ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"826"> France est préférée, parce qu'elle est plus profitable, qu'elle fait de meilleur pain, & qu'on peut la garder long - tems. Ainsi nos blés & nos farines seront toûjours mieux vendus à l'étranger. Mais une autre raison qui doit tranquilliser, c'est que l'agriculture ne peut pas augmenter dans les colonies, sans que la population & la consommation des grains n'y augmente à proportion; ainsi leur superflu n'y augmentera pas en raison de l'accroissement de l'agriculture.

Le défaut de débit & la non - valeur de nos denrées qui ruinent nos provinces, ne sont que l'effet de la misere du peuple & des empêchemens qu'on oppose au commerce de nos productions. On voit tranquillement dans plusieurs provinces les denrées sans débit & sans valeur; on attribue ces desavantages à l'absence des riches, qui ont abandonné les provinces pour se retirer à la cour & dans les grandes villes; on souhaiteroit seulement que les évêques, les gouverneurs des provinces, & tous ceux qui par leur etat devroient y résider, y consommassent effectivement leurs revenus; mais ces idées sont trop bornées; ne voit - on pas que ce ne seroit pas augmenter la consommation dans le royaume, que ce ne seroit que la transporter des endroits où elle se fait avec profusion, dans d'autres où elle se seroit avec économie? Ainsi cet expédient, loin d'augmenter la consommation dans le royaume, la diminueroit encore. Il faut procurer par - tout le débit par l'exportation & la consommation intérieure, qui avec la vente à l'étranger soûtient le prix des denrées. Mais on ne peut attendre ces avantages que du commerce général des grains, de la population, & de l'aisance des habitans qui procureroient toûjours un débit & une consommation nécessaire pour soûtenir le prix des denrées.

Pour mieux comprendre les avantages du commerce des grains avec l'étranger, il est nécessaire de faire quelques observations fondamentales sur le commerce en général, & principalement sur le commerce des marchandises de main - d'oeuvre, & sur le commerce des denrées du crû; car pour le commerce de trafic qui ne consiste qu'à acheter pour revendre, ce n'est que l'emploi de quelques petits états qui n'ont pas d'autres ressources que celle d'être marchands. Et cette sorte de commerce avec les étrangers ne mérite aucune attention dans un grand royaume; ainsi nous nous bornerons à comparer les avantages des deux autres genres de commerce, pour connoître celui qui nous intéresse le plus.

Maximes de Gouvernement économique.

I. Les travaux d'industrie ne multiplient pas les richesses. Les travaux de l'agriculture dédommagent des frais, payent la main - d'oeuvre de la culture, procurent des gains aux laboureurs: & de plus ils produisent les revenus des biens - fonds. Ceux qui achetent les ouvrages d'industrie, payent les frais, la main - d'oeuvre, & le gain des marchands; mais ces ouvrages ne produisent aucun revenu au - delà.

Ainsi toutes les dépenses d'ouvrages d'industrie ne se tirent que du revenu des biens - fonds; car les travaux qui ne produisent point de revenus ne peuvent exister que par les richesses de ceux qui les payent.

Comparez le gain des ouvriers qui fabriquent les ouvrages d'industrie, à celui des ouvriers que le laboureur employe à la culture de la terre, vous trouverez que le gain de part & d'autre se borne à la subsistance de ces ouvriers; que ce gain n'est pas une augmentation de richesses; & que la valeur des ouvrages d'industrie est proportionnée à la valeur même de la subsistance que les ouvriers & les marchands consomment. Ainsi l'artisan détruit autant en subsistance, qu'il produit par son travail.

Il n'y a donc pas multiplication de richesses dans la production des ouvrages d'industrie, puisque la valeur de ces ouvrages n'augmente que du prix de la subsistance que les ouvriers consomment. Les grosses fortunes de marchands ne doivent point être vûes autrement; elles sont les effets de grandes entreprises de commerce, qui réunissent ensemble des gains semblables à ceux des petits marchands; de même que les entreprises de grands travaux forment de grandes fortunes par les petits profits que l'on retire du travail d'un grand nombre d'ouvriers. Tous ces encrepreneurs ne font des fortunes que parce que d'autres font des dépenses. Ainsi il n'y a pas d'accroissement de richesses.

C'est la source de la subsistance des hommes, qui est le principe des richesses. C'est l'industrie qui les prépare pour l'usage des hommes. Les propriétaires, pour en joüir, payent les travaux d'industrie; & par - là leurs revenus deviennent communs à tous les hommes.

Les hommes se multiplient donc à proportion des revenus des biens fonds. Les uns font naître ces richesses par la culture; les autres les préparent pour la joüissance; ceux qui en joüissent payent les uns & les autres.

