ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

RECHERCHE Accueil Mises en garde Documentation ATILF ARTFL Courriel

Previous page

"916"> publique romaine, comme les fleuves vont se perdre dans la mer.

Après la défaite de Philippe, de Persée, & d'Antiochus, Rome prit l'habitude de régler par elle - même les différends de toutes les villes de la Grece. Les Lacédémoniens, les Béotiens, les Etoliens, & la Macedoine, étoient rangés sous sa puissance; les Athéniens sans force par eux - mêmes, & sans alliés, n'étonnoient plus le monde que par leurs basses slateries; & l'on ne montoit plus sur la tribune où Démosthene avoit parlé, que pour proposer les decrets les plus lâches. Les seuls Achéens oserent se piquer d'un reste d'indépendance, lorsque les Romains leur ordonnerent par des députés de séparer de leur corps Lacédemone, Corinthe, Argos, & Orcomene d'Arcadie. Sur leur refus, le sénat leur déclara la guerre, & le Préteur Métellus remporta sur eux deux victoires: l'une auprès des Thermopyles, & l'autre dans la Phocide. Enfin, Rome bien résolue de faire respecter sa puissance & de pousser ses avantages aussi loin qu'il lui seroit possible, envoya le consul Mummius avec les légions, pour se rendre maître de toute l'Achaïe. Le choix étoit terrible, & le succès assûré.

Ce consul célebre par la rusticité de ses moeurs, par la violence & la dureté de son caractere, par son ignorance dans les Arts qui charmoient la Grece, défit pour la derniere fois les Achéens & leurs alliés. Il passa tout au fil de l'épée, livra Corinthe au pillage & aux flammes. Cette riche capitale de l'Achaïe, cette ville qui sépara les deux mers, ouvrit & ferma le Péloponnese; cette ville de la plus grande importance, dans un tems où le peuple grec étoit un monde, & les villes greques des nations; cette ville, dis - je, si grande & si superbe, fut en un moment pillée, ravagée, réduite en cendres; & la liberté des Grecs fut à jamais ensevelie sous ses ruines. Rome victorieuse & maitresse souveraine, abolit pour lors dans toutes les villes le gouvernement populaire. En un mot, la Grece devint province romaine, sous le nom de provinced'Achaie. Ce grand évenement arriva l'an de Rome 608, & l'an du monde 3838.

Durant ce quatrieme âge que nous venons de parcourir, la Grece fit touiours éclore des héros, mais rarement plusieurs à - la - fois comme dans les siecles précédens. Lors de la bataille de Marathon, on avoit vu dans un même tems Leonidas, Pausanias, Miltiades, Thémisiocle, Aristide, Léotichides, & plusieurs autres hommes du premier ordre. On vit dans cet âge - ci, un Phocion, un Aratus, & ensuite un Philopoëmen, après lequel la Grece ne produisit plus de héros dignes d'elle, comme si elle étoit épuisée. Quelques rois, tels que Pyrrhus d'Epire, Cléomene de Sparte, se signalerent à la vérité par leur courage: mais la conduite, les vertus, & la morale, ne répondoient pas en eux à la valeur.

Il se trouve dans cet âge quantité de philosophes célebres, & entr'autres Théophraste, successeur d'Aristote: Xénocrate, successeur de Platon, & maître de Polémon, dont Cratès fut le disciple; celui - ci forma Crantor, qui eut pour éleve Arcésilaüs, fondateur de la moyenne académie; Epicure, disciple de Cratès; Zénon, fondateur de la secte des Stoiciens; Chrysippe & Cléante qui suivirent ses sentimens; Straton de Lampsaque péripatéticien, successeur de Théophraste; & Lycas, successeur de Straton. Je ne dois pas oublier Démétrius de Phalere, sorti de la même école, depuis fait archonte d'Athenes, qu'il gouverna pendant dix ans; au bout desquelles le crédu de ses ennemis l'obligea de se sauvér chez le roi Prolomée: j'ajoûte encore Diogene le stoicien, différent de Diogene le cynique; Critolaüs, péripatéticien; Carneades, academicien; Lacyde, fondateur de la nouvelle académie, &c.

