ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"761"> ou desagréables au goût, suffisent pour affecter ces personnes délicates, dont le genre nerveux s'émeut sacilement.

Voilà les principales questions qu'on fait sur le goût; on peut resoudre assez bien toutes les autres par les mêmes principes. Il seroit trop long d'entrer dans de plus grands détails; d'ailleurs le lecteur peut s'instruire à fond dans les ouvrages des Physiciens qui ont approfondi ce sujet; Bellini, Malpighi, Ruysch, Boerhaave, & M. le Cat. (D. J.)

Gout (Page 7:761)

Gout, (Gramm. Litterat. & Philos.) On a vû dans l'article précédent en quoi consiste le goût au physique. Ce sens, ce don de discerner nos alimens, a produit dans toutes les langues connues, la métaphore qui exprime par le mot goût, le sentunent des beautés & des déauts dans tous les arts: c'est un discernement prompt comme celui de la langue & du palais, & qui prévient comme lui la réflexion; il est comme lui sensible & voluptueux à l'egard du bon; il rejette comme lui le mauvais avec soulevement; il est souvent, comme lui, incertain & égaré, ignorant même si ce qu'on lui présente doit lui plaire, & ayant quelquefois besoin comme lui d'habitude pour se former.

Il ne suffit pas pour le goût, de voir, de connoître la beauté d'un ouvrage; il faut la sentir, en être touché. Il ne suffit pas de sentir, d'être touché d'une maniere confuse, il faut démêler les differentes nuances; rien ne doit échapper à la promptitude du discernement; & c'est encore une ressemblance de ce goût intellectuel, de ce goût des Arts, avec le goût sensuel: car si le gourmet sent & reconnoît promptement le mélange de deux liqueurs, l'homme de goût, le connoisseur, verra d'un coup - d'oeil prompt le mélange de deux styles; il verra un défaut à côté d'un agrement; il sera saisi d'enthousiasme à ce vers des Horaces: Que vouliez - vous qu'il fît contre trois? qu'il mourût. Il sentira un dégoût involontaire au vers suivant: Ou qu'un beau desespoir alors le secourût.

Comme le mauvais goût au physique consiste à n'être flatté que par des assaisonnemens trop piquans & trop recherchés, aussi le mauvais goût dans les Arts est de ne se plaire qu'aux ornemens étudiés, & de ne pas sentir la belle nature.

Le goût dépravé dans les alimens, est de choisir ceux qui degoûtent les autres hommes; c'est une espece de matadie. Le goût dépravé dans les Arts est de se plaire à des sujets qui revoltent les esprits bien faits; de préférer le burlesque au noble, le précieux & l'affecté au beau simple & naturel: c'est une maladie de l'esprit. On se forme le goût des Arts beaucoup plus que le goût sensuel; car dans le goût physique, quoiqu'on finisse quelquefois par aimer les choses pour lesquelles on avoit d'abord de la répugnance, cependant la nature n'a pas voulu que les hommes en général apprissent à sentir ce qui leur est nécessaire; mais le goût intellectuel demande plus de tems pour se former. Un jeune homme sensible, mais sans aucune connoissance, ne distingue point d'abord les parties d'un grand choeur de Musique; ses yeux ne distinguent point d'abord dans un tableau, les dégradations, le clair obscur, la perspective, l'accord des couleurs, la correction du dessein: mais peu - à - peu ses oreilles apprennent à entendre, & ses yeux à voir; il sera ému à la premiere représentation qu'il verra d'une belle tragédie; mais il n'y démêlera ni le mérite des unités, ni cet art délicat par lequel aucun personnage n'entre ni ne sort sans raison, ni cet art encore plus grand qui concentre des intérêts divers dans un seul, ni enfin les autres difficultés surmontées. Ce n'est qu'avec de l'habitude & des réflexions qu'il parvient à sentir tout - d'un - coup avec plaisir ce qu'il ne déméloit pas auparavant. Le goût se forme insensiblement dans une nation qui n'en avoit pas, parce qu'on y prend peu - à - peu l'esprit des bons artistes: on s'accoûtume à voir des tableaux avec les yeux de Lebrun, du Poussin, de Le Sueur; on entend la déclamation notée des scenes de Quinaut avec l'oreille de Lulli; & les airs, les symphonies, avec celle de Rameau. On lit les livres avec l'esprit des bons auteurs.