Il faut donc des biens - fonds, des hommes & des richesses pour avoir des richesses & des hommes. Ainsi un état qui ne seroit peuplé que de marchands & d'artisans, ne pourroit subsister que par les revenus des biens - fonds des étrangers.

II. Les travaux d'industrie contribuent à la population & à l'accroissement des richesses. Si une nation gagne avec l'étranger par sa main - d'oeuvre un million sur les marchandises fabriquées chez elle, & si elle vend aussi à l'étranger pour un million de denrées de son crû, l'un & l'autre de ces produits sont également pour elle un surcroît de richesses, & lui sont également avantageux, pourvû qu'elle ait plus d'hommes que le revenu du sol du royaume n'en peut entretenir; car alors une partie de ces hommes ne peuvent subsister que par des marchandises de main - d'oeuvre qu'elle vend à l'etranger.

Dans ce cas une nation tire du sol & des hommes tout le produit qu'elle en peut tirer; mais elle gagne beaucoup plus sur la vente d'un million de marchandises de son crû, que sur la vente d'un million de marchandises de main - d'oeuvre, parce qu'elle ne gagne sur celles - ci que le prix du travail de l'artisan, & qu'elle gagne sur les autres le prix du travail de la culture & le prix des matieres produites par le sol. Ainsi dans l'égalité des sommes tirées de la vente de ces différentes marchandises, le commerce du crû est toûjours par proportion beaucoup plus avantageux.

III. Les travaux d'industrie qui occupent les hommes au préjudice de la culture des biens - fonds, nuisent à la population & à l'accroissement des richesses. Si une nation qui vend à l'etranger pour un million de marchandises de main - d'oeuvre, & pour un million de marchandises de son crû, n'a pas assez d'nommes occupés à faire valoir les biens - fonds, elle perd beaucoup sur l'emploi des hommes attachés à la fabrication des marchandises de main - d'oeuvre qu'elle vend à l'étranger; parce que les hommes ne peuvent alors se livrer à ce travail, qu'au préjudice du revenu du sol, & que le produit du travail des hommes qui cultivent la terre, peut être le double & le triple de celui de la fabrication des marchandises de main - d'oeuvre.

IV. Les richesses des cultivateurs font naître les richesses de la culture. Le produit du travail de la culture peut être nul ou presque nul pour l'état, quand [p. 827] le cultivateur ne peut pas faire les frais d'une bonne culture. Un homme pauvre qui ne tire de la terre par son travail que des denrées de peu de valeur, comme des pommes de terre, du ble noir, des châtaignes, &c. qui s'en nourrit, qui n'achete rien & ne vend rien, ne travaille que pour lui seul: il vit dans la misere; lui, & la terre qu'il cultive, ne rapportent rien à l'état.

Tel est l'effet de l'indigence dans les provinces où il n'y a pas de laboureurs en état d'employer les paysans, & où ces paysans trop pauvres ne peuvent se procurer par eux - mêmes que de mauvais alimens & de mauvais vêtemens.

Ainsi l'emploi des hommes à la culture peut être infructueux dans un royaume ou ils n'ont pas les richesses necessaires pour préparer la terre à porter de riches moissons. Mais les revenus des biensfonds sont toûjours assûrés dans un royaume bien peuplé de riches laboureurs.

V. Les travaux de l'industrie contribuent a l'augmentation des revenus des biens - fonds, & les revenus des biens - fonds soutiennent les travaux d'industrie. Une nation qui, par la fertilité de son sol, & par la difficulté des transports, auroit annuellement une surabondance de denrées qu'elle ne pourroit vendre à ses voisins, & qui pourroit leur vendre des marchandises de main - d'oeuvre faciles à transporter, auroit intérêt d'attirer chez elle beaucoup de fabriquans & d'artisans qui consommeroient les denrees du pays, qui vendroient leurs ouvrages à l'etranger, & qui augmenteroient les richesses de la nation par leurs gains & par leur consommation.

Mais alors cet arrangement n'est pas facile; parce que les fabriquans & artisans ne se rassemblent dans un pays qu'à proportion des revenus actuels de la nation; c'est - à - dire à proportion qu'il y a des propriétaires ou des marchands qui peuvent acheter leurs ouvrages à - peu - près aussi cher qu'ils les vendroient ailleurs, & qui leur en procureroient le débit à mesure qu'ils les fabriqueroient; ce qui n'est guere possible chez une nation qui n'a pas elle - même le débit de ses denrées, & où la non - valeur de ces mêmes denrées ne produit pas actuellement assez de revenu pour établir des manufactures & des travaux de main - d'oeuvre.

Un tel projet ne peut s'exécuter que fort lentement. Plusieurs nations qui l'ont tenté ont même éprouvé l'impossibilité d'y réussir.

