ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"671"> longueur de ces clous, afin de les porter à leur bras, à cause de leur bonne odeur.

Quelques auteurs nous en ont donné de fausses descriptions, & d'autres de fabuleuses. Ceux - ci rapportent, par exemple, que les arbres du voisinage s'inclinent devant le giroflier royal pour lui rendre hommage, quand il est chargé de ses fruits; & que lorsqu'il entre en fleur, les girofliers communs s'en dépouillent par respect, &c. Comme les choses rares & cachées deviennent toûjours merveilleuses, on peut faire croire aisément de telles merveilles au vulgaire des Indiens; mais il est honteux que des voyageurs de l'Europe en soient la dupe; ou ridicule, qu'ils pensent nous en imposer par leur témoignage.

De la récolte des clous de girofle ordinaires. On cueille les clous de girofle ordinaires, savoir les calices des fleurs, & les embryons des fruits, avant que les fleurs s'épanoüissent, depuis le mois d'Octobre jusqu'au mois de Février; & on les cueille en partie avec les mains, & en partie on les fait tomber avec de longs roseaux, ou avec des verges. On les reçoit sur des linges que l'on étend sous les arbres, ou on les laisse tomber sur la terre, dont on a coutume dans le tems de cette récolte, de couper avec grand soin l'herbe. Lorsqu'ils sont nouvellement cueillis, ils sont roux & legerement noirâtres; mais ils deviennent noirs en se séchant, & par la fumée; car on les expose pendant quelques jours à la sumée sur des claies: enfin on les fait bien sécher au soleil; & étant ainsi préparés, les Hollandois les vendent par toute la terre.

Toutes les iles Moluques produisoient autrefois du clou de girofle; mais ce n'est présentement que de l'ile d'Amboine & de Ternate que les Hollandois tirent ccsui qu'ils apportent en Europe, ou qu'ils distribuent dans les autres parties du monde. Ils ont fait arracher dans toutes les autres Moluques les arbres qui donnent cette épicerie; & pour dédommager le roi de Ternate de la perte du produit de ses girosliers, ils lui payent tous les ans environ dix - huit mille richedalles en tribut ou en présent; ils se sont en outre obligés par un traité de prendre à sepesous six denier, la livre, tout le clou que les habitans d'Amboine apportent dans leurs magasins.

Le prix du girofle est fixé à soixante - quinze sous pour les payemens des obligations de la compagnie, ou pour ceux qui l'achetent d'elle argent comptant.

De l'huile des clous de girofle. Les clous de girofle récens donnent par l'expression une huile épaisse, roussâtre & odorante; mais dans la distillation il sort beaucoup d'huile essentielle aromatique, qui est d'abord limpide, blanche, jaunâtre, ensuite roussâtre, pesante, & qui va au fond de l'eau: enfin vient une huile empyreumatique, épaisse, avec une liqueur acide. Le caput mortuum calciné donne par la lixiviation un peu de sel fixe salé.

Il est incroyable combien les clous de girofle contiennent d'huile quand on les rapporte des Indes, & qu'on vient à les débaler; rien ne leur est comparable à cet égard. Il ne faut pour s'en convaincre qu'en faire distiller quelques - uns par l'alembic à un feu assez fort, avec douze fois autant d'eau commune; il s'élevera une eau trouble, épaisse, de couleur de lait, & en même tems une grande quantité d'huile jaunâtre qui se préeipite au fond de l'eau. Lorsqu'il se sera élevé les deux tiers de l'eau, si on change le récipient, qu'on ajoûte autant de nouvelle cau, & qu'on continue la distillation, on a une eau qui tient de la vertu aromatique du girofle. On met toutes ces eaux à part, pour s'en servir à la place d'eau commune dans les distillations que l'on sera de la même huile.

Il reste au fond de la cucurbite une liqueur bru<cb-> ne, épaisse, sans odeur, d'un goût acide, & quelque peu austere, qui ne possede aucune des vertus du girofle, quoique les clous qui restent conservent leur premiere forme au point de ne pouvoir plus être distingués lorsqu'ils sont à demi - secs, de ceux dont on n'a point encore tiré l'huile; & ce qu'il y a de particulier, c'est qu'ils acquierent par le mélange l'odeur de ceux - ci, & s'impregnent de l'huile qu'ils contiennent, de sorte que les marchands n'ont pas beaucoup de peine à les faire passer pour naturels. Ce fait prouve bien qu'il ne faut acheter les clous de girofle que d'honnêtes négocians, ou de la compagnie même en droiture.

Méthodes de tirer cette huile essentielle. On a deux façons de tirer l'huile essentielle de girofle; l'une par l'alembic, & l'autre per descensum. Indiquons ces deux procédés.