Entre les Poëtes, on distingue Aratus, qui a traité de l'Astronomie en vers; Calliniaque, poéte élégiaque; Ménandre, poëte comique; Theocrite, Bion, & Moschus, poetes bucoliques.

L'historien Timée, le géographe Eratosthene, & quelques autres, se sirent aussi beaucoup de reputation par leurs ouvrages.

Mais il faut convenir qu'on s'apperçevoit déjà de la décadence des lettres; aussi le cmquieme âge dont nous parlerons très - brievement, ne peut guere vanter que Métrodore, philosophe sceptique; Geminus, mathématicien; & Diodore de Sicile, historien. Les Sciences abandonnant la la Grece, prenoient leur vol vers l'Italie, qui produisit à son tour la foule d'écrivains célebres du siecle d'Auguste.

Cinquieme âge de la Grece. Pendant cet âge qui commença l'an du monde 3838, & qui dura jusqu'à l'ompire d'Octave, c'est - à - dire 116 ans, les Romains apporterent peu de changemens dans les lois municipales des villes greques; ils se contenterent d'en tirer le tribut annuel, & d'exercer la souveraineté par un préteur. Un gouvernement si doux pour un pays épuisé par de longues guerres, retint la Grece sous la dépendance de la république, jusqu'au regne de Mithridate, qui fit sentir à l'univers qu'il étoit ennemi de Rome, & qu'il le seroit toûjours.

De tous les rois qui attaquerent la puissance romaine, Mithridate seul la combattit avec courage. Il eut de grands succès sur les premiers généraux romains; conquit une partie de l'Asie, la Thrace, la Macédoine, & la Grece, & ne put être réduit à ses anciennes limites que par les victoires de Sylla.

Ce fameux capitaine qui ternit par sa barbarie la gloire que ses grandes qualités pouvoient lui procurer, n'eut pas plûtôt obtenu, malgré Marius, le commandement de l'armée contre le roi de Pont, qu'ayant appris qu'il avoit fait d'Athenes sa forteresse & sa place d'armes, il résolut de s'en emparer; mais comme il n'avoit point de bois pour ses machines de guerre, & que rien n'étoit sacié pour lui, il coupa les superbes allées de l'academie & du Lycée, qui étoient les plus beaux parcs du monde; bien - tôt après il fit le siége, & se rendit maitre d'Athenes, ou il abandonna le pillage à la licence de ses troupes, pour se concilier leur attachement. Il avoit déjà pillé lui - même les thrésors des temples d'Epidaure, d'Olympie, de Delphes, &c. auxquels ni Flaminius, ni Paul - Emile, ni les autres capitaines romains n'avoient osé toucher. Cependant. « Mithridate, tel qu'un lion qui regardant ses blessures, n'en est que plus indigné, formoit encore le dessein de del vrer la Grece, de porter la guerre en Italie, & d'aller à Rome avec les autres nations qui l'asservirent quelques siecles après, & par les mêmes chemins; mais indignement trahi par Pharnace son propre fils, & par une armée effrayée des hasards qu'il alloit chercher, il perdit toute espérance, & termina ses jours en roi magnanime ».

La prise d'Athenes, les victoires d'Orcomene & de Chéronée, toutes deux gagnées par Sylla, l'an 87 avant Jesus - Christ; & pour dire encore plus, la mort de Mithridate, rendirent la Grece aux Romains sans qu'elle ait essuyé de nouvelles vicissitudes pendans les dissensions de César & de Pompée. Enfin, après les guerres civiles qui firent passer l'empire du monde entre les mains d'Auguste, il créa trois préteurs l'an 727 de Rome, pour assûrer davantage le repos de la Grece, ou plûtôt sa servitude, dont la durée s'est perpétuée jusqu'à nos jours.

Je n'ai pas le courage de suivre des malheurs qu'elle a éprouvés sous les successeurs d'Auguste, & depuis la translation du siége impérial de Rome à Bizance. Je dirai seulement que mille sois envahie, pillée, ravagée par cent nations différentes, Goths, [p. 917] Scythes, Alains, Gépides, Bulgares, Afriquains, Sarrazins, Croisés; elle devint enfin la proie des Turcs au commencement du xjv. siecle; toûjours gémissante depuis cette époque, sous le joug de la porte ottomane, elle n'offre actuellement à la vue des voyageurs, que des pays incultes, des masures, & de pauvres habitans plongés dans la misere, l'ignorance, & la superstition.

