ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"842"> & dépendante de conventions libres & muables, & ne sont d'usage que chez les peuples qui les ont adoptés librement, sans perdre le droit de les changer ou de les abandonner, quand il plaira à l'usage de les modifier ou de les proscrire. Les premiers constituent la Grammaire générale, les autres sont l'objet des diverses Grammaires particulieres.

La Grammaire générale est donc la science raisonnée des principes immuables & généraux de la parole prononcée ou écrite dans toutes les langues.

Une Grammaire particuliere est l'art d'appliquer aux principes immuables & généraux de la parole prononcée ou écrite, les institutions arbitraires & usuelles d'une langue particuliere.

La Grammaire générale est une science, parce qu'elle n'a pour objet que la spéculation raisonnée des principes immuables & généraux de la parole: une Grammaire particuliere est un art, parce qu'elle envisage l'application pratique des institutions arbitraires & usuelles d'une langue particuliere aux principes généraux de la parole (voyez Art). La science grammaticale est antérieure à toutes les langues, parce que ses principes sont d'une vérité éternelle, & qu'ils ne supposent que la possibilité des langues: l'art grammatical au contraire est postérieur aux langues, parce que les usages des langues doivent exister avant qu'on les rapporte artificiellement aux principes généraux. Malgré cette distinction de la science grammaticale & de l'art grammatical, nous ne prétendons pas insinuer que l'on doive ou que l'on puisse même en séparer l'étude. L'art ne peut donner aucune certitude à la pratique, s'il n'est éclairé & dirigé par les lumieres de la spéculation; la science ne peut donner aucune consistance à la théorie, si elle n'observe les usages combinés & les pratiques différentes, pour s'élever par degrés jusqu'à la généralisation des principes. Mais il n'en est pas moins raisonnable de distinguer l'un de l'autre, d'assigner à l'un & à l'autre son objet propre, de prescrire leurs bornes respectives, & de déterminer leurs différences.

C'est pour les avoir confondues que le P. Buffier, (Gramm. fr. n°. 9. & suiv.) regarde comme un abus introduit par divers Grammairiens, de dire: l'usage est en ce point opposé à la Grammaire. « Puisque la Grammaire, dit - il à ce sujet, n'est que pour fournir des regles ou des réflexions qui apprennent à parler comme on parle; si quelqu'une de ces regles ou de ces réflexions ne s'accorde pas à la maniere de parler comme on parle, il est évident qu'elles sont fausses & doivent être changées ». est tres clair que notre Grammairien ne pense ici qu'à la Grammaire particuliere d'une langue, à celle qui apprend à parler comme on parle, à celle enfin que l'on designe par le nom d'usage dans l'expression censurée. Mais cet usage a toûjours un rapport nécessaire aux lois immuables de la Grammaire générale, & le P. Buffier en convient lui - même dans un autre en droit. « Il se trouve essentiellement dans toutes les langues, dit - il, ce que la Philosophie y considere, en les regardant comme les expressions naturelles de nos pensees: car comme la nature a mis un ordre nécessaire dans nos pensees, elle a mis, par une conséquence infaillible, un ordre nécessaire dans les langues ». C'est en effet pour cela que dans toutes ou trouve les mêmes especes de mots; que ces mots y sont assujettis à - peu - près aux mêmes especes d'accidens; que le discours y est soûmis a la triple syntaxe, de concordance, de régime, & de construction, &c. Ne doit - il pas résulter de tout ceci un corps de doctrine indépendant des décisions arbitraires de tous les usages, & dont les principes sont des lois également universelles & immuables?

Or c'est à ces lois de la Grammaire générale, que les usages particuliers des langues peuvent se conformer ou ne pas se conformer quant à la lettre, quoiqu'effectivement ils en suivent toûjours & nécessairement l'esprit. Si l'on trouve donc que l'usage d'une langue autorise quelque pratique contraire à quelqu'un de ces principes fondamentaux, on peut le dire sans abus, ou plûtôt il y auroit abus à ne pas le dire nettement; & rien n'est moins abusif que le mot de Cicéron (orat. n. 47.) Impetratum est à consuctudine u peccare suavitatis causâ liceret: c'est à l'usage qu'il attribue les fautes dont il parle, impetratum est à consuetudine; & conséquemment il reconnoît une regle independante de l'usage & supérieure à l'usage; c'est la nature même, dont les décisions relatives à l'art de la parole forment le corps de la science grammaticale. Consultons de bonne foi ces décisions, & comparons y sans préjugé les pratiques usuelles; nous serons bientôt en état d'apprecier l'opinion du P. Buffier. Les idiotismes suffiroient pour la sapper jusqu'aux fondemens, si nous voulions nous permettre une digression que nous avons condamnée ailleurs (voyez Gailicisme & Idiotisme): mais il ne nous faut qu'un exemple pour parvenir à notre but, & nous le prendrons dans l'Ecriture. Que signifient les plaintes que nous entendons faire tous les jours sur les irrégularités de notre alphabet, sur les emplois multipliés de la même lettre pour représenter divers élémens de la parole, sur l'abus contraire de donner à un même element plusieurs caracteres différens, sur celui de réunir plusieurs caracteres pour représenter un élément simple, &c? C'est la comparaison secrete des institutions usuelles avec les principes naturels, qui fait naître ces plaintes; on voit, quoi qu'on en puisse dire, que l'usage autorise de véritables fautes contre les principes immuables dictés par la nature.

