ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"828"> besoin. Le marchand qui vend le blé à l'étranger, & qui achete de lui une autre marchandise, ou qui commerce avec lui par échange, revend à son retour la marchandise qu'il a rapportée, & avec l'argent qu'il reçoit, il rachete du blé. Le blé envisagé comme marchandise, est donc une richesse pécuniaire pour les vendeurs, & une richesse réelle pour les acheteurs.

Ainsi les denrées qui peuvent se vendre, doivent toûjours être regardées mdifféremment dans un état comme richesses pécuniaires & comme richesses réelles, dont les sujets peuvent user comme il leur convient.

Les richesses d'une nation ne se reglent pas par la masse des richesses pécuniaires. Celles - ci peuvent augmenter ou diminuer sans qu'on s'en apperçoive; car elles sont toûjours effectives dans un état par leur quantité, ou par la celérité de leur circulation, à raison de l'abondance & de la valeur des denrées. L'Espagne qui joüit des thrésors du Pérou, est toûjours epuisee par ses besoins. L'Angleterre soûtient son opulence par ses richesses réelles; le papier qui y représente l'argent a une valeur assûrée par le commerce & par les revenus des biens de la nation.

Ce n'est donc pas le plus ou le moins de richesses pécuniaires qui décide des richesses d'un état; & les défenses de sortir de l'argent d'un royaume au préjudice d'un commerce profitable, ne peuvent être tondées que sur quelque préjugé desavantageux.

Il faut pour le soûtien d'un état de véritables richesses, c'est - à - dire des richesses toûjours renaissantes, toûjours recherchées & toûjours payées, pour en avoir la joüissance, pour se procurer des commodites, & pour satisfaire aux besoins de la vie.

XI. On ne peut connoitre par l'état de la balance du commerce entre diverses nations, l'avantage du commerce & l'etat des richesses de chaque nation. Car des nations peuvent être plus riches en hommes & en biens - fonds que les autres; & celles - ci peuvent avoir moins de commerce intérieur, faire moins de consommation, & avoir plus de commerce extérieur que celles - là.

D'ailleurs quelques - unes de ces nations peuvent avoir plus de commerce de trafic que les autres. Le commerce qui leur rend le prix de l'achat des marchandises qu'elles revendent, forme un plus gros objet dans la balance, sans que le fond de ce commerce leur soit aussi avantageux que celui d'un moindre commerce des autres nations, qui vendent à l'etranger leurs propres productions.

Le commerce des marchandises de main - d'oeuvre en impose aussi, parce qu'on confond dans le produit le prix des matieres premieres, qui doit être distingué de celui du travail de fabrication.

XII. C'est par le commerce intérieur & par le commerce exterieur, & sur - tout par l'état du commerce intérieur, qu'on peut juger de la richesse d'une nation. Car si elle fait une grande consommation de ses denrées à haut prix, ses richesses seront proportionnées à l'abondance & au prix des denrées qu'elle consomme; parce que ces mêmes denrées sont réellement des richesses en raison de leur abondance & de leur cherté; & elles peuvent par la vente qu'on en pourroit faire, être susceptibles de tout autre emploi dans les besoins extraordinaires. Il suffit d'en avoir le fonds en richesses réelles.

XIII. Une nation ne doit point envier le commerce de ses voisins quand elle tire de son sol, de ses hommes, & de sa navigation, le meilleur produit possible. Car elle ne pourroit rien entreprendre par mauvaise intention contre le commerce de ses voisins, sans déranger son etat, & sans se nuire à elle - même; sur - tout dans le commerce réciproque qu'elle a établi avec eux.

Ainsi les nations commerçantes rivales, & même ennemies, doivent être plus attentives à maintenir ou à étendre, s'il est possible, leur propre commerce, qu'à chercher à nuire directement à celui des autres. Elles doivent même le favoriser, parce que le commerce réciproque des nations se soûtient mutuellement par les richesses des vendeurs & des acheteurs.

XIV. Dans le commerce réciproque, les nations qui vendent les marchandises les plus nécessaires ou les plus utiles, ont l'avantage sur celles qui vendent les marchandises de luxe. Une nation qui est assûrée par ses biens - fonds d'un commerce de denrees de son crû, & par conséquent aussi d'un commerce intérieur de marchandises de main - d'oeuvre, est indépendante des autres nations. Elle ne commerce avec cellesci que pour entretenir, faciliter, & étendre son commerce extérieur; & elle doit, autant qu'il est possible, pour conserver son indépendance & son avantage dans le commerce réciproque, ne tirer d'elles que des marchandises de luxe, & leur vendre des marchandises nécessaires aux besoins de la vie.

