ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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Tout faisoit présumer que la Grece alloit joüir d'un profond repos, quand Thebes parut aspirer à la domination; jusque - là Thebes unie tantôt avec Sparte, tantôt avec Athenes, n'avoit tenu que le second rang, sans que l'on soupçonnât qu'un jour elle prétendroit le premier. On fut bien trompé dans cette confiance. Les Thébains extrèmement aguerris, pour avoir presque toûjours eu les armes à la main depuis la guerre du Pélopponnese, & pleins d'un desir ambitieux qui croissoit à - proportion de leurs forces & de leur courage, se trouverent trop serrés dans leurs anciennes limites; ils rompirent avec Athenes, attaquerent Platées, & la raserent. Les Lacédémoniens irrités marcherent contr'eux, entrerent avec une puissante armée dans leur pays, & y pénétrerent bien avant: tous les Grecs crurent Thebes perdue; on ne savoit pas quelle ressource elle pouvoit trouver dans un seul citoyen.

Epaminondas que Cicéron regarde comme le premier homme de la Grece, avoit été élevé chez son pere Polymne, dont la maison étoit le rendez - vous des savans, & des plus grands maîtres dans l'art militaire. Voyez dans Cornelius Nepos les détails de l'éducation d'Epaminondas, & son admirable caractere. Ce jeune héros défit totalement les Lacédémoniens à Leuctres, & leur porta même un coup mortel, dont ils ne se releverent jamais. Après cette victoire, il traversa l'Attique, passa l'Eurotas, & mit le siége devant Sparte; mais considérant qu'il alloit s'attirer la haine de tout le Péloponnese, s'il détruisoit une si puissante république, il se contenta de l'humilier. Cependant ce grand homme, plein d'une ambition demesurée pour la gloire de sa patrie, vouloit lui donner sur mer la même supériorité qu'il lui avoit rendue sur terre, quand la fin de ses jours fit échoüer un si grand projet, que lui seul pouvoit soûtenir. Il mourut d'une blessure qu'il reçut à la bataille de Mantinée, où il avoit mis les ennemis en deroute.

On vit alors la Grece partagée en trois puissances. Thebes tâchoit de s'élever sur les ruines de Lacédemone; Lacédémone songeoit à réparer ses pertes, Athenes, quoiqu'en apparence dans le parti de Sparte, étoit bien - aise de voir aux mains ses deux rivales, & ne pensoit qu'à les balancer, en attendant la premiere occasion d'accabler l'une & l'autre. Mais une quatrieme puissance les mit d'accord, & parvint à l'empire de la Grece: ce fut Philippe de Macedoine, un des profonds politiques, & des grands rois que le hasard ait placés sur le trone.

Eleve à Thebes chez le pere d'Epaminondas, il eut la même éducation que ce héros; il y étoit en qualite d'ôtage, quand il apprit la consternation des peuples de Macédoine par la perte de leur roi Perdicas son frere ainé, tué dans un combat contre les Illyriens. A cette nouvelle, Philippe se déroba de Thebes, arriva dans sa patrie, reduisit les Peoniens sous son obéisiance, ferma la porte du royaume à Pausanias prince du sang royal, vainquit les Illyriens, & fit une paix captieuse avec Athenes. Enhardi par ces premieres prospérités, il s'empara de Crenide que les Thasiens avoient bâtie, & y ouvrit des mines, dont il employa le produit à entretenir un puissant corps de troupes étrangeres, & à s'acquerir des créatures.

Il avoit visité les principales villes de la Grece; il en avoit étudié le génie, les intérêts, les forces, & la foiblesse. Il savoit que la corruption s'étoit glissée par tout, qu'en un mot la Grece dans cette conjoncture sembloit ne demander qu'un maître. Convaincu de cette vérité, après avoir long - tems médite son projet, & l'avoir caché avec une profonde dissimulation, il vainquit les Grecs par les Grecs, & ne parut être que leur instrument. Démo<cb-> sthene leur parloit de l'amour de la gloire, de l'amour de la patrie, de l'amour de l'indépendance; & ces belles passions n'existoient plus. Au lieu de s'unir très - étroitement, pour se garantir d'un ennemi si redoutable qui étoit à leurs portes, ils firent tout le contraire, & se déchirerent plus que jamais par la guerre civile, qu'on nomma la guerre sacrée.

