ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"987"> au grand art de la guerre. Lorsqu'on est parvenu à se les rendre propres, il faut chercher dans les livres les regles & les principes de cet art important. « Ce n'est pas, dit M. de Folard sur ce sujet, dans la moyenne antiquité qu'il faut aller chercher nos maîtres; c'est chez les Grecs & les Romains, lorsque ces peuples étoient dans leur force, & que leur discipline militaire, ou pour mieux dire, la science de la guerre qui renferme tout, avoit été portée au plus haut point de perfection où ces grands hommes avoient pû la porter. C'est sur - tout chez les Grecs qu'il faut les chercher. Ce sont eux qui d'une routine (car la guerre n'étoit autre chose d'abord) poserent des principes certains & assûrés. Il y eut alors des maitres & des professeurs pour l'enseigner, & l'expérience ne fut plus nécessaire pour former d'excellens officiers & des généraux d'armées; elle ne servoit que pour les perfectionner, comme Thucydide, Xenophon, & Plutarque » nous l'assûrent. Préface du V. vol. du comment, sur Polybe.

Comme l'étude de la guerre demande du tems, du travail, & de l'application, il se trouve bien des gens, qui, pour en éiuder les difficultés, prétendent que cette étude n'est point nécessaire, & que la pratique peut seule apprendre l'art de la guerre. « Mais s'il étoit vrai, dit le savant auteur que nous venons de citer, que la guerre ne roulât que sur l'expérience, un royaume, par exemple, comme la France, approcheroit de sa décadence selon le plus ou moins de tems qu'il se maintiendroit en paix, & dix ou douze années de repos ou d'inaction nous seroient plus ruineuses que quinze ou vingt années d'une guerre continuelle. Que l'on considere, dit toûjours cet auteur, quinze ou vingt ans de service sur la tête d'un vieux officier qui ne connoît que son expérience & sa routine, & qui se reposant vingt autres dans la paix, oublie ce qu'il a appris dans la guerre. Car qui peut disconvenir que l'expérience ne se perde & ne s'oublie par le défaut d'exercice? Les officiers - généraux affoiblis par leur âge, ou abatardis par une longue paix, la noblesse amollie & devenue paresseuse sans aucun soin des armes, se livre à toutes sortes de débaucnes; & les soldats à leur imitation, n'observent pas certaine discipline qui peut suppléer au défaut de la science de la guerre. Tous ceux qui tiennent pour l'expérience conviennent qu'il n'y a rien à faire, si elle n'est entée sur la prudence militaire: & cette prudence est - elle autre chose que la science qui nous fait voir les toutes qui sont capables de nous conduire où nous tendons? Tel qui a donné bataille dans un pays de plaine, se trouve embarrassé dans un terrein inégal. Il l'est encore plus dans un pays fourré. Il en donnera cinquante toutes différentes les unes des autres, par les différentes situations des lieux qui ne se ressemblent jamais. Souvent les deux champs de bataille different l'un de l'autre: ce qui n'est pas un petit emparras entre deux généraux; & soit qu'on attaque ou qu'on soit attaqué, il y a mille changemens, mille mouvemens à faire tres - dangereux & très - délicats, soit dans le commencement ou dans les suites d'un combat, sans compter le fort ou le foible d'une armée sur l'autre, qui peut être mis en considération, c'est - à - dire le plus ou le moins de cavalerie ou d'infanterie, le bon ou le mauvais de l'une & de l'autre. Comment tirer de l'expérience ce que l'on n'a jamais vû ni pratiqué, & les autres choses qui n'en dépendent pas, &c.». Nouv. découvert. sur la Guerre.

A toutes ces reflexions de M. de Folard, & à beaucoup d'autres sur la nécessité de la science militaire qu'ontrouve en differens endroits de son commentaire sur Polybe, on peut ajoûter que s'il faut qu'un offi<cb-> cicr voye exécuter tout ce qu'il a befoin d'apprendre, il lui sera presqu'impossible de se rendre habile dans les différens mouvemens des armées. Car lorsqu'il est employé à la guerre, il ne voit que la manoeuvre particuliere de la troupe à laquelle il est attaché, & non pas les mouvemens des autres troupes qui sont quelquefois tous différens. Mais supposant qu'il puisse observer quelque disposition particuliere dans les autres troupes, comment pourra - t - il en deviner la cause s'il ignore les principes qui peuvent servir à la dévoiler? Il arrive de - là, comme l'expérience le démontre, que bien des officiers qui ont servi long - tems, & qui même se sont trouvés à de grands mouvemens de troupes, ignorent la science de ces mouvemens, & qu'ils ne pourroient ni les commander, ni les faire exécuter. L'expérience leur apprend seulement les petits détails de l'exercice & du service particulier, qu'on trouve partout, & qu'il est impossible d'ignorer, parce qu'on est chargé de le faire exécuter journellement; mais cette partie de la police militaire, quoiqu'elle soit utile en elle - même & qu'elle fasse honneur à l'officier qui la fait observer avec le plus de soin, ne forme pas la science militaire; elle n'en renferme tout - au - plus que les premiers rudimens.