Voici la bonne méthode du premier procédé. Prenez une livre de clous de girofle entiers, ou un peu concassés; versez dessus six ou sept livres d'eau de girofle d'une premiere distillation, ou à la place pareille quantité d'eau de riviere aiguisée par trois onces de sel commun; & après une macération faite pendant quelques jours dans un lieu chaud, employez un feu un peu fort à la distillation, qui se fera dans une cucurbite remplie jusqu'aux deux tiers & au - delà: il sort d'abord une huile blanchâtre, ou tirant sur le jaune, qui distille par le tuyau du réfrigérent dans le bassin, & tombe au fond avec l'eau qui nage sur l'huile. En augmentant le feu, il succede une huile plus pesante, plus épaisse, d'un jaune plus foncé, qui se précipite pareillement au fond. Rarement toute l'huile du girofle sort par la premiere distillation; il faut la réitérer une seconde, & même une troisieme fois, avec l'eau de girofle du premier procédé.

On observera seulement de ne point ôter toute l'eau de la premiere distillation, de peur que le girofle ne contracte une odeur d'empyreume; l'huile de la seconde distillation est non - seulement plus épaisse à cause du feu qu'on a rendu plus violent, mais elle est encore mêlée de parties résineuses.

Par cette méthode on tire ordinairement de deux livres de girofles purs & choisis, au bout d'une seconde & même d'une troisieme distillation, cinq, six & jusqu'à sept onces, tant d'huile essentielle fine, que d'huile essentielle plus épaisse; on sépare ensuite l'huile de l'eau par l'entonnoir garni de papier gris; & comme cette eau reste encore imprégnée de parties huileuses, on la conserve pour en user en qualité d'eau distillée de girofle.

La différence est grande entre cette huile qu'on tire avec soin dans la premiere distillation, & l'huile sophistiquée, c'est - à - dire mélangée avec l'huile de girofle par expression, qu'on vend communément en Hollande. La nôtre est plus subtile, plus fluide, plus tempérée, & plus sûre dans ses effets. On peut s'en servir avec hardiesse à la dose de deux, trois ou quatre gouttes dans de l'eau de mélisse, ou autre véhicule convenable. Il faut alors la mêler dans un peu de sucre, ou de jaune d'oeuf, avant que de l'employer dans le véhieule; autrement elle ne s'y dissoudroit pas.

Mais elle se dissout promptement dans l'alcohol ou l'esprit de nitre dulcifié, bien préparé. Tenue dans une phiole de verre exactement fermée, elle conserve sa liquidité pendant plusieurs années.

Si l'on met dans un petit vaisseau de verre de cette huile de girofle, & qu'on verse dessus deux ou trois fois autant de bon esprit de nitre, il se fera dans ce mélange une effervescence très - forte, qui durera long - tems avec grande chaleur, & jusqu'à s'enflammer d'elle - même; le bouillonnement de la liqueur [p. 672] continuera & répandra dans l'air beaucoup de vapeurs, dont l'odeur n'est pas trop mauvaise; enfin la matiere se condensera en forme de gomme au fond du vaisseau.

Il faut remarquer que cette expérience ne réussit bien qu'avec de l'excellente huile de girofle, & surtout avec celle qu'on a tirée fidelement aux Indes même, & que les Hollandois reçoivent directement par leurs vaisseaux. Si l'on ajoûte un peu de poudre à canon dans le mélange dont on vient de parler, elle prendra feu.

Je passe à la méthode de tirer l'huile essentielle de girosle per descensum.

Pour cet effet, on prend un pot de terre de grès, ou plusieurs grands verres (supposons ici des verres à boire) que l'on couvre d'une toile; on lie cette toile autour des rebords de chaque verre, on enfonce un peu cette toile dans leur cavité, on place dans cet enfoncement le girofle pulvérise; on met par - dessus chaque verre une terrine, ou un cul de balance, qui s'applique exactement sur leurs bords; on remplit les terrines ou ces culs de balances, de cendres chaudes qui échaussent les girofles, & font distiller au fond des verres, premierement un peu d'esprit, & ensuite une huile claire & blanche; on leve de tems - en - tems les culs de balances, pour remuer la poudre de girofle; on continue le feu jusqu'à ce qu'il ne distille plus rien: enfin on sépare l'huile par l'entonnoir dont on a parlé ci - dessus, & on la garde dans une phiole bien bouchée.

Dans cette opération, on retire d'une livre de girofles, poids de seize onces pour livre, une once deux dragmes d'huile, & une once d'esprit. Il reste treize onces deux dragmes de matiere, dont on peut tirer encore un peu d'huile rouge empyreumatique.

Cette méthode n'entraîne point de dépense; mais il s'en faut de beaucoup qu'on y trouve dans l'huile distillée de cette maniere les mêmes avantages que par la méthode de l'alembic. Si vous n'employez qu'un feu leger, vous n'aurez point d'huile; & si vous poussez le feu, l'huile sentira l'empyreume: en un mot on ne doit se servir de cette méthode que dans des occasions pressantes, qui ne permettent pas d'avoir recours à l'autre opération, qui est la seule bonne, & la seule que pratiquent les artistes.