Si toute une nation s'est réunie dans les premiers tems de la culture des Beaux - Arts, à aimer des auteurs pleins de défauts, & méprisés avec le tems, c'est que ces auteurs avoient des beautés naturelles que tout le monde sentoit, & qu'on n'étoit pas encore à portée de déméler leurs imperfections: ainsi Lucilius fut chéri des Romains, avant qu'Horace l'eut fait oublier; Regnier fut gouté des François avant que Boileau parut: & si des auteurs anciens qui bronchent à chaque page, ont pourtant conservé leur grande réputation, c'est qu'il ne s'est point trouvé d'écrivain pur & châtié chez ces nations, qui leur ait dessillé les yeux, comme il s'est trouvé un Horace chez les Romains, un Boileau chez les François.

On dit qu'il ne faut point disputer des goûts, & on a raison quand il n'est question que du goût sensuel, de la répugnance que l'on a pour une certaine nourriture, de la préférence qu'on donne à une autre; on n'en dispute point, parce qu'on ne peut corriger un défaut d'organes. Il n'en est pas de même dans les Arts; comme ils ont des beautés réelles, il y a un bon goût qui les discerne, & un mauvais goût qui les ignore; & on corrige souvent le défaut d'esprit qui donne un goût de travers. Il y a aussi des ames froides, des esprits faux, qu'on ne peut ni échauffer ni redresser; c'est avec eux qu'il ne faut point disputer des goûts, parce qu'ils n'en ont aucun.

Le goût est arbitraire dans plusieurs choses, comme dans les étoffes, dans les parures, dans les équipages, dans ce qui n'est pas au rang des Beaux - Arts: alors il mérite plûtôt le nom de fantaisie. C'est la fantaisie, plûtôt que le goût, qui produit tant de modes nouvelles.

Le goût peut se gâter chez une nation; ce malheur arrive d'ordinaire après les siecles de perfection. Les artistes craignant d'être imitateurs, cherchent des routes écartees; ils s'é oignent de la belle nature que leurs prédécesseurs ont saisie: il y a du mérite dans leurs efforts; ce mérite couvre leurs défauts, le public amoureux des nouveautés, court apres eux; il s'en dégoûte bien - tôt, & il en paroit d'autres qui font de nouveaux efforts pour plaire; ils s'eloignent de la nature encore plus que les premiers: le goût se perd, on est entouré de nouveautés qui sont rapidement effacées les unes par les autres; le public ne sait plus où il en est, & il regrette en vain le siecle du bon goût qui ne peut plus revenir; c'est un dépôt que quelques bons esprits conservent alors loin de la foule.

Il est de vastes pays où le goût n'est jamais parvenu; ce sont ceux où la société ne s'est point perfectionnée, où les hommes & les femmes ne se rassemblent point, où certains arts, comme la Sculpture, la Peinture des êtres animés, sont défendus par la religion. Quand il y a peu de société, l'esprit est retréci, sa pointe s'émousse, il n'a pas dequoi se former le goût. Quand plusieurs Beaux - Arts manquent, les autres ont rarement dequoi se soûtenir, parce que tous se tiennent par la main, & dépendent les uns des autres. C'est une des raisons pourquoi les Asiatiques n'ont jamais eu d'ouvrages bien faits presque en aucun genre, & que le goût n'a été le partage que de quelques peuples de l'Europe. Article de M. de Voltaire.