Elles croiront que par la valeur réelle de ces différentes marchandises, ce commerce réciproque leur est plus favorable. Mais l'avantage est toûjours pour la nation qui vend les marchandises les plus utiles & les plus nécessaires.

Car alors son commerce est établi sur le besoin des autres; elle ne leur vend que son superflu, & ses achats ne portent que sur son opulence. Ceux - là ont plus d'intérêt de lui vendre, qu'elle n'a besoin d'acheter; & elle peut plus facilement se retrancher sur le luxe, que les autres ne peuvent épargner sur le nécessaire.

Il faut même remarquer que les états qui se livrent aux manufactures de luxe, éprouvent des vicissitudes fâcheuses. Car lorsque les tems sont malheureux, le commerce de luxe languit, & les ouvriers se trouvent sans pain & sans emploi.

La France pourroit, le commerce étant libre, produire abondamment les denrées de premier besoin, qui pourroient suffire a une grande consommation & à un grand commerce exterieur, & qui pourroient soûtenir dans le royaume un grand commerce d'ouvrages de main - d'oeuvre.

Mais l'état de sa population ne lui permet pas d'employer beaucoup d'hommes aux ouvrages de luxe; & elle a même intérêt pour faciliter le commerce extérieur des marchandises de son crû, d'entretenir par l'achat des marchandises de luxe, un commerce réciproque avec l'étranger.

D'ailleurs elle ne doit pas pretendre pleinement à un commerce général. Elle doit en sacrifier quelques branches les moins importantes à l'avantage des autres parties qui lui sont les plus profitables, & qui augmenteroient & assureroient les revenus des biensfonds du royaume.

Cependant tout commerce doit être libre, parce qu'il est de l'intéret des marchands de s'attacher aux branches de commerce extérieur les plus sûres & les plus profitables.

Il suffit au gouvernement de veiller à l'accroissement des revenus des biens du royaume, de ne point gêner l'industrie, de laisser aux citoyens la facilité & le choix des dépenses.

De ranimer l'agriculture par l'activité du commerce dans les provinces où les denrées sont tombées en non - valeur.

De supprimer les prohibitions & les empêchemens préjudiciables au commerce. intérieur & au commerce réciproque extérieur.

D'abolir ou de modérer les droits excessifs de ri<pb-> [p. 829] viere & de péage, qui détruisent les revenus des provinces éloignees, ou les denrées ne peuvent être commerçables que par de longs transports; ceux à qui ces droits appartiennent, seront suffisamment dédommagés par leur part de l'accroissement général des revenus des biens du royaume.

Il n'est pas moins nécessaire d'éteindre les priviléges surpris par des provinces, par des villes, par des communautés, pour leurs avantages particuliers.

Il est important aussi de faciliter par - tout les communications & les transports des marchandises par les réparations des chemins & la navigation des rivieres (f).

Il est encore essentiel de ne pas assujettir le commerce des denrces des provinces à des défenses & à des permissions passageres & arbitraires, qui ruinent les campagnes sous le prétexte captieux d'assûrer l'abondance dans les villes. Les villes subsistent par les depenses des propriétaires qui les habitent; ainsi en détruisant les revenus des biens - fonds, ce n'est ni favoriser les villes, ni procurer le bien de l'état.

Le gouvernement des revenus de la nation ne doit pas être abandonné à la discrétion ou à l'autorité de l'administration subalterne & particuliere.

On ne doit point borner l'exportation des grains à des provinces particulieres, parce qu'elles s'épuisent avant que les autres provinces puissent les regarnir; & les habitans peuvent être exposés pendant quelques mois à une disette que l'on attribue avec raison à l'exportation.

Mais quand la liberté d'exporter est générale, la levée des grains n'est pas sensible; parce que les marchands tirent de toutes les parties du royaume, & sur - tout des provinces où les grains sont à bas prix.

Alors il n'y a plus de provinces où les denrées soient en non - valeur. L'agriculture se ranime partout à proportion du debit.

Les progres du commerce & de l'agriculture marchent ensemble; & l'exportation n'enleve jamais qu'un superflu qui n'existeroit pas sans elle. & qui entretient toûjours l'abondance & augmente les revenus du royaume.

Cet accroissement de revenus augmente la population & la consommation, parce que les dépenses augmentent & procurent des gains qui attirent les hommes.

