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Il ne faut pas toûjours regler l'état de la guerre sur le nombre & la qualité des forces que l'on veut opposer à l'ennemi, qui sera peut - être plus fort. Il y a certains pays où le plus foible peut paroître & agir contre le plus fort, où la cavalerie est de moindre service que l'infanterie, qui souvent supplée à l'autre par sa valeur. L'habileté d'un général est toûjours plus avantageuse que la supériorité du nombre, & les avantages d'un pays. Un Turenne regle l'état de la guerre sur la grandeur de ses connoissances, de son courage, & de sa hardiesse. Un général qui ne lui ressemble en rien, malhabile, peu entreprenant, quelque supérieur qu'il soit, craint toûjours, & n'est jamais assez fort ».
On doit toûjours commencer la guerre par quelque
action d'éclat, & ne point se laisser prévenir par
l'ennemi.
Il seroit aisé d'ajoûter beaucoup d'autres réflexions sur cette matiere; mais comme il ne s'agit point ici d'un traité sur la guerre, mais d'expliquer ce qu'elle a de plus général, nous donnerons seulement un précis de la guerre offensive & de la guerre défensive; l'on dira aussi un mot de la guerre de secours.
De la guerre offensive. Dans la guerre offensive, comme on se propose d'attaquer l'ennemi, il faut être assez exactement informé de ses forces pour être assûré qu'on en aura de plus grandes, ou que l'on sera en état de faire des conquêtes avant qu'il ait le tems de rassembler son armée pour s'y opposer.
Il faut ensuite tomber sur les places dégarnies
pour ouvrir davantage le pays attaqué, faire apporter
dans ces places après leur prise, tous les
dépôts qui étoient dans les vôtres, & faire ainsi la
guerre avec plus de commodité.
Lorsqu'on aura pénétré le plus avant qu'on l'aura
pû faire, il faut faire camper l'armée en lieu
sain & commode pour les fourrages, & même en
lieu avantageux par son assiette, afin de pouvoir
de - là faire des détachemens considérables, pour
réduire par la terreur des armes les extrémités du
pays où l'on ne pourroit pas avec sûreté & commodité
pour les vivres, se porter avec l'armée
C'est particulierement dans ces commencemens
qu'il faut user de diligence pour l'exécution des differens
projets qu'on a formés. On vit d'abord aux dépens
de l'ennemi, on ruine le pays par où il peut s'assembler,
& l'on jette la terreur parmi les troupes &
les peuples.
Quelque incertain que soit le succès des batailles,
il paroît en effet que loin de les éviter au commencement
d'une guerre, il faut chercher l'occasion
d'en donner.
Le gain d'une bataille peut avoir les suites les plus
heureuses, lorsque le général a toute la capacité nécessaire
pour en profiter; mais sa perte en a ordinairement
de si fâcheuses, qu'on ne doit la risquer
qu'avec beaucoup de circonspection. Montecuculli
qui conseille d'en chercher l'occasion au commencement
de la guerre, observe néanmoins
M. le maréchal de Saxe n'étoit point pour les batailles,
sur - tout, dit - il, au commencement d'une
guerre. Il prétend, dans ses mémoires, qu'un habile
général peut la faire toute sa vie sans s'y voir obligé:
Cette méthode est sans doute plus sûre & plus
prudente que la précédente; mais outre qu'elle demande
beaucoup de science & de génie dans le général,
il faut observer que si en agissant de cette maniere
on se commet moins, on réduit aussi l'ennemi
moins promptement: la guerre est alors plus longue
& moins décisive. On se ruine en détail sans rien
faire de grand: c'est pourquoi cette conduite excellente
dans la guerre défensive, ne l'est peut - être pas
autant dans l'offensive.
