ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"912"> coupe d'amitié; & meslant ensemble les vies, les moeurs, les mariages & façons de vivre, il commanda à tous hommes vivans d'estimer la terre habitable être leur pays & son camp en être le château & donjon, tous les gens de bien parens les uns des autres, & les méchans seuls étrangers. Au demeurant, que le grec & le barbare ne seroient point distingués par le manteau ni à la façon de la targue ou du cimeterre, ou par le haut chapeau, ains remarqués & discernes le grec à la vertu & le barbare au vice, en réputant tous les vertueux grecs & tous les vicieux barbares; en estimant au demeurant les habillemens communs, les tables communes, les mariages, les façons de vivre, étant tous unis par mélange de sang & communion d'enfans ».

Telle fut la politique d'Alexandre, par laquelle il ne se montra pas moins grand homme d'état qu'il ne s'étoit montré grand capitaine par ses conquêtes. Pour accréditer cette politique parmi les peuples, il appella à sa suite les philosophes les plus célebres de Grece; il les répandit chez les nations à mesure qu'il les subjuguoit. Ceux - ci plierent la religion des vainqueurs à celle des vaincus, & les disposerent à recevoir leurs sentimens en leur dévoilant ce qu'ils avoient de commun avec leurs propres opinions. Alexandre lui même ne dédaigna pas de conferer avec les hommes qui avoient quelque réputation de sagesse chez les barbares, & il rendit par ce moyen la marche de la Philosophie presque aussi rapide que celle de ses armes.

Grecs (Page 7:912)

Grecs, (Hist. anc. & Littérature.) On ne cessera d'admirer les talens & le génie de cette nation, tant que le goût des Arts & des Sciences subsistera dans le monde.

Parcourons l'histoire générale de ce peuple célebre qu'il n'est pas permis d'ignorer; elle offre de grandes scenes à l'imagination, de grands sujets de reflexion à la Politique & à la Philosophie. De toutes les histoires du monde, c'est celle qui est la plus liée à l'esprit humain, & par conséquent la plus instructive & la plus intéressante: mais pour éviter la confusion, nous diviserons cette histoire en cinq âges différens, & nous considérerons les Grecs 1°. depuis leur commencement jusqu'à la prise de Troie: 2°. depuis la prise de Troie jusqu'aux victoires de Mycale & de Platée: 3°. depuis cette époque jusqu'à la mort d'Alexandre: 4°. depuis la mort de ce prince jusqu'à la conquête que les Romains firent de la Grece; 5°. depuis cette époque jusqu'au regne d'Auguste.

Premier âge de la Grece. L'histoire des Grecs ne peut remonter qu'à l'arrivée des colonies, & conséquemment tout ce qu'ils ont débité sur les tems antérieurs est imaginé après coup. Mais dans quel tems du monde ces colonies se sont - elles établies dans la Grece? M. Freret, dans un ouvrage très - curieux sur cette matiere, a entrepris de déterminer cette époque: par une suite de calculs, il fixe celle d'Inachus, la plus ancienne de toutes, à l'an 1970; celle de Cécrops à l'an 1657; celle de Cadmus à l'an 1594, & celle de Danaüs à l'an 1586 avant Jesus - Christ.

Il semble que le nom de Pélasges, regardé par quelques anciens & par les modernes comme celui d'un peuple d'Arcadie qu'ils font successi vement errer dans les iles de la mer Egée, sur les côtes de l'Asie mineure, & sur celles de l'Italie, pourroit bien être le nom général des premiers Grecs avant la fondation des cités; nom que les habitans de chaque contrée quitterent à mesure qu'ils se policerent, & qui disparut enfin quand ils furent civilises.

Suivant ce système, les anciens habitans de la Lydie, de la Carie, & de la Mysie, les Phrygiens, les Pisidiens, les Arméniens, en un mot presque tous les peuples de l'Asie mineure, formoient dans l'origine une même nation avec les Pelasges ou Grecs européens: ce qui fortifieroit cette conjecture, c'est que la langue de toutes ces nations asiatiques, la même malgré les différences qui caractérisoient les dialectes, avoit beaucoup de rapport pour le fond avec celle des Grecs d'Europe, comme le montrent les noms grecs donnes dans l'Iliade aux Troyens & à leurs alliés, & les entretiens que les chefs ont sans interpretes: peut - être aussi que la nation greque n'eut point de nom qui la designât collectivement.

Il y eut entr'autres divisions, deux partis celebres qui agiterent long - tems la Grece, je veux dire les Héraclides descendans d'Hercule fils d'Amphytrion, & les Pélopides descendans d'Atrée & de Thieste fils de Pélops, qui donna son nom au Peloponnese: la haine horrible de ces deux freres a cent fois retenti sur le théatre. Atrée fut pere d'Agamemnon & de Ménélas: ce dernier n'est que trop connu pour avoir épousé la fille de Tyndare roi de Lacédemone, la soeur de Clytemnestre, de Castor, & de Pollux, en un mot la belle Hélene. Peu de tems après son mariage, elle se fit enlever par Paris, fils de Priam roi de la Troade: tous les Grecs entrant dans le ressentiment d'un mari si cruellement outragé, formerent en commun l'entreprise à jamais mémorable de la longue guerre, du siége, & de la destruction de Troie. Les poésies d'Homere & de Virgile ont immortalisé cet évenement, les femmes & les enfans en savent par coeur les plus petits détails. Ici finit le premier âge de la Grece.

