ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"824"> payent des régisseurs; elle se trouveroit trop surchargée par la taille, si elle étoit imposée dans la même proportion que dans la grande culture.

Mais la proportion seroit juste à l'égard de l'une & de l'autre, si la taille étoit à l'égal du tiers ou de la moitié des revenus des propriétaires dans la grande & dans la petite culture, où les terres sont affermées, & où les propriétaires ont un revenu décidé par le fermage: elle seroit juste aussi, si elle étoit environ égale au quart du revenu casuel du propriétaire qui fait valoir par le moyen de métayers, ce quart seroit à - peu - pres le sixieme de la part du métayer.

Ainsi en connoissant à - peu - près le produit ordinaire d'une métairie, la taille proportionnelle & fixe seroit convenablement & facilement réglée pendant le bail du métayer, au sixieme ou au cinquieme de la moitié de ce produit qui revient au métayer.

Il y a des cas où les terres sont si bonnes, que le métayer n'a pour sa part que le tiers du produit de la métairie: dans ces cas mêmes le tiers lui est aussi avantageux que la moitié du produit d'une métairie dont les terres seroient moins bonnes: ainsi la taille établie sur le même pié dans ce cas - là, ne seroit pas d'un moindre produit que dans les autres, mais elle seroit foible proportionnellement au revenu du propriétaire qui auroit pour sa part les deux tiers de la récolte; elle pourroit alors être mise à l'égal du tiers du revenu: ainsi en taxant les métayers dans les cas où la récolte se partage par moitié, au sixieme ou au cinquieme de leur part du produit des grains de la métairie, on auroit une regle générale & bien simple pour établir une taille proportionnelle, qui augmenteroit au profit du roi à mesure que l'agriculture feroit du progrès par la liberté du commerce des grains, & par la sûreté d'une imposition déterminée.

Cette imposition reglée sur les baux dans la grande culture, se trouveroit être à - peu - près le double de celle de la petite culture; parce que les produits de l'une sont bien plus considérables que les produits de l'autre.

Je ne sais pas si, relativement à l'état actuel de la taille, les taxes que je suppose rempliroient l'objet; mais il seroit facile de s'y conformer, en suivant les proportions convenables. Voyez Impôt.

Si ces regles étoient constamment & exactement observées, si le commerce des grains étoit libre, si la milice épargnoit les enfans des fermiers, si les corvées étoient abolies (c), grand nombre de propriétaires taillables refugiés dans les villes sans occupation, retourneroient dans les campagnes faire valoir paisiblement leurs biens, & participer aux profits de l'agriculture. C'est par ces habitans aisés qui quitteroient les villes avec sûreté, que la campagne se re<->

(c) Les sermiers un peu aisés font prendre à leurs enfans des professions dans les villes, pour les garantir de la milice; & ce qu'il y a de plus desavantageux à l'agriculture, c'est que non - seulement la campagne perd les hommes destinés à être fermiers, mais aussi les richesses que leurs peres employoient à la culture de la terre. Pour arrêter ces effets destructifs, M. de la Galaisiere, intendant de Lorraine, a exempté de la milice par une ordonnance, les charretiers & fils des fermiers, à raison des charrues que leur emploi exige. Les corvées dont on charge les paysans, sont très - desavantageuses à l'état & au roi, parce qu'en réduisant les paysans à la misere, on les met dans l'impuissance de soûtenir leurs petits établissemens; d'où résulte un grand dommage sur les produits, sur la consommation & sur les revenus: ainsi loin que ce soit une épargne pour l'état de ménager de cette maniere les frais des travaux publics, il les paye très - cher, tandis qu'ils lui coûteroient fort peu, s'il les faisoit faire à ses frais; c'est - à - dire par de petites taxes générales dans chaque province, pour le payement des ouvriers. Toutes les provinces reconnoissent tellement les avantages des travaux qui facilitent le Commerce, qu'elles se prêtent volontiers à ces sortes de contributions, pourvû qu'elles soient employées surement & fidelement à leurs destinations.
peupleroit de cultivateurs en état de rétablir la culture des terres. Ils payeroient la taille comme les fermiers, sur les profits de la culture, proportionnellement aux revenus qu'ils retireroient de leurs terres, comme si elles étoient affermées; & comme propriétaires taillables, ils payeroient de plus pour la taille de leur bien même, le dixieme du revenu qu'ils retireroient du fermage de leurs terres, s'ils ne les cultivoient pas eux - mêmes. L'intérêt fait chercher les établissemens honnêtes & lucratifs. Il n'y en a point où le gain soit plus certain & plus irréprochable que dans l'agriculture, si elle étoit protégée: ainsi elle seroit bien - tôt rétablie par des hommes en état d'y porter les richesses qu'elle exige. Il seroit même tres convenable pour favoriser la noblesse & l'agriculture, de permettre aux gentilshommes qui font valoir leurs biens, d'augmenter leur emploi en affermant des terres, & en payant l'imposition à raison du prix du fermage; ils trouveroient un plus grand profit, & contribueroient beaucoup aux progrès de l'agriculture. Cette occupation est plus analogue à leur condition, que l'état de marchands débitans dans les villes, qu'on voudroit qui leur fût accordé. Ce surcroît de marchands dans les villes seroit même fort préjudiciable à l'agriculture, qui est beaucoup plus intéressante pour l'état que le trafic en détail, qui occupera toûjours un assez grand nombre d'hommes.