Philippe vit avec plaisir cette guerre qui affoiblissoit des peuples dont il se promettoit l'empire, & demeura neutre, jusqu'à ce que les Thessaliens furent assez aveugles pour l'appeller à leur secours. Il y vola, chassa leur tyran, & se concilia l'assection de ces peuples, dont l'excellente cavalerie jointe à la phalange macédonienne eut depuis tant de part à ses succès, & ensuite à ceux d'Alexandre. Au retour de cette entreprise, il s'empara du passage des Thermopyles, se rendit maître de la Phocide, se fit déclarer Amphiction, général des Grecs contre les Perses, vengeur d'Apollon & de son temple; enfin la victoire décisive de Chéronée sur les Athéniens & les Béotiens, couronna ses autres exploits. Ainsi la Macédoine jusqu'alors foible, méprisée, souvent tributaire, & toûjours réduite à mendier des protections, devint l'arbitre de la Grece. Philippe fut tué par trahison à l'age de 47 ans, l'an du monde 3648; mais il eut l'avantage de laisser à son fils un royaume craint & respecté, avec une armée disciplinée & victorieuse.

Alexandre n'eut pas plûtôt pourvû au - dedans de son royaume, qu'il alla fondre sur ses voisins. On le vit en moins de deux ans subjuguer la Thrace, passer le Danube, battre les Getes, prendre une de leurs villes; & repassant ce fleuve, recevoir les hommages de diverses nations, châtier en revenant les Illyriens, & ranger au devoir d'autres peuples; delà voler à Thebes qu'un faux bruit de sa mort avoit révolté contre la garnison macédonienne, détruire cette ville; & par cet exemple de sévérité, tenir en bride le reste des Grecs qui l'avoient déjà proclamé leur chef.

Après avoir réglé le gouvernement de la Grece, il partit pour l'Asie l'an du monde 3650 avec une armée de trente - huit mille hommes, traversa l'Hellespont, & s'avança vers le Granique, où il remporta sa premiere victoire sur les Perses; ensuite ii poussa ses conquêtes jusqu'à Sardes qui se rendit à lui; & parcourant la côte d'Asie, il continua de soûmettre tout jasqu'à la Cilicie & la Phénicie: de - là revenant par l'intérieur des terres, il subjugua la Pamphylie, la Pisidie, la Phrygie, la Paphlagonie, & la Cappadoce; il gagna la bataille d'Issus, & bien - tôt après celle d'Arbelles, qui coûta l'empire à Darius. On sait la suite de ses exploits. Ce prince conçut le dessein de conquérir les Indes, il s'empara des royaumes de Taxile & de Porus, il continua sa route vers l'Océan, arriva sur les confins du Carman, subjugua les Cosséens, & mourut à Babylone l'an du monde 3660. S'il est vrai que la victoire lui donna tout, il fit tout aussi pour se procurer la victoire; & peut - être est - ce le seul usurpateur qui puisse se vanter d'avoir fait répandre des larmes à la famille qu'il avoit renversée du throne.

C'est dans ce troisieme âge de la Grece qu'il faut admirer le nombre incroyable de grands hommes qu'elle produisit, soit pour la guerre, soit pour les Sciences, ou pour les Arts. On trouvera dans Cornelius Nepos & dans Plutarque d'excellentes vies des capitaines grecs du siecle d'Alexandre; lisez - les, & les relisez sans cesse.

Entre les poétes, Eschile, Sophocle, Euripide, &c. pour le tragique; Eupolis, Cratinus, Aristopha ne, &c. pour le comique, acquirent une réputation que la postérité leur a conservée. Pindare, malgér la stupidité reprochée à ses compatriotes, porra l'ode [p. 915] à un degré sublime, qui a été plus admiré qu'imité.

