ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"989"> savoir auparavant où elle agira, & comment elle le fera. Lorsqu'on est une fois entré en campagne, il ne doit plus être question de délibérer, mais d'entamer avec vivacité les opérations qu'on s'est proposé d'exécuter. M. de Folard dit quelque part sur ce sujet, « que les lents & les engourdis à la guerre auront aussi peu de part à la gloire de ce monde, que les tiedes à celle du ciel.

Il ne faut pas toûjours regler l'état de la guerre sur le nombre & la qualité des forces que l'on veut opposer à l'ennemi, qui sera peut - être plus fort. Il y a certains pays où le plus foible peut paroître & agir contre le plus fort, où la cavalerie est de moindre service que l'infanterie, qui souvent supplée à l'autre par sa valeur. L'habileté d'un général est toûjours plus avantageuse que la supériorité du nombre, & les avantages d'un pays. Un Turenne regle l'état de la guerre sur la grandeur de ses connoissances, de son courage, & de sa hardiesse. Un général qui ne lui ressemble en rien, malhabile, peu entreprenant, quelque supérieur qu'il soit, craint toûjours, & n'est jamais assez fort ». Comment. sur Polybe, par M. le chevalier Folard, tome V. page 347.

On doit toûjours commencer la guerre par quelque action d'éclat, & ne point se laisser prévenir par l'ennemi. « S'il incline à combattre, dit l'auteur que nous venons de citer, il faut aller au - devant plûtôt que de l'attendre: que s'il évite un engagement, il faut le pousser à quelque prix que ce soit; car un siége est très - difficile lorsqu'on ne le fait pas ensuite d'une grande victoire ou d'un avantage considérable. Il faut observer toutes ces choses, lorsqu'on regle l'état de la guerre, & que l'on établit son plan avant de la commencer; car lorsqu'on a médité à loisir sur ce qu'on est résolu de faire, & sur ce que l'ennemi peut raisonnablement opposer, on vient à bout de ses desseins ». Même ouvrage que ci - dessus, tome V. page 350.

Il seroit aisé d'ajoûter beaucoup d'autres réflexions sur cette matiere; mais comme il ne s'agit point ici d'un traité sur la guerre, mais d'expliquer ce qu'elle a de plus général, nous donnerons seulement un précis de la guerre offensive & de la guerre défensive; l'on dira aussi un mot de la guerre de secours.

De la guerre offensive. Dans la guerre offensive, comme on se propose d'attaquer l'ennemi, il faut être assez exactement informé de ses forces pour être assûré qu'on en aura de plus grandes, ou que l'on sera en état de faire des conquêtes avant qu'il ait le tems de rassembler son armée pour s'y opposer.

« Si le pays que l'on veut attaquer, dit M. de Feuquieres, est bordé de places fortes, il faut attaquer le quartier qui y donne une entrée libre, & qui porte avec plus de facilité vers la capitale, à qui il faut, autant qu'il est possible, au commencement de la guerre, faire voir l'armée, afin d'y jetter la terreur, & tâcher par - là d'obliger l'ennemi de dégarnir quelques - unes des places de la frontiere pour rassûrer le coeur du pays.

Il faut ensuite tomber sur les places dégarnies pour ouvrir davantage le pays attaqué, faire apporter dans ces places après leur prise, tous les dépôts qui étoient dans les vôtres, & faire ainsi la guerre avec plus de commodité.

Lorsqu'on aura pénétré le plus avant qu'on l'aura pû faire, il faut faire camper l'armée en lieu sain & commode pour les fourrages, & même en lieu avantageux par son assiette, afin de pouvoir de - là faire des détachemens considérables, pour réduire par la terreur des armes les extrémités du pays où l'on ne pourroit pas avec sûreté & commodité pour les vivres, se porter avec l'armée entiere ». Mém. de M. le marquis de Feuquieres, tome II. page 15 & suivantes.

C'est particulierement dans ces commencemens qu'il faut user de diligence pour l'exécution des differens projets qu'on a formés. On vit d'abord aux dépens de l'ennemi, on ruine le pays par où il peut s'assembler, & l'on jette la terreur parmi les troupes & les peuples. « Une bataille, dit l'auteur que nous venons de citer, donnée à - propos dans un commencement de guerre, en décide presque toûjours le succès: ainsi il ne faut point hésiter à la donner, si l'ennemi par quelque mouvement pour mettre ses troupes ensemble, se met à - portée de risquer un évenement ».

Quelque incertain que soit le succès des batailles, il paroît en effet que loin de les éviter au commencement d'une guerre, il faut chercher l'occasion d'en donner. « C'est un paradoxe, dit Montecuculli, que d'espérer de vaincre sans combattre. Le but de celui qui fait la guerre est de pouvoir combattre en campagne pour gagner une victoire; & quiconque n'a pas dessein d'en venir là, est éloigné de la fin naturelle de la guerre. On a bien vû, continue ce grand capitaine, des armées foibles en défaire de fortes en campagne; mais on n'a jamais vû une armée qui se renferme dans un camp fortifié pour éviter le combat, défaire celle qui l'attaque: c'est assez à l'aggresseur que de plusieurs attaques une seule lui réussisse pour le rendre victorieux ». Mém. de Montecuculli, liv. II chap. vj.