L'etat du riche laboureur seroit considéré & protégé; la grande agriculture seroit en vigueur dans tout le royaume; la culture qui se fait avec les boeufs disparoîtroit presqu'entierement, parce que le profit procureroit par - tout aux propriétaires de riches fermiers en état de faire les frais d'une bonne culture; si la petite culture se conservoit encore dans quelques pays où elle paroîtroit préférable à la grande culture, elle pourroit elle - même prendre une meilleure forme par l'attrait d'un gain qui dédommageroit amplement les propriétaires des avances qu'ils feroient: le métayer alors pourroit payer sur sa part de la récolte la même taille que le fermier; car si un métayer avoit pour sa part 18 ou 20 boisseaux de blé par arpent de plus qu'il n'en recueille par la petite culture ordinaire, il trouveroit en payant quatre ou cinq fois plus de taille, beaucoup plus de profit qu'il n'en retire aujourd'hui. L'état de la récolte du métayer pourroit donc fournir aussi une regle sûre pour l'imposition d'une taille proportionnelle.

Voilà donc au - moins des regles simples, faciles & sûres pour garantir les laboureurs de la taxe arbitraire, pour ne pas abolir les revenus de l'état par une imposition destructive, pour ranimer la culture des terres & rétablir les forces du royaume.

L'imposition proportionnelle des autres habitans de la campagne, peut être fondée aussi sur des profits ou sur des gains connus; mais l'objet étant beaucoup moins important, il suffit d'y apporter plus de ménagement que d'exactitude; car l'erreur seroit de peu de conséquence pour les revenus du roi, & un effet beaucoup plus avantageux qui en résulteroit, seroit de favoriser la population.

La taille dans les villes ne peut se rapporter aux mêmes regles: c'est à ces villes elles - mêmes à en proposer qui leur conviennent. Je ne parlerai pas de la petite maxime de politique que l'on attribue au gouvernement, qui, dit - on, regarde l'imposition arbitraire comme un moyen assûré pour tenir les sujets dans la soûmission: cette conduite absurde ne peut pas être imputée à de grands ministres, qui en connoissent tous les inconvéniens & tout le ridicule. Les sujets taillables sont des hommes d'une très médiocre fortune, qui ont plus besoin d'être encouragés que d'être humiliés; ils sont assujettis souverainement à la puissance royale & aux lois; s'ils ont quelque bien, ils n'en sont que plus dépendans, que [p. 825] plus susceptibles de crainte & de punition. L'arrogance rustique qu'on leur reproche est une forme de leur état, qui est fort indifférente au gouvernement; elle se borne à résister à ceux qui sont à - peu - près de leur espece, qui sont encore plus arrogans, & qui veulent dominer. Cette petite imperfection ne dérange point l'ordre; au contraire elle repousse le mépris que le petit bourgeois affecte pour l'état le plus recommandable & le plus essentiel. Quel avantage donc prétendroit - on retirer de l'imposition arbitraire de la taille, pour réprimer des hommes que le ministere a intérêt de protéger? seroit - ce pour les exposer à l'injustice de quelques particuliers qui ne pourroient que leur nuire au préjudice du bien de l'état?