On appelle cet âge le tems héroique, parce que l'on y doit rapporter les travaux d'Hercule, de Thésée, de Pyrithoüs, les voyages des Argonautes, l'expédition des sept capitaines devant Thebes, en faveur de Polynice fils d'OEdipe contre Etéocle son frere; la guerre de Minos avec Thésée, & généralement tous les sujets que les anciens tragiques ont cent fois célébrés.

Second âge de la Grece. Au retour de la fameuse expédition de Troie, la Grece éprouva mille révolutions que les vicissitudes des tems amencerent sur la scene; leurs rois dont l'autorité avoit été fort étendue à la tête des armées, tenterent hautement dans le sein du repos de dépouiller le peuple de ses principales prérogatives: l'ambition n'avoit point encore trouve le secret de se déguiser avec adresse, d'emprunter le masque de la modération, & de marcher à son but par des routes détournées; cependant jamais elle n'eut besoin de plus d'art & de ménagement. Sa violence souleva des hommes pauvres, courageux, & dont la fierté n'étoit point émoussée par cette foule de besoins & de passions qui asservirent leurs descendans.

A peine quelques états eurent secoüé le joug, que tous les autres voulurent être libres; le nom seul de la royauté leur fut odieux, & une de leurs villes opprimée par un tyran, devenoit en quelque sorte un affront pour tous les Grecs: ils s'associerent donc à la célebre ligue des Amphictions; & voulant mettre leurs lois & leur liberté sous la sauve - garde d'un corps puissant & respectable, ils ne formerent qu'une seule république: pour serrer davantage le lien de leur union, ils établirent des temples communs & des jours marqués pour y offrir des sacrific des jeux, & des fêtes solennelles, auxquelles toutes les villes confédérées participoient; mais il falloit encore à cette ligue un reslort principal qui pût regler ses mouvemens, les précipiter ou les sallentir.

Ce qui manquoit aux Grecs, Lycurgue le leur procura, & le beau gouvernement qu'il établit à Sparte le rendit en quelque sorte le législateur de la Grece entiere. « Hercule, dit Plutarque, parcouroit le monde, & avec sa seule massue il exterminoit les bri<pb-> [p. 913] gands: Sparte avec sa pauvreté exerçoit un pareil empire sur la Grece; sa justice, sa modération & son courage y étoient si considérés, que sans avoir besoin d'armer ses citoyens ni de les mettre en campagne, elle calmoit par le ministere d'un seul homme, toutes les séditions domestiques, terminoit les querelles élevées entre les villes, & contraignoit les tyrans à abandonner l'autorité qu'ils avoient usurpée ».

Cette espece de médiation toûjours favorable à l'ordre, valut à Lacédémone une supériorité d'autant plus marquée, que les autres républiques étoient continuellement obligées de recourir à sa protection; se ressentant tour - à - tour de ses bienfaits, aucune d'elles ne refusa de se conduire par ses conseils. Il est beau pour l'humanité de voir un peuple qui ne doit sa grandeur qu'à son amour pour la justice. On obéissoit aux Spartiates parce qu'on honoroit leur vertu: ainsi Sparte devint insensiblement comme la capitale de la Grece, & joüit sans contestation du commandement de ses armées réunies.

Athenes après Sparte tenoit dans la confédération le premier rang; elle se distinguoit par son courage, ses richesses, son industrie, & sur - tout par son élégance de moeurs & un agrément particulier que les Grecs ne pouvoient s'empêcher de goûter, quoiqu'ils fussent alors assez sages pour lui préférer des qualités plus essentielles. Les Athéniens naturellement vifs, pleins d'esprit & de talens, se croyoient destinés à gouverner le monde. Chaque citoyen regardoit comme des domaines de l'état tous les pays où il croissoit des vignes, des oliviers & du froment.

Cette république n'avoit jamais joüi de quelque tranquillité au - dedans, sans montrer de l'inquiétude au - dehors. Ardente à s'agiter, le repos la fatiguoit; & son ambition auroit dérangé promptement le système politique des Grecs, si le frein de son gouvernement n'eût tempéré ses agitations. Polybe compare Athenes à un vaisseau que personne ne commande, ou dans lequel tout le monde est le maître de la manoeuvre; cependant cette comparaison n'a pas toûjours été vraie. Les Athéniens, par exemple, surent bien s'accorder pour le choix de leurs généraux, quand il fut question de combaitre Darius.

