ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"906"> cure & Promethée; il avoit confié à tous les deux les découvertes d'Hermès. Mais Promethée se sauva, & porta dans la Grece les secrets de l'état: Osiris en fut indigné; il chargea Mercure du soin de sa vengeance. Mercure tendit des embuches à Promethée, le surprit, & le jetta dans le fond d'un cachot, d'où il ne sortit que par la faveur de quelque homme puissant.

Pour moi, je suis de l'avis de ceux qui ne voyent dans cet ancien législateur de la Grece, qu'un bienfaiteur de ses habitans sauvages qu'il tira de la barbarie dans laquelle ils étoient plongés, & qui leur fit luire les premiers rayons de la lumiere des Sciences & des Arts; & ce vautour qui le dévore sans relâche, n'est qu'un emblème de la méditation profonde & de la solitude. C'est ainsi qu'on a cherché à tirer la vérité des fables; mais la multitude des explications montre seulement combien elles sont incertaines. Il y a une broderie poétique tellement unie avec le fond, qu'il est impossible de l'en séparer sans déchirer l'étoffe.

Cependant en considérant attentivement tout ce système, on reste convaincu qu'il sert en général d'enveloppe tantôt à des faits historiques, tantôt à des découvertes scientifiques, & que Ciceron avoit raison de dire que Promethée ne seroit point attaché au Caucase, & que Cephée n'auroit point été transporté dans les cieux avec sa femme, son fils, & son gendre, s'ils n'avoient mérité par quelques actions éclatantes que la fable s'emparât de leurs noms.

Linus succéda à Promethée; il fut théologien, philosophe, poëte, & musicien. Il inventa l'art de filer les intestins des animaux, & il en fit des cordes sonores qu'il substitua sur la lyre aux fils de lin dont elle étoit montée. On dit qu'Apollon jaloux de cette découverte, le tua; il passe pour l'inventeur du vers lyrique; il chanta le cours de la lune & du soleil, la formation du monde, & l'histoire des dieux; il écrivit des plantes & des animaux; il eut pour disciples Hercule, Thamyris, & Orphée. Le premier fut un esprit lourd, qui n'aimoit pas le châtiment & qui le méritoit souvent. Quelques auteurs accusent ce disciple brutal d'avoir tué son maître.

Orphée disciple de Linus fut aussi célebre chez les Grecs que Zoroastre chez les Chaldéens & les Perses, Baddas chez les Indiens, & Thoot ou Hermes chez les Egyptiens; ce qui n'a pas empêché Aristote & Ciceron de prétendre qu'il n'y a jamais eu d'Orphée: voici le passage d'Aristote; nous le rapportons pour sa singularité. Les Epicuriens prouvoient l'existence des dieux par les idées qu'ils s'en faisoient, & Aristote leur répondoit: & je me fais bien une idée d'Orphée, personnage qui n'a jamais été; mais toute l'antiquité réclame contre Aristote & Ciceron.

La fable lui donne Apollon pour pere, & Calliope pour mere, & l'histoire le fait contemporain de Josué: il passe de la Thrace sa patrie dans l'Egypte, où il s'instruit de la Philosophie, de la Théologie, de l'Astrologie, de la Medecme, de la Musique, & de la Poésie. Il vient de l'Egypte en Grece, où il est honoré des peuples; & comment ne l'auroit - il pas été, prêtre & medecin, c'est - à - dire homme se donnant pour savoir écarter les maladies par l'entremise des dieux, & y apporter remede, quand on en est affligé?

Orphée eut le sort de tous les personnages célebres dans les tems où l'on n'écrivoit point l'histoire. Les noms abandonnés à la tradition étoient bien - tôt oubliés ou confondus; & l'on attribuoit à un seul homme tout ce qui s'étoit fait de mémorable pendant un grand nombre de siecles. Nous ne connoissons que les Hébreux chez qui la tradition se soit conservée pure & sans altération; & n'auroient - ils que ce privilége, il suffiroit pour les faire regarder comme une race très - particuliere, & vraiment chérie de Dieu.

La Mythologie des Grecs n'étoit qu'un amas confus de superstitions isolées; Orphée en forma un corps de doctrine; il institua la divination & les mysteres; il en fit des cérémonies secrettes, moyen sûr pour donner un air solemnel à des puérilités; telles furent les fêtes de Bacchus & d'Hecate, les éleusinies, les panathenées & les thesmophories. Il enjoignit le silence le plus rigoureux aux initiés; il donna des regles pour le choix des prosélytes: elles se réduisoient à n'admettre à la participation des mysteres, que des ames sensibles & des imaginations ardentes & fortes, capables de voir en grand & d'allumer les esprits des autres: il prescrivit des épreuves; elles consistoient dans des purifications, la confession des fautes qu'on avoit commises, la mortification de la chair, la continence, l'abstinence, la retraite, & la plûpart de nos austérités monastiques; & pour achever de rendre le secret de ces assemblées impénétrable aux profanes, il distingua différens degrés d'initiation, & les initiés eurent un idiome particulier & des caracteres hiéroglyphiques.