Parmi les orateurs, on distingue singulierement Démosthene, Eschine, Isocrate, Gorgias, Prodicus, Lysias, &c.

Entre les philosophes, Anaxagore, Mélisse, Empédocle, Parméni le, Zenon d'Elée, Esope, Socrate, Euclide de Mégare, Platon, Aristote, Diogene, Aristippe, Xénophon, le même que le général & l'historier.

Entre les historiens, on connoît Hérodote, Ctésias, Thucydide, &c. Voyez la suite de cet article.

Le célebre Méthon trouva l'ennéadécatéride, ou la fameuse période de 19 années; découverte que les Athéniens firent graver en lettres d'or au milieu de la place publique. Voyez Ennéadé catéride.

Enfin, tous les artistes les plus célebres dont nous parlerons plus bas, fleurirent dans le troisieme âge de la Grece; âge incomparable qui fit voler la gloire de cette nation jusqu'au bout du monde, & qui la portera jusqu'à la fin des siecles!

Quatrieme âge de la Grece. Alexandre mourut souverain d'un état qui comprenoit la Thrace, la Macédoine, l'Illyrie, l'Epire, la véritable Grece, le Péloponnese, les îles de l'Archipel, la Grece asiatique, l'Asie mineure, la Phénicie, la Syrie, l'Egypte, l'Arabic, & la Perse. Ces états toutefois n'étoient rien moins que conquis solidement; on avoit cédé aux forces, au courage, à l'habileté, ou si l'on veut, à la fortune d'Alexandre; mais il n'étoit pas possible qu'un joug si nouveau & si rapidement imposé, fût de longue durée; & quand ce monarque auroit eu un fils capable de lui succéder, il y a lieu de croire qu'il n'auroit pû long - tems contenir tant de peuples, si différens de moeurs, de langages, & de religion. Toûjours est - il sûr que la division ne tarda guere de se mettre entre les prétendans à un si vaste empire; aussi vit - on que les principaux royaumes qui se formerent des debris de la fortune de ce grand conquérant, au nombre de 12 ou 13, se rédmsirent enfin à trois: l'Egypte, la Syrie, & la Macédoine, qui subsisterent jusqu'à la conquête des Romains.

Cependant au milieu de tant de troubles, les Grecs ne surent se faire respecter de personne; & loin de profiter des divisions des Macédoniens, ils en furent les premiers la victime; on ne songea pas même à les ménager, parce que la foiblesse ou la vengeance d'Antipater les avoit reduits, les rendoit presque méprisables. Leur pays servit de théatre à la guerre, & leurs villes furent en proie à mille despotes, qui s'emparerent successivement de l'autorité souveraine, jusqu'à ce que les Achéens jetterent les fondemens d'une république, qui fut le dernier effort de la liberte des Grecs, & le fruit de la valeur d'Aratus, natif de Sycione.

Ce jeune guerrier n'avoit que vingt ans, lorsqu'il forma le desscin magnanime de rendre la liberte à toutes les villes de la Grece, dont la plus grande partie étoit opprimée par des tyrans, & par des garnisons macédoniennes. Il commença l'exécution de ce projet par sa propre patrie; & plusieurs autres villes entrerent dans la confédération vers l'an 511 de la fondation de Rome.

