ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"769"> d'image, qu'il n'en veut que de neuves & de frappantes; encore leur présere - t - il les beautés de sentiment, & sur - tout celles qui ont l'avantage d'exprimer d'une maniere noble & touchante des verités utiles aux hommes.

Il ne suffit pas à un philosophe d'avoir tous les sens qui composent le goût, il est encore nécessaire que l'exercice de ces sens n'ait pas été trop concentré dans un seul objet. Malebranche ne pouvoit lire sans ennui les meilleurs vers, quoiqu'on remarque dans son style les grandes qualités du poëte, l'imagination, le sentiment, & l'harmonie; mais trop exclusivement appliqué à ce qui est l'objet de la raison, ou plûtôt du raisonnement, son imagination se bornoit à enfanter des hypothèses philosophiques, & le degré de sentiment dont il étoit pourvu, à les embrasser avec ardeur comme des vérités. Quelque harmonieuse que soit sa prose, l'harmonie poétique étoit sans charmes pour lui, soit qu'en effet la sensibilité de son oreille fût bornée à l'harmonie de la prose, soit qu'un talent naturel lui fît produire de la prose harmonieuse sans qu'il s'en apperçût, comme son imagination le servoit sans qu'il s'en doutât, ou comme un instrument rend des accords sans le savoir.

Ce n'est pas seulement à quelque défaut de sensibilité dans l'ame ou dans l'organe, qu'on doit attribuer les faux jugemens en matiere de goût. Le plaisir que nous fait éprouver un ouvrage de l'art, vient ou peut venir de plusieurs sources différentes; l'analyse philosophique consiste donc à savoir les distinguer & les séparer toutes, afin de rapporter à chacune ce qui lui appartient, & de ne pas attribuer notre plaisir à une cause qui ne l'ait point produit. C'est sans doute sur les ouvrages qui ont réussi en chaque genre, que les regles doivent être faites; mais ce n'est point d'après le résultat général du plaisir que ces ouvrages nous ont donné: c'est d'après une discussion réfléchie qui nous fasse discerner les endrcits dont nous avons été vraiment affectés, d'avec ceux qui n'étoient destinés qu'à servir d'ombreou de repos, d'avec ceux même où l'auteur s'est négligé sans le vouloir. Faute de suivre cette méthode, l'imagination échauffée par quelques beautés du premier ordre dans un ouvrage monstrueux d'ailieurs, fermera bien tôt les yeux sur les endroits foibles, transformera les défauts mêmes en beautés, & nous conduira par degrés à cet enthousiasme froid & stupide qui ne sent rien à force d'admirer tout, espece de paralysie de l'esprit, qui nous rend indignes & incapables de goûter les beautés réeiles. Ainsi sur une impression confuse & machinale, ou bien on établira de faux principes de goût, ou, ce qui n'est pas moins dangereux, on érigera en printipe ce qui est en soi purement arbitraire; on retrécira les bornes de l'art, & on prescrira des limites à nos plaisirs, parce qu'on n'en voudra que d'une seule espece & dans un seul genre, on tracera autour du talent un cercle étroit dont on ne lui permettra pas de sortir.

C'est à la Philosophie à nous délivrer de ces liens; mais elle ne sauroit mettre trop de choix dans les armes dont elle se sert pour les briser. Feu M. de la Motte a avance que les vers n'étoient pas essentiels aux pieces de theatre: pour prouver cette opinion, très - soûtenable en elle - même, il a écrit contre la Poésie, & par là il n'a fait que nuire à sa cause; il ne lui restoit plus qu'à écrire contre la Musique, pour prouver que le chant n'est pas essentiei à la tragédie. Sans combattre le préjuge par des paradoxes, il avoit, ce me semble, un moyen plus court de l'attaquer; c'étoit d'écrire Inès de Castro en prose; l'extreme intérêt du sujet permettoit de risquer l'innovation, & peut - être aurions - nous un genre de plus. Mais l'envie de se distinguer fronde les opimons dans la theorie, & l'amour - propre qui craint d'échouer les ména<cb-> ge dans la pratique. Les Philosophes sont le contraire des législateurs; ceux - ci se dispensent des lois qu'ils imposent, ceux - là se soûmettent dans leurs ouvrages aux lois qu'ils condamnent dans leurs préfaces.