Il monta sa lyre de sept cordes; il inventa le vers hexametre, & surpassa dans l'Epopée tous ceux qui s'y étoient exercés avant lui. Cet homme extraordinaire eut un empire étonnant sur les esprits, du moins à en juger par ce que l'hyperbole des Poëtes nous en fait présumer. A sa voix, les eaux cessoient de couler; la rapidité des fleuves étoit retardée; les animaux, les arbres accouroient; les flots de la mer étoient appaisés, & la nature demeuroit suspendue dans l'admiration & le silence: effets merveilleux qu'Horace a peints avec force, & Ovide avec une délicatesse mêlée de dignité.

Horace dit ode XII. liv. I.

Aut in umbrosis Heliconis oris Aut super Pindo, gelidove in Hoemo, Unde vocalem temerè insecutoe Orphea sylvoe,

Arte maternâ rapidos morantem Fluminum lapsus, celeresque ventos, Blandum & auritas fidibus canoris Ducere quercus.

Et Ovide, métamorph. liv. X.

Collis erat, collemque super planissima campi Area, quam viridem faciebant graminis herboe; Umbra loco deerat, qua postquam poste resedit, Dis genitus vates & fila sonantia movit, Umbra loco venit.

Ceux qui n'aiment pas les prodiges opposeront aux vers du poëte lyrique un autre passage, où il s'explique en philosophe, & où il réduit la merveilleuse histoire d'Orphée à des choses assez communes:

Sylvestres homines sacer interpresque deorum, Coedibus & victu foedo deterruit Orphoeus, Dictus ab hoc lenire tigres, rapidosque leonès; c'est - à - dire qu'Orphée fut un fourbe éloquent, qui fit parler les dieux pour maîtriser un troupeau d'hommes farouches, & les empêcher de s'entrégorger; & combien d'autres évenemens se reduiroient à des phénomenes naturels, si l'on se permettoit d'écarter de la narration l'emphase avec laquelle ils nous ont été transmis!

Après les précautions qu'Orphée avoit prises pour dérober sa théologie à la connoissance des peuples, il est difficile de compter sur l'exactitude de ce que les auteurs en ont recueilli. Si une découverte est [p. 907] essentielle au bien de la société, c'est être mauvais citoyen que de l'en priver; si elle est de pure curiosité, elle ne valoit ni la peine d'être faite, ni celle d'être cachée: utile ou non, c'est entendre mal l'inrérêt de sa réputation que de la tenir secrette; ou elle se perd après la mort de l'inventeur qui s'est tu, ou un autre y est conduit & partage l'honneur de l'invention. Il faut avoir égard en tout au jugement de la postérité, & reconnoître qu'elle se plaindra de notre silence, comme nous nous plaignons de la taciturnité & des hiéroglyphes des prêtres égyptiens, des nombres de Pythagore, & de la double doctrine de l'académie.

A juger de celle d'Orphée d'après les fragmens qui nous en restent épars dans les auteurs, il pensoit que Dieu & le chaos co - existoient de toute éternité; qu'ils étoient unis, & que Dieu renfermoit en lui tout ce qui est, fut, & sera; que la lune, le soleil, les étoiles, les dieux, les déesses & tous les êtres de la nature, étoient émanés de son sein; qu'ils ont la même essence que lui; qu'il est présent à chacune de leurs parties; qu'il est la force qui les a développées & qui les gouverne; que tout est de lui, & qu'il est en tout; qu'il y a autant de divinités sûbalternes, que de masses dans l'Univers; qu'il faùt les adorer; que le Dieu créateur, le Dieu générateur, est incompréhensible; que répandu dans la collection générale des êtres, il n'y a qu'elle qui puisse en être une image; que tout étant de lui, tout y retournera; que c'est en lui que les hommes pieux trouveront la récompense de leurs vertus; que l'ame est immortelle, mais qu'il y a des lustrations, des cérémonies qui la purgent de ses fautes, & qui la restituent à son principe aussi sainte qu'elle en est émanée, &c.

Il admettoit des esprits, des démons & des héros. Il disoit: l'air fut le premier être qui émana du sein de Dieu; il se plaça entre le chaos & la nuit. Il s'engendra de l'air & du chaos un oeuf, dont Orphée fait éclore une chaîne de puérilités peu dignes d'être rapportées.

On voit en général qu'il reconnoissoit deux substances nécessaires, Dieu & le chaos; Dieu principe actif; le chaos ou la matiere informe, principe passif.

Il pensoit encore que le monde finiroit par le feu, & que des cendres de l'Univers embrase, il en renaîtroit un autre.

Que l'opinion, que les planetes & la plûpart des corps célestes sont habités comme notre terre, soit d'Orphée ou d'un autre, elle est bien ancienne. Je regarde ces lambeaux de philosophie, que le tems a laissés passer jusqu'à nous, comme ces planches que le vent pousse sur nos côtes après un naufrage, & qui nous permettent quelquefois de juger de la grandeur du bâtiment.