Reflexions sur la prééminence des Grecs dans les Sciences & dans les Arts. Tel a été le sort d'un des plus beaux pays du monde, & de la nation la plus illustre de l'antiquité; quoi qu'en dise un des judicieux écrivains de Rome, qui cherche à diminuer la gloire des Grecs, en avançant que leur histoire tire son principal lustre du génie & de l'art des auteurs qui l'ont écrite, peut - on s'empêcher de reconnoître que leurs citoyens s'élevent quelquefois au - dessus de l'humanité? Marathon, les Thermopyles, Salamine, Platée, Mycale, la retraite des dix mille & tant d'autres faits éclatans, exécutés dans le sein même de la Grece pendant le cours de ses guerres domestiques, ne sont - ils pas dignes, ne sont - ils pas même au - dessus des loüanges que leur ont donné les Historiens?

Mais un éloge particulier que mérite la Grece, c'est d'avoir produit les plus grands hommes, dont l'histoire doit garder le souvenir. Rome ne peut rien opposer à un Lycurgue, à un Solon, à un Thémistocle, à un Epaminondas, & à quelques autres de cet ordre. On ne voit guere de citoyens de Rome s'élever au - dessus de leur siecle & de leur nation, pour prendre un nouvel essor, & lui donner une face nouvelle. Dans la Grece au contraire, je vois souvent de ces génies vastes, puissans, & créateurs, qui s'ouvrent un chemin nouveau, & qui pénétrant l'avenir, se rendent les maîtres des évenemens.

La Grece abattue, conserva même une sorte d'empire bien honorable sur ses vainqueurs; ses iumieres dans les Lettres & dans les Arts, soûmirent l'orgueil des Romains. Les vainqueurs devenus disciples des vaincus, apprirent une langue que les Homere, les Pindare, les Thucydide, les Xenophon, les Demosthene, les Platon, les Sophocle, & les Euripide avoient enrichie par leurs ouvrages immortels. Des orateurs qui charmoient dejà Rome, allerent puiser chez les Grecs ce talent encnanteur de tout embellir, ce goût fin & delicat qui doit guider le génie, & ces secrets de l'art qui lui prêtent une nouvelle force.

Dans les écoles de Philosophie, où les citoyens les plus distingués de Rome se depouillo ent de leurs prejugés, ils apprenoient à respecter les Grecs; ils rapportoient dans leur patrie leur reconnoissance & leur admiration; & leur république craignant d'abuser des droits de la victoire, tâchoit par ses bienfaits de distinguer la Grece des autres provinces qu'elle avoit soûmises. Quelle gloire pour les lettres, d'avoir epargné au pays qui les a cultivées, des maux dont ses législateurs, ses magistrats. & ses capitaines n'avoient pù le garantir? Vengées du mépris que leur témoigne l'ignorance, elles sont sû es d'être respectées tant qu'il se trouvera d'aussi justes appréciateurs du mérite, que l'étoient les Romains.