Eh! comment pourroit - il se faire que l'usage des langues s'accordât toûjours avec les vûes générales & simples de la nature? Cet usage est le produit du concours fortuit de tant de circonstances quelquefois très - discordantes. La diversité des climats, la constitution politique des Etats; les révolutions qui en changent la face; l'état des sciences, des arts, du commerce; la religion & le plus ou le moins d'attachement qu'on y a; les prétentions opposées des nations, des provinces, des villes, des familles même: tout cela contribue à faire envisager les choses, ici sous un point de vûe, là sous un autre, aujourd'hui d'une façon, demain d'une maniere toute differente; & c'est l'origine de la diversité des génies des langues. Les différens résultats des combinaisons infinies de ces circonstances, produisent la différence prodigieuse que l'on trouve entre les mots des diverses langues qui expriment la même idée, entre les moyens qu'elles adoptent pour désigner les rapports énonciatifs de ces mots, entre les tours de phrase qu'elles autorisent, entre les licences qu'elles se permettent. Cette influence du concours des circonstances est frappante, si l'on prend des termes de comparaison très - eloignés, ou par les lieux, ou par les tems, comme de l'orient à l'occident, ou du regne de Charlemagne à celui de Louis le bien - aimé: elle le sera moins, si les points sont plus voisins, comme d'Italie en France, ou du siecle de François I. à celui de Louis XIV: en un mot plus les termes comparés se rapprocheront, plus les differences paroîtront diminuer; mais elles ne seront jamais totalement anéanties: elles demeureront encore sensibles entre deux nations contigués, entre deux provinces limitrophes, entre deux villes voisines, entre deux quartiers d'une même ville, entre deux familles d'un même quartier: il y a plus, le même homme varie ses façons de parler d'âge en âge, de jour en jour. De là la diversité des dialectes d'une même langue, suite naturelle de l'égale liberté & de la différente [p. 843] position des peuples & des Etats qui composent une même nation: de - là cette mobilité, cette succession de nuances, qui modifie perpétuellement les langues, & les métamorphose insensiblement en d'autres toutes différentes: c'est encore une des principales causes des difficultés qui peuvent se trouver dans l'étude des Grammaires particulieres.

Rien n'est plus aisé que de se méprendre sur le véritable usage d'une langue. Si elle est morte, on ne peut que conjecturer; on est réduit à une portion bornée de témoignages consignés dans les livres du meilleur siecle. Si elle est vivante, la mobilité perpétuelle de l'usage empêche qu'on ne puisse l'assigner d'une maniere fixe; ses oracles n'ont qu'une vérité momentanée. Dans l'un & dans l'autre cas, il ne faut négliger aucune des ressources que le hasard peut offrir, ou que l'art d'enseigner peut fournir.

Le moyen le plus utile & le plus avoué par la raison & par l'expérience, c'est de diviser l'objet dont on traite en différens points capitaux, auxquels on puisse rapporter les différens principes & les diverses observations qui concernent cet objet. Chacun de ces points capitaux peut être soudivisé en des parties subordonnées, qui serviront à mettre de l'ordre dans les matieres relatives aux premiers chefs de distribution. Mais les membres de ces divisions doivent effectivement présenter des parties différentes de l'objet total, ou les différens points de vûe sous lesquels on se propose de l'envisager; il doit y en avoir assez pour faire connoitre tout l'objet, & assez peu pour ne pas surcharger la mémoire, & ne pas distraire l'attention. Voici donc comment nous croyons devoir distribuer la Grammaire, soit générale, soit particuliere.

La Grammaire considere la parole dans deux états différens, ou comme prononcée, ou comme écrite: la parole écrite est l'image de la parole prononcée, & celle - ci est l'image de la pensée. Ces deux points de vûe peuvent donc être comme les deux principaux points de réunion, auxquels on tapporte toutes les observations grammaticales; & toute la Grammaire se divise ainsi en deux parties générales, dont la premiere qui traite de la parole, peut être appellée Orthologie; & la seconde, qui traite de l'écriture, se nomme Orthographe. La nécessité de caractériser avec précision les points saillans de notre systeme grammatical, & la liberté que l'usage de notre langue paroit avoir laissée sur la formation des termes techniques, nous ont déterminés à en risquer plusieurs, que l'on trouvera dans le tableau que nous allons presenter de la distribution de la Grammaire. Nous ferons en sorte qu'ils soient dans l'analogie des termes didactiques usités, & qu'ils expriment exactement toute l'étendue de l'objet que nous prétendons leur faire désigner: à mesure qu'ils se présenteront, nous les expliquerons par leurs racines. Ainsi le mot Orthologie a pour racines O)RQO\S2, rectus, & LO/GOS2, sermo; ce qui signifie maniere de bien parler.