M. de Puysegur pensoit sur les batailles à - peu - près comme M. le maréchal de Saxe. Selon cet au<pb-> [p. 990]
Il est certain que si l'on peut sans donner de batailles exécuter les différentes choses que l'on s'est proposé, il y auroit une imprudence inexcusable à vouloir en risquer l'évenement: mais il y a plusieurs circonstances où elles sont inévitables. Si par exemple l'ennemi que vous avez en tête attend des secours considérables qui lui donnent la supériorité sur vous; si les assaires du prince exigent qu'il tire de forts détachemens de votre armée pour aller au secours d'un corps d'armée dans une province éloignée; si les subsistances manquent & qu'il ne soit pas possible de s'en procurer sans chasser l'ennemi des lieux qu'il occupe: dans ces circonstances & dans beaucoup d'autres qui arrivent à la guerre, les batailles sont absolument nécessaires. M. de Turenne, qui savoit les éviter quand il le falloit, en a donné plusieurs dans des cas de cette espece; & c'est par cette conduite qu'avec des armées inférieures, il a toûjours sû se conserver la supériorité sur l'ennemi.
Ce qu'il y a d'essentiel à observer dans les batailles,
c'est de savoir se soûtenir & ne point se décourager
pour avoir été poussé & même battu dans quelques
endroits de sa ligne.
Polybe en donne pour exemple la bataille de Mantinée, gagnée par Philopemen sur Machanidas, tyran de Sparte.
Au commencement de cette bataille l'armée de Philopemen fut poussée, & même mise en partie en déroute: mais ce grand capitaine ne s'épouvanta pas, & ne perdit pas l'espérance de faire changer la fortune; il sut remédier au desordre de son armée, & trouver ensuite le moyen de remporter une victoire complete, dans laquelle il tua lui - même Machanidas.
Nous avons un exemple à - peu - près de même espece, rapporté dans les mémoires de M. de Turenne, à la bataille de Nordlingue.
Dans cette bataille, l'aîle droite de l'armée de France fut entierement mise en déroute, le centre battu, & l'aîle gauche un peu poussée. Malgré cela M. le Prince soûtint le combat; M. de Turenne battit l'aîle droite des ennemis; & la nuit venant incontinent, les deux aîles qui avoient battu ce qui étoit devant elles, demeurerent en bataille l'une devant l'autre. A une heure après minuit, l'armée ennemie commença à se retirer, &c.
Un des principaux avantages de la guerre offensive, c'est de faire subsister l'armée aux dépens de l'ennemi. Par cette raison, cette guerre peut être moins dispendieuse que la guerre défensive, où l'on est obligé de vivre sur son propre terrein.
Le prince d'Orange, suivant ce proverbe allemand,
il est toûjours bon d'attacher les chevaux aux
arbres des ennemis, dit
De la guerre défensive. La guerre défensive est beaucoup plus difficile & plus savante que la précédente. Elle demande plus d'adresse, plus de ressource dans l'esprit, & beaucoup plus d'attention dans la conduite.
M. de Feuquieres observe qu'il est bien difficile de prescrire des maximes générales dans cette espece de guerre, parce qu'elle est toute, dit - il, dans la prudence & l'esprit de prévoyance de celui qui la conduit.
Au premier cas, le peu de troupes qu'on a sur pié
doit être ménagé; l'infanterie jettée, selon la quantité
des places qu'on a à garder, dans celle que l'on
peut croire le plus indispensablement attaquée,
abandonnant ainsi à l'ennemi celles qui dans la suite
de la guerre pourroient être plus facilement conquises,
ou qu'il pourra le plus difficilement conserver.
La cavalerie doit être mise en campagne,
mais en état d'avoir une retraite sûre; elle doit
incommoder les fourrages & les convois de l'ennemi,
empêcher que ses partis ne s'écartent trop
de son armée, & ne jettent trop facilement la terreur
dans le dedans du pays.
Le plat pays ne doit point être ménagé. Il faut
en retirer dans les meilleures places tout ce que l'on
peut en ôter, & consumer même par le feu tous
les grains & fourrages qu'on ne peut mettre en lieu
sûr, afin de diminuer par - là la subsistance aisée de
l'armée ennemie. Les bestiaux doivent être aussi
renvoyés dans les lieux les plus éloignés de l'ennemi;
& autant qu'il se peut, couverts de grandes rivieres,
où ils trouveront plus de sûreté & une subsistance
plus aisée ».
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