Les deux causes d'erreur dont nous avons parlé jusqu'ici, le défaut de sensibilité d'une part, & de l'autre trop peu d'attention à démêler les principes de notre plaisir, seront la source éternelle de la dispute tant de fois renouvellée sur le mérite des anciens: leurs partisans trop enthousiastes font trop de graces à l'ensemble en faveur des détails; leurs adversaires trop raisonneurs ne rendent pas assez de justice aux détails, par les vices qu'ils remarquent dans l'ensemble.

Il est une autre espece d'erreur dont le philosophe doit avoir plus d'attention à se garantir, parce qu'il lui est plus aisé d'y tomber; elle consiste à transporter aux objets du goût des principes vrais en eux - mêmes, mais qui n'ont point d'application à ces objets. On connoît le célebre qu'il mourût du vieil Horace, & on a blâmé avec raison le vers suivant: cependant une métaphysique commune ne manqueroit pas de sophismes pour le justifier. Ce second vers, dira - t - on, est nécessaire pour exprimer tout ce que sent le vieil Horace; sans doute il doit préférer la mort de son fils au deshonnear de son nom; mais il doit encore plus souhaiter que la valeur de ce fils le fasse échapper au péril, & qu'animé par un beau desespoir, il se défende seul contre trois. On pourroit d'abord répondre que le second vers exprimant un sentiment plus naturel, devroit au moins précéder le premier, & par conséquent qu'il l'affoiblit. Mais qui ne voit d'ailleurs que ce second vers seroit encore foible & froid, même après avoir été remis à sa véritable place? n'est - il pas évidemment inutile au vieil Horace d'exprimer le sentiment que ce vers renferme? chacun supposera sans peine qu'il aime mieux voir son fils vainqueur que victime du combat: le seul sentiment qu'il doive mentrer & qui convienne à l'état violent où il est, est ce courage héroique qui lui fait préférer la mort de son fils à la honte. La logique froide & lente des esprits tranquilles, n'est pas celle des ames vivement agitées: comme elles dédaignent de s'arrêter sur des sentimens vulgaires, elles sous - entendent plus qu'elles n'expriment, elles s'élancent tout d'un - coup aux sentimens extrèmes; semblables a ce dieu d'Homere, qui fait trois pas & qui arrive au quatrieme.

Ainsi dans les matieres de goût, une demi philosophie nous écarte du vrai, & une philosophie mieux entendue nous y ramene. C'est donc faire une double injure aux Belles - Lettres & à la Philosophie, que de croire qu'elles puissent réciproquement se nuire ou s'exclure. Tout ce qui appartient non - seulement à notre maniere de concevoir, mais encore à notre maniere de sentir, est le vrai domaine de la Philosophie: il seroit aussi déraisonnable de la releguer dans les cieux & de la restraindre au système du monde, que de vouloir borner la Poésie à ne parler que des dieux & de l'amour. Et comment le veritable esprit philosophique seroit - il oppose au bon goût? il en est au contraire le plus ferme appui, puisque cet esprit consiste à remonter en tout aux vrais principes, à reconnoître que chaque art a sa nature propre, chaque situation de l'ame son caractere, chaque chose son coloris, en un mot à ne point confondre les limites de chaque genre. Abuser de l'esprit philosophique, c'est en manquer.