Le gain d'une bataille peut avoir les suites les plus heureuses, lorsque le général a toute la capacité nécessaire pour en profiter; mais sa perte en a ordinairement de si fâcheuses, qu'on ne doit la risquer qu'avec beaucoup de circonspection. Montecuculli qui conseille d'en chercher l'occasion au commencement de la guerre, observe néanmoins « que dans une matiere si importante on ne peche pas deux fois; & que quand le mal est arrivé, il ne sert de rien de se repentir & de rejetter sa faute sur celui - ci ou sur celui - là; qu'il faut beaucoup de fermeté & de présence d'esprit pour pourvoir à tout, & ne pas préférer les murmures de la populace au salut public; qu'il faut chercher à faire quelque coup d'importance sans tout risquer, parce qu'il n'y eut jamais de prudence à risquer beaucoup » pour gagner peu. Mém. de Montecuculli, liv. III. chap. jv.

M. le maréchal de Saxe n'étoit point pour les batailles, sur - tout, dit - il, au commencement d'une guerre. Il prétend, dans ses mémoires, qu'un habile général peut la faire toute sa vie sans s'y voir obligé: « Rien, dit cet illustre général, ne réduit tant l'ennemi que cette méthode (d'éviter les batailles), & n'avance plus les affaires. Il faut, ajoûtet - il, donner de fréquens combats & fondre, pour ainsi dire, l'ennemi petit - à - petit; aprés quoi il est obligé de se cacher ».

Cette méthode est sans doute plus sûre & plus prudente que la précédente; mais outre qu'elle demande beaucoup de science & de génie dans le général, il faut observer que si en agissant de cette maniere on se commet moins, on réduit aussi l'ennemi moins promptement: la guerre est alors plus longue & moins décisive. On se ruine en détail sans rien faire de grand: c'est pourquoi cette conduite excellente dans la guerre défensive, ne l'est peut - être pas autant dans l'offensive. « S'imaginer faire des conquêtes sans combattre, c'est, dit Montecuculli, un projet chimérique. Les guerres des Romains qui étoient courtes & grosses, sont, dit - il, bonnes à imiter; mais on ne les peut faire sans batailles ».

M. de Puysegur pensoit sur les batailles à - peu - près comme M. le maréchal de Saxe. Selon cet au<pb-> [p. 990] teur, elles sont la ressource des généraux médiocres qui donnent tout au hasard; au lieu que ceux qui sont savans dans la guerre, cherchent par préférence les actions où ils peuvent soûtenir les troupes par leur savoir & leur habileté. Voyez Bataille.

Il est certain que si l'on peut sans donner de batailles exécuter les différentes choses que l'on s'est proposé, il y auroit une imprudence inexcusable à vouloir en risquer l'évenement: mais il y a plusieurs circonstances où elles sont inévitables. Si par exemple l'ennemi que vous avez en tête attend des secours considérables qui lui donnent la supériorité sur vous; si les assaires du prince exigent qu'il tire de forts détachemens de votre armée pour aller au secours d'un corps d'armée dans une province éloignée; si les subsistances manquent & qu'il ne soit pas possible de s'en procurer sans chasser l'ennemi des lieux qu'il occupe: dans ces circonstances & dans beaucoup d'autres qui arrivent à la guerre, les batailles sont absolument nécessaires. M. de Turenne, qui savoit les éviter quand il le falloit, en a donné plusieurs dans des cas de cette espece; & c'est par cette conduite qu'avec des armées inférieures, il a toûjours sû se conserver la supériorité sur l'ennemi.

Ce qu'il y a d'essentiel à observer dans les batailles, c'est de savoir se soûtenir & ne point se décourager pour avoir été poussé & même battu dans quelques endroits de sa ligne. « C'est être habile, je le veux, dit Polybe, que de faire ensorte après avoir bien commencé une action, que la fin ne démente pas le commencement: mais la gloire est bien plus grande lorsqu'après avoir eu du pire au premier choc, loin d'en être ébranlé & de perdre la tête, on refléchit sur les fautes que les bons succès font commettre à son ennemi, & qu'on les tourne à son avantage. Il est assez ordinaire de voir des gens à qui tout semble prospérer au commencement d'un combat, tourner le dos peu de tems après, & être vaincus; & d'autres au contraire qui après des commencemens très - desavantageux, savent par leur bonne conduite changer la face des choses, & remporter la victoire lorsqu'on s'y attendoit le moins ». Hist. de Polybe, liv. XI. ch. iij.

Polybe en donne pour exemple la bataille de Mantinée, gagnée par Philopemen sur Machanidas, tyran de Sparte.

