ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"598"> & le résultat en est beaucoup plus avantageux à l'art, que la présomption & l'entêtement qui font entreprendre de peindre l'histoire à ceux dont les talens sont trop bornés pour remplir toutes les conditions qu'elle exige. Ce n'est donc point une raison d'avoir moins de considération pour un habile peintre de genre, parce que ses talens sont renfermés dans une sphere qui semble plus bornée; comme ce n'est point pour un peintre un juste sujet de s'enorgueillir, de ce qu'il peint médiocrement dans tous les genres: pour détruire ces deux préjugés, on doit considérer que le peintre dont le genre semble borné, a cependant encore un si grand nombre de recherches & d'études à faire, de soins & de peines à se donner pour réussir, que le champ qu'il cultive est assez vaste pour qu'il y puisse recueillir des fruits satisfaisans de ses travaux. D'ailleurs le peintre le genre par l'habitude de considérer les mêmes objets, les rend toûjours avec une vérité d'imitation dans les formes qui donne un vrai mérite à ses ouvrages. D'un autre côté le peintre d'histoire embrasse tant d'objets, qu'il est très - facile de prouver & par le raisonnement & par l'expérience, qu'il y en a beaucoup dont il ne nous présente que des imitations très - imparfaites: d'ailleurs le peintre d'histoire médiocre est à des yeux éclairés si peu estimable dans ses productions, ces êtres qu'il produit, & dans l'existence desquels il se glorifie, sont des fantômes si contrefaits dans leur forme, si peu naturels dans leur couleur, si gauches ou si faux dans leur expression, que loin de mériter la moindre admiration, ils devroient être supprimés comme les enfans que les Lacédémoniens condamnoient à la mort, parce que les défauts de leur conformation les rendoient inutiles à la république, & qu'ils pouvoient occasionner par leur vûe des enfantemens monstrueux.