Nous joindrons à cet excellent article, le fragment sur le goût, que M. le president de Montesquieu destinoit à l'Encyclopédie, comme nous l'avons dit à la fin de son [p. 762] éloge, tome V. de cet Ouvrage; ce fragment a été trouvé imparfait dans ses papiers: l'auteur n'a pas eu le tems d'y mettre la derniere main; mais les premieres pensées des grands maitres méritent d'être conservées à la postérité, comme les esquisses des grands peintres.

Essai sur le goût dans les choses de la nature & de l'art. Dans notre maniere d'être actuelle, notre ame goûte trois sortes de plaisirs; il y en a qu'elle tire du fond de son existence même, d'autres qui résultent de son union avec le corps, d'autres enfin qui sont fondés sur les plis & les préjugés que de certaines institutions, de certains usages, de certaines habitudes lui ont fait prendre.

Ce sont ces différens plaisirs de notre ame qui forment les objets du goût, comme le beau, le bon, l'agréable, le naïf, le délicat, le tendre, le gracieux, le je ne sais quoi, le noble, le grand, le sublime, le majestueux, &c. Par exemple, lorsque nous trouvons du plaisir à voir une chose avec une utilité pour nous, nous disons qu'elle est bonne; lorsque nous trouvons du plaisir à la voir, sans que nous y démêlions une utilité présente, nous l'appellons belle.

Les anciens n'avoient pas bien demêlé ceci; ils regardoient comme des qualités positives toutes les qualités relatives de notre ame; ce qui fait que ces dialogues où Platon fait raisonner Socrate, ces dialogues si admires des anciens, sont aujourd'hui insoûtenables, parce qu'ils sont fondés sur une philosophie fausse: car tous ces raisonnemens tirés sur le bon, le beau, le parfait, le sage, le fou, le dur, le mou, le sec, l'humide, traités comme des choses positives, ne signifient plus rien.

Les sources du beau, du bon, de l'agréable, &c. sont donc dans nous - mêmes; & en chercher les raisons, c'est chercher les causes des plaisirs de notre ame.

Examinons donc notre ame, étudions - la dans ses actions & dans ses passions, cherchons - la dans ses plaisirs; c'est - là où elle se manifeste davantage. La Poésie, la Peinture, la Sculpture, l'Architecture, la Musique, la Danse, les différentes sortes de jeux, enfin les ouvrages de la nature & de l'art, peuvent lui donner du plaisir: voyons pourquoi, comment & quand ils les lui donnent; rendons raison de nos sentimens; cela pourra contribuer à nous former le goût, qui n'est autre chose que l'avantage de découvrir avec finesse & avec promptitude la mesure du plaisrr que chaque chose doit donner aux hommes.

Des plaisirs de notre ame. L'ame, indépendamment des plaisirs qui lui viennent des sens, en a qu'elle auroit indépendamment d'eux & qui lui sont propres; tels sont ceux que lui donnent la curiosité, les idées de sa grandeur, de ses perfections, l'idée de son existence opposée au sentiment de la nuit, le plaisir d'embrasser tout d'une idée générale, celui de voir un grand nombre de choses, &c. celui de comparer, de joindre & de séparer les idées. Ces plaisirs sont dans la nature de l'ame, indépendamment des sens, parce qu'ils appartiennent à tout être qui pense; & il est fort indifférent d'examiner ici si notre ame a ces plaisirs comme substance unie avec le corps, ou comme séparée du corps, parce qu'elle les a toûjours & qu'ils sont les objets du goût: ainsi nous ne distinguerons point ici les plaisirs qui viennent à l'ame de sa nature, d'avec ceux qui lui viennent de son union avec le corps; nous appellerons tout cela plaisirs naturels, que nous distinguerons des plaisirs acquis que l'ame se fait par de certaines liaisons avec les plaisirs naturels; & de la même maniere & par la même raison, nous distinguerons le goût naturel & le goût acquis.