Observations sur l'exportation des grains. L'exportation des grains, qui est une autre condition essentielle au rétablissement de l'agriculture, ne contribueroit pas à augmenter le prix des grains. On peut en juger par le prix modique qu'en retirent nos voisins qui en vendent aux étrangers; mais elle empêcheroit les non - valeurs du blé. Ce seul effet, comme nous l'avons remarqué p. 819. éviteroit à l'agriculture plus de 150 millions de perte. Ce n'est pas l'objet de la vente en lui - même qui nous enrichiroit; car il seroit fort borné, faute d'acheteurs. Voyez Fermier, p. 533. VI. vol. En effet, notre exportation pourroit à peine s'étendre à deux millions de septiers.

Je ne répondrai pas à ceux qui craignent que l'exportation n'occasionne des disettes *; puisque son effet est au contraire d'assurer l'abondance, & que l'on a démontré que les moissons des mauvaises années surpasseroient celles que nous recueillons actuellement dans les années ordinaires: ainsi je ne parlerai pas non plus des projets chimériques de ceux qui proposent des établissemens de greniers publics pour prévenir les famines, ni des inconvéniens, ni des abus inséparables de pareilles précautions. Qu'on refléchisse seulement un peu sur ce que dit à cet égard un auteur anglois (d).

« Laissons aux autres nations l'inquiétude sur les moyens d'éviter la famine; voyons - les éprouver la faim au milieu des projets qu'elles forment pour s'en garantir: nous avons trouvé par un moyen bien simple, le secret de joüir tranquillement & avec abondance du premier bien nécessaire à la vie; plus heureux que nos peres, nous n'éprouvons point ces excessives & subites différences dans le prix des blés, toûjours causées plûtôt par crainte que par la réalité de la disette . . . . En place de vastes & nombreux greniers de ressource & de prévoyance, nous avons de vastes plaines ensemencées.

Tant que l'Angleterre n'a songé à cultiver que pour sa propre subsistance, elle s'est trouvée souvent au - dessous de ses besoins, obligée d'acheter des blés étrangers: mais depuis qu'elle s'en est fait un objet de commerce, sa culture a tellement augmenté, qu'une bonne récolte peut la nourrir cinq ans; & elle est en état maintenant de porter les blés aux nations qui en manquent.

Si l'on parcourt quelques - unes des provinces de la France, on trouve que non - seulement plusieurs de ses terres restent en friche, qui pourroient produire des blés ou nourrir des bestiaux, mais que les terres cultivées ne rendent pas à beaucoup près à proportion de leur bonté; parce que le laboureur manque de moyen pour les mettre en valeur.

Ce n'est pas sans une joie sensible que j'ai remarqué dans le gouvernement de France un vice dont les conséquences sont si étendues, & j'en ai félicité ma patrie; mais je n'ai pû m'empêcher de sentir en même tems combien formidable seroit

* Voyez le traité de la police des grains, par M. Herbert. (d) Avant. & desavant. de la Grande - Bretagne.
devenue cette puissance, si elle eût profité des avantages que ses possessions & ses hommes lui offroient ». O sua si bona norint! (e)