Elle sert de modele pour tirer toutes sortes d'huiles aromatiques du même genre, celle de canelle, du poivre, des cubebes, du cardamomum, du sassafras, &c. C'est encore ainsi qu'avec un feu plus doux l'on distille l'huile de romarin, de marjolaine, de thym, de menthe, de fleurs de lavande, d'anis, &c. Il est bon de le savoir, & de s'en ressouvenir.

Qualités & choix de l'huile de girofle. Cette huile essentielle de clous de girofle, distillée per descensum ou par l'alembic, est la seule préparation que l'on trouve dans les boutiques; étant nouvelle, elle est d'un blanc doré, qui rougit en vieillissant. Il faut la choisir forte, pénétrante, & qui ait bien conservé l'odeur & la saveur du girofle; elle est facile à sophistiquer, & la tromperie difficile à découvrir; ce qui doit engager à ne l'acheter que de bonne main.

Elle perd promptement ses esprits, quand on la laisse à découvert, & dégénere d'ordinaire en une substance grasse, visqueuse & inactive; tandis que les clous de girofle conservent leurs esprits malgré la chaleur violente du pays où ils croissent.

Elle est encore plus pesante que l'eau, de sorte qu'elle se précipite au fond sans rien perdre de ses vertus. C'est une propriété que n'ont point nos huiles de l'Europe, & que possedent uniquement les huiles de l'Asie, de l'Afrique & de l'Amérique, sur - tout celle des plantes aromatiques.

Enfin il est remarquable que le résidu du clou de girofle, après la distillation, est austere, froid & très fixe; propriété cependant qui lui est commune avec les plantes qui contiennent une grande quantité d'huile aromatique.

Vertus & usages de cette huile. Comme cette huile de girofle est extrèmement chaude, & même caustique, elle devient par - là très - propre, suivant la remarque de Boerhaave, aux tempéramens froids, & dans les maladies de cette nature. Elle est encore excellente pour ranimer les esprits, soit qu'on en use intérieurement ou extérieurement; mais l'usage interne demande beaucoup de reserve & de prudence.

Pour l'extérieur on l'employe seule, ou avec d'autres huiles aromatiques, comme celle de noix mascade tirée par expression, celle de palmier, de romarin, de sauge; le tout mêlé ensemble, on en fait un liniment, dont on frotte les membres paralytiques, ainsi que dans les maladies froides & pituiteuses, dans la stupidité accidentelle, & les affections soporeuses: on peut encore en frotter la région de l'estomac dans la longueur de ce viscere, & dans les coliques produites par des vents.

Elle sert d'un remede assez actif en qualité de topique, pour arrêter les progrès de la gangrene, en la faisant dissoudre dans l'esprit - de - vin rectifié, & en y trempant des plumaceaux de charpie qu'on applique sur la partie gangrenée.

On s'en sert encore pour la carie des os & pour le mal des dents: dans ce dernier cas, on en imbibe un peu de coton, que l'on met adroitement dans la dent cariée, dont il appaise la douleur en brûlant le nerf; mais il faut en user avec beaucoup de précaution, & seulement dans les cas où il n'y a point d'inflammation, & où la carie considérable de la dent est la cause de la douleur, en mettant le nerf trop à découvert.

Si l'on a besoin d'appaiser plus promptement la rage des dents, on puivérisera six grains de camphre avec trois grains de laudanum épié, qu'on humectera de quelques gouttes d'huile essentielle de girofle; on formera du tout de petites tentes de la grosseur d'un grain de blé, pour les porter dans la dent malade. D'autres font dissoudre l'opium dans l'huile éthérée du girofle, & se servent de cette dissolution. C'est - là le grand secret des charlatans, dont l'abus a quelquefois causé la surdité. L'huile de girofle soulage le mal de dents de la même maniere que l'huile de cannelle & celle de gayac; mais les deux premieres étant d'une odeur agréable, on n'a aucune répugnance pour en mettre dans la dent; au lieu qu'on en a beaucoup par rapport à la derniere. Enfin l'huile de girofle est d'un grand usage parmi les Parfumeurs.

La dose est d'une, deux ou trois gouttes intérieurement, pour ranimer le ton de l'estomac chez les personnes accablées de mucosités, de pituite, d'humeurs froides & catarrheuses. On en fait en ce cas un éléosaccharum avec un peu de sucre; ou bien l'on prend huile de clous de girofle deux gouttes, huile de cannelle huit gouttes, teinture d'ambre une goutte, sucre crystallisé réduit en une poudre très fine, demi - once; mêlez, & conservez cette poudre pour l'usage dans une bouteille bien ferméc. La dose est un gros, dissoute dans du vin rouge, ou dans du vin d'Espagne.

Usage des clous de girofle. On consomme principalement les clous de girofle dans les cuisines; ils sont tellement recherchés dans quelques pays de l'Europe, & sur - tout aux Indes, que l'on y méprise presque les nourritures qui sont sans cette épicerie: on les mêle dans presque tous les mets, les fausses, les vins, les liqueurs spiritueuses & les boissons aromatiques; on les employe aussi parmi les odeurs.

On en fait très - peu d'usage en Medecine; cependant comme leur vertu est d'échauffer & de dessé<pb->

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