Ce puissant monarque ayant entrepris de subjuguer la Grece, en remit le soin à Mardonius son gendre. Celui - ci débarqua dans l'Eubée, prit Erétrie, passa dans l'Attique, & rangea ses troupes dans la plaine de Marathon, mais dix mille Grecs d'une bravoure à toute épreuve, sous les ordres de Miltiade, mirent l'armée des Perses en déroute, l'an du monde 3494, & remporterent une victoire des plus signalées. Darius termina sa carriere au moment qu'il se proposoit de tirer vengeance de sa défaite; Xercès toutesois, loin d'abandonner les vûes de son prédécesseur, les seconda de tout son pouvoir, & rassembla pour y réussir toutes les forces de l'Asie.

Les Grecs de leur côté résolurent unanimement de vaincre ou de mourir; leur amour passionné pour la liberté, leur haine envenimée contre la monarchie, tout les portoit à préférer la mort à la domination des Perses.

Nous ne connoissons plus aujourd'hui ce que c'est que de subjuguer une nation libre: Xercès en éprouva l'impossibilité; car il faut convenir que les Perses n'étoient point encore tombés dans cet état de mollesse & de corruption, où Alexandre les trouva depuis. Cette nation avoit encore des corps de troupes d'autant plus formidables, que le courage y servoit de degrés pour parvenir aux honneurs; cependant sans parler des prodiges de valeur de Léonidas au pas des Thermopyles, où il périt avec ses trois cents Lacédémoniens, la supériorité de Thémistocle sur Xercès, & de Pausanias sur Mardonius, empêcha les Grecs de succomber sous l'effort des armes du plus puissant roi de l'Asie. Les journées de Salamine & de Platée furent décisives en leur faveur; & pour comble de gloire, Léotichides roi de Sparte & Xantippe athénien triompherent à Mycale du reste de l'armée des Perses. Ce fut le soir même de la journée de Platée, l'an du monde 3505, que les deux généraux grecs, avant de donner la bataille de Mycale, dirent à leurs soldats qu'ils marchoient à la victoire, & que Mardonius venoit d'être défait dans la Grece; la nouvelle se trouva véritable, ou par un effet prodigieux de la renommée, dit M. Bossuet, ou par une heureuse rencontre; & toute l'Asie mineure se vit en liberté.

Ce second âge est remarquable par l'extinction de la plûpart des royaumes qui divisoient la Grece; c'est aussi durant cet âge, que parurent ses plus grands capitaines, & que se formerent ses principaux accroissemens, au moyen du grand nombre de colonies qu'elle envoya, tant dans l'Asie mineure que dans l'Europe; enfin c'est dans cet âge que vêcurent les sept hommes illustres auxquels on donna le nom de Sages. Quelques - uns d'eux n'étoient pas seulement des philosophes spéculatifs, ils étoient encore des hommes d'état. Voyez l'article Philosophie des Grecs.

Troisieme âge de la Grece. Plus les Grecs avoient connu le prix de leur union pendant la guerre qu'ils soûtinrent contre Xercès, plus ils devoient en resserrer les noeuds après leurs victoires; malheureusement les nouvelles passions que le succès de Sparte & d'Athenes leur inspira, & les nouveaux intérêts qui se formerent entre leurs alliés, aigrirent vivement ces deux républiques l'une contre l'autre, exciterent entr'elles une funeste jalousie; & leurs querelles en devenant le principe de leur ruine, vengerent, pour ainsi dire, la Perse de ses tristes défaites.

Les Athéniens, fiers des journées de Salamine & de Platée, dont ils se donnoient le principal honneur, voulurent non - seulement aller de pair avec Lacédémone, mais même affecterent le premier rang, trancherent, & déciderent sur tout ce qui concernoit le bien général, s'arrogeant la prérogative de punir & de récompenser, ou plûtôt agirent en arbitres de la Grece. Remplis de projets de gloire qui augmentoient leur présomption, au lieu d'augmenter leur crédit, plus attentifs à étendre leur empire maritime qu'à en joüir; enorgueillis des avantages de leurs mines, de la multitude de leurs esclaves, du nombre de leurs matelots; & plus que tout cela, se glorifiant des belles institutions de Solon, ils négligerent de les pratiquer. Sparte leur eût généreusement cédé l'empire de la mer; mais Athenes prétendoit commander par - tout, & croyoit que pour avoir particulierement contribué à délivrer la Grece de l'oppression des Barbares, elle avoit acquis le droit de l'opprimer à son tour. Voilà comme elle se gouverna depuis la bataille de Platée, & pendant plus de cinquante ans.

Durant cet espace de tems, Sparte ne se donna que de foibles mouvemens pour réprimer sa rivale; mais à la fin pressée par les plaintes réitérées de toutes parts contre les vexations d'Athenes, elle prit les armes pour obtenir justice; & Athenes rassembla toutes ses forces pour ne la jamais rendre. C'est ici que commence la fameuse guerre du Péloponnese, qui apporta tant de changemens dans les intérêts, la politique, & les moeurs de la Grece, épuisa les deux républiques rivales, & les força de signer un traité de paix qui remit les villes greques asiatiques dans une entiere indépendance. Thucydide & Xénophon ont immortalisé le souvenir de cette guerre si longue & si cruelle, par l'histoire qu'ils en ont écrite.

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