C'est le seul cas cependant ou le gouvernement pourroit s'occuper utilement des progres de l'industrie dans un royaume fertile.

Car lorsque le commerce du crû est facile & libre, les travaux de main - d'oeuvre sont toûjours assûrés infailliblement par les revenus des biens - fonds.

VI. Une nation qui a un grand commerce de denrées de son crû, peut toûjours entretenir, du - moins pour elle, un grand commerce de marchandises de main - d'oeuvre. Car elle peut toûjours payer à proportion des revenus de ses biens - fonds les ouvriers qui fabriquent les ouvrages de main d'oeuvre, dont elle a besoin.

Ainsi le commerce d'ouvrages d'industrie appartient aussi sûrement à cette nation, que le commerce des denrées de son crû.

VII. Une nation qui a peu de commerce de denrées de son crû, & qui est reduite pour subsister à un commerce d'industrie, est dans un état prècaire & incertain. Car son commerce peut lui être enlevé par d'autres nations rivales qui se livreroient avec plus de succès à ce même commerce.

D'ailleurs cette nation est toûjours tributaire & dépendante de celles qui lui vendent les matieres de premier besoin. Elle est réduite à une économie rigoureuse, parce qu'elle n'a point de revenu à dé<cb-> penser; & qu'elle ne peut étendre & soûtenir son trafic, son industrie & sa navigation, que par l'épargne; au lieu que celles qui ont des biens - fonds, augmentent leurs revenus par leur consommation.

VIII. Un grand commerce intérieur de marchandises de main - d'oeuvre ne peut subsister que par les revenus des biens - fonds. Il faut examiner dans un royaume la proportion du commerce extérieur & du commerce intérieur d'ouvrages d'industrie; car si le commerce intérieur de marchandises de main - d'oeuvre étoit, par exemple, de trois millions, & le commerce exterieur d'un million, les trois quarts de tout ce commerce de marchandises de main - d'oeuvre seroient payées par les revenus des biens - fonds de la nation, puisque l'etranger n'en payeroit qu'un quart.

Dans ce cas, les revenus des biens - fonds seroient la principale richesse du royaume. Alors le principal objet du gouvernement seroit de veiller à l'entretien & à l'accroissement des revenus des biensfonds.

Les movens consistent dans la liberté du commerce & dans la conservation des richesses des cultivateurs. Sans ces conditions, les revenus, la population, & les produits de l'industrie s'anéantissent.

L'agriculture produit deux sortes de richesses: savoir le produit annuel des revenus des propriétaires, & la restitution des frais de la culture.

Les revenus doivent être dépensés pour être distribues annuellement à tous les citoyens, & pour subvenir aux subsdes de l'etat.

Les richesses employées aux frais de la culture, doivent être reservées aux cultivateurs, & être exemptes de toutes impositions; car si on les enleve, on detruit l'agriculture, on supprime les gains des habitans de la campagne, & on arrête la source des revenus de l'état.

IX. Une nation qui a un grand territoire, & qui fait baisser le prix des denrées de son crû pour favoriser la fabrication des ouvrages de main - d'oeuvre, se detruit de toutes parts. Car si le cultivateur n'est pas dedommagé des grands frais que la culture exige, & s'il ne gagne pas, l'agriculture périt; la nation perd les revenus de ses biens - fonds; les travaux des ouvrages de main - d'oeuvre diminuent, parce que ces travaux ne peuvent plus être payés par les propriétaires des biers - fonds; le pays se dépeuple par la misere & par la desertion des fabriquans, artisans, manouvriers & pavsans, qui ne peuvent subsister qu'à proportion des gains que leur procurent les revenus de la nation.

Alors les forces du royaume se détruisent; les richesses s'aneantissent, les impositions surchargent les peuples, & les revenus du souverain diminuent.

Ainsi une conduite aussi mal entendue suffiroit seule pour ruiner un etat.

X. Les avantages du commerce exterieur ne consistent pas dans l'accroissement des richesses pecuniaires. Le surcroît de richesses que procure le commerce extérieur d'une nation, peut n'etre pas un surcroît de richesses pécuniaires, parce que le commerce extérieur peut se faire avec l'etranger par échange d'autres marchandises qui se consomment par cette nation. Mais ce n'est pas moins pour cette même nation une richesse dont elle joüit, & qu'elle pourroit par économie convertir en richesses pécuniaires pour d'autres usages.

D'ailleurs les denrées envisagées comme marchandises, sont tout ensemble richesses pécuniaires & richesses réelles. Un laboureur qui vend son blé à un marchand, est payé en argent; il paye avec cet argent le propriétaire, la taille, ses domestiques, ses ouvriers, & achete les marchandises dont il a

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