C'est donc de concert avec la raison, que j'encourage les Artistes qui ont quelque lieu de douter de leurs forces, ou auxquels des tentatives trop pénibles & peu heureuses, démontrent l'inutilité de leurs efforts, de se borner dans leurs travaux, pour remplir au moins avec quelque utilité une carriere, qui par - là deviendra digne de loüange. Car, on ne sauroit trop le répéter aujourd'hui, tout homme qui déplace l'exercice de ses talens en les laissant diriger par sa fantaisie, par la mode, ou par le mauvais goût, est un citoyen non - seulement très - inutile, mais encore très - nuisible à la société. Au contraire celui qui sacrifie les desirs aveugles de la prétention, ou la séduction de l'exemple, au but honnête de s'acquitter bien d'un talent médiocre, est digne de loüange pour l'utilité qu'il procure, & pour le sacrifice qu'il fait de son amour propre. Mais ce n'est pas assez pour moi d'avoir soûtenu par ce que je viens de dire, les droits du goût & de la raison, je veux en comparant les principaux genres des ouvrages de la Peinture, avec les genres différens qui distinguent les inventions de la Poésie, donner aux gens du monde une idée plus noble qu'ils ne l'ont ordinairement des artistes qu'on appelle peintres de genre, & à ces artistes un amour propre fondé sur la ressemblance des opérations de deux arts, dont les principes sont également tirés de la nature, & dont la gloire est également établie sur une juste imitation. J'ai dit au mot Galerie, qu'une suite nombreuse de tableaux, dans lesquels la même histoire est représentée dans différens momens, correspond en peinture aux inventions de la Poésie, qui sont composés de plusieurs chants; tels que ces grands poemes, l'Iliade, l'Odyssée, l'Eneide, la Jérusalem délivrée, le Paradis perdu, & la Henriade. Comme il seroit très - possible aussi que trois ou cinq tableaux destinés à orner un salon, eussent entre eux une liaison & une gradation d'intérêt, on pourroit suivre dans la façon dont on les traiteroit quelques - uns des principes qui constituent la tragédie ou la comédie; telle est une infinité de sujets propres à la Peinture, qui fourniroient aisément trois ou cinq situations agreables, intéressantes & touchantes. Cette unité d'action feroit naître une curiosité soûtenue, qui tourneroit à l'avantage de l'habile artiste, qui pour la nourrir mieux, réserveroit pour le dernier tableau la catastrophe touchante ou le dénouement agréable de l'action. Les suites composées pour les grandes tapisseries, présentent une partie de cette idée, mais souvent on n'y observe pas assez la progression d'intérêt sur laquelle j'insiste; on est trop sujet à ne choisir que ce qui paroîtra plus riche, & ce qui fournira plus d'objets, sans réfléchir que les scenes ou le théatre est le plus rempli, ne sont pas toûjours celles dont le spectateur retire un plaisir plus grand. J'ajoûterai encore que ces especes de poëmes dramatiques pittoresques devroient toûjours être choisis tels que les places où ils sont destinés le demandent; il est tant de faits connus, d'histoires & de fables, de caracteres différens, que chaque appartement pourroit être orné dans le genre qui conviendroit mieux à son usage, & cette espece de convenance & d'unité ne pourroit manquer de produire un spectacle plus agréable que ces assortimens ordinaires, qui n'ayant aucun rapport ni dans les sujets, ni dans la maniere de les traiter, offrent dans le même lieu les austeres beautés de l'histoire confondues avec les merveilles de la fable, & les rêveries d'une imagination peu reglée; mais passons aux autres genres. La pastorale héroïque est un genre commun à la Poësie & à la Peinture, qui n'est pas plus avoiié de la nature dans l'un de ces arts, que dans l'autre. En effet décrire un berger avec des moeurs efféminées, lui prêter des sentimens peu naturels, ou le peindre avec des habits chargés de rubans, dans des attitudes étudiées, c'est commettre sans contredit deux fautes de vraissemblance égales; & ces productions de l'art qui doivent si peu à la nature, ont besoin d'un art extrème pour être tolérées. La pastorale naturelle, ce genre dans lequel Théocrite & le Poussin ont réussi, tient de plus près à la vérité; il prête aussi plus de véritables ressources à la Peinture. La Nature féconde & inépuisable dans sa fécondité, se venge de l'affront que lui ont fait les sectateurs du genre précédent, en prodiguant au peintre & au poëte qui veulent la suivre, une source intarissable de richesses & de beautés. L'idyle semblable au paysage, est un genre qui tient à celui dont nous venons de parler (le Poussin). Un artiste représente un paysage charmant, on y voit un tombeau; près de ce monument un jeune homme & une jeune fille arrêtés lisent l'inscription qui se présente à eux, & cette inscription leur dit: je vivois ainsi que vous dans la délicieuse Arcadie; ne semble - t - il pas à celui qui voit cette peinture, qu'il lit l'idyle du ruisseau de la naïve Deshoulieres? Dans l'une & dans l'autre de ces productions les images agréables de la nature conduisent à des pensées aussi justes & aussi philosophiques que la façon dont elles sont présentées est agréable & vraie. Le nom de portrait est commun à la Poésie comme à la Peinture; ces deux genres peuvent se comparer dans les deux arts jusque dans la maniere dont on les traite; car il en est très - peu de ressemblans. Les descriptions en vers des présens de la nature sont à la Poésie ce qu'ont été à la Peinture les ouvrages dans lesquels Desportes & Baptiste ont si bien représenté les fleurs & les fruits: les peintres d'animaux ont pour associés les fabulistes; enfin il n'est pas jusque à la satyre & à l'épigramme, qui ne puissent être traitées en Peinture comme en Poésie; mais ces deux talens non seulement inutiles mais nuisibles, sont par conséquent trop peu estimables, pour que je m'y arrête. J'en [p. 599] resterai même à cette énumération, que ceux à qui elle plaira pourront étendre au gré de leur imagination & de leurs connoissances. J'ajoûterai seulement que les genres en Peinture se sont divisés & peuvent se subdiviser à l'infini: le paysage a produit les peintres de fabriques, d'architecture, ceux d'animaux, de marine; il n'y a pas jusque aux vûes de l'intérieur d'une église qui ont occupé tout le talent des Pieter - nefs & des Stenwits. Article de M. Watelet.