L'étude de l'art de la guerre peut tenir lieu d'expérience, mais d'une expérience de tous les siecles. On peut appliquer à cette étude ce que Diodore de Sicile dit de l'histoire si utile à tous les hommes, & principalement à ceux qui veulent posséder la science de la guerre. « C'est un bonheur, dit cet auteur, de pouvoir se conduire & se redresser par les erreurs & par les chûtes des autres, & d'avoir pour guide dans les hasards de la vie & dans l'incertitude des succès, non une recherche tremblante de l'avenir, mais une connoissance certaine du passé. Si quelques années de plus font préférer dans les conseils les vieillards aux jeunes gens, quelle estime devons - nous faire de l'histoire qui nous apporte l'expérience de tant de siecles? En esset elle supplée à l'âge qui manque aux jeunes gens, & elle etend de beaucoup l'âge même des vieillards ».

C'est ainsi que ceux qui ont étudié avec soin l'histoire des différentes guerres des nations, qui ont examiné, discuté tout ce qui s'y est observé dans la conduite des armées & des différentes entreprises militaires, peuvent acquérir par - là une expérience qui ne peut être comparée avec la pratique de quelques campagnes.

Comme peu de personnes sont en état de faire une étude aussi étendue de l'art de la guerre, il est à - propos d'indiquer les principaux ouvrages qui peuvent servir à donner les connoissances les plus nécessaires sur la théorie de cet art. Nous avons déjà vû que M. Folard veut qu'on consulte les Grecs & les Romains. C'est chez eux qu'il faut chercher les vrais principes de l'art militaire; mais le nombre de leurs auteurs sur ce sujet n'est pas considérable.

« Il y en avoit autrefois une infinité, dit M. de Folard dans la préface que nous avons déjà citée, mais tout cela s'est perdu par les malheurs & la barbarie des tems. L'histoire nous a conservé les titres de quelques - uns de ces livres, & les noms de quelques auteurs qui avoient écrit de la guerre, entr'autres de Pyrrhus, roi des Epirotes; car pour ce qui est des auteurs de la moyenne antiquité, c'est fort peu de chose. A peine ont - ils donné une idée de la guerre, tant ils sont abregés. Il ne nous en reste qu'un au - dessus des autres, qui est Vegece. Onosander & l'empereur Léon, tous deux Grecs, n'en approchent pas; & tous les trois ne sont guere plus étendus que nos modernes, mais ils sont plus savans, bien que la science des armées fût presque tombée & même oubliée de leur tems ». [p. 988]

Les anciens ouvrages qu'on peut consulter le plus utilement sur l'art de la guerre, outre celui de Vegece, sont la Cyropédie, ou l'histoire de Cyrus par Xénophon: la retraite des dix mille, & l'histoire de Polybe, les commentaires de César, la tactique d'Elien, &c.

Parmi les modernes, on peut lire le parfait capitaine du duc de Rohan; les mémoires de M. de Turenne, insérés à la suite de la vie de ce grand capitaine, par M. de Ramsai; ceux de Montecuculli, de M. le marquis de Feuquieres; les réflexions militaires de M. le marquis de Santa - Crux; le commentaire sur Polybe par M. le chevalier Folard; l'art de la guerre par M. le maréchal de Puysegur; les réveries ou mémoires sur la guerre par M. le maréchal de Saxe, &c.

La science de la guerre est si étendue qu'on ne doit pas être surpris du petit nombre de ceux qui y excellent. Ce n'est pas assez que les généraux sachent ranger les armées en bataille, les faire marcher, camper, & combattre; il faut qu'ils sachent encore préserver leurs armées des maladies qui pourroient les tuiner ou les affoiblir. Il faut aussi savoir encourager le soldat pour le faire obéir volontairement, & supporter patiemment les fasigues extraordinaires auxquelles il peut être exposé. Il faut avoir soin que les vivres ne lui manquent point, & que la cavalerie n'éprouve aucune disette de fourrage. C'est à quoi l'on doit toûjours penser de bonne heure. C'est une épargne à contre - tems, di Vegece, que de commencer à ménager les vivres lorsqu'ils manquent. Cet auteur observe que dans les expéditions difficiles, les anciens distribuoient les vivres par tête, sans avoir égard au grade; mais on en tenoit compte ensuite à ceux à qui on les avoit ainsi diminués.