La vûe des Achéens étoit de ne faire qu'une simple république de toutes les villes du Péloponnese, & Aratus les y encourageoit tous les jours par ses exploits. Les rois de Macédoine dont ce projet blessoit les intérêts, ne songerent qu'à le traverser, soit en plaçant autan qu'ils le pouvoient, des tyrans dans les villes, soit en donnant à ceux qui y étoient déjà établis, des troupes pour s'y maintenir. Aratus mit toute son application à chasser ces garnisons par la force, ou à engager par la douceur les villes oppri<-> es à se joindre à la grande alliance. Sa prudence, son adresse, & ses rares qualités contribuerent extrè<cb-> mement à le seconder; cependant il ne réussit pas; les Etoliens & Cléomene roi de Lacédemone s'opposerent si fortement a ses vûes, qu'ils parvinrent à les faire échoüer. Enfin les Achéens après avoir été défaits plusieurs fois, appellerent Philippe Il. roi de Macédoine à leur secours, & l'attirerent dans leur parti, en lui remettant la forteresse de Corinthe; c'est pour lors que ce prince déclara la guerre aux Etoliens; on la nomma la guerre des alliés, sociale bellum; elle commença l'an 534 de Rome, & dura trois ans.

Les Etoliens & les Athéniens réunis, mais également aveuglés par la haine qu'ils portoient au roi de Macédoine, inviterent Rome à les soûtenir, & Rome ne gardant plus de mesure avec Philippe, lui déclara la guerre. Les anciennes injures qu'elle en avoit reçûes, & les nouveaux ravages qu'il venoit de faire sur les terres de ses alliés, en furent un prétexte plausible.

Rome alors enrichie des dépouilles de Carthage, pouvoit suffire aux frais des guerres les plus éloignées & les plus dispendieuses; les dangers dont Annibal l'avoit menacée, n'avoient fait que donner une nouvelle force aux ressorts de son gouvernement. Tout étoit possible à l'activité des Romains, à leur amour pour la gloire, & au courage de leurs légions. Quelque legere connoissance qu'on ait de la seconde guerre punique, on doit sentir l'étrange disproportion qui se trouvoit entre les forces de la république romaine, secondée par une partie des Grecs, & celles de Philippe. Aussi ce prince ayant été vaincu, fut obligé de souscrire aux conditions d'une humiliante paix qui le laissa sans ressource. Vainement Persée se fiata de venger son pere; il fut battu & fait prisonnier l'an de Rome 596, & avec lui finit le royaume de Macédoine.

Les Romains essayerent dèslors sur les Grecs cette politique adroite & savante, qui avoit déjà trompé & subjugué tant de nations: sous prétexte de rendre à chaque ville sa liberté, ses lois, & son gouvernement, ils mirent réellement la Grece dans l'impuissance de se réunir.

Les Etoliens s'étoient promis de grands avantages de la part des Romains, en favorisant leurs armes contre Philippe; & pour toute récompense ils se virent obligés à ne plus troubler la Grece par leurs brigandages, & à périr de misere, s'ils ne tâchoient de subsister par le travail & l'industrie. Cet état leur parut insupportable; mais comme le joug étoit déjà trop pesant pour le secoüer sans un secours étranger, ils engagerent Anthiochus roi de Syrie, à prendre les armes contre la république. La défaite de ce prince lui fit perdre l'Asie mineure; & tous les Grecs ensemble se trouverent encore plus asservis par la puissance des Romains.

Remarquons ici avec un des plus beaux génies de notresiecle, l'habileté de leur conduite après la défaite d'Antiochus. Ils étoient maîtres de l'Afrique, de l'Asie, & de la Grece, sans y avoir presque de villes en propre. Il sembloit qu'ils ne conquissent que pour donner; mais ils restoient si bien les maitres, que lorsqu'ils faisoient la guerre à quelque prince, ils l'accabloient, pour ainsi dire, du poids de tout l'univers.

Il n'étoit pas tems encore pour les Romains de s'emparer des pays qu'ils venoient de conquérir. S'ils avoient garde les villes prises à Philippe, ils auroient fait ouvrir les yeux à la Grece entiere. Si après la seconde guerre punique ou celle contre Antiochus, ils avoient pris des terres en Afrique ou en Asie, ils n'auroient pû conserver des conquêtes si foiblement établies. Il falloit attendre que toutes les nations fussent accoûtumees à obéir comme libres & comme alliées, avant de leur commander comme sujettes, & qu'elles eussent été se perdre peu - à - peu dans la ré<pb->

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