Il est bon de connoître la source des plaisirs dont le goût est la mesure: la connoissance des plaisirs naturels & acquis pourra nous servir à rectifier notre goût naturel & notre goût acquis. Il faut partir de l'état où est notre être, & connoître quels sont ses plaisirs pour parvenir à mesurer ses plaisirs, & même quelquefois à sentir ses plaisirs.

Si notre ame n'avoit point été unie au corps, elle auroit connu, mais il y a apparence qu'elle auroit aimé ce qu'elle auroit connu: à - présent nous n'aimons presque que ce que nous ne connoissons pas.

Notre maniere d'être est entierement arbitraire; nous pouvions avoir été faits comme nous sommes ou autrement; mais si nous avions été faits autrement, nous aurions senti autrement; un organe de plus ou de moins dans notre machine, auroit sait une autre éloquence, une autre poésie; une contexture différente des mêmes organes auroit fait encore une autre poésie: par exemple, si la constitution de nos organes nous avoit rendu capables d'une plus longue attention, toutes les regles qui proportionnent la disposition du sujet à la mesure de notre attention, ne seroient plus; si nous avions été rendus capables de plus de pénétration, toutes les regles qui sont fondées sur la mesure de notre pénétration, tomberoient de même; enfin toutes les lois établies sur ce que notre machine est d'une certaine façon, seroient différentes si notre machine n'étoit pas de cette façon.

Si notre vûe avoit été plus foible & plus confuse, il auroit fallu moins de moulures & plus d'uniformité dans les membres de l'Architecture: si notre vûe avoit été plus distincte, & notre ame capable d'embrasser plus de choses à - la - fois, il auroit fallu dans l'Architecture plus d'ornemens. Si nos oreilles avoient été faites comme celles de certains animaux, il auroit fallu réformer bien de nosinstrumens de Musique: je sais bien que les rapports que les choses ont entre elles auroient subsiste; mais le rapport qu'elles ont avec nous ayant changé, les choses qui dans l'état présent font un certain effet sur nous, ne le feroient plus; & comme la perfection des Arts est de nous présenter les choses teiles qu'elles nous fassent le plus de plaisir qu'il est possible, il faudroit qu'il y eût du changement dans les Arts, puisqu'il y en auroit dans la maniere la plus propre à nous donner du plaisir.

On croit d'abord qu'il suffiroit de connoître les diverses sources de nos plaisirs, pour avoir le goût, & que quand on a lu ce que la Philosophie nous dit là - dessus, on a du goût, & que l'on peut hardiment juger des ouvrages. Mais le goût naturel n'est pas une connoissance de théorie; c'est une application prompte & exquise des regles même que l'on ne connoît pas. Il n'est pas nécessaire de savoir que le plaisir que nous donne une certaine chose que nous trouvons belle, vient de la surprise; ii suffit qu'elle nous surprenne & qu'elle nous surprenne autant qu'elle le doit, ni plus ni moins.

Ainsi ce que nous pourrions dire ici, & tous les préceptes que nous pourrions donner pour former le goût, ne peuvent regarder que le goût acquis, c'est - à - dire ne peuvent regarder directement que ce goût acquis, quoiqu'il regarde encore indirectement le goût naturel: car le goût acquis affecte, change, augmente & diminue le goût naturel, comme le goût naturel affecte, change, augmente & diminue le goût acquis.

La définition la plus générale du goût, sans considérer s'il est bon ou mauvais, juste ou non, est ce qui nous attache à une chose par le sentiment; ce qui n'empêche pas qu'il ne puisse s'appliquer aux choses intellectuelles, dont la connoissance fait tant de plaisir à l'ame, qu'elle étoit la seule félicité que de certains philosophes pussent comprendre. L'ame connoît par ses idées & par ses sentimens; elle reçoit des plaisirs par ces idées & par ces sentimens: car quoique nous opposions l'idée au sentiment, cependant lorsqu'elle voit une chose, elle la sent; & il n'y a point de choses si intellectuelles, qu'elle ne voye ou

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