Il n'y a donc que les nations où la culture est bornée à leur propre subsistance, qui doivent redouter les famines. Il semble au contraire que dans le cas d'un commerce libre des grains, on pourroit craindre un effet tout opposé. L'abondance des productions que procureroit en France l'agriculture portée à un haut degré, ne pourroit - elle pas les faire tomber en non - valeur? On peut s'épargner cette inquiétude; la position de ce royaume, ses ports, ses rivieres qui le traversent de toutes parts, reunissent tous les avantages pour le commerce; tout favorise le transport & le debit de ses denrées. Les succès de l'agriculture y rétabliroient la population & l'aisance; la consommation de toute espece de productions premieres ou fabriquées, qui augmenteroit avec le nombre de ses habitans, ne laisseroit que le petit superflu qu'on pourroit vendre à l'étranger. Il est vrai qu'on pourroit redouter la fertilité des colonies de l'Amérique & l'accroissement de l'agriculture dans ce nouveau monde, mais la qualité des grains en France est si supérieure à celle des grains qui naissent dans ces pays - là, & même dans les autres, que nous ne devons pas craindre l'égalité de concurrence; ils donnent moins de farine, & elle est moins bonne; celle des colonies qui passe les mers, se déprave facilement, & ne peut se conserver que fort peu de tems; celle qu'on exporte de

(e) Si, malgré des raisons si décisives, on avoit encore de l'inquiétude sur les disettes dans le cas d'exportation, il est facile de se rassûrer; car on peut, en permettant l'exportation, permettre aussi l'importation des blés étrangers sans exiger de droits: par - là le prix du blé ne pourra pas être plus haut chez nous que chez les autres nations qui en expoitent. Or on sait par une longue expérience qu'elles sont dans l'abondance, & qu'elles éprouvent rarement de cherté; ainsi la concurrence de leurs blés dans netre pays, empêcheroir nos marchands de fermer leurs greniers dans l'espérance d'une cherté, & l'inquiétude du peuple ne feroit point augmenter le prix du blé par la crainte de la famine; ce qui est presque toûjours l'unique cause des chertés excessives. Mais quand on le voudia, de telles causes disparoitront à la vûe des bateaux de blés étrangers qui arriveroient à Paris. Les chertés n'arrivent toûjours que par le défaut de liberté dans le commerce du blé. Les grandes disettes réelles sont très - rares en France, & elles le sont encore plus dans les pays où la liberté du commerce du blé soûtient l'Agriculture. En 1709, la gelée fit par - tout manquer la récolte: le septier de blé valoit en France 100 livres de notre monnoie actuelle, & on ne le vendoit en Angleterre que 43 liv. ou environ le double du prix ordinaire dans ces tems - là; ainsi ce n'étoit pas pour la nation une grande cherté. Dans la dilette de 1693 & 1694, le blé coûtoit moitié moins en Angleterre qu'en France, quoique l'exportation ne fut établie en Angleterre que depuis trois ou quatre ans: avant cette exportation, les Anglois essuyoient souvent de grandes chertés, dont nous profitions par la liberté du commerce de nos grains sous les regnes d'Henri IV. de Louis XIII. & dans les premiers tems du regne de Louis XIV. L'abondance & le bon prix entretenoient les richesses de la nation: car le prix commun du blé en France étoit souvent 25 liv. & plus de notre monnoie, ce qui formoit annuellement une richesse dans le royaume de plus de trois milliarts, qui réduits à la monnoie de ces tems - là, étoient environ 1200 millions. Cette richesse est diminuée aujourd'hui de cinq sixiemes. L'exportation ne doit pas cependant être illimitée; il faut qu'elle soit, comme en Angleterre, interdite, lorsque le blé passe un prix marqué par la loi. L'Angleterre vient d'essuyer une cherté, parce que le marchand est contrevenu à cette regle par des abus & des monopoles que le gouvemement a tolérés, & qui ont toûjouis de funestes effets dans un état qui a recours a des ressources si odieuses; ainsi la nation a éprouvé une cherté dont l'exportation même l'avoit préservée depuis plus de soixante ans. En France, les famines sont fréquentes, parce que l'exportation du blé y étoit souvent défendue; & que l'abondance est autant desavantageuse aux fermiers, que les disettes sont funestes aux peuples. Le prétexte de remédier aux famines dans un royaume, en interceptant le commerce des grains entre les provinces, donne encore lieu à des abus qui augmentent la misere, qui détruisent l'Agriculture, & qui anéantissent les revenus du royaume.

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