Je ne dis rien de sa descente aux enfers; j'abandonne cette fiction aux Poëtes. On peut croire de sa mort tout ce qu'on voudra; ou qu'après la perte d'Euridice il se mit à prêcher le célibat, & que les femmes indignées le massacrerent pendant la célébration des fêtes de Bacchus; ou que ce dieu vindicatif qu'il avoit négligé dans ses chants, & Vénus dont il avoit abjuré le culte pour un autre qui lui déplaît, irriterent les bacchantes qui le déchirerent; ou qu'il fut foudroyé par Jupiter, comme la plûpart des héros des tems fabuleux; ou que les Thraciennes se défirent d'un homme qui entraînoit à sa suite leurs maris; ou qu'il fut la victime des peuples qui supportoient impatiemment le joug des lois qu'il leur avoit imposées: toutes ces opinions ne sont guere plus certaines, que ce que le poëte de la métamorphose a chanté de sa tête & de sa lyre.

Caput, Hoebre, lyramque Excipis, &, mirum, medio dum labitur amne, Flebile nescio quid queritur lyra, flebile linguoe Murmur at exanimis; respondent flebile ripoe. « Sa tête étoit portée sur les flots; sa langue murmuroit je ne sai quoi de tendre & d'inarticulé, que répétoient les rivages plaintifs; & les cordes de sa lyre frappées par les ondes, rendoient encore des sons harmonieux ». O douces illusions de la Poésie, vous n'avez pas moins de charmes pour moi que la vérité! puissiez - vous me toucher & me plaire jusque dans mes derniers instans!

Les ouvrages qui nous restent sous le nom d'Orphée, & ceux qui parurent au commencement de l'ere chrétienne, au milieu de la dissension des Chrétiens, des Juifs & des Philosophes payens, sont tous supposés; ils ont été répandus ou par des Juifs, qui cherchoient à se mettre en considération parmi les Gentils; ou par des chrétiens, qui ne dédaignoient pas de recourir à cette petite ruse, pour donner du poids à leurs dogmes aux yeux des Philosophes; ou par des philosophes même, qui s'en servoient pour appuyer leurs opinions de quelque grande autorité. On faisoit un mauvais livre; on y inseroit les dogmes qu'on vouloit accréditer, & l'on écrivoit à la tête le nom d'un auteur célebre: mais la contradiction de ces différens ouvrages rendoit la fourberie manifeste.

Musée fut disciple d'Orphée; il eut les mêmes talens & la même philosophie, & il obtint chez les Grecs les mêmes succès & les mêmes honneurs. On lui attribue l'invention de la sphere; mais on la revendique en faveur d'Atlas & d'Anaximandre. Le poéme de Léandre & Héro, & l'hymne qui porte le nom de Musèe, ne sont pas de lui; tandis que des auteurs disent qu'il est mort à Phalere, d'autres assûrent qu'il n'a jamais existé. La plûpart de ces hommes anciens qui faisoient un si grand secret de leurs connoissances, ont réussi jusqu'à rendre leur existence même douteuse.

Thamyris succede à Musée dans l'histoire fabuleuse; il remporte le prix aux jeux pithiens, défie les muses au combat du chant, en est vaincu & puni par la perte de la vûe & l'oubli de ses talens. On a dit de Thamyris ce qu'Ovide a dit d'Orphée:

Ille etiam Thracum populis fuit autor, amorem In teneros transferrre mares, citràque juventam AEtatis breve ver & primos carpere flores. Voilà un vilain art bien contesté.

Amphion contemporain de Thamyris, ajoûte trois cordes à la lyre d'Orphée; il adoucit les moeurs des Thébains. Trois choses, dit Julien, le rendirent grand poëte, l'étude de la Philosophie, le génie, & l'oisiveté.

Melampe qui parut après Amphion, fut théologien, philosophe, poëte & medecin; on lui éleva des temples après sa mort, pour avoir guéri les filles de Praetus de la fureur utérine: on dit que ce fut avec l'ellébore.

Hésiode, successeur de Melampe, fut contemporain & rival d'Homere. Nous laisserons les particularités de sa vie qui sont assez incertaines, & nous donnerons l'analyse de sa théogonie.

Le Chaos, dit Hésiode, étoit avant tout. La Terre fut après le Chaos; & après la Terre, le Tartare dans les entrailles de la Terre: alors l'Amour naquit, l'Amour le plus ancien & le plus beau des immortels. Le Chaos engendra l'Eiebe & la Nuit; la nuit engendra l'Air & le Jour; la Terre engendra le Ciel, la Mer & les Montagnes; le Ciel & la Terre s'unirent, & ils engendrerent l'Océan, des fils, des filles; & après ces enfans, Saturne, les Cyclopes, Bronte, Stérope & Argé, fabricateurs de foudres; & après les Cyclopes, Cotté, Briare & Cygès. Dès le commencement les enfans de la Terre & du Ciel se brouillerent avec le

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