Si des Sciences nous passons aux Beaux - Arts, nous n'hésiterons pas d'assûrer que les Grecs n'ont point eu de rivaux en ce genre. C'est sous le ciel de la Grece, on ne peut trop le répéter, que le seul gout digne de nos hommages & de nos études, se plut à repandre sa lumiere la plus éclatante. Les inventions des autres peuples qu'on y transportoit, n'étoient qu'une premiere semence, qu'un germe grossier, qui changeoit de nature & de forme dans ce terroir fertile. Minerve, à ce que disent les anciens, avoit elle - même choisi cette contrée pour la demeure des Grecs; la température de l'air la lui faisoit regarder comme le sol le plus propre à faire éclore de beaux génies. Cet éloge est une fiction, on le sait: mais cette fiction même est une preuve de l'influence qu'on attribuoit au climat de la Grece; & l'on est autorisé à croire cette opinion fondée, lorsqu'on voit le goût qui regne dans les ouvrages de cette nation, marqué d'un sceau caractéristique, & ne pouvoir être transplanté sans souffrir quelqu'altération. On verra toûjours, par exemple, entre les statues des anciens Romains & leurs originaux, une différence étonnante à l'avantage de ces derniers. C'est ainsi que Didon avec sa suite, comparée à Diane parmi ses Oréades, est une copie affoiblie de la Nausicaa d'Homere, que Virgile a tâché d'imiter. On trouve, il est vrai, des négligences dans quelques fameux ouvrages des Grecs qui nous restent: le dauphin & les enfans de la Vénus de Médicis, laissent quelque chose à desirer pour la perfection; les accessoires du Diomede de Dioscoride sont dans le même cas; mais ces foibles parties ne peuvent nuire à l'idée que l'on doit se former des artistes grecs. Les grands maitres sont grands jusque dans leurs negligences, & leurs fautes même nous instruisent. Voyons leurs ouvrages comme Lucien vouloit que l'on vît le Jupiter de Phidias; c'est Jupiter lui - même, & non pas son marche - pié, qu'il faut admirer.

Il seroit aisé de faire valoir les avantages physiques que les Grecs avoient sur tous les peuples; d'abord la bcauté étoit un de leurs apanages; le beau sang des habitans de plusieurs villes greques se fait même remarquer de nos jours, quoique mêlé depuis des siecles avec celui de cent nations étrangeres. On se contentera de citer les femmes de l'île de Scio, les Georgiennes, & les Circassiennes.

Un ciel doux & pur contribuoit à la parfaite conformation des Grecs, & l'on ne sauroit croire de combien de precautions pour avoir de beaux enfans, ils aidoient cette influence naturelle. Les moyens que Quillet propose dans sa callipédie, ne sont rien en comparaison de ceux que les Grecs mettoient en usage. ils porterent leurs recherches jusqu'à tenter de changer les yeux bleux en noirs; ils instituerent des jeux où l'on se disputoit le prix de la beauté; ce prix consistoit en des armes que le vainqueur faisoit suspendre au temple de Minerve.

Les exercices auxquels ils étoient accoûtumés dès l'enfance, donnoient à leurs visages un air vraiment noble, joint à l'eclat de la santé. Qu'on imagine un spartiate ne d'un héros & d'une héroine, dont le corps n'a jamais éprouve la torture des maillots, qui depuis sa septieme annce a couché sur la dure, & qui depuis son bas âge s'est tantôt exercé à lutter, tantôt à la courte, & tantôt à nager; qu'on le mette à côté d'un sibarite de nos jours, & qu'on juge lequel des deux un artiste choisiroit pour être le modele d'un Achille ou d'un Thesee. Un Thésée formé d'apres le dernier, seroit un Thesee nourri avec des roses, tandis que celui qui seroit fait d'après le spartiate, seroit un Thésee nourri avec de la chair, pour nous servir de l'expression d'un peintre grec, qui définit ainsi deux représentations de ce héros.

Les Grecs étoient d'ailleurs habillés de maniere, que la nature n'étoit point gênée dans le developpement des parties du corps; des entraves ne leur serroient point comme à nous le cou, les hanches, les cuisses, & les piés. Le beau sexe même ignoroit toute contrainte dans la parure; & les jeunes Lacédémoniennes étoient vêtues si legerement, qu'on les appelloit montre - hanches. En un mot, depuis la naissance jusqu'à l'âge fait, les efforts de la nature & de l'art tendoient chez ce peuple à produire, à conserver, & à orner le corps.

Cette prééminence des Grecs en fait de beauté une fois accordée, on sent avec quelle facilité les maîtres de l'art dûrent parvenir à rendre la belle nature. Elle

Next page


The Project for American and French Research on the Treasury of the French Language (ARTFL) is a cooperative enterprise of Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF) of the Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), the Division of the Humanities, the Division of the Social Sciences, and Electronic Text Services (ETS) of the University of Chicago.

PhiloLogic Software, Copyright © 2001 The University of Chicago.