Outre ces différentes attentions, il y en a encore beaucoup d'autres, qu'on peut voir dans l'entretien de Cyrus & de Cambyse, rapporté dans le premier livre de la Cyropédie; tout cela doit faire sentir combien la science de la guerre demande de travail & d'application. Cependant Polybe conseille encore à ceux qui aspirent au commandement des armées, d'étudier les Arts & les Sciences qui ont quelque rapport à l'art militaire. « Ajoûter, dit cet auteur, des connoissances inutiles au genre de vie que nous professons, uniquement pour faire montre & pour parler, c'est une curiosité que je ne saurois approuver; mais je ne puis non plus goûtre que dans les choses nécessaires on s'en tienne à l'usage & à la pratique, & je conseille fort de remonter plus haut. Il est absurde que ceux qui s'appliquent à la danse & aux instrumens souffrent qu'on les instruise de la cadence & de la Musique; qu'ils s'exercent même à la lutte, parce que cet exercice passe pour contribuer à la perfection des deux autres; & que des gens qui aspirent au commandement des armées, trouvent mauvais qu'on leur inspire quelque teinture des autres Arts & des autres Sciences. De simples artisans seront - ils donc plus appliqués & plus vifs à se surpasser les uns & les autres, que ceux qui se proposent de briller & de se signaler dans la plus belle & la plus haute des dignités? Il n'y a personne de bon sens qui ne reconnoisse combien cela est peu raisonnable ». Hist. de Polybe, trad. de dom Vincent Thuillier, liv. IX. ch. jv.

Après avoir fait sentir la nécessité de l'étude de la guerre, entrons dans quelques détails sur ce qui en regarde l'exécution, ou les principales opérations.

La guerre ne doit s'entreprendre qu'apres beaucoup de réflexions; il faut avoir tout prévû & tout combiné, pour n'être pas surpris par les évenemens.

« Il y a deux sortes d'actions miliraires, dit Polybe: les unes se font à découvert & par force, les autres par finesse & par occasion. Celles - ci sont en beaucoup plus grand nombre que les autres; il ne faut que lire l'Histoire pour s'en convaincre. De celles qui se sont faites par occasion, on en trouve beaucoup plus qui ont été manquées que de celles qui ont eu un heureux succès. Il est aisé d'en juger par les évenemens: on conviendra encore que la plûpart des fautes arrivent par l'ignorance ou la négligence des chefs. Ce qui se fait à la guerre sans but & sans dessein, continue le même auteur, ne mérite pas le nom d'actions. Ce sont plûtôt des accidens & des hasards dont on ne peut tirer aucune conséquence, parce qu'elles ne sont fondées sur aucune raison solide ».

Avant de commencer la guerre, il est donc important d'avoir des vûes & des desseins, qu'on se propose de suivre autant que les circonstances pourront le permettre. C'est ce qu'on appelle, suivant M. de Folard, regler l'état de la guerre. Voyez Etat de la Guerre .

Lorsqu'on veut entreprendre une guerre, il faut commencer par des préparatifs de longue main, non seulement pour avoir le nombre des troupes nécessaires, mais encore de l'argent pour fournir à sa dépense. Henri IV. ayant formé le dessein de porter la guerre en Allemagne, M. de Sully sut rallentir son ardeur jusqu'à ce que ce prince eût dans ses coffres de quoi la faire pendant plusieurs années. Il faut des magasins considérables de munitions de guerre & de bouche dans les lieux à portée de ceux que les armées doivent occuper. Dans toute expédition, dit Vegece, le point capital est d'avoir toûjours des vivres, & de ruiner l'ennemi en les lui coupant. Outre cette attention indispensable, il est important de prendre de bonne heure des arrangemens avec les puissances auxquelles on pourroit causer de la jalousie, pour n'en être point traversé dans ses opérations: c'est ce que fit Louis XIV. dans la guerre de 1672.

Ce prince avoit pris toutes les précautions que la prudence peut suggérer, pour n'être point distrait de la poursuite de son objet; & si les évenemens heureux de cette guerre ne l'avoient pas excité à la continuer au - delà des bornes nécessaires pour humilier cette république, dont il avoit lieu de se plaindre, il seroit parvenu à son but sans obstacles de la part des puissances voisines.

Quelque nécessaires que soient les préparatifs dont on vient de parler, ils ne doivent pas faire toute l'application de celui qui veut commencer la guerre. « Il doit encore s'appliquer à connoître le génie de son ennemi & le caractere de ses généraux; s'ils sont sages ou téméraires, hardis ou timides, s'ils combattent par principes ou au hasard; avec quelles nations braves ou l'âches ils ont eu affaire; . . . . comment sont affectées ses troupes; ce que pensent celles de l'ennemi; lequel des deux partis a le plus de confiance, pressentiment qui éleve ou abaisse le coeur. . . . . Un général vigilant & sage doit peser dans son conseil ses forces & celles des ennemis, comme s'il avoit à juger civilement entre deux parties. S'il se trouve supérieur en plusieurs endroits, il en doit pas différer de profiter de son avantage; mais s'il sent que l'ennemi soit plus sort que lui, il doit éviter une affaire générale, & s'en tenir aux ruses, aux surprises, & aux embuscades qui ont souvent fait triompher des troupes inférieures en force & en nombre sous de bons généraux ». Vegece, même traduction que ci - dessus.

Il faut connoître aussi les plus exactement qu'il est possible, le pays qui doit être le théatre de la guerre savoir les secours qu'on en pourra tirer pour la subsistance des troupes & pour les fourrages & les incommodités qui pourront en résulter pour l'enne Enfin ce n'est pas assez d'assembler une armée, il faut

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