ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"759"> car c'est dans la cavité de ces cellules que se trouvent les extrémités des nerfs, & la langue n'est sensible que dans les endroits où se trouvent les mamelons criblés.

Il y a plusieurs raisons qui nous prouvent que ce sont ces mamelons percés qui sont l'organe du goût; les poils ou les petites pyramides ne sont pas assez sensibles pour nous faire d'abord appercevoir les moindres impressions des objets; en effet l'expérience nous fait voir que, si dans les endroits où il n'y a pas de mamelons percés on met un grain de sel, on ne sent aucune impression: mais si l'on met ce grain de sel sur la pointe de la langue, où il y a beaucoup de mamelons percés, il y excitera d'abord une sensation vive.

La structure des mamelons nerveux qui font ici l'organe de la sensation, est un peu différente de celle des mamelons de la peau, & cela proportionnellement à la disparité de leurs objets. Les mamelons de la peau organes du toucher sont petits, leur substance est compacte, fine, recouverte d'une membrane assez polie, & d'un tissu serré; les mamelons de l'organe du goût sont beaucoup plus gros, plus poreux, plus ouverts; ils sont abreuvés de beaucoup de lymphe, & recouverts d'une peau ou enchâssés dans des gaines très - inégales, & aussi très - poreuses.

Par cette structure les matieres savoureuses sont arrêtées dans ces aspérités, délayées, fondues par cette lymphe abondante, spiritueuse, absorbées par ces pores qui les conduisent à l'aide de cette lymphe, jusque dans les papilles nerveuses sur lesquelles ils impriment leur aiguillon.

Ces mamelons, organes du goût, non - seulement sont en grand nombre sur la langue, mais encore sont répandus çà & là dans la bouche; l'Anatomie découvre ces mamelons dispersés dans le palais, dans l'intérieur des joues, dans le fond de la bouche, & les observations confirment leur usage. M. de Jussieu rapporte dans les mémoires de l'Académie, l'histoire d'une fille née sans langue, qui ne laissoit pas d'avoir du goût: un chirurgien de Saumur a vû un garçon de huit à neuf ans, qui dans une petite vérole avoit perdu totalement la langue par la gangrene, & cependant il distinguoit fort bien toutes sortes de goûts. On peut s'assûrer par soi - même que le palais sert au goût, en y appliquant quelque corps savoureux: car on ne manquera pas d'en distinguer la saveur, à - mesure que les parties du corps savoureux seront assez développées pour y faire quelque impression.

Il faut avoüer cependant que la langue est le grand, le principal organe de cette sensation: sa substance est faite de fibres charnues, au moyen desquelles elle prend diverses figures; ces fibres sont environnées, & écartées par un tissu moëlleux qui rend le composé plus souple. Une partie de ces fibres charnues s'alonge hors de la langue, s'attache aux environs, & forme les muscles extérieurs qui portent le corps de cet organe de toutes parts; ce corps fibreux & médullaire est enfermé dans une espece de gaine ou de membrane très - forte.

Le nerf de la neuvieme paire, suivant Boerhaave, (Willis dit celui de la cinquieme paire) après s'être ramifié dans les fibres de la langue, se termine à sa surface. Les ramifications de ce nerf dépouillées de leur premiere tunique, forment les mamelons dont nous avons parlé; leur dépouille fortifie l'enveloppe de la langue, & contribue aussi à la sensation.

Les divers mouvemens dont la substance de la langue est capable, excitent la secrétion de la lymphe qui abreuve les mamelons, ouvrent les pores qui y conduisent, déterminent les sucs savoureux à s'y introduire.

Tel est l'organe du goût. Cette sensation existera plus ou moins dans toutes les parties de la bouche, suivant qu'il s'y trouvera des mamelons goûtans, plus ou moins dispersés. Philoxene, ce fameux gourmand de l'antiquité, contemporain de Denys le tyran, qui ne faisoit servir sur la table que des mets extrèmement chauds, & qui souhaitoit d'avoir le col long comme une grue, pour pouvoir goûter les vins; Philoxene, dis - je, avoit sans doute dans la tunique interne de l'oesophage les mamelons du goût plus fins qu'ailleurs; mais son exemple, ni celui de quelques autres personnes, ne détruit point la vérité établie ci - dessus, qu'il faut placer l'organe véritable & immédiat du goût dans les mamelons de la langue que nous avons décrits; parce qu'ils sont vraiment capables de cette sensation; parce que là où ils n'existent pas, il n'y a point de goût proprement dit, mais seulement un attouchement; parce que le goût est plus fin où ces mamelons sont en plus grande quantité, savoir au bout de la langue; parce que quand ces mamelons sont affectés, enlevés, brûlés, le goût se perd, & qu'il se retablit à - mesure qu'ils se regenerent.