Ajoûtons qu'il n'est point à craindre que la discussion & l'analyse emoussent le sentiment ou refroidissent le génie dans ceux qui possederont d'ailleurs ces precieux dons de la nature. Le philosophe sait que dans le moment de la production, le génie ne veut aucune contrainte; qu'il aime à courir sans frein & [p. 770] sans regle, à produire le monstrueux à côté du sublime, à rouler impétueusement l'or & le limon tout ensemble. La raison donne donc au génie qui crée une liberté entiere; elle lui permet de s'épuiser jusqu'à ce qu'il ait besoin de repos, comme ces coursiers sougueux dont on ne vient à bout qu'en les fatiguant. Alors elle revient séverement sur les productions du génie; elle conserve ce qui est l'effet du vétable enthousiasme, elle proscrit ce qui est l'ouvrage de la fougue, & c'est ainsi qu'elle fait éclorre les chefs - d'oeuvre. Quel écrivain, s'il n'est pas entierement dépourvû de talent & de goût, n'a pas remarqué que dans la chaleur de la composition une partie de son esprit reste en quelque maniere à l'écart pour observer celle qui compose & pour lui laisser un libre cours, & qu'elle marque d'avance ce qui doit être effacé?

Le vrai philosophe se conduit à - peu - près de la même maniere pour juger que pour composer; il s'abandonne d'abord au plaisir vif & rapide de l'impression; mais persuadé que les vraies beautés gagnent toûjours à l'examen, il revient bien - tôt sur ses pas, il remonte aux causes de son plaisir, il les démêle, il distingue ce qui lui a fait illusion d'avec ce qui l'a profondément frappé, & se met en état par cette analyse de porter un jugement sain de tout l'ouvrage.

On peut, ce me semble, d'après ces réflexions, répondre en deux mots à la question souvent agitée, si le sentiment est préférable à la discussion pour juger un ouvrage de goût. L'impression est le juge naturel du premier moment, la discussion l'est du second. Dans les personnes qui joignent à la finesse & à la promptitude du tact, la netteté & la justesse de l'esprit, le second juge ne fera pour l'ordinaire que confirmer les arrêts rendus par le premier. Mais, dira - t - on, comme ils ne seront pas toûjours d'accord, ne vaudroit - il pas mieux s'en tenir dans tous les cas à la premiere décision que le sentiment prononce? quelle triste occupation de chicaner ainsi avec son propre plaisir! & quelle obligation aurons-nous à la Philosophie, quand son effet sera de le diminuer? Nous répondrons avec regret, que tel est le malheur de la condition humaine: nous n'acquétons guere de connoissances nouvelles que pour nous desabuser de quelque illusion, & nos lumieres sont presque toûjours aux dépens de nos plaisirs. La simplicité de nos ayeux étoit peut - être plus fortement remuée par les pieces monstrueuses de notre ancien theatre, que nous ne le sommes aujourd'hui par la plus belle de nos pieces dramatiques. Les nations moins éclairées que la nôtre ne sont pas moins heureuses, parce qu'avec moins de desirs elles ont aussi moins de besoins, & que des plaisirs grossiers ou moins raffinés leur suffisent: cependant nous ne voulrions pas changer nos lumieres pour l'ignorance de ces nations & pour celle de nos ancêtres. Si ces lunieres peuvent diminuer nos plaisirs, elles flattent en même tems notre vanité; on s'applaudit d'être deenu difficile, on croit avoir acquis par - là un degré de mérite. L'amour - propre est le sentiment auquel nous tenons le plus, & que nous sommes le plus empressés de satisfaire; le plaisir qu'il nous fait prouver n'est pas comme beaucoup d'autres, l'esset l'une impression subite & violente, mais il est plus ontinu, plus uniforme, & plus durable, & se laisse goûter à plus longs traits.

