme il arrive souvent, dit M. de Feuquieres, la jalousie que l'on aura sujet de prendre d'un prince inquiet & ambitieux, a formé les alliances dans lesquelles on est entré, & qu'on se trouve hors de portée de joindre ses troupes à celles de l'état attaqué, il faut en ce cas - là le secourir ou par argent qu'on lui fournira, ou par des diversions dans le pays de l'attaquant, qui le forcent à diviser ses armées, & qui l'empêchent de pousser ses conquêtes avec trop de rapidité ».

Lorsqu'un prince envoye un corps de troupes au secours d'un autre prince, « le général de ses troupes doit être sage & prévoyant, pour maintenir la discipline dans son corps, de maniere que le prince allié ne fasse point de plaintes contre lui, & prévoyant, pour que ses troupes ne tombent dans aucun besoin pour les subsistances, & qu'elles ne soient exposées au péril de la guerre qu'avec proportion de ses forces à celles du prince allié, & enfin pour qu'il ne se passe rien à son insû dans le cabinet du prince allié, qui puisse être préjudiciable à son maitre ». Mémoires de M. de Feuquieres, tome Il. pag. 32 & suiv.

De la guerre des saiges. Quoique nous ayons exposé fort brievement ce qui concerne les guerres précédentes, nous serons encose plus succints sur celle des siéges.

Nous observerons seulement qu'on ne doit entreprendre aucun siége que lorsqu'on a acquis quelque supériorité sur l'ennemi par le gain d'une bataille ou d'un combat, ou bien lorsqu'on est en état en se mettant de bonne heure en campagne, de finir le siége avant que l'ennemi ait eu le tems d'assembler une armée pour s'y opposer. Une armée qui fait un siége s'affoiblit toûjours beaucoup: par conséquent si elle est de pareille force que celle de l'ennemi, elle devient alors inférieure; c'est pourquoi pour éviter tout inconvénient à cet égard, il ne faut se livrer à ces sortes d'entreprises, que lorsqu'on peut présumer que l'ennemi ne pourra empêcher de les terminer heureusement. Il y a des places dont la disposition du terrein des environs est si favorable pour une armce d'observation, qu'il est difficile à l'ennemi, lorsqu'on y est une fois établi, de vous y attaquer avec avantage. Mlis comme ces situations ne sont pas ordinaires, les habiles généraux pensent qu'il faut être maitre de la campagne, pour faire un siége tranquillement.

On doit avoir pour objet principal à la guerre, celui de pousser son ennemi & de l'empêcher de paroître; lorsqu'on y est parvenu, les siéges se sont sans difficulte & sans inquiétude: à l'égard des différentes opérations du siége, voyez Attaquf des Places, Jnvestissement, Circonvallation, Défense, Siége, Tranchées , &c.

Avant de finir cet article, observons que les succès à la guerre dépendent non - seulement du général, mais encore des ossiciers généraux qui sont sous ses ordres, & de ceux qui sont chargés du détail des subsistances: si le général n'en est pas bien secondé, les projets les mieux pensés & les mieux entendus peuvent manquer dans l'exécution, sans qu'il y ait aucune faute de sa part: on veut cependant le rendre responsable de tout; & ce qui est encore plus singulier, tout le monde veut s'ingérer de juger de sa conduite, & chacun s'en croit capable. Cette manie n'est pas nouvelle.

« Il y a des gens, disoit Paul - Émile, qui dans les cercles & les conversations, & même au milieu des repas, conduisent les armées, reglent les démarches du consul, & prescrivent toutes les opérations de la campagne: ils savent mieux que le général qui est sur les lieux, où il faut camper & de quel poste il faut se saisir, où il est à - propos d'établir des greniers & des magasins; par où, soit par terre soit par mer, on peut faire venir des vivres; quand il faut en venir aux mains avec l'ennemi, & quand il faut se tenir en repos: & non - seulement ils prescrivent ce qu'il y a de meilleur à faire; mais pour peu qu'on s'écarte de leur plan, ils en font un crime au consul, & ils le citent à leur tribunal.

Sachez, Romains, que cette licence qu'on se donne à Rome apporte un grand obstacle au succès de vos armées & au bien public. Tous vos généraux n'ont pas la fermeté & la constance de Fabius, qui aima mieux voir son autorité insultée par la témérité d'une multitude indiserette & imprudente, que de ruiner les assaires de la république en se piquant à contre - tems de bravoure pour faire cesser des bruits populaires.

Je suis bien éloigné de croire que les généraux n'ayent pas besoin de recevoir des avis; je pense au contraire que quiconque veut seul tout conduire par ses seules lumieres & sans consulter, marque plus de présomption que de sagesse. Que peut - on donc exiger raisonnablement? c'est que personne ne s'ingere de donner des avis à vos généraux, que ceux premierement qui sont habiles dans le métier de la guerre, & à qui l'expérience a appris ce que c'est que de commander; & secondement ceux qui sont sur les lieux, qui connoissent l'ennemi, qui sont en état de juger des différentes conjonctures, & qui se trouvant embarqués comme dans un même vaisseau, partagent avec nous tous les dangers. Si donc quelqu'un se flatte de pouvoir m'aider de ses conseils dans la guerre dont vous m'avez chargé, qu'il ne refuse point de rendre ce service à la république, & qu'il vienne avec moi en Macédoine; galere, chevaux, tentes, vivres, je le défrayerai de tout. Mais si l'on ne veut pas prendre cette peine, & qu'on préfere le doux loisir de la ville aux dangers & aux fatigues du camp, qu'on ne s'avise pas de vouloir tenir le gouvernail en demeurant tranquille dans le port: s'ils ont une si grande demangeaison de parler, la ville par elle - même leur fournit assez d'autres matieres; celle - ci n'est point de leur compétence ».

L'abus dont se plaint Paul - Émile dans ce discours dicté par le bon sens & la raison, nous montre, dit M. Rollin, qui le rapporte dans son histoire romaine, que les hommes dans tous les tems sont toûjours les mêmes.

On se fait un plaisir secret & comme un mérite d'examiner, de critiquer, & de condamner la conduite des généraux, & l'on ne s'apperçoit pas qu'en cela on peche visiblement & contre le bon - sens & contre l'équité: contre le bon - sens; car quoi de plus absurde & de plus ridicule que de voir des gens sans aucune connoissance de la guerre & sans aucune expérience, s'ériger en censeurs des plus habiles généraux, & prononcer d'un ton de maître sur leurs actions? contre l'équité; car les plus experts même n'en peuvent juger sainement s'ils ne sont sur les lieux; la moindre circonstance du tems, du lieu, & de la disposition des troupes, des ordres même secrets qui ne sont pas connus, pouvant changer absolument les regles ordinaires. Mais il ne faut pas espérer qu'on se corrige de ce desaut, qui a sa source dans la curiosité & dans la vanité naturelle à l'homme; & les généraux, à l'exemple de Paul Emile, font sagement de mépriser ces bruits de ville, & ces rumeurs de

Next page


The Project for American and French Research on the Treasury of the French Language (ARTFL) is a cooperative enterprise of Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF) of the Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), the Division of the Humanities, the Division of the Social Sciences, and Electronic Text Services (ETS) of the University of Chicago.

PhiloLogic Software, Copyright © 2001 The University of Chicago.