On pourra comprendre encore mieux la sensation du goût, si l'on réunit sous un point les diverses choses qui y concourent, & si l'on se donne la peine de considérer; 1°. que le tapis de la bouche est non seulement délicat, mais poreux pour s'imbiber facilement du suc savoureux des alimens; 2°. que ce tapis est criblé d'ouvertures par lesquelles la bouche est sans cesse abreuvée de salive, humeur préparée dans diverses glandes, avec une subtilité & une ténuité capable de dissoudre les alimens, de maniere qu'étant mêlés avec ce dissolvant, ils descendent dans le ventricule où la dissolution s'acheve; 3°. que cette humeur dissolvante ayant la vertu de fondre, s'il faut ainsi dire, les alimens, en détache les sels dans lesquels consiste la saveur, qui n'est point sensible avant cette dissolution, ces sels y étant enveloppés avec les parties terrestres & insipides; 4°. que les mamelons nerveux qui sont les organes du goût ont une délicatesse particuliere, tant par la nature, qu'à cause qu'étant enfermes dans la bouche & dans les lieux à couvert, ils ne sont point exposés aux injures de l'air qui les dessecheroit, & leur feroit perdre cette délicatesse de sensation, qu'une chaleur égale, modérée, l'humidité & la transpiration du dedans de la bouche y entretiennent, les rendant par ce moyen pénétrables aux sucs savoureux des alimens; 5°. enfin que le mouvement de la langue qui est si fréquent, si prompt, si facile, sert à remuer, & retourner de tous sens les alimens pour les faire appliquer aux différentes parties du - dedans de la bouche dans lesquels le sentiment du goût réside.

L'objet du goût est toute matiere du regne végétal, animal, minéral, mêlée ou séparée, dont on tire par art le sel & l'huile, & conséquemment toute matiere saline, savonneuse, huileuse, spiritueuse.

Voici donc comment se fait le goût. La matiere qui en est l'objet, atténuée, & le plus souvent dissoute dans la salive, échauffée dans la bouche, appliquée à la langue par les mouvemens de la bouche, s'insinue entre les pores des gaînes membraneuses; & de - là pénétrant à la surface des papilles qui y sont cachées, les affecte, & y produit un mouvement nouveau, lequei se propageant au sensorium commune, fait naitre la sensation des diverses saveurs.

J'ai dit que la matiere qui est l'objet du goût, doit être atténuée, parce que pour bien goûter les corps sapides, il ne faut pas les tenir tranquilles sur la langue, mais les remuer pour mieux les diviser; il faut que les sels soient fondus pour être goûtés: la langue ne goûte que ce qui est assez fin pour enfiler les pores des mamelons nerveux.

J'ai ajoûté que cette matiere, objet du goût, doit [p. 760] être échauffée dans la bouche, parce que quand la langue est extrèmement refroidie, ce qui est rare, & que les corps qu'on lui présente sont très - froids, le goût ne se fait point. L'eau changée en glace n'a pas de goût; le froid ôte le piquant de l'eau - de - vie, & de toutes les liqueurs spiritueuses.

Explications de plusieurs phénomenes du goût. Comme le goût ne dépend que de l'action des sels & d'autres matieres acres sur les nerfs, on peut demander pourquoi nous ne pouvons pas connoître le goût de ces mêmes sels dans les autres parties du corps? Mais il est évident que dès que les nerfs seront différemment arrangés dans quelque partie, les impressions qu'ils recevront seront differentes: or dans le corps humain il n'y a nulle partie où les nerfs soient disposes comme dans la langue, il faut donc de toute nécessité que les parties des sels y agissent diversement.

Par quelle raison le même objet excite - t - il souvent des goûts si différens selon l'âge, le tempérament, les maladies, le sexe, l'habitude, & les choses qu'on a goûtées auparavant? C'est une question qui se trouve vérifiée dans toute son étendue, & dont la solution dépend de la texture, disposition & obstruction des mamelons nerveux.

Le même objet excite des goûts différens selon les âges; le vin du Rhin si agréable aux adultes, irrite les jeunes enfans à cause de la délicatesse de leurs nerfs. Le sucre & les friandises qui plaisent à ceuxci, sont trop fades pour les autres qui aiment le salé, l'acre, le spiritueux, les ragoûts forts & assaisonnés. Toutes ces variétés viennent de celles des nerfs plus sensibles dans le jeune âge, plus calleux & difficiles à émouvoir dans l'adulte.

Le même objet excite encore des goûts différens selon le sexe, les maladies, le temperament & les choses qu'on a goûtées auparavant. En effet les filles qui ont les pâles couleurs, n'aiment que les choses acres, acides, capables d'atténuer le mucus de l'estomac. Tout paroît amer dans la jaunisse; les leucophlegmatiques ne peuvent supporter le goût du sucre de Saturne, les filles hystériques celui des sucreries; quand la bile ou la putridité domine, on a de l'horreur pour les choses alkalescentes, on appete les acides. Après les sels muriatiques, les vins acides plaisent, & non après le miel, ni le sucre, &c. Quelque reste des goûts précédens restent nichés dans les pores des petites gaînes nerveuses jusqu'à ce qu'ils en sortent, ou pour se mêler avec les nouvelles matieres sapides, ou pour les empêcher d'affecter les nerfs.