GENS (Page 7:599)

GENS, s. m. & f. (Gramm. franç.) Voici un mot si bizarre de notre langue, un mot qui signifie tant de choses, un mot enfin d'une construction si difficile, qu'on peut en permettre l'article dans ce Dictionnaire en faveur des étrangers; & même plusieurs françois le liroient utilement.

Le mot gens tantôt signifie les personnes, les hommes, tantôt les domestiques, tantôt les soldats, tantôt les officiers de justice d'un prince, & tantôt les personnes qui sont de même suite & d'un même parti. Il est toûjours masculin en toutes ces significations, excepté quand il veut dire personnes; car alors il est féminin si l'adjectif le précede, & masculin si l'adjectif le suit. Par exemple, j'ai vû des gens bien faits, l'adjectif bien faits après gens, est masculin. Au contraire on dit de vieilles gens, de bonnes gens; ainsi l'adjectif devant gens est féminin. Il n'y a peut - être qu'une seule exception qui est pour l'adjectif tout, lequel étant mis devant gens, est toûjours masculin, comme tous les gens de bien, tous les honnêtes gens; on ne dit point toutes les honnêtes gens.

Le P. Bouhours demande, si lorsque dans la même phrase, il y a un adjectif devant, & un adjectif ou un participe après, il les faut mettre tous deux au même genre, selon la regle générale; ou si l'on doit mettre le féminin devant, & le masculin après; par exemple, s'il faut dire, il y a de certaines gens qui sont bien sots, ou bien sotes; ce sont les meilleures gens que j'aye jamais vûs ou vûes; les plus savans dans notre langue croyent qu'il faut dire sots & vûs au masculin, par la raison que le mot de gens veut toûjours le masculin après soi. C'est cependant une bizarrerie étrange, qu'un mot soit masculin & féminin dans la même phrase, & ces sortes d'irrégularités rendent une langue bien difficile à savoir correctement.

Le mot gens pris dans la signification de nation, se disoit autrefois au singulier, & se disoit même il n'y a pas un siecle. Malherbe dans une de ses odes dit: ô combien lors auta de veuves, la gent qui porte le turban; mais aujourd'hui il n'est d'usage au singulier qu'en prose ou en poésie burlesque: par exemple, Scaron nomme plaisamment les pages de son tems, la gent à gregues retroussées. Il y a pourtant tel endroit dans des vers sérieux, où gent a bonne grace, comme en cet endroit du liv. V. de l'Enéïde de M. de Segrais, de cette gent farouche adoucira les moeurs. Il se pourroit bien qu'on a cessé de dire la gent, à cause de l'équivoque de l'agent.

On demande, si l'on doit dire dix gens, au nombre déterminé, puisqu'on dit beaucoup de gens, beaucoup de jeunes gens. Vaugelas, Ménage, & le P. Bouhours, le grand critique de Ménage, s'accordent unanimement à prononcer que gens ne se dit point d'un nombre déterminé, desorte que c'est mal parler, que de dire dix gens. Ils ajoûtent qu'il est vrai qu'on dit fort bien mille gens, mais c'est parce que le mot de mille en cet endroit, est un nombre indéfini; & par cette raison, on pourroit dire de même cent gens, sans la cacophonie. Cette décision de nos maîtres paroît d'autant plus fondée qu'ils ajoûtent, que si en effet il y avoit cent personnes dans une maison, ou bien mille de compte, fait, ce seroit mal parler que de dire, il y a cent gens ici, j'ai vû mille gens dans le sallon de Versailles; il faudroit dire, il y a cent personnes ici, j'ai vû mille personnes dans le sallon de Versailles.