De l'Orthologie. Pour rendre la pensée sensible par la parole, on est obligé d'employer plusieurs mots, auxquels on attache les sens partiels que l'analyse démêle dans la pensée totale. C'est donc des mots qu'il est question dans la premiere partie de la Grammaire, & on peut les y considerer ou isolés, ou rassemblés, c'est - à - dire, ou hors de l'élocution, ou dans l'ensemble de l'élocution; ce qui partage naturellement le traité de la parole en deux parties, qui sont la Lexicologie & la Syntaxe. Le terme de Lexicologie signifie explication des mots; R. R. LEZIS2, vocabulum, & LO/GOS2, sermo. Ce mot a déjà été employé par M. l'abbe Girard, mais dans un sens diflérent de celui que nous lui assignons, & que ses racines mêmes paroissent indiquer. M. Duclos semble diviser comme nous l'objet du traité de la parole; il commence ainsi ses re - marques sur le dernier chap. de la Grammaire générale: « La Grammaire de quelque langue que ce soit, a deux fondemens, le Vocabulaire & la Syntaxe». Mais le Vocabulaire n'est que le catalogue des mots d'une langue, & chaque langue a le sien; au lieu que ce que nous appellons Lexicologie, contient sur cet objet des principes raisonnés communs à toutes les langues.

I. L'office de la Lexicologie est donc d'expliquer tout ce qui concerne la connoissance des mots; & pour y procéder avec méthode, elle en considere le matériel, la valeur, & l'étymologie.

1°. Le matériel des mots comprend leurs élémens & leur prosodie.

Les sons & les articulations sont les parties élémentaires des mots, & les syllabes qui résultent de leur combinaison, en sont les parties intégrantes & immédiates. Voyez Son & Syllabe.

La Prosodie fixe les décisions de l'usage par rapport à l'accent & à la quantité. L'accent est la mesure de l'élévation, comme la quantité est la mesure de la durée du son dans chaque syllabe. Voyez Prosodie, Accent, & Quantité

Les mots ne conservent pas toûjours la forme matérielle que l'usage vulgaire leur a assignée primitivement; souvent il se fait des changemens, ou dans les parties elémentaires, ou dans les parties intégrantes qui les composent, sans que ces licences avouées de l'usage en alterent la signification: comme dans les mots relligio, amasti, amarier, au lieu de religio, amavisti, amari. On donne communément le nom de figures aux divers changemens qui arrivent à la forme matérielle des mots. Voyez au mot Figure l'article des figures de diction qui regardent le matériel du mot.

2°. La valeur des mots consiste dans la totalité des idées que l'usage a attachées à chaque mot. Les différentes especes d'idées que les mots peuvent rassembler dans leur signification, donnent lieu à la Lexicologie de distinguer dans la valeur des mots trois sens différens; le sens fondamental, le sens spécifique, & le sens accidentel.

Le sens fondamental est celui qui résulte de l'idée fondamentale que l'usage a attachée originairement à la signification de chaque mot: cette idée peut être commune à plusieurs mots, qui n'ont pas pour cela la même valeur, parce que l'esprit l'envisage dans chacun d'eux sous ces points de vûe différens. Par rapport à cette idée primitive, ses mots peuvent être pris ou dans le sens propre, ou dans le sens figuré. Un mot est dans le sens propre, lorsqu'il est employé pour réveiller dans l'esprit l'idée qu'on a eu intention de lui faire signifier primitivement; & il est dans le sens figuré, lorsqu'il est employé pour exciter dans l'esprit une autre idée qui ne lui convient que par son analogie avec celle qui est l'objet du sens propre. On donne communément le nom de tropes aux divers changemens de cette espece, qui peuvent se faire dans le sens fondamental des mots. Voyez Sens & Trope.

Le sens spécisique est celui qui résulte de la différence des points de vûe, sous lesquels l'esprit peut envisager l'idée fondamentale, relativement à l'analyse de la pensée. De - là les différentes especes de mots, les noms, les pronoms, les adjectifs, &c. (voyez Mot, Nom, Pronom , &c.) On trouve souvent des mots de la même espece, qui semblent exprimer la même idée fondamentale & le même point de vûe analytique de l'esprit; on donne à ces mots la qualification de synonymes, pour faire entendre qu'ils ont précisement la même signification; & on appelle synonymie la propriété qui les fait ainsi qualifier. Nous examinerons ce qu'il y a de vrai & d'utile sur cette matiere aux articles Synonymes & Synonymie.

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