Enfin les mêmes objets excitent des goûts, des sensations différentes suivant l'habitude, parce qu'on apprend à goûter, parce qu'il n'y a que les choses inusitées dont on est frappé. Ce n'est qu'à la longue qu'on voit dans les ténebres. Cet aveugle à qui Cheselden abattit la cataracte eut un grand plaisir à voir les couleurs rouges. Boyle fait mention d'un homme à qui la subite impression de la lumiere fit sentir un doux prurit, une volupté par - tout le corps presque semblable à celle du plaisir des femmes; mais par un malheur inévitable cette sensibilité ne dura pas.

Pourquoi les nerfs nuds & la langue excoriée sont - ils si sensibles à l'impression des corps qui ont le plus de goût, tels que les sels, les aromates, les esprits? Malpighi parle d'un homme qui avoit l'enveloppe externe de la langue si fine, que tout ce qu'il mangeoit lui causoit de la douleur, excepté le lait, le bouillon, & l'eau qu'il avaloit sans peine. Il est nécessaire qu'il y ait quelque mucus & des gaînes entre les nerfs sensitifs, & les corps sapides pour tempérer le goût, sans quoi il ne peut se faire; la même chose arrive si l'enveloppe des nerfs est trop seche, dure & calleuse. Toutes les sensations que nous éprouvons ne different que par le plus ou le moins; ainsi le plaisir n'est que le commencement de la douleur. Un chatouillement doux est voluptueux, parce qu'il ne cause qu'un mouvement leger dans les nerfs; il est douloureux s'il augmente, parce qu'il irrite les fibres nerveuses; enfin il peut les déchirer, causer des convulsions & la mort. On voit par - là que les matieres qui ont un goût fort vif, pourront faire sur la langue non seulement des impressions très - sensibles, mais très - douloureuses.

Pourquoi les choses qui ont du goût fortifient-elles promptement? Quand nous sommes dans la langueur, il y a des matieres dont le goût agréable & vif nous redonne d'abord des forces. Cela vient de ce que leurs parties agitent les nerfs, & y font couler le suc nerveux; mais il ne faut pas croire que cette agitation seule qui arrive aux nerfs de la langue, puisse produire un tel effet: les parties subtiles dont nous parlons, s'insinuent d'abord dans les vaisseaux, les agitent par leur action, se portent au cerveau où ils ebranlent le principe des nerfs; tout cela fait couler dans notre machine le suc nerveux qui étoit presque sans mouvement.

Mais qu'est - ce qui donne tant de goût & de force à ces corps qui fortifient si promptement? Presque rien, l'esprit recteur des Chimistes. Sendivogius dit que ce liquide subtil & restaurant, à qui les chimistes ont donné le nom d'esprit recteur, fait 1/820 de tout le corps aromatique: d'une livre entiere de canelle on tire à peine 60 gouttes d'huile éthérée; c'est une de ces gouttes d'huile qui passant par des veines très - déliées dans le sang, y arrive avec toute sa vertu dont le corps se trouve tout - à - coup animé.

D'où vient que l'eau, les huiles douces, la terre sont insipides? Parce que ce qui est plus foible que ce qui arrose continuellement les organes de nos sens ne peut les frapper. Nous n'appercevons le battement du coeur & des arteres que lorsqu'il est excesfir. L'eau pure est moins salée que la salive, le moyen qu'on la goûte! Si elle a du goût, dès - lors elle est mauvaise. La terre & l'huile sont composées de parties trop grossieres pour pouvoir traverser les pores qui menent aux nerfs du goût.

D'où procede la liaison particuliere qui regne entre le goût & l'odorat, liaison plus grande qu'entre le goût & les autres sens? Car, quoique la vûe & l'oüie produisent sur les organes du goût des effets semblables à ceux que cause l'odorat, comme d'exciter l'appétit ou de procurer le vomissement quand on voit ou qu'on entend nommer des choses dont le goût plaît, ou déplaît assez pour révolter, il est néanmoins certain que l'odorat agit plus puissamment. On en trouve la raison dans le rapport immédiat & prochain que les odeurs & les saveurs ont ensemble; elles consistent toutes deux dans les esprits developpés des matieres odorantes & savoureuses; outre que la membrane qui tapisse le nez organe de l'odorat, est une continuation de la même membrane qui tapisse la bouche, le gosier, l'oesophage & l'estomac organes du goût en général. C'est en vertu des mêmes causes qu'on savoure d'avance avec volupté le café par son odeur aromatique, & qu'on est révolté contre quelque mets, ou contre une medecine dont l'odeur est desagréable. Voyez Odorat.

Ajoûtez que l'imagination exerce ici comme ailleurs son souverain empire. L'ame se rappellant les mauvaises qualités d'un aliment puant, les nausées & les tristes effets d'un purgatif, s'en renouvelle l'idée à l'odeur; & cette idée trouble en un moment les organes du goût, de la déglutition & de la digestion. Aussi voit - on que les personnes dont l'imagination est fort vive, sont les plus sujettes à cet ébranlement de la machine, qui fait que l'odeur, la vûe même, ou l'oüie des choses très - agréables

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