Ce petit nombre de réflexions paroît devoir sufre pour justifier l'esprit philosophique des reprohes que l'ignorance ou l'envie ont coûtume de faic. Observons en finissant, que quand ces reproches eroient fondés, ils ne seroient peut - être convenales & ne devroient avoir de poids que dans la bouche des véritables phlosophes; ce seroit à eux seuls u'il appartiendroit de fixer l'usage & les bornes de l'esprit philosophique, comme il n'appartient qu'aux écrivains qui ont mis beaucoup d'esprit dans leurs ouvrages, de parler contre l'abus qu'on peut en faire. Mais le contraire est malheureusement arrive; ceux qui possedent & qui connoissent le moins l'esprit philosophique en sont parmi nous les plus ardens détracteurs, comme la Poésie est décriée par ceux qui n'en ont pas le talent, les hautes sciences par ceux qui en ignorent les premiers principes, & notre siecle par les écrivains qui lui font le moins d honneur. (O)

Gout (Page 7:770)

Gout, en Architecture, terme usité par métaphore pour signifier la bonne ou mauvaise maniere d'inventer, de dessiner, & de travailler. On dit que les bâtimens gothiques sont de mauvais goût, quoique hardiment construits; & qu'au contraire ceux d'architecture antique sont de bon goût, quoique plus massifs.

Cette partie est aussi nécessaire à un architecte, que le génie; avec cette différence que ce dermer talent demande des dispositions naturelles, & ne s'acquiert point; au lieu que le goût se forme, s'accroît & se perfectionne par l'étude. (P)

Goût du Chant (Page 7:770)

Goût du Chant, en Musique; c'est ainsi qu'on appelle en France, l'art de chanter ou de joüer les notes avec les agrémens qui leur conviennent. Quoique le chant françois soit fort dénué d'ornemens, il y a cependant à Paris plusieurs maîtres uniquement pour cette partie, & un assez grand nombre de termes qui lui sont propres. Comme rien n'est si difficile à rendre que le sens de ces divers mots, que d'ailleurs rien n'est si passager, rien si sujet à la mode que le goût du chant, je n'ai pas crû devoir embrasser cette partie dans cet ouvrage. (S)

Goût (Page 7:770)

Goût, se dit en Peinture, du caractere particulier qui regne dans un tableau par rapport au choix des objets qui sont représentés & à la façon dont ils y sont rendus.

On dit qu'un tableau est de bon goût, lorsque les objets qui y sont représentés sont bien choisis & bien imités, conformément à l'idée que les connoisseurs ont de leur perfection. On dit, bon goût, grand goût, goût trivial, mauvais goût. Le bon goût se forme par l'étude de la belle nature: grand goût semble dire plus que bon goût, & diroit plus en cffet, si par grand goût on entendoit le choix du mieux dans le bon: mais grand goût, en Peinture, est un goût idéal qui suppose un grand, un extraordinaire, un merveilleux, un sablime même tenant de l'inspiration, bien supérieuraux effets de la belle nature; ce qui n'est réellement qu'une façon de faire les choses relativement à de certaines conditions, que la plûpart des peintres n'ont imaginées que pour créer un beau à la portée de leur talent. Cependant ces mêmes peintres ne disent jamais, voilà un ouvrage de grand goût, en parlant d'un tableau où, de leur aveu, la belle nature est le plus parfaitement imitée: il faut néanmoins avoir de grands talens pour faire ce qu'on appelle des tableaux de grand goût.

Goût trivtal est une imitation du bon goût & du grand goût, mais qui défigure le premier & ne saisit que le tidicule de l'autre, & qui l'outre.

Mauvais goût est l'opposé de bon goût.

Il y a goût de nation, & goût particulier: goût de nation, est celui qui regne dans une nation, qui fait qu'on reconnoît qu'un tableau est de telle école; il y a autant de goûts de nation que d'écoles. Voy. École. Goût particulier est celui que chaque pemtre se fait, par lequel on reconnoit que tel tableau est de tel peintre, quoiqu'il y regne toûjours le goût de sa nation. On dit encore goût de dessein, goût de compesition, goût de coloris ou de couleur, &c. (R)

GOÛTER (Page 7:770)

* GOÛTER, v. act. c'est faire esiai de son goût sur quelque objet particulier. Le verbe goûter se

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