Par ces progrès un royaume peut parvenir en peu de tems à un haut degre de force & de prospérité. Ainsi par des moyens bien simples, un souverain peut faire dans ses propres états des conquêtes bien plus avantageuses que celles qu'il entreprendroit sur

(f) Les chemins ruraux ou de communication avec les grandes routes, les villes & les marchés, manquent ou sont mauvais presque par - tout dans les provinces, ce qui est un grand obstacle a l'activité du Commerce. Cependant il semble qu'on pourroit y remédier en peu d'années; les propriétaires sont trop intéressés à la vente des denrées que produisent leurs biens, pour qu'ils ne voulussent pas contribuer aux dépenses de la réparation de ces chemins. On pourroit donc les imposer pour une petite taxe réglee au sou la livre de la taille de leurs fermiers, & dont les fermters & les paysans sans bien seroient exempts. Les chemins à réparer seroient décidés par MM. les mtendan, dans chaque district, après avoir consulté les habitans, qut ensuite les serotent exécuter par des entrepreneurs. On répareroit d'abord les endroit; les plus impraticables, & on perfectionneroit successivement les chemins; les fermiers & paysans seroient ensuite chargés de les entretenir. On pourroit faire avec les provmces de pareils arrangemens pour les rivieres qui peuvent être rendues navigables. Il y a des provinces qui ont si bien reconnu lutilité de ces travaux, qu'elles ont demandé elles - mêmes à être autorisées à en faire les dépenses; mais les besoins de l'état ont quelquefois enlevé les fonds que l'on y avoit destinés: ces mauvais succès ont étoussé des dispositions ti avantageuses au bien de l'état.
ses voisins. Les progrès sont rapides; sous Henri IV. le royaume épuisé, chargé de dettes, devint bientôt un pays d'abondance & de richesses. Voyez Impôt.

Observations sur la nécessité des richesses pour la culture des grains. Il ne faut jamais oublier que cet état de prospérité auquel nous pouvons prétendre, seroit bien moins le fruit des travaux du laboureur, que le produit des richesses qu'il pourroit employer à la culture des terres. Ce sont les fumiers qui procurent de riches moissons; ce sont les bestiaux qui produisent les fumiers; c'est l'argent qui donne les bestiaux, & qui fournit les hommes pour les gouverner. On a vû par les détails précédens, que les frais de trente millions d'arpens de terre traites par la petite culture, ne sont que de 285 millions; & que ceux que l'on feroit pour 30 millions d'arpens bien traités par la grande culture, seroient de 710 millions; mais dans le premier cas le produit n'est que de 390 millions: & dans le second il seroit de 1, 378, 000000. De plus grands frais produiroient encore de plus grands profits; la dépense & les hommes qu'exige de plus la bonne culture pour l'achat & le gouvernement des bestiaux, procurent de leur côté un produit qui n'est guere moins considérable que celui des recoltes.

La mauvaise culture exige cependant beaucoup de travail; mais le cultivateur ne pouvant faire les dépenses nécessaires, ses travaux sont infructueux; il succombe: & les bourgeois imbécilles attribuent ses mauvais succès à la paresse. Ils croyent sans doute qu'il suffit de labourer, de tourmenter la terre pour la forcer à porter de bonnes récoltes; on s'applaudit lorsqu'on dit à un homme pauvre qui n'est pas occupé, va labourer la terre. Ce sont les chevaux, les boeufs, & non les hommes, qui doivent labourer la terre. Ce sont les troupeaux qui doivent la fertiliser; sans ces secours elle récompense peu les travaux des cultivateurs. Ne sait - on pas d'ailleurs qu'elle ne fait point les avances, qu'elle fait au contraire attendre long - tems la moisson? Quel pourroit done être le sort de cet homme indigent à qui l'on dit va labourer la terre? Peut - il cultiver pour son propre compte? trouvera - t - il de l'ouvrage chez les fermiers s'ils sont pauvres? Ceux - ci dans l'impuissance de faire les frais d'une bonne culture, hors d'état de payer le salaire des domestiques & des ouvriers, ne peuvent occuper les paysans. La terre sans engrais & presqu'inculte ne peut que laisser languir les uns & les autres dans la misere.

Il faut encore observer que tous les habitans du royaume doivent profiter des avantages de la bonne culture, pour qu'elle puisse se soûtenir & produire de grands revenus au souverain. C'est en augmentant les revenus des proprietaires & les profits des fermiers, qu'elle procure des gains à tous les autres états, & qu'elle entretient une consommation & des dépenses qui la soûtiennent elle - même. Mais si les impositions du souverain sont établies sur le cultivateur même, si elles enlevent ses profits, la culture depérit, les revenus des proprietaires diminuent; d'où résulte une épargne inévitable qui influe sur les stipendiés, les marchands, les ouvriers, les domestiques: le système général des dépenses, des travaux, des gains, & de la consommation, est dérangé; l'état s'affoiblit; l'imposition devient de plus en plus destructive. Un royaume ne peut donc être florissant & formidable que par les productions qui se renouvellent ou qui renaissent continuellement de la richesse même d'un peuple nombreux & actif, dont l'industrie est soûtenue & animée par le gouvernement.

On s'est imaginé que le trouble que peut causer le gouvernement dans la fortune des particuliers, est

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