Au commencement de cette bataille l'armée de Philopemen fut poussée, & même mise en partie en déroute: mais ce grand capitaine ne s'épouvanta pas, & ne perdit pas l'espérance de faire changer la fortune; il sut remédier au desordre de son armée, & trouver ensuite le moyen de remporter une victoire complete, dans laquelle il tua lui - même Machanidas.

Nous avons un exemple à - peu - près de même espece, rapporté dans les mémoires de M. de Turenne, à la bataille de Nordlingue.

Dans cette bataille, l'aîle droite de l'armée de France fut entierement mise en déroute, le centre battu, & l'aîle gauche un peu poussée. Malgré cela M. le Prince soûtint le combat; M. de Turenne battit l'aîle droite des ennemis; & la nuit venant incontinent, les deux aîles qui avoient battu ce qui étoit devant elles, demeurerent en bataille l'une devant l'autre. A une heure après minuit, l'armée ennemie commença à se retirer, &c.

Un des principaux avantages de la guerre offensive, c'est de faire subsister l'armée aux dépens de l'ennemi. Par cette raison, cette guerre peut être moins dispendieuse que la guerre défensive, où l'on est obligé de vivre sur son propre terrein.

« L'empereur Léopold Ignace se plaignant, dit M. de Santa - Crux, de ce qu'il ne savoit où prendre des fonds pour payer ses armées, Walstein son général lui répondit, que le remede qu'il y trouvoit étoit de lever une fois pius de troupes. L'empereur lui ayant repliqué comment il pourroit entretenir cent mille hommes, puisqu'il n'avoit pas le moyen d'en faire subsister cinquante mille; Walstein le satisfit, en lui représentant que cinquante mille hommes tiroient leur subsistance du pays ami, & que cent mille le tiroient du pays ennemi ».

Le prince d'Orange, suivant ce proverbe allemand, il est toûjours bon d'attacher les chevaux aux arbres des ennemis, dit « que celui qui fait une guerre offensive peut, dans un malheur, avoir recours à son propre pays; parce que n'ayant point souffert de la guerre, on y trouvera abondamment tout ce qui est nécessaire: au lieu que celui qui la soûtient sur ses états, ne sauroit en plusieurs jours faire les préparatifs convenables pour entrer dans le pays ennemi. Enfin en se tenant sur la défensive on ne peut que perdre, ou tout - au - plus conserver ce que l'on » a, & en attaquant on peut gagner. Réfl. mil. par M. le marquis de Santa - Crux, tome IV. ch. ij.

De la guerre défensive. La guerre défensive est beaucoup plus difficile & plus savante que la précédente. Elle demande plus d'adresse, plus de ressource dans l'esprit, & beaucoup plus d'attention dans la conduite.

« Dans la guerre offensive on compte pour rien ce qu'on manque de faire; parce que les yeux attentifs à ce qui se fait, & remplis d'une action éclatante, ne se tournent point ailleurs, & n'envisagent point ce qu'on pouvoit faire. Dans la guerre défensive, la moindre faute est mortelle, & les disgraces sont encore exagérées par la crainte, qui est le vrai microscope des maux, & on les attribue toutes à un seul homme. On ne regarde que le mal qui arrive, & non ce qui pouvoit arriver de pis, si on ne l'avoit empêché; ce qui en bonne partie devroit être compté pour un bien ». Mém. de Montecuculli, liv. III. ch. iij.

M. de Feuquieres observe qu'il est bien difficile de prescrire des maximes générales dans cette espece de guerre, parce qu'elle est toute, dit - il, dans la prudence & l'esprit de prévoyance de celui qui la conduit.

« On peut dire seulement qu'elle a été tout - à - fait imprévûe, ou qu'elle n'a pas été prévûe assez tôt, ou que la perte d'une bataille, ou de quelque place considérable, l'a rendue telle, quoiqu'elle eût eu un autre commencement.

Au premier cas, le peu de troupes qu'on a sur pié doit être ménagé; l'infanterie jettée, selon la quantité des places qu'on a à garder, dans celle que l'on peut croire le plus indispensablement attaquée, abandonnant ainsi à l'ennemi celles qui dans la suite de la guerre pourroient être plus facilement conquises, ou qu'il pourra le plus difficilement conserver. La cavalerie doit être mise en campagne, mais en état d'avoir une retraite sûre; elle doit incommoder les fourrages & les convois de l'ennemi, empêcher que ses partis ne s'écartent trop de son armée, & ne jettent trop facilement la terreur dans le dedans du pays.

Le plat pays ne doit point être ménagé. Il faut en retirer dans les meilleures places tout ce que l'on peut en ôter, & consumer même par le feu tous les grains & fourrages qu'on ne peut mettre en lieu sûr, afin de diminuer par - là la subsistance aisée de l'armée ennemie. Les bestiaux doivent être aussi renvoyés dans les lieux les plus éloignés de l'ennemi; & autant qu'il se peut, couverts de grandes rivieres, où ils trouveront plus de sûreté & une subsistance plus aisée ». Mém. de M. le marquis de Feuquieres, tome II. pag. 2.

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