Cependant quoiqu'il soit formellement décidé, que c'est mal parler que de dire dix gens, on dira fort bien, ce me semble, dix jeunes gens, trois honnêtes gens, en parlaut d'un nombre préfix; il paroît que quand on met un adjectif entre le mot gens, ou un mot quelconque devant gens, on peut y faire précéder un nombre déterminé, dix jeunes gens, trois honnêtes gens; c'est pour cela qu'on dit, très - bien en prenant gens pour soldat ou pour domestique: cet officier accourut avec dix de ses gens; le prince n'avoit qu'un de ses gens avec lui.

Il reste à remarquer qu'on dit en conséquence de la décision de Vaugelas. Bouhours, & Ménage, c'est un honnête homme: mais on ne dit point en parlant indéfiniment, ce sont d'honnêtes hommes, il faut dire ce sont d'honnêtes gens; cependant on dit, c'est un des plus honnêtes hommes que je connoisse; on peut dire aussi, deux honnêtes hommes vinrent hier chez moi. (D. J.)

Gens de Lettres (Page 7:599)

Gens de Lettres, (Philosophie & Littérat.) ce mot répond précisément à celui de grammairiens: chez les Grecs & les Romains: on entendoit par grammairien, non - seulement un homme versé dans la Grammaire proprement dite, qui est la base de toutes les connoissances, mais un homme qui n'étoit pas étranger dans la Géométrie, dans la Philosophie, dans l'Histoire généraie & particuliere; qui sut - tout faisoit son étude de la Poésie & de l'Eloquence: c'est ce que sont nos gens de lettres aujourd'hui. On ne donne point ce nom à un homme qui avec peu de connoissances ne cultive qu'un seul genre. Celui qui n'ayant lû que des romans ne fera que des romans; celui qui sans aucune littérature aura composé au hasard quelques pieces de théatre, qui dépourvû de science aura fait quelques sermons, ne sera pas compté parmi les gens de lettres. Ce titre a de nos jours encore plus d'étendue que le mot grammairien n'en avoit chez les Grecs & chez les Latins. Les Grecs se contentoient de leur langue; les Romains n'apprenoient que le grec: aujourd'hui l'homme de lettres ajoûte souvent à l'étude du grec & du latin celle de l'italien, de l'espagnol, & sur - tout de l'anglois. La carriere de l'Histoire est cent fois plus immense qu'elle ne l'étoit pour les anciens; & l'Histoire naturelle s'est accrûe à proportion de celle des peuples: on n'exige pas qu'un homme de lettres approfondisse toutes ces matieres; la seience universelle n'est plus à la portée de l'homme: mais les véritables gens de lettres se mettent en état de porter leurs pas dans ces différens terreins, s'ils ne peuvent les cultiver tous.

Autrefois dans le seizieme siecle, & bien avant dans le dix - septieme, les littérateurs s'occupoient beaucoup de la critique grammaticale des auteurs grecs & latins; & c'est à leurs travaux que nous devons les dictionnaires, les éditions correctes, les commentaires des chefs - d'oeuvres de l'antiquité; aujourd'hui cette critique est moins nécessaire, & l'esprit philosophique lui a succédé. C'est cet esprit philosophique qui semble constituer le caractere de gens de lettres; & quand il se joint au bon goût, il forme un littérateur accompli.

C'est un des grands avantages de notre siecle, que ce nombre d'hommes instruits qui passent des épines des Mathématiques aux fleurs de la Poésie, & qui jugent egalement bien d'un livre de Métaphysique & d'une piece de théatre: l'esprit du siecle les a rendus pour la plûpart aussi propres pour le monde que pour le cabinet; & c'est en quoi ils sont fort supérieurs à ceux des siecles précédens. Ils furent écartes de la société jusqu'au tems de Balzac & de Voiture; ils en ont fait depuis une partie devenue nécessaire. Cette

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